dimanche 21 mars 2021

Mon avis sur "On était des poissons" de Nathalie Kuperman

Nathalie Kuperman est une auteure française écrivant aussi bien pour les adultes que pour la jeunesse. Elle a une dizaine de romans à son actif et tous tentent de répondre à la question la plus évidente qui soit, la plus banale, mais finalement celle à laquelle il est le plus difficile de répondre "Qui suis-je ?". On était des poissons, le onzième roman de Nathalie Kuperman n'échappe pas à la règle.

Demain, gare de Lyon, départ à 9h37. T'es contente ?
Je ne savais pas si j'étais contente ou pas. Je trouvais que tout allait trop vite. Je ne pourrais dire au revoir à personne, ne pourrais me réjouir quelques jours auparavant à l'idée du départ. Pourtant, j'ai répondu Oui. Parce que je sentais, peut-être pour la première fois, que ma mère n'était pas prête à écouter mes états d'âme. 
Papa, il est au courant ? 
Laisse ton père où il est. Il verrait d'un mauvais œil que je te fasse rater les derniers jours de classe. Il me ferait la morale, et la morale, je n'aime pas ça.
Divorcée depuis peu, Alice, la mère d'Agathe, a encore beaucoup de mal à accepter sa nouvelle réalité. Et si la solution consistait à fuir Paris au plus vite sans avertir personne et d'échouer sur une plage de la Côte d'Azur ? Emportée dans le sillage de cette mère-poisson, ce n'est que des années plus tard, en déroulant le souvenir à vif de ces jours pleins de bruit et de fureur, qu'elle le découvrira enfin.

Il est rare qu'un livre me fasse un tel effet. On était des poissons est un livre d'une remarquable puissance, un huis clos qui explore la complexité du lien maternel entre une femme bipolaire et sa fille. Une relation aussi fusionnelle que toxique. Une mère aussi aimante que maltraitante, une mère fragile psychologiquement, névrosée. Une mère qui s'en prend à son petit macaroni, sa petite salamandre, sa petite fille. C'est simple, ce roman est si poisseux, cette mère si instable, qu'il m'a gênée. J'ai d'abord cru que je ne l'avais pas aimé. En fait, ce n'est pas On était des poissons que je n'ai pas aimé, c'est cette mère.  J'ai souffert pour cette petite Agathe. Comme elle, j'ai été noyée. Comme elle, je ne savais pas si cette mère lui vouait un amour infini ou si au contraire elle faisait tout pour se faire désaimer de sa fille. Comme elle, je guettais les signes annonciateurs de changement d'humeur. C'était insoutenable. Mais mon désir de comprendre m'a empêchée de refermer ce roman. Et quand la dernière page fut tournée, cette mère, Alice dans sa robe rouge, m'a poursuivie. 

On n'était des poissons est un roman sous tension que l'on aimerait tenir à distance mais qui une fois commencé nous aimante. Et c'est là tout le talent de Nathalie Kuperman. Son écriture est à la fois puissante et fluide, la psychologie de ses personnages si fine et profonde, qu'inévitablement le lecteur nage entre empathie et colère. Chapeau bas, Madame, vous m'avez bien eue !  
Enfin, à toutes celles et ceux qui verraient une similitude entre On était des poissons et Fugitive parce que reine de Violaine Huisman, je répondrai que s’il est vrai que dans ces deux romans les mères sont psychologiquement fragiles, au moins dans le second elle est drôle, tellement romanesque et fantasque que sa fragilité en est touchante, alors que dans On était des poissons cette mère est vraiment toxique. Allez, Maillot de bain ! comme dirait Alice, lisez On était des poissons et laissez-vous porter par ces rouleaux émotionnels.

Belle lecture !

dimanche 7 mars 2021

Mon avis sur "Le démon de la colline aux loups" de Dimitri Rouchon-Borie

Dimitri Rouchon-Borie est journaliste spécialisé dans la chronique judiciaire et le fait divers. Il est l’auteur de Au tribunal, chroniques judiciaires. Le Démon de la Colline aux Loups est son premier roman, publié chez Le Tripode. Il vient de remporter le Prix Première. Pas étonnant ! D'une violence rare, traversé de lumières, d'une écriture éruptive, ce livre est un choc. De mon point de vue, il est la révélation de cette rentrée littéraire d'hiver. Quand on sait que Dimitri Rouchon-Borie l'a bouclé en trois (petites) semaines, ne l'a envoyé qu'à une seule maison d'édition, laquelle n'a pas hésité une seconde à le publier, on suppute la singularité du propos et de l'écriture. Le démon de la colline aux loups est un roman coup de poing.

Un homme se retrouve en prison. Brutalisé dans sa mémoire et dans sa chair, il décide avant de mourir de nous livrer le récit de son destin. Et quel destin !

Après avoir passé des années avec ses six frères et sœurs pelotonnés sur une veille couverture puante posée à même le sol dans une pièce vide, froide aux volets toujours clos, après avoir été maltraité par ses géniteurs, Duke découvrira son prénom par la voix de ses petits camarades d'école qu'il finira par fréquenter grâce à l'intervention des services sociaux. Mais point de répit pour Duke. N'ayant pas les codes, il est la risée de tous à l'école et à la maison, il devient "le préféré" du père. Duke ne devra sa survie qu'à sa fuite. Arrêtés, les parents seront incarcérés, les enfants placés en famille d'accueil. Ils seront séparés. Une fois le procès achevé, Duke ne résistera pas à l'appel du large. Il suivra sa route qui le mènera derrière les barreaux. Préalablement, il aura découvert la mer et rencontré Billy. D'habitude Duke n'aime pas parler de la colline aux loups. Le Démon est né là et c'est là qu'il l'a pris. Mais s'il devait taire tout ça à jamais, Duke aurait l'impression que ce dernier aurait volé son âme pour de bon et bien plus encore son histoire. Duke espère que nous saurons nous montrer miséricordieux parce qu'il a un parlement bien à lui, ces mots c'est sa façon d'être lui et pas un autre. Et comme il n'a pas fait l'école longtemps à cause du père, du Démon, de la mère et des autres, il manque des cases dans son entendement des choses. Duke n’a pas les mots. La ponctuation, il ne connaît pas. Alors, il invente sa propre langue pour tenter de nommer l’innommable. Tel est Le démon de la colline aux loups.

Bien que la confidence de Duke soit très sombre, très violente, voire insupportable, il n'en demeure pas moins que Le démon de la colline aux loups est un roman lumineux. Et c'est là tout le talent de Dimitri Rouchon-Borie. En effet, le récit illumine la noirceur des propos parce que c'est Duke, un enfant devenu homme qui a toujours connu ce qu'il a connu, qui raconte son parcours. Sa norme c'est la violence, la maltraitance. Un enfant devenu homme qui n'a jamais eu et n'aura jamais les codes, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle il se retrouvera derrière les barreaux. Toute la lumière de ce récit tient au fait que l'innommable est narré avec une innocence éblouissante, que tout est écrit avec le peu de "parlement" que le narrateur a acquis au cours de son existence. Se mettre au niveau de Duke, endosser son personnage, sa psychologie au point de penser comme lui, d'écrire comme lui, sans s'encombrer des règles de ponctuation est un challenge que Dimitri Rouchon-Borie a relevé haut la main. C'est simple, dès lors que l'on plonge dans l'univers de Duke, il est alors impossible de reposer ce récit certes noir, mais Ô combien haletant. 

Le démon de la colline aux loups rejoint l'univers de La vraie vie d'Adeline Dieudonné, Né d'aucune femme de Franck Bouysse, My absolute darling de Gabriel Tallent et Le diable tout le temps de Donald Ray Pollock. À l'instar de ces derniers, Le démon de la colline aux loups est un roman puissant, percutant baigné d'une noirceur lumineuse. Entendez ce hurlement sans bruit, lisez, ce roman d'une puissance rare. Quant à moi, Cher Dimitri Rouchon-Borie, j'attends votre second roman avec impatience.

Belle lecture !