lundi 25 octobre 2021

Mon avis sur "Viper's dream" de Jake Lamar

Né dans le Bronx, dans une famille afro-américaine, Jake Lamar a fait ses études à l’université de Harvard où il découvre l'écriture. Il devient journaliste au Time magazine avant de se consacrer entièrement à l’écriture. Installé en France, il enseigne à Sciences Po Paris, ce qui fait de lui l'auteur le plus français des américains. Viper's dream est son dernier roman, publié aux Éditions Payot-Rivages.

Clyde Morton croit en son destin : il sera un grand jazzman. Mais lorsqu'il quitte l'Alabama pour auditionner dans un club de Harlem, on lui fait comprendre qu'il vaut mieux oublier son rêve. L'oublier... dans les fumées de la marijuana, qui lui ouvre de nouveaux horizons. La "Viper", comme elle est surnommée à Harlem, se répand à toute vitesse et Clyde sera son messager. Jusqu'au jour où arrive la poudre blanche qui tue. Et qui oblige à tuer. 
Ce soir, c'était le troisième meurtre de Viper. Pour la troisième fois en vingt-cinq ans, il avait mis fin à la vie de quelqu'un. Mais c'était la première fois qu'il le regrettait.

Viper's dream est un roman noir qui swingue. Sur fond de jazz, Jake Lamar, nous narre le parcours d'un jeune afro-américain de dix-neuf ans qui, faute de talent en tant que trompettiste, va découvrir la magique "Mary Warner" et devenir un acteur incontournable du trafic de marijuana. Ssssssss
Dès lors, Clyde va mener une carrière inattendue qui lui apportera fortune et l'emmènera là où il n'avait pas forcément prévu d'aller. Il fréquentera les plus grands jazzmen tels que Charlie Parker, Thelonious Monk, Louis Armstrong, Billie Holiday, Miles Davis... Il baigne dans l'histoire et la mythologie jazz, arpente tous les clubs d'Harlem. Sa notoriété ira crescendo jusqu'à ce que l'héroïne vienne perturber le tout. Traumatisé par les ravages de la blanche dans le monde artistique new-yorkais, toute sa vie, Clyde refusera d’en fournir aux musiciens et s'évertuera d'éliminer tous ceux qui en vendront sur son territoire, jusqu'au moment où il ne sera plus possible de couvrir ses crimes. Dès lors, Clyde Morton aura trois heures pour fuir. En attendant, on rembobine le film.

Viper's dream est un roman noir qui rend hommage à la légendaire musique noire, à tout un quartier, toute une époque. En raison de sa construction originale, de son rythme, de son écriture cinématographique et parce qu'il n’est pas sans rappeler l’atmosphère du merveilleux Gang des rêves de Luca Di Fulvio, ce fut un réel plaisir que de passer ces heures en compagnie de Clyde Morton et d'être immergé dans ce Harlem d'un autre temps. Viper'Ssssssss dream est à lire tout en (ré)écoutant les bons vieux standards du jazz puisque la playlist ferme ce bon roman.

Belle lecture ! 
 

dimanche 24 octobre 2021

Mon avis sur "Memorial drive" de Natasha Trethewey

Natasha Trethewey est une auteure qui occupe une place importante dans la littérature contemporaine aux Etats-Unis. Universitaire et poétesse, elle a été Prix Pulitzer en 2006 pour Native Guard, dédié à sa mère, et a reçu deux fois le mandat de Poet Laureate en 2012 et 2013. Memorial Drive a connu un immense succès aux Etats-Unis. Il vient de paraître en France aux Éditions de l'Olivier.

Le 5 juin 1985, Gwendolyn est assassinée par son ex-mari, Joel, dit « Big Joe ». Plus de trente ans après ce drame qui a changé sa vie, Natasha Trethewey, sa fille, affronte enfin sa part d’ombre en se penchant sur le destin de sa mère. 
Tout commence par un mariage interdit entre une femme noire et un homme blanc dans le Mississippi. Suivront une rupture, un déménagement puis une seconde union avec un vétéran du Vietnam. À chaque fois, Gwendolyn pense conquérir une liberté nouvelle. Mais la tâche semble impossible. Elle est toujours rattrapée par la violence.

Exactement vingt ans après l'assassinat de sa mère Gwen, Natasha Trethewey est reconnue dans un restaurant par un homme autrefois policier lors du drame. Il lui propose de lui remettre les archives de l’affaire qui sont sur le point d’être détruites. Bien qu'elle s’était juré de ne plus jamais revenir sur son passé, elle accepte. Dès lors, débute un long voyage. Sept années à faire le chemin à l’envers, à se confronter à sa mémoire et aux faits. 

Memorial Drive est le recueil des mémoires d'une fille, Natasha Trethewey, qu'elle dédie aux femmes qui l'ont faite. Ce livre entremêle la trajectoire des femmes de sa famille et celle d’une Amérique meurtrie par le racisme. Non seulement l'auteure rend à sa mère, Gwendolyn Ann Turnbough, sa voix, son histoire et sa dignité, mais elle évoque sans détour le racisme et l'origine du féminicide.

En effet, à travers le parcours amoureux de sa mère, l'auteure retrace tout un pan de l'histoire du Sud des États-Unis des années 50-60, notamment les méthodes d'intimidation dont elle et les siens ont été victimes par le Ku Klux Klan mais également le regard réprobateur que certains posaient sur la métisse qu'elle est. Trop noire pour une blanche, trop blanche pour une noire. Un entre-deux qui n'était pas admis et qui l'interrogeait sans cesse quant à son identité. Au-delà de ces questions sociétales, Memorial drive aborde essentiellement la douloureuse thématique de la violence conjugale et de la maltraitance. Le beau-père de l'auteure, un vétéran du Vietnam, un homme psychologiquement malade ne cessera de frapper sa femme et d'humilier sa belle-fille. L'une en mourra, l'autre sera marquée à vie. Rongée par la culpabilité, elle n'aura d'autre choix que d'occulter une part d'elle-même pour (sur)vivre, jusqu'à ce qu'elle ait la force et le courage de redonner vie à sa mère à travers ces quelques pages d'une intensité brute et d'affronter ce douloureux passé. 

Memorial drive est un très bel et courageux hommage d'une fille à sa mère trop tôt disparue mais également à toutes les victimes de féminicide. Un livre d'une pudeur et d'une intensité hors norme. À lire d'urgence.

Belle lecture !

Mon avis sur "La carte postale" d'Anne Berest

Anne Berest est écrivaine et scénariste. La Carte postale publié chez Grasset est son huitième livre et fait partie de la sélection Goncourt 2021. Parce qu'autobiographique, ce texte est bien plus qu'un simple roman. Il oscille entre enquête d'identité et quête initiatique.

C’était en janvier 2003.
Dans notre boîte aux lettres, au milieu des traditionnelles cartes de vœux, se trouvait une carte postale étrange. Elle n’était pas signée, l’auteur avait voulu rester anonyme. Il y avait l'opéra Garnier d’un côté, et de l’autre, les prénoms des grands-parents de ma mère, de sa tante et son oncle, morts à Auschwitz en 1942.
Vingt ans plus tard, j’ai décidé de savoir qui nous avait envoyé cette carte postale. J’ai mené l’enquête, avec l’aide de ma mère. En explorant toutes les hypothèses qui s’ouvraient à moi. Cette enquête m’a menée cent ans en arrière. J’ai retracé le destin romanesque des Rabinovitch, leur fuite de Russie, leur voyage en Lettonie puis en Palestine. Et enfin, leur arrivée à Paris, avec la guerre et son désastre. J’ai essayé de comprendre comment ma grand-mère Myriam fut la seule qui échappa à la déportation. Et d'éclaircir les mystères qui entouraient ses deux mariages.

Alors que l'on n'échange guère plus de carte postale, qui a bien pu en envoyer une pour le moins énigmatique à la Famille Berest, surtout en cette période de l'année où l'on a coutume surtout de se souhaiter le meilleur pour l'année à venir ? Qui est l'expéditeur ? Et pourquoi vouloir réveiller de douloureux souvenirs ?

Alors qu'elle s'apprêtait à accoucher, Anne Berest s'est souvenu de la promesse qu'elle s'était faite lorsque La carte postale avait atterri dans la boite à lettres de ses parents. Bien qu'à l'époque elle avait une vie à vivre et d'autres histoires à écrire, elle s'était promis qu'un jour elle interrogerait sa mère sur l'histoire de sa famille. Pensant à cette lignée de femmes qui avaient donné la vie avant elle, le moment était venu d'entendre le récit de ses ancêtres. Dès lors, l'auteure a choisi de marcher dans les pas des Rabinovitch. 

Mêlant confidences de sa mère et les fruits de l'enquête d'Anne Berest, La carte postale est le récit d’un passé reconstitué qui se vit au présent. Il est poignant, révoltant et interrogeant. Outre le fait que l'on apprendra à la toute fin qui est l'expéditeur de La carte postale et ce qui a motivé son envoi tant d'années après, ce roman tente surtout de répondre à une question identitaire tout en apportant un témoignage forcément singulier au plus près de chaque membre de la famille Rabinovitch. 

Touchant, La carte postale est pour moi un beau livre d'histoire, pas un Prix Goncourt. Mais l'essentiel n'est pas là, il est dans l'absolue nécessité de se souvenir et de transmettre à sa descendance le patrimoine familial historique. Et de ce point de vue, c'est parfaitement réussi.

Belle lecture !

mardi 12 octobre 2021

Mon avis sur "La fille qu'on appelle" de Tanguy Viel

À l'instar de Article 353 du code pénalle précédent roman de Tanguy Viel, La Fille qu’on appelle est roman noir construit selon la même trame et dont les faits se déroulent quasi dans les mêmes lieux. D'ailleurs, le titre aurait même pu être un autre article du code pénal.

Quand il n'est pas sur un ring à boxer, Max Le Corre est chauffeur pour le maire de la ville. Il est surtout le père de Laura qui, du haut de ses vingt ans, a décidé de revenir vivre avec lui. Alors Max se dit que ce serait une bonne idée si le maire pouvait l'aider à trouver un logement.
 
Un père, une fille et un maire, presque une famille. Sauf qu'en réalité La fille qu'on appelle aborde une toute autre thématique, celle de l'emprise et du consentement, le tout, sur fond de pouvoir politique. 
Avis aux lecteurs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être tout à fait fortuite.

L’intrigue de La fille qu'on appelle se déroule dans une ville portuaire bretonne où le premier magistrat de la commune -qui deviendra ministre- ne se rend à tous ses rendez-vous, qu'ils soient publics ou privés, qu'avec son chauffeur. Alors lorsqu'on véhicule Monsieur le maire depuis des années, et que de surcroît on a participé à la gloire de son pays en remportant un championnat de boxe, on peut bien demander un service à son patron. Laura, la fille de Max, d'une beauté divine et ancien mannequin, est à la recherche d'un logement. Le maire pourrait tout à fait intercéder en sa faveur auprès de la commission logement. Il n'en demandait pas plus Max. Mais le maire lui, en demandera plus. Beaucoup plus. Non, à vrai dire, il ne demandera jamais rien. Ce n'est pas le genre. Et c'est là que le bât blesse justement.

Il y a ceux qui ne demandent rien et qui obtiennent et ceux qui demandent et qui donnent. Les dominants et les dominés. Il y a ceux qui détiennent le pouvoir et qui en abusent et ceux qui sont abusés. La fille qu'on appelle c'est exactement cela en beaucoup plus subtil et moins caricatural. En effet, Tanguy Viel s'évertue à explorer les rapports de domination sociale, les jeux de pouvoirs qui conduisent à l'emprise sans oublier la cruciale question du consentement ou plus précisément cette fameuse zone grise. Vous savez celle qui vous amène à céder sans jamais consentir, celle qui vous paralyse et vous rend inerte. Et ce qui devait arrivé, arriva. Pas de surprise, pas de revirement, mais l'essentiel n'est pas là. Il réside dans le détricotage du mécanisme de domination pour mieux le décrypter. À travers la déposition de la victime mais surtout à travers le témoignage d'un observateur, Tanguy Viel analyse avec finesse les faits et le psyché de ses personnages. Il nous livre un roman court mais ô combien dense et percutant. Qu'il obtienne ou non le prix Goncourt, La fille qu'on appelle est un roman qui fait mouche. 

Belle lecture !

mardi 5 octobre 2021

Mon avis sur "L'Embuscade" d'Émilie Guillaumin

Après des études de lettres à la Sorbonne et de criminologie à New York, Emilie Guillaumin a passé deux ans au sein de l’armée de terre française, aventure dont elle a tiré Féminine (Fayard, 2016). L’Embuscade est son deuxième roman. Il est publié chez HaperCollins.

Nuit d’août. Dans la chambre flotte le parfum de Cédric. Un mois et demi que ce soldat des forces spéciales est en mission. Un mois et demi que Clémence attend son retour avec leurs trois garçons. Au petit matin, une délégation militaire sonne à la porte. L’adjudant Cédric Delmas est tombé dans une embuscade avec cinq de ses camarades. Aux côtés d’autres femmes, épouses de soldats elles aussi, Clémence se retrouve malgré elle plongée dans la guerre secrète menée par la France au Levant. Avec ces questions lancinantes : que s’est-il réellement passé lors de l’attaque ? Et pourquoi l’armée garde-t-elle le mystère ?

Voici un roman de cette rentrée littéraire noyé dans la masse qui aurait pu passer inaperçu si l'enthousiasme débordant du célèbre libraire, Gérard Collard, ne m'avait pas interpellée. À mon humble avis, le tir va vite être corrigé, et ce ne sera que justice ! 

L’Embuscade n'est pas un roman sur l'armée, c'est un roman qui gravite autour. Il est avant tout un magnifique portrait d'une femme qui, bien que fauchée en plein bonheur va instinctivement protéger les siens et mener un combat viscéral pour découvrir la vérité. Lorsque l'armée vient à elle, Clémence sait que ce n'est jamais de bon augure. Malgré l'annonce, elle ne veut pas croire que son mari est décédé. Pour ses trois garçons qui dorment encore, pour ce quatrième enfant en devenir, Clémence va rentrer en résistance. Trop de zones d'ombre. Son instinct sera son seul guide. Dès lors, c'est une femme déterminée qui va, avec finesse et stratégie se frotter au corps militaire pour savoir ce qu'il s'est réellement passé. Comment des hommes des forces spéciales, entraînés, surentraînés ont-ils pu tomber dans une telle embuscade ? Comment l'opération a t-elle pu échouer ? La pugnacité de cette femme, mère et épouse paiera. Du statut de décédé Cédric embrassera celui de porté disparu. De ce changement, l'espoir renaîtra. De ce sursaut d'optimisme Clémence parviendra à déplacer des avions, des militaires, des familles. Destination la Syrie, à la recherche du soldat perdu.

L'Embuscade aborde un sujet trop peu traité. S'il est vrai qu'on a coutume d'entendre que lorsque l'on vit avec un militaire, il faut accepter de vivre avec l'armée, il n'empêche qu'aucun proche n'est jamais tout à fait préparé à recevoir un scud en plein bonheur. Mort en OPEX. Tombé pour la patrie. Soldat disparu. 
Avec son second roman, Émilie Guillaumin parvient à nous sensibiliser avec finesse à la condition de tous ces hommes et ces femmes qui vivent avec cette épée Damoclès au dessus de leur tête. C'est poignant, vibrant. C'est parfaitement construit, ramassé. Militaire. Et le dénouement de L'Embuscade est d'une intensité bouleversante. Une magnifique leçon sur la notion d'engagement et le sens du devoir.

Un conseil, lisez-le !