vendredi 31 décembre 2021

Mon avis sur "Ce qu'il nous faut de remords et d'espérance" de Cécile Lapertot

Céline Lapertot est professeur de français. Elle n’a pas cessé d’écrire depuis l’âge de 9 ans. Ses écrits ont été plébiscités unanimement aussi bien par les lecteurs que par les médias et les libraires. Tous voient en elle une auteure au talent prometteur de la littérature française contemporaine. Il étant temps que je la lise. Ce qu'il nous faut de remords et d'espérance publié aux Éditions Viviane Hamy est son cinquième roman.

À 10 ans, Roger Leroy vit comme une trahison l’arrivée dans sa vie de son demi-frère, Nicolas Lempereur. C’est le début d’une haine que rien ni personne ne saura apaiser.
Bien des années plus tard, Roger, garde des Sceaux d’un gouvernement populiste, œuvre à la réhabilitation de la peine de mort. Nicolas, lui, est une véritable rock star, pacifiste et contre toute forme de discrimination. Un fait divers impliquant un pédophile récidiviste rallie bientôt l’opinion publique à la cause du garde des Sceaux, et la peine de mort est rétablie. Mais quand Nicolas est accusé du meurtre d’une jeune femme et clame son innocence, la querelle fraternelle qui l’oppose à Roger devient alors un enjeu sociétal et moral.

Clef de voûte des systèmes répressifs jusqu'au XVIIIème siècle, la peine de mort a été mise en cause à partir du XIXème siècle, puis abolie dans la majorité des pays. "Parce qu'aucun homme n'est totalement responsable, parce qu'aucune justice ne peut être absolument infaillible, la peine de mort est moralement inacceptable", tels étaient les mots de Robert Badinter devant l'Assemblée Nationale le 17 septembre 1981, la veille du vote de la loi abolissant la peine de mort. Depuis et à chaque fois qu'un crime abject est commis, notamment lorsqu'un pédophile ôte l'innocence et la vie à un enfant, ce débat qui semblait définitivement clos, ressurgit. D'aucuns semblent penser que la solution à cette criminalité serait le rétablissement de la peine capitale. Roger Leroy, garde des Sceaux d'un gouvernement populiste, est de ceux-là. Alors qu'un pédophile a encore sévi, il s'apprête à plaider devant l'Assemblée Nationale pour le vote d'une loi restaurant la guillotine. Elle le sera. Mais ce qu'ignore le Ministre à cet instant, c'est que ce sera son demi-frère qui sera le premier à être condamné à la peine capitale. Même s'il a toutes les raisons du monde de détester cet homme qui clame à cor et à cri son innocence, il n'en demeure pas moins que Roger va être ébranlé. Et c'est là que tout le talent de Cécile Lapertot se révèle. À aucun moment elle ne prend parti. Elle insuffle juste un vent de réflexion sur les conséquences d'une décision définitive prise trop hâtivement, en réponse à la vox populi et à l'émotion collective que génèrent certains crimes. 

Ce qu'il nous faut de remords et d'espérance est un roman puissant, incisif. Impossible de sortir indemne de cette lecture. Tout est crédible, parfaitement amené. L'auteure explore à la perfection les fêlures de chacun de ses personnages tout en élevant le débat et en faisant voler en éclats nos certitudes. Ce qu'il nous faut de remords et d'espérance est un roman que je qualifierai d'opinion. À l'approche des élections présidentielles, il faut le faire lire au plus grand nombre de sorte qu'à l'émoi collectif et aux décisions à l'emporte-pièce, on oppose prise de conscience et une bonne dose de morale. L'espérance plutôt que les remords. Plus que jamais, rappelons-nous des mots de Robert Badinter "aucune justice ne peut être absolument infaillible, la peine de mort est moralement inacceptable". 

Belle lecture !

jeudi 30 décembre 2021

Mon avis sur "Les choses humaines" de Karine Tuil

Karine Tuil est une écrivaine française. Juriste de formation, elle a publié en 2000 son premier roman. Elle en publiera ensuite un tous les deux ans. Les choses humaines est son onzième roman et a reçu les prix Interallié et le Goncourt des lycéens en 2019. Il s'inspire de "L’affaire dite de Stanford" où un étudiant de l'université américaine a été condamné pour viol. Collant à l'actualité, ce roman interpelle sur la question du consentement. Les choses humaines a été adapté au cinéma par Yvan Attal et c'est justement parce que j'ai eu envie de le voir que j'ai voulu lire le roman avant.

Les Farel forment un couple de pouvoir. Jean est un célèbre journaliste politique français ; son épouse Claire est connue pour ses engagements féministes. Ensemble, ils ont un fils, étudiant dans une prestigieuse université américaine. Tout semble leur réussir. Mais une accusation de viol va faire vaciller cette parfaite construction sociale.
Le sexe et la tentation du saccage, le sexe et son impulsion sauvage sont au cœur de ce roman puissant dans lequel Karine Tuil interroge le monde contemporain, démonte la mécanique impitoyable de la machine judiciaire et nous confronte à nos propres peurs. Car qui est à l’abri de se retrouver un jour pris dans cet engrenage ?

À l'ère où la parole des femmes se libère, où ces dernières osent enfin nommer les choses inhumaines que certains leur font subir, Karine Tuil décide de nous plonger dans une histoire de viol. Elle nous amène à jauger la notion de vérité tout en rappelant que Nietzsche écrivait "Il n'y a pas de vérité, il n'y a que des perspectives sur la vérité". Pour illustrer ces propos, elle commence par ébaucher ses personnages principaux. D'un côté, ils sont brillants, cultivés, aisés, libérés. De l'autre, ils sont modestes, endoctrinés, vivent dans un quartier populaire. Malgré les apparences, très rapidement, leurs défauts, secrets, voire leurs failles sont révélés. Le tout volera en éclat lorsque le scandale éclatera. Le fils, brillant étudiant à Standford est accusé de viol. Il aurait abusé de la fille du nouveau compagnon de sa mère au cours d'une soirée un peu trop arrosée. Dès lors, la machine judiciaire est mise en branle. 

Le père de l'accusé est un journaliste politique influent du PAF, la mère une émérite essayiste féministe. Une déferlante médiatique s'abat sur eux. Cette famille va vivre un véritable bouleversement. Terminé les études à Standford, l'histoire d'amour et la carrière de la mère, l'insouciante légèreté du père. Place au combat judiciaire tant pour eux que pour la victime. Chaque partie soutiendra sa vérité, préparera sa défense. Elle était consentante selon lui, la preuve à aucun moment elle n'a dit non, de plus, elle a joui. Il a l'a forcée et menacée selon elle, la preuve, elle est totalement détruite. Ce ne n'est pas une vie qui est détruite, mais deux. Deux vies détruites, pour vingt minutes d'action comme le déclarera le père à la barre. 
Toute la deuxième partie du roman est dédiée au procès, aux plaidoiries, aux réquisitions. Le lecteur se mue en simple spectateur. Il écoute attentivement les déclarations des uns et des autres, relève les contradictions, tente de se forger une opinion, se met à douter. Il s'interpelle. Parce que dans Les choses humaines, il est surtout question des rapports entre hommes et femmes, entre les classes sociales, du consentement, de tout ce que le mouvement #MeToo et l'affaire Weinstein ont apporté et impacté.

Grâce à son écriture aussi vive que acérée, aussi énergique qu’efficace pour raconter la violence tant physique, psychologique, sociale ou encore sexuelle, Karine Tuil parvient avec finesse et psychologie à nous interpeller et démontre s'il en était encore besoin que dans Les choses humaines, tout n'est pas blanc ou noir, rien n'est aussi abruptement tranché, mais qu'au contraire tout est beaucoup plus complexe, plus subtil. Je n'ai qu'une certitude en refermant ce roman, personne ne sort indemne d'une telle épreuve.

Quant à l'adaptation de ce livre, elle est très fidèle et réussie. Les personnages sont superbement incarnés par les acteurs. La mise en scène d'Yvan Attal est respectueuse de l'intrigue. Les plaidoiries qui sont déjà émotionnellement fortes dans le roman, sont dans le film percutantes. On reste sans voix. Je ne peux que vous recommander de lire puis d'aller voir Les choses humaines.


Belle lecture & bonne toile !
 

Je lis donc je suis, bilan d'une année de lecture : 2021

En cette fin d'année, il y ceux qui font leurs comptes, qui réservent leurs prochaines vacances, qui revendent leurs cadeaux de Noël et celle qui joue avec le petit tag de Nicole Grundlinger. C'est simple, il suffit de répondre à chaque question avec le titre d'un livre lu en 2021... On est bien d'accord, ce n'est qu'un jeu, hein...



Décris-toi : Une bête au paradis parfois Indésirable
Comment te sens-tu ? L'enfant céleste
Décris où tu vis actuellement : Over the rainbow
Si tu pouvais aller où tu veux, où irais-tu ? Orléans
Ton moyen de transport préféré ? Tant qu'il reste des îles
Ton/ta meilleur(e) ami(e) est : Le candidat idéal 
Toi et tes amis vous êtes : Des diables et des saints ou Les désossés
Comment est le temps ? Ultramarins
Quel est ton moment préféré de la journée ? Avant le jour
Qu'est la vie pour toi ? La huitième vie
Ta peur ? L'embuscade
Quel est le conseil que tu as à donner ? Danse avec la foudre
La pensée du jour ? Les fruits tombent des arbres
Comment aimerais-tu mourir ? Là où nous dansions
Les conditions actuelles de ton âme ? Le démon de la colline aux loups
Ton rêve ? S'adapter
 

Bon, j'avoue l'exercice a un petit côté frustrant. Il y a tellement de titres que j'aurais voulu indiquer... Par deux fois j'en ai cité deux, je sais, fallait pas, mais je n'ai pas pu résister... Quoi qu'il en soit, #jelisdoncjesuis2021. Vivement 2022 !

Belles lectures !

Mon avis sur "Tamara par Tatiana" de Tatiana de Rosnay

Tatiana de Rosnay a publié son premier roman, L’Appartement témoin, en 1992. Depuis, une quinzaine ont suivi dont Elle s’appelait Sarah qui l'a fait connaître dans le monde entier. En 2018, elle a publié aux Éditons Michel Lafon, en collaboration avec sa fille photographe, Charlotte Jolly de Rosnay, la vie de Tamara de Lempicka, son peintre préféré. Tamara par Tatiana est maintenant disponible en poche chez Pocket. Évidemment seul le texte est publié, mais il vaut le détour.

Talentueuse, ambitieuse, magnétique, arrogante, rebelle et artiste...
Depuis qu’elle a posé les yeux, à 15 ans, sur une toile de Tamara de Lempicka, Tatiana de Rosnay n’a cessé d’être fascinée par son œuvre et sa vie : au volant de sa Bugatti verte, la reine des Années folles y construit déjà sa propre légende, faite de scandales et de secrets, d’élégance totale et d’exils constants.
Une vie plus grande que la vie, que la romancière restitue pour nous avec la passion intacte de son premier choc esthétique.

Amateurs de destin exceptionnel, d'art déco, de peinture, des années 20 et de portrait de femme hors du commun, Tamara par Tatiana est pour vous. Fascinée par l'œuvre mais également le parcours de vie de la femme qu'a été Tamara de Lempicka, Tatiana de Rosnay a eut la merveilleuse idée d'accepter ce projet artistique avec sa fille photographe. Un travail d'écriture et de d'images. En version poche, seul le travail d'écriture demeure. Il représente une somme impressionnante de recherches sur la vie de cette grande artiste qui n'a pas hésité, très certainement pour entretenir le mystère, à broder, emberlificoter, à mentir pour mieux brouiller les pistes. Une vraie coquetterie d'une femme pas vraiment jolie, mais née séductrice. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour écrire un livre terriblement romanesque sur la reine des Années folles, une artiste emblématique de cette époque dorée. 

La vie de Tamara de Lempicka est loin d'être un long fleuve tranquille. Après une enfance idyllique où l'argent ne faisait jamais défaut, s'ensuit une période de douleurs et d'épreuves avant de tutoyer les sommets puis de connaître de nouveaux rebondissements. 
Initiée à l'art par sa grand-mère qui lui ouvre la voie, Tamara de Lempicka ne connaît que le luxe, la légèreté et les voyages jusqu'au moment où la réalité la rattrape. Bien qu'elle ait commencé depuis plusieurs années à façonner son personnage, il n'est plus possible pour elle d'ignorer ce qu'il se passe en Russie en 1917. Dès lors, viendra le temps de la fuite, de la disette, de la séparation d'avec son jeune époux et papa de sa petite fille, avant les retrouvailles à Paris dans un minuscule studio. Ambitieuse Tamara est prête à tout pour vivre de son art et permettre à sa famille de retrouver leur standing d'alors. Déterminée à s'imposer comme artiste peintre, elle suivra des cours dans les ateliers de Montparnasse, s'épuisera au travail le jour, sera de toutes les fêtes la nuit au détriment de sa famille qu'elle délaissera. Grâce à ses portraits glamour du Tout-Paris, Tamara de Lempicka deviendra une des figures de Montparnasse, côtoiera les plus grands et sera internationalement connue. 

Autoportrait dans la Bugatti verte
 
Mais après cette période faste, viendra le temps des déconvenues. D'abord sur le plan personnel. Son couple ne résistera pas à ses frasques nocturnes, elle finira par divorcer avant de se remarier, puis viendra le temps du nazisme et celui du nécessaire exil aux États-Unis. Puis sur le plan professionnel. Elle qui voulait régner sur le monde de l'art, connaîtra l'échec avant un dernier sursaut de notoriété quelques années avant sa mort.

Tamara par Tatiana est le récit de l'incroyable destin d'une femme libre, talentueuse et audacieuse qui a traversé le XXème siècle. C'est avec brio et passion que Tatiana de Rosnay nous narre la vie et l'itinéraire de cette légendaire artiste. Elle nous transmet son admiration pour cette femme hors du commun. Tellement romanesque, absolument fascinant !

Belle lecture !
 

lundi 27 décembre 2021

Mon avis sur "L'éternel fiancé" d'Agnès Desarthe

Traductrice, auteure de nombreux ouvrages pour la jeunesse et de romans, Agnès Desarthe est une auteure reconnue. Elle a reçu de nombreux Prix littéraires. L'éternel fiancé paru aux Éditions de l'Olivier est son dernier roman.

À quoi ressemble une vie ?
Pour la narratrice, à une déclaration d'amour entre deux enfants de quatre ans, pendant une classe de musique.
Ou à leur rencontre en plein hiver, quarante ans plus tard, dans une rue de Paris.
On pourrait aussi évoquer un rock'n'roll acrobatique, la mort d'une mère, une exposition d'art contemporain, un mariage pour rire, une journée d'été à la campagne ou la vie secrète d'un gigolo.
Ces scènes - et bien d'autres encore - sont les images où viennent s'inscrire les moments d'une existence qui, sans eux, serait irrévocablement vouée à l'oubli. Car tout ce qui n'est pas écrit disparaît.

Tout commence dans la salle des mariages. En rang par deux, les enfants de l'école maternelle se tiennent la main. Ils assistent à un concert de Noël. Un petit garçon aux cheveux de travers se retourne vers une petite fille aux yeux ronds et lui dit qu'il l'aime. Elle non. À cause de la beauté de la musique, à cause de la salle des mariages, elle songe qu'ils sont à présent fiancés. Ce garçon lui appartient pour toujours. Liés à jamais, au gré du temps qui s'écoule, ces deux là vont se croiser, se recroiser puis se croiser à nouveau sans pour autant se rencontrer. Symphonie d'un rendez-vous manqué qui sera jouée et rejouée durant toute la vie d'une femme. 

L'éternel fiancé est l'incarnation du temps qui passe. Au gré de leurs rencontres toujours impromptues, Étienne et Elle grandissent, vieillissent, aiment, désaiment, goûtent au bonheur, éprouvent. La vie, tout simplement. Voilà, Agnès Desarthe aborde toutes les thématiques qui composent une vie. La famille, l'éducation, l'amour, le couple, le travail, l'amitié, la parentalité, la déchéance, le deuil. Le tout aurait pu être d'une banalité ennuyeuse, mais il n'en n'est rien. Il faut bien reconnaître que la plume de l'auteure et la dimension poétique de la narration transforment l'ordinaire en extraordinaire. Il suffit de se remémorer la scène de la rencontre entre Étienne et Antonia, la naissance de Rita, le départ de la mère de la narratrice pour s'en rendre compte. Le récit ponctué de touches tantôt mélancoliques, tantôt poétiques, m'a renvoyé à l'univers d'Amélie Poulain pour la narratrice et à celui de Forrest Gump pour Étienne. 

L'éternel fiancé oscille entre conte et partition musicale. Il stimule notre imaginaire, combine harmonieusement les mots, les arpèges, les silences. Quant aux personnages, ils sont tous divinement incarnés, véritables chefs d'orchestre de leur vie. L'ensemble forme une mélodie à la fois légère et profonde qui m'a émerveillée. Un conseil, partez à la recherche du temps perdu avec L'éternel fiancé.

Belle lecture !

mardi 14 décembre 2021

Mon avis sur "La brodeuse de Winchester" de Tracy Chevalier

Tracy Chevalier est une auteure américano-britannique. Elle a écrit une dizaine de romans, généralement historiques, comportant toujours de beaux portraits de femmes. Elle a connu un succès international avec son fameux La Jeune Fille à la perle, inspiré d’un tableau du peintre Vermeer et qui a donné lieu à une adaptation au cinéma. La Brodeuse de Winchester est son dernier roman, disponible depuis peu en format poche chez Folio (que je remercie au passage pour ce plaisir lecture !).

« Jane Austen était morte à l’âge de quarante et un ans sans mari ni enfants, seulement une sœur dévouée. Violet n’avait même pas cela, et elle n’avait certes pas plusieurs romans à son actif. Il ne lui restait que trois ans pour rattraper Miss Austen en termes de créativité. »
Winchester, 1932. Violet Speedwell, trente-huit ans, fait partie de ces millions de femmes restées célibataires depuis la pénurie d’hommes d’après-guerre. Pour échapper à une mère acariâtre, elle décide de prendre son envol. Mais son célibat lui attire plus de mépris que d’amitié. C’est au sein du cercle des brodeuses de la cathédrale qu’elle trouvera le soutien qui lui manque pour affronter les préjugés de son époque. Grâce à Arthur, le sonneur de cloches, elle découvre aussi un tout autre cercle, masculin cette fois. Au même moment, la radio annonce l’arrivée d’un certain Hitler à la tête de l’Allemagne.

Lire un Tracy Chevalier c'est comme lire un Jane Austen. C'est embrasser une atmosphère, se fondre dans une époque, rentrer dans la peau d'une femme et endosser avec douceur mais détermination son combat. La brodeuse de Winchester n'échappe pas à la règle. Il est inspiré de la vie de Louisa Pesel, brodeuse de talent qui a réalisé avec son cercle de brodeuses, dans les années 30, des coussins que l'on peut toujours admirer dans la cathédrale de Winchester.

Difficile pour une femme célibataire de trente-huit ans en 1932 de s'épanouir dans une société où le mariage est la norme. Oui mais voilà, la guerre est passée par là et a laissé pas moins de deux millions de femmes excédentaires. Violet Speedwell est l'une d'elles. Ayant perdu son fiancé sur les champs de bataille, elle a choisi de s'émanciper et de se libérer de l'emprise d'une mère aigrie. Après avoir trouvé un emploi et une logeuse à Winchester, elle va se prendre de passion pour la cathédrale et la broderie d'agenouilloirs. De fil en aiguille, elle va s'ancrer dans cette ville, se lier d'amitié avec une jeune fille singulière et un sonneur de cloches. Courageuse, Violet est déterminée à réussir son émancipation, à ne plus laisser quiconque lui dicter sa conduite et à s'affranchir du regard des autres.

Teinté d’un féminisme discret mais affirmé, La brodeuse de Winchester se déguste lentement. L'écriture ciselée de Tracy Chevalier alliée aux petits détails révélés au gré des pages, à la psychologie de ses personnages parfaitement campée, plongent le lecteur dans un cocon à la fois cotonneux et résolument moderne. L'auteure aborde des sujets tels que l'émancipation, l'homosexualité, la monoparentalité, le devoir conjugal et filial tout en nous immergeant dans l'histoire, l'art de la broderie et des sonneurs de cloche. Le tout est parsemé de touches d'humour et de phrases en latin. Ars longa, vita brevis, l'art est long et la vie est courte.

Un conseil, laissez-vous couler dans cette ambiance so british, so Austen. Un régal.

Belle lecture !

mercredi 8 décembre 2021

Mon avis sur "S'adapter" de Clara Dupont-Monod

Clara Dupont-Monod est journaliste et écrivain. Après avoir fricoté avec la presse écrite, elle est passée derrière le micro pour animer différentes émissions littéraires. Depuis la rentrée chaque dimanche sur France Inter, avec ses acolytes, elle chahute les grands classiques, revisite les œuvres pour mieux les aimer et révéler leur modernité. Malheureusement faute d'audience ou plutôt parce que la tonalité de son émission Livre et châtiment dénote, elle s'arrêtera à la fin de ce mois. À défaut d'écouter Clara Dupont-Monod, vous pourrez la lire. Son neuvième roman, S'adapter, déjà triplement primé est paru chez Stock à l'automne. 

C’est l’histoire d’un enfant aux yeux noirs qui flottent, et s’échappent dans le vague, un enfant toujours allongé, aux joues douces et rebondies, aux jambes translucides et veinées de bleu, au filet de voix haut, aux pieds recourbés et au palais creux, un bébé éternel, un enfant inadapté qui trace une frontière invisible entre sa famille et les autres. C’est l’histoire de sa place dans la maison cévenole où il naît, au milieu de la nature puissante et des montagnes protectrices ; de sa place dans la fratrie et dans les enfances bouleversées. Celle de l’aîné qui fusionne avec l’enfant, qui, joue contre joue, attentionné et presque siamois, s’y attache, s’y abandonne et s’y perd. Celle de la cadette, en qui s’implante le dégoût et la colère, le rejet de l’enfant qui aspire la joie de ses parents et l’énergie de l’aîné. Celle du petit dernier qui vit dans l’ombre des fantômes familiaux tout en portant la renaissance d’un présent hors de la mémoire.

S’adapter est un récit proche de l’autobiographie. Il raconte l’arrivée d’un bébé différent dans une famille. Clara Dupont-Monod a eu un petit frère. Né handicapé, il est mort à l'âge de dix ans. Elle a déclaré que la joie de l'avoir connu a supplanté le chagrin de l'avoir perdu. Dès lors, elle a pu écrire l'histoire de cette famille et de cette fratrie qui ont dû S'adapter. Autant vous prévenir de suite, vous qui avez connu les pierres qui roulent, vous allez maintenant rencontrer les pierres qui racontent. En effet, comme dans un conte, ce sont les pierres de la maison familiale cévenole qui témoignent. Et elles sont rudement douées ces pierres. Elles racontent toute la place qu'un éternel bébé aux joues douces et rebondies, incapable de distinguer une orange, occupe au sein du cercle familial. Elles racontent également le peu de place que cet être inadapté a, malgré lui, laissé aux autres membres de la fratrie. Cette histoire est contée tantôt du point de vue de l'aîné fusionnel et protecteur, tantôt du point de vue du dégoût et de la colère de la cadette, pour se refermer sur celui du petit dernier qui a eu la lourde tâche de rééquilibrer cette cellule familiale que l'autre a tellement chamboulée.

En dépit de toute la gravité du sujet, S'adapter est un roman à la fois poétique et lumineux. Il est aussi léger et enveloppant que le souffle du vent sur la peau délicate et fragile de cet éternel bébé. Avec grâce et subtilité, Clara Dupont-Monod évoque la puissance des liens fraternels, l’ambivalence face à la différence et l’extraordinaire capacité d’adaptation de l’être humain. Sa plume acérée, son écriture à la fois ramassée et percutante, l'originalité de la forme narrative qu'elle a retenue, donnent encore plus de profondeur au récit tout en mettant à l'honneur les terres cévenoles, ses montagnes, ses forêts, ses torrents, ses pipistrelles et ses pierres séculaires. 

S'adapter est un roman d’une rare puissance émotionnelle. Pour preuve, à l'instar des pierres impuissantes qui ont assisté au lâcher prise, l'eau a coulé par ici aussi. 
Un conseil, ne passez pas surtout pas à côté de ce livre magistral !

Belle lecture !

vendredi 3 décembre 2021

Mon avis sur "Le candidat idéal" d'Ondine Milot

Ondine Millot est journaliste indépendante, spécialisée dans les faits de société et la chronique judiciaire. Après avoir travaillé à Libération durant seize ans, elle est entrée au Quotidien. Elle y couvre les procès et les faits divers. Depuis 2006, elle réalise des enquêtes sur des affaires qui l'ont marquée. C'est dans ces conditions qu'avec le photographe Raphaël Dallaporta elle a sorti Esclavage domestique, puis en 2013 L'amour à mort. En 2018 est paru chez Stock Les monstres n'existent pas et maintenant Le candidat idéal. Ses livres sont beaucoup plus qu'une chronique du fait divers, notamment parce que l'auteure cherche à comprendre et à expliquer l'inexplicable. Passionnant !

Jeudi 29 octobre 2015, 9h15, tribunal de Melun. L’avocat Joseph Scipilliti tire à bout portant trois balles sur son collègue le bâtonnier Henrique Vannier. Alors que se lève à nouveau le pistolet, l'homme à terre demande : « Épargne mon visage, pour mes enfants, pour qu'ils puissent me dire au revoir. » Le tireur suspend son geste, et retourne l’arme contre lui.
Ce jour-là, Ondine Millot se trouve dans ce tribunal et veut comprendre. Après plusieurs années d'enquête, elle raconte, la rencontre de deux destins étrangement symétriques. 
Pourquoi Joseph Scipilliti a-t-il voulu mourir en emmenant avec lui un quasi-inconnu ? Pourquoi Henrique Vannier est-il ce candidat idéal ?

Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous disait Paul Éluard. Et si ce jeudi 29 octobre 2015, Ondine Millot avait rendez-vous non pas avec un, mais avec deux avocats ? 
Ce jour-là, elle se rendait au Palais de justice de Melun pour suivre le procès des parents de la petite Inaya, un couple de trentenaires accusés d’avoir tué leur bébé de 20 mois. Un peu en retard, elle se trouve dans le hall de l'immeuble fait de verre et d'acier lorsqu'elle entend des coups de feu. La rumeur a tout juste dévalé les escaliers. Un avocat aurait tiré sur le bâtonnier, les deux sont morts. S'ensuit une effervescence hors norme. Ondine Millot reste figée sur place. Elle résiste aux injonctions du commentaire en direct. Parler de ce qu'elle n'a pas vu, très peu pour elle. Elle préfère comprendre les raisons de ce crime. Dès lors et parce que contre toute attente, Henrique Vannier n'est pas décédé, Ondine Millot va, cinq années durant, enquêter. Pour ce faire et bien que Joseph Scipilliti se soit suicidé, elle va étudier consciencieusement son Journal indélicat qu'il avait pris soin d'adresser à certains confrères. C'est donc à partir de ce document de deux cent quarante pages, mais également sur la base d'entretiens qu'Ondine Millot va tenter de répondre à la difficile question : Pourquoi ?

Le candidat idéal est un livre passionnant à plus d'un titre. 
Tout d'abord il met en exergue le cheminement de l'auteure. Ondine Millot était en pleine rédaction de son livre Les monstres n’existent pas dont le (lourd) sujet est le meurtre de huit bébés par leur mère, quand l'affaire de Melun éclate. Parce qu'elle était sur place ce fameux 29 octobre 2015, elle était toute désignée pour interviewer Henrique Vannier sur son lit d'hôpital. Impressionnée par l'instinct de survie de cet homme et sa détermination à vouloir se remettre rapidement de ce drame, la possibilité d'un prochain livre s'est imposée à elle au gré de leurs échanges. Ondine Millot l'a évoqué, Henrique Vannier l'a accepté. Dès lors, les investigations débutent. 
Outre la lecture du Journal indélicat, l'auteure s'attachera à retracer le passé des deux hommes afin de cerner leur personnalité. Elle fera parler Henrique, sa famille, ses confrères et amis. Par souci de justice et d'équité, elle fera de même auprès des proches de son agresseur. Cette démarche qui va bien au-delà du travail d'investigation, est remarquable. Ce qui frappe, c'est la droiture d'Ondine Millot et son empathie. Elle a à cœur de toujours rester impartiale, de ne jamais verser dans le jugement. Elle ne condamne pas, elle tente juste d'expliquer. Pourtant tout accable Joseph Scipilliti, cet être devenu aigri à force de se laisser submerger par son dégoût de l'injustice, jusqu'à la voir partout, jusqu'à s'en rendre malade. Parce qu'elle sait que rien n'est aussi tranché, aussi binaire que cela, que cette affaire ne peut être réduite à d'un côté une victime, de l'autre un bourreau, l'auteure révèle tout ce qui a rapproché ces deux êtres et tout ce qui les a percuté de plein fouet. Étonnamment troublant. Bien que personne ne saura jamais avec certitude ce qui a motivé Joseph Scipilliti, on est en droit de se demander si en définitive, il ne voulait finir sa vie avec son idéal, celui qu'il aurait voulu être, voire celui qu'il aurait dû devenir ?

Le candidat idéal est un livre captivant, le travail d'Ondine Millot est absolument fascinant. Et cerise sur le gâteau, grâce à la fluidité de son écriture, il se lit comme un roman. Une belle découverte faite dans le cadre du Grand prix des lectrices Elle 2022. Je conseille vivement Le candidat idéal.

Belle lecture !