samedi 29 février 2020

Mon avis sur "Des humains sur fond blanc" de Jean-Baptiste Maudet

Jean-Baptiste Maudet est géographe. Il enseigne à l’université de Pau. L'an dernier avec Matador Yankee, il a remporté le Prix des lecteurs de la Fondation Orange. Des humains sur fond blanc est son second roman. Il est publié aux Éditions Le passage.

On prétend que des rennes contaminés par la radioactivité se dispersent dans le Grand Nord. Tatiana, une scientifique moscovite, est envoyée sur place, en Sibérie. Un pilote fantasque, retraité de l'armée soviétique, l'accompagne ainsi qu'une interprète, la jeune Neva, qui parle la langue des éleveurs nomades présents dans la région.
Ce trio incertain monte à bord d'un vieil Antonov en direction du Nord et de l'hiver qui vient. En route, rien ne se passe comme prévu. Qu'est-il d'ailleurs possible de prévoir dans cette immense Russie où la neige recouvre les traces des humains ? Lorsque la vie ne tient plus qu'à la flamme d'une bougie, les ombres portées transforment le monde : l'allure des troupeaux, les mots de Pouchkine, les tigres des rêves et les trésors gelés des profondeurs. La meilleure façon, drôle ou tragique, de passer le temps est certainement de s'enivrer en racontant des histoires, celles que l'on invente, celles que l'on confond, celles que l'on emporte dans la nuit. Le blanc n'est-il que la couleur du froid et de l'oubli ou bien celle du désir de tout recommencer ?

Des humains sur fond blanc est un roman d’aventure loufoque, surréaliste et dépaysant. Mais ne vous y trompez pas, l’histoire est plus profonde qu’il n’y paraît. Il est question de jugement, d’a priori que l’on peut avoir sur les uns ou les autres et qui se révèlent totalement erronés lorsqu’il ne reste que l’essentiel, lorsque toute fioriture a disparu. Oui, ce roman questionne sur l’essence même de ce que nous sommes. Des humains, des blessures, des sentiments et non des machines. Pour en apprécier la lecture, il faut accepter le voyage. Accepter de partir à la rencontre d’un vieil homme fantasque, d’une jeune fille paumée qui cherche sa voix, d’une femme sophistiquée que l’on a tendance à prendre pour ce qu’elle n’est pas, de frères soviétiques bourrins dont un est particulièrement écervelé, de chinois qui n’hésitent pas à exploiter les Younets, une tribu de nomades venue tout droit du Grand Nord et enfin de mammouths enfouis sous la glace. Le tout devra être arrosé de bonnes rasades de vodka.

De plus, l’auteur de Des humains sur fond blanc a un réel talent. Il est de ceux qui écrivent de manière visuelle. Les images défilent au fur et à mesure que les pages se tournent. C'est simple, plus j’avançais dans ma lecture, plus j’avais l’impression de regarder un film que de lire un roman. L'auteur enchaîne les mots comme d’autres les plans séquences. Pour ma part, j’ai accepté le voyage, je suis partie en Sibérie, le froid m’a saisie, le blanc m'a éblouie. Grâce à son imaginaire, sa plume visuelle, ses dialogues, son originalité et son humour Jean-Baptiste Maudet m'a embarquée dans son univers.

Un conseil, montez à bord de cet Antonov, partez à la découverte de ce désert glacé, venez rencontrer Des humains sur fond blanc.

Belle lecture !

mercredi 26 février 2020

Mon avis sur "Un matin ordinaire" de Marjorie Tixier

Née en 1977, Marjorie Tixier écrit des romans et de la poésie. Professeure de lettres modernes, elle transmet sa passion de la littérature. Elle puise son inspiration dans la peinture, la musique et les voyages. Un matin ordinaire est son premier roman. D'abord auto-édité sur la plateforme Librinova, ce roman est maintenant disponible chez Fleuve Éditions, voilà qui n'est pas ordinaire !

Le vendredi matin est un moment spécial pour Laurence. Un moment de liberté volé à son quotidien, entre son travail d'infirmière, l'éducation de ses filles, l'attention qu'elle porte à son père malade et à Edmond, son mari. Chaque vendredi, Laurence part courir en forêt, et rêve aux voyages qu'elle n'a pas encore entrepris, aux mots qu'elle devrait dire à son mari pour qu'il la regarde à nouveau. Mais ce jour-là, Thérèse, sa commère de voisine, ne voit pas Laurence revenir de sa course. Les minutes passent. Paniquée, Thérèse prévient Edmond qui appelle la police. La disparition de Laurence n'est pas jugée préoccupante. Avec une heure de retard, elle finit par réapparaître. Mais elle n'est plus la même, sa vie a basculé. Puisant au fond d'elle-même, Laurence va devoir réapprendre à faire confiance aux autres. Pour enfin croire à un nouveau matin.

Un matin ordinaire est un roman polyphonique. Chaque membre qui compose la cellule familiale de Laurence s’exprime tour à tour sur leurs états d’âme. S’ajoute à leur voix, celle de la voisine. Puis lorsque l’innommable se produit, celle de celui qui fera basculer la vie bien rangée de Laurence et celle du policier viendront compléter ce tour d’horizon. Chacun analyse la situation, confie ses sentiments, ses peurs, ses angoisses, ses espoirs. Les jours, les semaines, les mois s’écoulent. Chaque personnage évolue, leur vision de la vie également. Ils cheminent et le lecteur assiste à cette mutation jusqu'à la résilience.

Un matin ordinaire est un roman très psychologique, parfaitement construit. Il est proche du thriller. Majorie Tixier parvient à accrocher le lecteur dès les premières pages en le faisant entrer dans l’intimité de chacun des personnages. L’auteure prend le temps de nous imprégner de la psychologie de chacun d’entre eux, puis laisse entrevoir que tout peut basculer lorsque l’innommable se produit. Elle nous plonge au cœur des réflexions de chacun. Les points de vue s’enchaînent, nous font prendre conscience de la répercussion qu’un tel drame peut avoir sur une cellule familiale, l’entourage. Les repères volent en éclats. Les uns et les autres sont dévastés. Puis le temps fait son œuvre. Et vient celui de la résilience.

Un matin ordinaire est parfaitement ficelé. La plume de Marjorie Tixier est fluide, agréable sans être exceptionnelle. De plus et en dépit de la gravité du sujet abordéUn matin ordinaire est un premier roman agréable à lire, et très instructif quant à la possibilité de vaincre des situations traumatiques.

Belle lecture !

lundi 24 février 2020

Mon avis sur "Le corps d'après" de Virginie Noar

Virginie Noar pigiste et travailleuse sociale, a trente-cinq ans. Elle exerce dans un espace de rencontre parents enfants. Le Corps d’après est son premier roman ou plutôt premier livre, et qui dit premier, dit 68 premières fois évidemment !

C’est le début. 
L’absence de sensations. Les inquiétudes irrationnelles. La peur que, soudain, tout s’arrête. Alors, stupéfier les joies dans le sillon des lendemains incertains. Ne pas s’amouracher d’un tubercule en formation, c’est bien trop ridicule et puis, sait-on jamais, il pourrait. Mourir. Je me sens coupable. D’un bonheur qui ne vient pas. Je me sens coupable. Des larmes insensées alors que je devrais sourire.
Et puis, ce matin-là, j’entends. Entre les quatre murs silencieux qui ne voient pas le désordre alentour, j’entends. Le balbutiement de son cœur.

Le Corps d’après est le récit d’un enfantement et d’une lutte contre les violences faites à la condition féminine, les injonctions, le bonheur factice, le conformisme, les corps asservis. Au bout du chemin, pourtant, jaillit la vie. Celle qu’on s’inventera, pied à pied, coûte que coûte. Pour que, peu à peu, après la naissance de l’enfant, advienne aussi une mère, femme enfin révélée à elle-même.

Virginie Noar a écrit dans une forme d'urgence, elle a souhaité dénoncer cette violence faite à toutes celles qui sont nées femelles. Celles qui sont nées assignées, pesées, mesurées, évaluées. Celles qui sont attendues au rayon des poupons en plastique, qui sont colorées de rose bonbon.  Celles qui sont priées de bien se tenir, de s’asseoir comme-ci et de parler comme-ça pour être de vraies petites filles. Celles qui sont vouées à devenir épouse et mère. Parce que la sexualité des femmes est réprimée, salie, acculée quand celle des hommes est glorifiée, normalisée, excusée, parce qu'elle est épuisée d'être sans cesse rappelée à son devoir de séduction, de procréation, d'éducation, de gestion domestique, parce qu'elle n'en peut plus de tous ces magazines féminins qui culpabilisent les lectrices plus qu'ils ne les déculpabilisent, Virginie Noar a accouché de toute cette maltraitance contenue pour en être enfin libérée. 

Le corps d'après c'est un cri de colère contre cette société encore trop patriarcale. Cette société qui infantilise les femmes y compris lorsqu'elles s'apprêtent à enfanter. Cette société qui les avilit sous prétexte d'une hypothétique maladie que serait la grossesse. Le corps d'après est un récit qui touche à l'intime tout en étant un manifeste s'adressant aux femmes, les exhortant à s'affranchir, à désobéir, à ne pas se soumettre, à considérer leur corps comme un rempart d'une lutte obligée. Ce livre est un hommage rendu à la femme, au corps féminin d'avant et d'après l'accouchement. 

L'écriture de Virginie Noar est volontairement incisive, son style cru, comme pour mieux refléter la violence infligée aux femmes, tout en se transformant néanmoins au fil du livre. Le tout s'apaise à l'approche de la délivrance. Pour mieux s'identifier à elles, la narratrice n'a ni prénom, ni âge, ni origines. Elle a une sexualité et est maman en devenir. Elle, c'est moi, c'est toi, c'est nous, c'est elles. 

Le corps d'après est un récit intéressant, nécessaire à toutes celles qui ne s'autorisent pas encore à dire que non, la maternité ce n'est pas que du bonheur. C'est parfois aussi tout l'inverse. Sur ce, mes enfants m'appellent...

Belle lecture !

jeudi 20 février 2020

Mon avis sur « Champion » de Maria Pourchet

Maria Pourchet est sociologue de formation. Elle dispense des cours de sociologie de la culture à l’Université de Paris X Nanterre. Elle a enquêté, dans le cadre de ses missions, sur les pratiques de lecture, la prescription littéraire et la promotion du livre. Des enquêtes à l'écriture, il n'y avait qu'un pas que Maria Pourchet n'a pas hésité à franchir à plusieurs reprises. Champion est son troisième roman. Il a été publié chez Gallimard en 2015 et disponible depuis quelques mois en format poche chez Folio, que je remercie chaleureusement au passage.

Adolescent subversif et railleur, Fabien 15 ans, est placé dans un centre de soins pour adolescents. Parce qu'il en a assez de ses mensonges, son psychiatre, semblant croire aux vertus thérapeutiques de l’écriture, lui fournit cahiers et stylos avec pour consigne de raconter ce qui lui est arrivé l’année précédente. Fabien ne pourra quitter cet établissement que s’il raconte les événements qui l’y ont conduit. 
Tout commence en février 1992. Fabien raconte donc son quotidien. Le pensionnat Notre-Dame de la convention, sa solitude, son insolence, ses heures de colle, ses week-ends de fils unique, sa famille décomposée, son manque d'amour. Tout ce qui le mènera à la délinquance. En moins d'un an, Fabien noircira six carnets. 

Champion c'est le portrait d'un adolescent schizophrène par nécessité, en plein trouble, en plein deuil, qui s’invente des vies et des histoires pour survivre à une vérité insupportable. C'est avec verve, ironie et humour que Fabien noircit ses carnets à carreaux. Peu à peu il se révèle, se met à nu tout en veillant à retarder le moment fatidique, celui où enfin on comprendra ce qui a bien pu pousser ce garçon vif d'esprit, intelligent et clairvoyant dans ses retranchements. 

Malgré la gravité du sujet, Champion n'est absolument pas un roman sombre. Il est à la fois bouleversant et incisif. Grâce à sa plume élégante et acérée, Maria Pourchet parvient à marier dramaturgie et ironie tout en préservant la sensibilité sincère et désarmante de son personnage principal qui malgré une désinvolture affichée, possède une acuité exceptionnelle pour croquer avec humour le monde qui l'entoure avec une bonne dose d’empathie et d’exaspération mêlées. Champion est un roman décapant dont il serait dommage de se priver.

Belle lecture !