samedi 31 juillet 2021

Mon avis sur "Une bête au paradis" de Cécile Coulon

Voici presque six ans que je suis Cécile Coulon et à chaque fois que je la lis, je me dis que je fais bien. Elle ne cesse de nous surprendre, de nous émerveiller. Elle a publié sept romans (bientôt huit), deux recueils de poèmes et est également éditrice à l’Iconopop. Une bête au Paradis est publié en grand format aux Éditions L'iconoclaste et en format poche chez Le livre de poche. Voici plusieurs mois que la bête était enfouie dans ma pile, je l'ai enfin sortie et comme Blanche, l'ai dévorée.

La vie d’Émilienne, c’est le Paradis. Cette ferme isolée, au bout d’un chemin sinueux. C’est là qu’elle élève seule, avec pour uniques ressources son courage et sa terre, ses deux petits-enfants, Blanche et Gabriel. Les saisons se suivent, ils grandissent. Jusqu’à ce que l’adolescence arrive et, avec elle, le premier amour de Blanche, celui qui dévaste tout sur son passage. Il s’appelle Alexandre. Leur couple se forge. Mais la passion que Blanche voue au Paradis la domine tout entière, quand Alexandre, dévoré par son ambition, veut partir en ville, réussir. Alors leurs mondes se déchirent. Et vient la vengeance.

Une bête au Paradis est avant tout un roman de femmes d'une même lignée toutes attachées et sacrifiées à leur terre, leur Paradis. Émilienne, Marianne et Blanche ont en commun qu'elles sont toutes viscéralement attachées à leur ferme coupée du reste du monde. Décédée accidentellement, Marianne ne verra jamais combien sa fille, Blanche, a hérité de cet amour pour cette vie rurale. Aux côtés d'Émilienne, sa grand-mère et de Louis, le commis à demeure, elle apprendra le respect et la valeur de la terre, des animaux, du labeur. Que ces femmes aiment cette vie rurale. Rien ne pourra les en détourner. Pas la dureté du travail, pas l'envie de découvrir le monde, pas même l'amour. Rien, sauf la mort bien sûr. Le Paradis forge le caractère et les personnalités. Ces femmes en sont l'illustration parfaite. Émilienne est la matriarche, le pilier de cette famille et de ce Paradis. C'est elle qui non seulement portera l'exploitation et élèvera seule ses deux petits-enfants devenus orphelins. C'est elle qui fera passer Louis de l'enfer au Paradis. Émilienne est aussi douce que âpre. Blanche quant à elle est une âme pure. D'une beauté renversante, d'une intelligence et d'une détermination hors du commun, elle hypnotise. Son amour pourtant incommensurable pour Alexandre ne parviendra pas à l'éloigner du Paradis. Rien ni personne ne peut rivaliser avec le Paradis. Ces femmes sont ancrées d'une telle force dans leur terre qu'elles en deviennent indéboulonnables. Et c'est justement tout ce qui fait la force et la beauté de ce roman. Le Paradis, la terre et les animaux constituent un personnage à part entière, tellement ils sont omniprésents.

Cécile Coulon décrit avec une telle ferveur ce lien indéfectible qui unit ces êtres et cette terre que Une bête au Paradis en devient hypnotique. C'est tellement vrai qu'on en perdrait la raison si on voulait nous en arracher. La plume à la fois ciselée et âpre de l'auteure ne fait que renforcer ce sentiment d'attachement, sans compter que ses personnages sont tous terriblement bien campés. Qu'ils soient taiseux, ambitieux, amoureux, blessés ou  écorchés à vif, ils sont tous fascinants. J'ai retrouvé un peu la pâte de Franck Bouysse dans ce roman, probablement en raison la noirceur alliée au terroir. Quoi qu'il en soit, en lisant Une bête au Paradis, j'étais aux anges. J'ai retrouvé le style habité de Cécile Coulon et j'ai vraiment adoré. Allez, hop tous au Paradis !

Belle lecture !

vendredi 30 juillet 2021

Mon avis sur "Une famille presque normale" de Mattias T. Edvardsson

Mattias T. Edvardsson est suédois. Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont deux pour la jeunesse. Professeur dans le secondaire, il vit avec sa famille à Löddeköpinge, en Suède. Une famille presque normale est son premier roman traduit en français. Il est disponible en poche aux Éditions Pocket et concourt dans la catégorie meilleur thriller étranger du Prix des Nouvelles Voix du Polar 2021. 

Une famille suédoise tout ce qu’il y a de normal, ces Sandell…
Le père, pasteur. La mère, avocate. Une fille de 19 ans, bosseuse, qui rêve de voyages au long cours.
Le samedi, on file au cinéma. Le dimanche, en forêt. Ils trient leurs déchets, n’oublient jamais leur clignotant, rendent toujours à temps leurs livres à la bibliothèque.
Normale en apparence, du moins, comme toutes les familles qu’un meurtre sordide s’apprête à faire basculer dans l’horreur…

Jusqu'au irions-nous pour protéger notre famille ? Adam, le père est pasteur, il ne peut donc mentir. Ulrika, la mère est une avocate de renom. Elle ne peut mentir, pas plus qu'elle ne peut entraver une enquête. Quant à Stella, la fille, une ado de dix-neuf ans, elle ne peut connaître cet homme de trente-deux ans qui a été retrouvé mort dans le square. Non tout cela ne peut arriver à cette famille si respectable. Et pourquoi pas ? Après tout, est-on seulement sûr de bien connaître nos proches ?

Une famille presque normale est un pavé de plus de six cents pages divisé en trois parties. Après le meurtre de Chris et l'arrestation de Stella, chaque membre de la famille tente de reconstituer un puzzle dont il ne possède pas toutes les pièces. C'est d'abord Adam qui s'exprime, puis Stella, et enfin Ulrika. Chaque fois, de nouvelles perspectives se font jour. Le point de vue précédent est remis en question, la vérité s'éloigne. Chacun d'entre eux relate les faits à travers le prisme de leur subjectivité. Dès lors, le lecteur traque le moindre indice, il est à l'affût de toute contradiction ou confirmation. Pourtant au gré des récits, nos certitudes s'effondrent, sauf une. Les Sandell ne sont pas une famille normale, si tant est qu'il en existe.

Une famille presque normale est un très bon thriller non seulement dans sa construction mais également dans l'analyse de ce qui fonde une famille. Mattias T. Edvardsson passe au crible la psychologie de ceux qui la compose sans oublier leurs silences, leurs secrets, leur culpabilité, leur mensonges et leur amour. Le crime est relayé au second plan, il n'est que prétexte pour disséquer Une famille presque normale. Et le plus extraordinaire, c'est que ça fonctionne. Aussitôt commencé, aussitôt terminé. La plume fluide de l'auteur, les courts chapitres, la remise en cause à chaque fois qu'un nouveau membre de la famille prend la parole sont autant de composants qui rendent complètement accros jusqu'aux dernières pages où la vérité explose. Un thriller presque normal.

Belle lecture !

Mon avis sur "Pour seul refuge" de Vincent Ortis

Véritable touche à tout, Vincent Ortis est venu au polar après avoir écrit des chansons, pièces de théâtre et avoir participé à l'écriture de différents scénarios. Pour seul refuge est son premier roman. Il est disponible en format poche aux Éditions Pocket. Déjà primé en 2019, il concourt dans la catégorie polar français du Prix des Nouvelles Voix du Polar 2021.

De la neige à perte de vue, une ourse affamée, pas une habitation à des kilomètres à la ronde. Seuls, perdus dans les immensités sauvages du Montana, à plus de deux mille mètres d'altitude, deux hommes se font face : un jeune Indien, accusé de viol avec tortures, et le juge qui l'a condamné. Chacun possède la moitié des informations qui pourraient les sauver. Ensemble, ils s'entretueront. Séparés, ils mourront.

Bienvenue dans les grands espaces enneigés où il ne fait pas bon tomber en panne de voiture. Pourtant c'est exactement ce qui est arrivé au juge Mc Carthy alors qu'il allait visiter son fils tombé pour trafic de  drogue. Heureusement pour lui, Ted, policier qui passait par là, va le recueillir et l'héberger pour la nuit dans son refuge. S'ensuit un huis clos sous haute tension auquel un troisième homme va être associé. Et si l'enchaînement des évènements n'était pas dû au hasard, si tout cela avait été prémédité ?

Pour seul refuge est un thriller psychologique dans sa première partie avant de céder la place aux grands espaces et à l'action. Le tout est parfaitement cadencé, maîtrisé. La tension monte crescendo au fur et à mesure que l'intrigue et les motivations de Ted sont révélés. En les distillant avec parcimonie Vincent Ortis parvient à maintenir l'intérêt du lecteur du début à la fin. Pour ne rien gâcher, la plume de l'auteur est fluide, le scénario bien ficelé et la fin suffisamment déstabilisante au point que l'on se demande si l'on avait tout saisi. Bien joué !

Pour seul refuge est un bon thriller, l'atmosphère de sa première partie m'a fait penser à l'excellent Les désossés de François d'Épenoux. Frisson garanti. Normal, me direz-vous, la vengeance n'est-elle pas un plat qui se mange froid ? Bien sûr, congelé même parfois. Aucun doute, ce premier roman qui a reçu le Grand prix des enquêteurs a vraiment toute sa place pour concourir au Prix des Nouvelles Voix du Polar 2021.

Belle lecture !

jeudi 29 juillet 2021

Mon avis sur "Et avec votre esprit" d'Alexis Laipsker

Journaliste au Point et animateur télé et radio, Alexis Laipsker est également l’une des figures les plus reconnues du poker aux yeux des spécialistes comme des téléspectateurs. Il incarne le renouveau du poker moderne en France, dont il a orchestré la popularisation notamment par l’écriture de livres et la présentation d’émissions spécialisées. Fort de son expérience de fin observateur des expressions corporelles des joueurs, de sa maîtrise du bluff et des techniques de manipulation, il s'est lancé dans l'écriture. Et avec votre esprit est son premier roman, disponible en poche aux Éditions Pocket. Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, ce livre concourt dans la catégorie polar français du Prix des Nouvelles Voix du Polar 2021. Joli coup !

" Un peu de science éloigne de Dieu, mais beaucoup y ramène ! "
C'est sur ces mots de son assassin que, en pleine fac de Strasbourg, un Prix Nobel de chimie se voit férocement massacré et dépouillé -littéralement- de son cerveau. Quatre jours plus tard, dans la région lyonnaise, un célèbre physicien disparaît des radars.
Pour le lieutenant Vairne, pro du poker et obsédé de mathématiques, la probabilité qu'il s'agisse d'une coïncidence n'excède pas 15 %. Probabilité que le carnage continue ? Sang pour sang...

Autant vous prévenir de suite, ce qui frappe en lisant ce polar c'est que les pages se tournent à grande vitesse. En même temps, il faut bien reconnaître que Et avec votre esprit commence sur les chapeaux de roues et se termine de façon tout à fait surprenante !

À Strasbourg, un éminent prix Nobel de chimie est retrouvé massacré et écervelé. À Lyon c'est un scientifique qui s'est évaporé dans la nature. Ailleurs, d'autres ont disparu avant d'être retrouvés, le cerveau totalement nettoyé. Trois lieux, trois enquêtes, jusqu'à ce que le lien entre ces disparitions soit établi. Dès lors le lieutenant Vincent Vairne de la DGSI assisté du lieutenant Marion Mastereaux vont tenter de démêler cette affaire. Joueur de poker, il n'a de cesse de calculer les probabilités et d'observer la gestuelle et l'attitude corporelle de ses interlocuteurs. Impulsive et intuitive, elle fonctionne à l'instinct. Une fois ces deux-là apprivoisés, le duo va tout mettre en œuvre pour résoudre cette énigme.

Et avec votre esprit c'est une intrigue parfaitement ficelée avec un final inattendu, des personnages résolument attachants, une plume fluide et dynamique, des chapitres courts et fichtrement rythmés le tout agrémenté d'une bonne dose d'humour et de réparties bien senties. Bref, un vrai coup de bluff pour une première fois. Je comprends pourquoi ce thriller est l'un des deux finalistes dans la catégorie roman français du Prix des Nouvelles Voix du Polar 2021. Probabilité pour qu'il le remporte, 50%. Et qu'il soit adapté sur grand écran, je dirai 100%. Il a tout pour. Avis aux joueurs !

Belle lecture !

lundi 26 juillet 2021

Mon avis sur "Un bonheur sans pitié" d'Éric Genetet

Éric Genetet est journaliste radio et télévision. Un bonheur sans pitié est son cinquième roman. Il est publié aux Éditions Héloïse d'Ormesson et inspiré d'une histoire vraie, celle qu'une amie lui a racontée pour qu'il l'écrive.  

« Je n’aurais jamais imaginé devenir cette fille-là. Personne ne peut comprendre pourquoi je ne le quitte pas, je l’ignore moi-même. »
Après quelques mois d’une passion enivrante et sans nuage, Marina sait qu’elle a enfin trouvé le bonheur avec Torsten. Mais un jour, le masque se fissure et il révèle son vrai visage. Emportée par ses sentiments, Marina pardonne inlassablement et s’habitue à l’inacceptable, jusqu’à se perdre et sombrer.
Un bonheur sans pitié est le récit d’un amour insensé, incompréhensible et fatal. Avec justesse et sensibilité, Éric Genetet raconte, sans jamais la juger, l’histoire d’un couple régi par une violence physique et morale qui engloutit leur existence et transforme leur union en prison.

On les nomme pudiquement PN, ils seraient immatures émotionnellement, n'auraient aucune empathie. C'est simple, pour eux l'autre n'existe pas. Ce sont des manipulateurs, des prédateurs qui n'ont qu'une finalité, détruire celui ou celle qui tombe entre leurs serres. Marina ne le sait que trop bien. Les six premiers mois qui ont suivi leur rencontre ont été fabuleux, pourtant elle n'y croyait plus, elle qui venait de quitter Malek. Un vrai conte de fée. Beau, intelligent, charismatique, charmeur. Torsten était tout cela à la fois. Elle n'aurait jamais pu espérer vivre une telle histoire. Puis, il a commencé à souffler le chaud et le froid. Mais Marina aveuglée par son amour, a ignoré ces signes, elle a préféré rester dans le déni. Elle aurait dû s'écouter, elle aurait dû trouver la force de partir mais elle en a été incapable. Il est devenu son essentiel. Elle est devenue sa proie.

Un bonheur sans pitié est un court roman mais ô combien addictif. Je suis tombée entre les mots d'Éric Genetet comme Marina entre les serres de Torsten. Sans porter de jugement, l'auteur dissèque avec force et subtilité le schéma du pervers narcissique. Telle une araignée, il a tissé sa toile, a attiré sa proie et peu à peu l'a privée de tout oxygène. Et parce que l'on ne comprend pas toujours pourquoi une jeune femme intelligente, indépendante ne fuit pas cet homme torturé, l'auteur nous introduit dans les pensées de chacun d'entre eux et de leur entourage. En procédant ainsi, il nous fait vivre de l'intérieur le processus vertigineux de la manipulation mentale au sein d’un couple. C'est donc sous tension et en apnée que ce roman se dévore, que l'on se surprend à vouloir hurler à Marina de fuir, de ne pas se couper des siens, de ne plus lui donner d'argent, de ne pas lui faire d'enfant, d'arrêter ce gâchis. En vain. Et puis soudain on se rappelle que ce n'est qu'un roman. Mais quel roman ! Aucun doute, Éric Genetet est sans pitié pour son lecteur.

Belle lecture !

mardi 20 juillet 2021

Mon avis sur "Eugénie et Eugenia" de Gabriel Lévi

Gabriel Lévi est né à Chartres en 1990. Il vit et étudie l’esthétique littéraire à Paris. Eugénie et Eugenia est son premier roman. Il est publié par une toute nouvelle maison d'édition, Les éditions des instants qui s'est donné pour ligne éditoriale de réinterroger le présent à travers le prisme des instants ; instants de pensées et d’expériences qui peuvent ouvrir sur une perception plus riche du monde. Un vrai challenge !

« Finalement, j’ai peut-être fait de ma vie ce qu’Esteban fait avec ces femmes, se dit soudain Andrea. J’ai voulu oublier, rajeunir mon visage en changeant les décors, les détails. Le rajeunir pour qu’il ne porte plus les marques de cette histoire passée. Et curieusement, de cette histoire espagnole. J’ai voulu masquer ses traces, ne plus les voir. Mais elles sont là, je les porte en moi. Elles seront toujours là, toujours à m’empêcher, à m’aveugler », conclut-il, étonné que ce passé remonte ainsi en lui. Tout en se faisant ces réflexions, Andrea s’était assis sur le canapé du salon. En s’appuyant contre l’accoudoir gauche, il avait senti la présence d’un papier dans la poche intérieure de sa veste. Ce n’était pas un papier. C’était la lettre reçue à Paris et qu’il n’avait toujours pas ouverte. Il trouvait incroyable de ne pas l’avoir perdue ; incroyable qu’il ne l’ait pas déjà lue ; incroyable qu’elle lui rappelle son existence à ce moment précis. « Je pourrais l’ouvrir maintenant, pensa-t-il, et d’autant plus qu’elle vient d’Espagne. » Il hésita puis sentit qu’il ne le voulait pas ; pas encore.

Une fois n'est pas coutume, avant de parler d'Eugénie et Eugenia je souhaiterais en premier lieu, m'arrêter quelques instants -justement- sur la démarche des Éditions des instants, puis en second lieu, sur la qualité de leur travail d'édition. 
Créée sous forme associative, en février 2019, cette nouvelle maison d'édition a pour finalité de produire, promouvoir et vendre afin de favoriser l'édition d'ouvrages d'auteurs non encore reconnus, de leur donner une chance d'être édités et faire connaître leur travail, mais également de promouvoir la lecture. Une réelle démarche culturelle qui mérite d'être soulignée de même que la qualité de l'objet qu'est ce livre. Sa couverture, son papier, son poids, la typographie, tout est réuni pour rappeler les grands classiques. Il ressort de cette stratégie éditoriale un grand respect tant pour le travail des auteurs, que pour la Littérature. Le tout pour un prix des plus abordables. Jugez plutôt, 13 € pour 278 pages (ou 350 g). Vous comprenez pourquoi je ne pouvais pas ne pas consacrer ces quelques lignes à ce beau projet. Je souhaite longue vie aux Éditions des instants !

Et Eugénie et Eugenia dans tout cela me direz-vous. Et bien, figurez-vous que ce premier roman est du même acabit que sa maison d'édition. Il oscille entre littérature classique et contemporaine. C'est simple le roman de Gabriel Lévi m'a fait penser à celui d'Ernest Hemingway, Le soleil se lève aussi. Je mesure le poids de la référence. Pourtant, l'ambiance de ce roman, l'insouciance et la légèreté d'Andrea, ce qui le lie à Eugénie, n'ont eu de cesse de me renvoyer à ce classique de la littérature américaine.

Andrea, est le personnage central de Eugénie et Eugenia. Il vient de quitter brusquement Nora. Fraîchement débarqué à Paris, il séjourne dans un hôtel-pension proche du parc Montsouris où il semble avoir ses habitudes. Au lendemain de son arrivée, (le désopilant) Monsieur Desnos, le propriétaire de l'établissement, lui remet une lettre. Andrea n'en prendra connaissance qu'à la toute fin du roman. En attendant, nous suivons les déambulations de ce jeune homme qui paraît sans attache, sans famille, indéterminé. Il flâne, boit, croise surtout des personnages féminins qu'il a vraisemblablement connus auparavant, assiste au mariage de l'un d'eux, avant de partir en Espagne. 

Eugénie et Eugenia évoque pour partie, l’histoire entre Eugénie et Andrea, de Paris à Barcelone. Mais un autre personnage sans qu’il apparaisse une seule fois, hante ce livre, c'est Eugenia. Plus on avance dans la lecture de ce roman, plus sa trame devient énigmatique et floue. L'espace temps s'efface. Au gré des pages, nos certitudes s'effondrent. Nous ne savons plus si nous sommes au XIXème ou au XXIème siècle. Certes Andrea possède un téléphone et reçoit des SMS, mais l'essentiel est ailleurs. Il est dans les non-dits et les lectures à plusieurs niveaux, dans l'écriture à la fois épurée et imagée de Gabriel Lévi, dans le ressenti, dans l'instant. Eugénie et Eugenia n'est pas un roman qui se lit en apnée, mais au contraire il nécessite d'avoir le temps de prendre le temps. Un conseil, vous aussi réinterrogez le présent à travers le prisme des instants et laissez-vous bercer par ce rythme si singulier.

Belle lecture !

dimanche 18 juillet 2021

Mon avis sur "Les grandes occasions" d'Alexandra Matine

Alexandra Matine a commencé une carrière de journaliste à Londres avant de s'installer à Amsterdam, en 2014, où elle travaille pour Netflix. En perdant sa grand-mère, elle prend conscience de la fragilité des liens familiaux et des pièges du non-dit. Elle écrit alors Les Grandes Occasions, son premier roman publié aux Éditions Les Avrils et sélectionné pour cette nouvelle saison par les 68 premières fois.

Sur la terrasse, la table est dressée. Esther attend ses enfants pour le déjeuner. Depuis quelques années, ça n’arrive plus. Mais aujourd’hui, elle va réussir : ils seront tous réunis. La chaleur de juillet est écrasante et l’heure tourne. Certains sont en retard, d’autres ne viendront pas. Alors, Esther comble les silences, fait revivre mille histoires. Celles de sa famille. Son œuvre inachevable.

Les grandes occasions est un roman qui déconstruit le mythe de la famille idéale. Une mère s'affaire dans la cuisine, dresse une jolie table. Elle attend ses enfants pour le sacro-saint déjeuner du dimanche. Réunir ses quatre enfants est son souhait le plus cher. Tout est prêt en cette chaude journée d'été qui s'annonce parfaite. Mais entre désir et réalité il y a parfois un gouffre. Ce qui devait être un moment de joie et d'allégresse va tourner au drame.
Les grandes occasions est un roman universel parce qu'il parle à tous. Il convoque les souvenirs et dissèque les rapports familiaux. Il évoque les non-dits, les rivalités et mésententes entre enfants, la peur de décevoir ses parents, les efforts et les sacrifices réalisés par la mère pour que malgré tout, cette famille désunie en reste une. Que d'énergie déployée par cette mère pour sauver les apparences. 

Les grandes occasions est un roman à la fois amer et sensible qui bien que servi par la plume poétique et mélancolique d'Alexandra Matine reste sombre. C'est bien connu, on ne choisit pas sa famille, mais on choisit ses livres.

Belle lecture !

lundi 12 juillet 2021

Mon avis sur "L'inconnu de la poste" de Florence Aubenas

Florence Aubenas est grand reporter pour Le Monde, après l’avoir été pour Libération, puis Le Nouvel Observateur. Depuis plusieurs années elle a redéfini le journalisme d'immersion en alliant recherches et faits de société. Le Quai de Ouistreham en est une belle illustration. L'ayant lu et ayant été conquise par l'écriture et le travail d'investigation de l'auteure, je n'ai pas hésité un instant lorsque j'ai appris qu'elle publiait aux Éditions de l'Olivier L'inconnu de la poste.

La première fois que j’ai entendu parler de Thomassin, c’était par une directrice de casting avec qui il avait travaillé à ses débuts d’acteur. Elle m’avait montré quelques-unes des lettres qu’il lui avait envoyées de prison. Quand il a été libéré, je suis allée le voir. Routard immobile, Thomassin n’aime pas bouger hors de ses bases. Il faut se déplacer. Je lui ai précisé que je n’écrivais pas sa biographie, mais un livre sur l’assassinat d’une femme dans un village de montagne, affaire dans laquelle il était impliqué. Mon travail consistait à le rencontrer, lui comme tous ceux qui accepteraient de me voir. 

Que l'on se souvienne ou pas de ce fait divers, que l'on ait vu ou pas Le petit criminel, que l'on connaisse ou pas Gérald Thomassin, peu importe. L'essentiel est ailleurs. Il se situe dans le village de Montréal-la-Cluse où Catherine Burgod a été tuée de vingt-huit coups de couteau dans le bureau de poste où elle travaillait. L'inconnu de la poste est l’histoire d’un crime et le portrait sociologique d'une certaine France. Passionnant !

Pour aboutir à L'inconnu de la poste, Florence Aubenas a travaillé durant quasi sept ans sur cette affaire. Ce livre n'est pas une contre-enquête. L'auteure s'est évertuée à reconstituer chacun des épisodes de ce fait divers sordide. Les faits, rien que les faits et une présentation de chacun des acteurs -sans mauvais jeu de mot- de ce dossier. La journaliste les a tous rencontrés (sauf une évidemment). Elle les a fait parler de leur vie, leur parcours. Sans jamais porter de jugement, elle retranscrit avec beaucoup d'humanité ce qu'a été le chemin des uns et des autres. Certains en ont eu de plus sinueux, plus chaotiques que d'autres. Tel est le cas de Thomassin, le petit criminel. Enfant de l'assistance publique, sacré meilleur espoir masculin en 1991 grâce à Jacques Doillon, au moment des faits, il se débattait avec ses démons, la toxicomanie et la marginalité. Tout le désignait comme étant le coupable idéal. Dès lors, il va endosser tous les rôles. Accusé, incarcéré, puis relaxé avant de se volatiliser. Incompréhensible. Au-delà de cette mystérieuse disparition, Florence Aubenas, s'attache à mettre sur le devant de la scène outre la victime et son présumé coupable, tous ceux qui ont gravité autour d'eux. En toute impartialité, elle donnera la parole aussi bien au père de Catherine Burgod, notable, qui a l'intime conviction que l'ex comédien drogué et zonard est coupable, qu'aux compagnons de route de Gérald Thomassin. Elle s'évertuera à dépeindre la vie des uns et des autres dans cette France rurale qui ne parvient pas toujours à s'affranchir des préjugés.

L'inconnu de la poste est un récit captivant. Florence Aubenas dissèque, analyse en toute objectivité et sans pathos un fait divers comme il en existe tant d'autres mais qui a l'originalité d'ouvrir lui-même sur une autre affaire. Qu'est-il arrivé au présumé coupable qui in fine a été relaxé ? Entre polar et reportage, servi par l'écriture au cordeau de l'auteure et par son talent de conteuse, L'inconnu de la poste est à découvrir.

Belle lecture !

mardi 6 juillet 2021

Mon avis sur "Kérozène" d'Adeline Dieudonné

J'ai découvert l'univers et la plume d'Adeline Dieudonné avec La vraie vie, son premier roman aux multiples prix. J'attendais avec impatience son second roman quand Kérozène publié aux Éditions L'iconoclaste m'a débarquée à 23h12 dans une station-service.

Une station-service, une nuit d’été, dans les Ardennes. 
Sous la lumière crue des néons, ils sont douze à se trouver là, en compagnie d'un cheval et d'un macchabée. Juliette, la caissière, et son collègue Sébastien, marié à Mauricio. Alika, la nounou philippine, Chelly, prof de pole dance, Joseph, représentant en acariens... Il est 23h12. Dans une minute tout va basculer. Chacun d'eux va devenir le héros d'une histoire, entre elles vont se tisser parfois des liens.

Kérozène commence et s'achève sur une aire d'autoroute où se croisent les destins d'une poignée de protagonistes en prise avec leurs vies respectives. Très peu de choses relient entre eux tous ces individus, si ce n'est qu'ils vont, par cette chaude nuit d'été, se croiser sous les néons de ce lieu de passage hors du temps : la station-service. 

Ni roman, ni recueil de nouvelles, Kérozène est une galerie de portraits, de tranches de vies. Si on compte le cheval, mais qu'on exclut le cadavre, quatorze personnes sont présentes à cette heure précise, parmi lesquelles une vieille dame venue de la forêt, un couple de gynécologues, une mannequin qui a la phobie des dauphins, un représentant en acarien, un pirate de la drague, une prof de pole dance accro à Insta, une nounou philippine et puis le cheval doué de parole. Autant de situations incongrues, voire ubuesques, qui tournent majoritairement autour du sexe. 

Avec Kérozène, Adeline Dieudonné confirme son style incisif et addictif, sa créativité débordante, sa singularité déjantée, pour autant, je dois bien reconnaître que je n'ai pas été totalement convaincue. Alors que les portraits défilaient, j'attendais le moment où il y aurait une interaction entre tous ces individus à l'instar de L'anomalie d'Hervé Le Tellier. Après tout, que l'on se croise à la même heure dans une station-service ou que l'on embarque tous dans un même avion, il faut bien à un moment décoller. Et bien, Adeline Dieudonné m'a fait le coup de la panne. Point de bouquet final. Je suis restée sur ma fin, c'est le cas de le dire ! Néanmoins, il y a des nouvelles qui valent vraiment la peine que l'on s'y attarde sur cette aire d'autoroute. Je pense notamment à celle de Victoire ou encore celle des gynécologues, glaçant.

Belle lecture !

samedi 3 juillet 2021

Mon avis sur "Bénie soit Sixtine" de Maylis Adhémar

Bénie soit Sixtine est le premier roman de Maylis Adhémar. Inspiré de sa propre vie, l'auteure nous embarque au cœur d'un mouvement intégriste sectaire. Publié aux éditions Julliard, c'est grâce aux 68 premières fois que je l'ai lu. Dieux existe, c'est évident !
 
Sixtine, jeune femme très pieuse, rencontre Pierre- Louis, en qui elle voit un époux idéal, partageant les mêmes valeurs qu’elle. Très vite, ils se marient dans le rite catholique traditionnel et emménagent à Nantes. Mais leur nuit de noces s’est révélée un calvaire, et l’arrivée prochaine d’un héritier, qui devrait être une bénédiction, s’annonce pour elle comme un chemin de croix. Jusqu’à ce qu’un événement tragique la pousse à ouvrir les yeux et à entrevoir une autre vérité.

Bienvenue dans la communauté des Frères de la Croix et la bourgeoisie ultra traditionnelle. 
Mes bien chers frères, surtout mes sœurs, rappelez-vous, pas de boogie woogie avant de faire vos prières du soir. 
Côté prières, Sixtine et les siens sont servis. C'est tous les jours et à genoux de préférence. Quant au boogie woogie, c'est sans plaisir et uniquement pour procréer, Madame devant se soumettre à son sacro-saint devoir conjugal. Alors une fois l'affaire conclue, prière de se taire, de faire tout ce que la famille veut, y compris dans le choix du prénom de l'enfant à naître. Quant à Monsieur, prière de le soutenir quoi qu'il fasse. Oui mais voilà, malgré son éducation catholique et l'environnement intégriste dans lequel elle évolue, Sixtine n'est pas tout à fait lobotomisée. De doux souvenirs ressurgissent en même temps que gronde une sourde colère qu'elle ne parvient pas à faire taire. Une autre vie semble envisageable. Il devient impératif de se libérer de ce carcan. Dès lors, commence une lente mais indispensable conquête d'elle-même. Sans renier sa foi, Sixtine va découvrir un autre monde aux antipodes de tout ce qu'elle a connu jusqu'alors.

Bénie soit Sixtine est un récit d'émancipation, l'histoire d'un éveil, d'une renaissance. Celle d'une femme sous emprise qui parviendra à se libérer du poids d'une communauté intégriste comme d'autres l'ont fait avant elle. Sans jugement et sans remise en cause de la foi catholique, Maylis Adhémar nous plonge dans ce milieu intolérant et toxique pour nous montrer une autre voie. Porté par une écriture sensible, Bénie soit Sixtine est un magnifique plaidoyer pour la tolérance et la liberté. Un premier roman sacrément réussi. Ce serait pécher que de ne pas le lire !

Belle lecture !