mardi 30 novembre 2021

Mon avis sur "Au temps des requins et des sauveurs" de Kawai Strong Washburn

Kawai Strong Washburn est né et a grandi sur la côte Hamakua de la grande île d'Hawaii. Aujourd'hui, il vit dans le Minnesota. Au temps des requins et des sauveurs est son premier roman. Il a remporté le prix PEN/Hemingway 2021 et le Minnesota Book Award 2021.

En 1995 à Hawaii, au cours d'une balade familiale en bateau, le petit Nainoa Flores tombe par-dessus bord en plein océan Pacifique. Lorsqu'un banc de requins commence à encercler l'enfant, tous craignent le pire. Contre toute attente, Nainoa est délicatement ramené à sa mère par un requin qui le transporte entre ses mâchoires, scellant cette histoire extraordinaire du sceau de la légende. 
Sur près de quinze ans, nous suivons l'histoire de cette famille qui peine à rebondir après l'effondrement de la culture de la canne à sucre à Hawaii. Pour Malia et Augie, le sauvetage de leur fils est un signe de la faveur des anciens dieux - une croyance renforcée par les nouvelles capacités déroutantes de guérisseur de Nainoa. Mais au fil du temps, cette supposée faveur divine commence à briser les liens qui unissaient la famille. Chacun devra alors tenter de trouver un équilibre entre une farouche volonté d'indépendance et l'importance de réparer la famille, les cœurs, les corps, et pourquoi pas l'archipel lui-même. 

Avec son premier roman, Kawai Strong Washburn nous embarque sous le soleil d'Hawaii, loin des clichés. Il lève le voile sur l'envers du décor paradisiaque et offre de ces îles une vision tragique et terrible, un territoire américain relégué et rongé par la misère, mais fort de ses mythes et de sa nature luxuriante.

À travers l'histoire familiale des Flores, Kawai Strong Washburn aborde les difficultés économiques des hawaiiens post effondrement de la culture de la canne sucre et dénonce leur nécessaire exil sur le continent américain pour survivre. Au tourisme de luxe, il oppose la misère des autochtones. Pour adoucir le contraste et faire perdurer les croyances ancestrales locales, il convoque les Dieux et transforme l'un de ses personnages en véritable légende. En dotant ce fils d'un don surnaturel, il aborde la délicate question des liens familiaux et la rivalité au sein de la fratrie. Dès lors, le frère et la sœur distancés, devront se démarquer pour tenter d'égaler le statut de l'enfant prodige protégé des Dieux et surtout capter l'attention des parents. Alors, bénédiction ou malédiction ? 

Au temps des requins et des sauveurs est un roman polyphonique. Sur une période d'une quinzaine d'années, la voix de la mère alterne avec celles des frères et sœur. Chacun a voix au chapitre. Au gré de ceux-ci, nous assistons au délitement de cette famille. Les problèmes financiers, l'absence de communication, la rivalité inavouée entre les enfants et la difficulté pour le fils adulé à assumer ses pouvoirs puis ses défaites feront vaciller cette tribu jusqu'à la mener au bord du précipice. 

Bien que la plume de Kawai Strong Washburn soit à la fois poétique et envoutante, j'ai quelque peu peiné dans ma lecture. Il m'a manqué un je ne sais quoi que je ne parviens pas à définir. Réflexion faite, il me semble ce roman aurait gagné à être plus concis, plus ramassé. À vouloir embrasser trop de thématiques, on prend le risque de se disperser et de diluer son message. Quoi qu'il en soit et bien que dense, Au temps des requins et des sauveurs est un premier roman à découvrir.

Belle lecture !

lundi 29 novembre 2021

Mon avis sur "Le souffle de la nuit" d'Alexandre Galien

Alexandre Galien est un jeune auteur qui grimpe. Il a remporté le prix du Quai des Orfèvres 2020 pour Les cicatrices de la nuitle premier volet de sa saga. Et lorsque l'on sait qu'il a, après des études de droit et de sciences criminelles, intégré la direction régionale de la police judiciaire, on imagine ce qu'il a dû ressentir en recevant ce prix. Le souffle de la nuit est son second opus, il vient de paraître en format poche chez Pocket et à cette occasion, j'ai eu le privilège de rencontrer Alexandre Galien. Il me restait à découvrir son univers, c'est chose faite !

Philippe Valmy, ex flic du 36, est un homme brisé. Un an après le drame qui a bouleversé son existence, il survit tant bien que mal au Nigéria, loin de ses souvenirs. Mais l’appel de son ancien chef le sort de sa retraite : Louis, flic de la mondaine et ancien collègue, vient de mourir, tué de la plus étrange des façons, au cœur du Bois de Vincennes, une inquiétante poupée rituelle enfoncée dans le ventre...
L’équipe de Philippe Valmy se reforme alors et plonge dans une traque impitoyable, au cœur d’univers aussi envoûtants qu’inquiétants, entre géopolitique et magie noire.

À la question faut-il impérativement lire le premier opus, pour lire le second, la réponse est non, même si c'est toujours préférable. Pour ma part, jusqu'à la soirée organisée par la merveilleuse équipe de Pocket (si, si, c'est vrai !), je ne connaissais pas Alexandre Galien. Les échanges que nous avons eus avec lui ont titillé ma curiosité. Dès lors, ayant très envie de découvrir son univers, je n'ai pas su résister et ai ouvert Le souffle de la nuit sans prendre le temps de lire Les cicatrices de la nuit. Dès les premières pages, on comprend tout à fait ce qui a brisé Valmy et ce qui le motive à reprendre du service. Son état psychologique est parfaitement restitué et l'intrigue suffisamment prenante pour que l'on soit immédiatement embarqué.

Le souffle de la nuit s'ouvre sur une scène de crime. Un soir de pleine lune, un brave père de famille venu faire une balade de santé dans le bois de Vincennes en compagnie d'une jeune fille de nationalité nigériane, a buté sur une tête sans vie. Informée par les flics du 17, la Crim débarque. La victime n'est autre que le commandant de police au groupe Cabarets. Parce que c'était son collègue, que son cadavre a été trouvé dans le secteur des prostituées nigérianes et qu'il serait question de rites vaudous, Philippe Valmy va être appelé en renfort. Sa connaissance des réseaux de prostitution, du pidgin (créole à base lexicale anglais), des relations diplomatiques entre la France et le Nigeria sont autant d'atouts permettant de démêler au plus vite cette affaire. S'ensuit une totale immersion dans les services de la Crim. On suit l'équipe en charge de l'enquête, on traverse tout Paris et on assiste amusé aux rivalités entre les différents services de la PJ. Les personnages comme les dictons foutraques du ponte de l'Identité judiciaire foisonnent. Le tout s'imbrique parfaitement. Le rythme est particulièrement soutenu, aucun temps mort. Il faut bien reconnaître que la vivacité de la plume d'Alexandre Galien y est aussi pour beaucoup. Aucune fioriture. Enfin, son expérience au 36 ne fait que renforcer la crédibilité et le réalisme de ses propos. Aucun doute, Alexandre Galien vient grossir la liste des auteurs de polars français à suivre de près.

Un conseil, lisez Le souffle de la nuit, de jour car une fois commencé, il est impossible de le reposer.

Belle lecture !

dimanche 7 novembre 2021

Mon avis sur "Les fruits tombent des arbres" de Florent Oiseau

Bien qu'il n'ait qu'un peu plus de trente ans, Florent Oiseau a exercé de multiples métiers, mais celui qui lui sied le mieux est indéniablement celui d'écrivain. Il a publié quatre romans chez Allary Éditions. Son dernier Les Fruits tombent des arbres a reçu le Prix du Livre qui fait du bien. Une récompense qui doit faire un bien fou !

Est-ce la vie qui crée le hasard, ou l’inverse ?
Parce que son voisin, comme le fruit d’un arbre, est tombé raide mort à l’arrêt Popincourt, Pierre se retrouve à errer sur la ligne du bus 69. 
« Fantôme urbain », comme il se définit lui-même, c’est un type plus très jeune et pas encore très vieux qui cherche des réponses dans de grands verres de lait glacé.
De laverie automatique en comptoir de bar kabyle, la liberté guide ses pas. Fumer des cigarettes avec les tapins de la rue Blondel, monter une mayonnaise pour une célèbre actrice sur le retour, appeler sa fille Trieste et se rappeler Venise… tout fait aventure quand on regarde bien et qu’on ne regrette rien. Ne pas faire grand-chose : voilà l’extraordinaire.

Faussement léger, Les fruits tombent des arbres est un roman qui explore la condition humaine contemporaine. Dans la quasi indifférence des passants, le cœur d'un homme s'est arrêté de battre à l'arrêt de bus de la ligne 69. Sa vie s'est terminée devant le numéro 112 de la rue de la Roquette. Triste sort. Au même moment, Pierre achetait des pamplemousses. Perturbé par cette mort soudaine, il ne sait qu'une chose, son voisin attendait le bus, direction Gambetta. Dès lors, Pierre, quinquagénaire un peu paumé, va arpenter cette ligne à la recherche du rendez-vous manqué de son voisin méconnu. S'ensuit une déambulation tant dans le quartier, que dans le quotidien de Pierre. Il observe, explique, digresse. Rien d'extraordinaire. Et pourtant...

Tout le talent de Florent Oiseau tient dans la poésie avec laquelle il dépeint l'infime quotidien de tout un chacun. Il porte un regard tendre et humain sur ce qui l'entoure, ces petites gens, ces petits riens qui mis bout à bout, forment ce qui pourrait bien ressembler au bonheur. L'auteur rend hommage à tous ceux que l'on ne voit plus, ces invisibles urbains. Il analyse, dissèque les faits et informations glanés de-ci, de-là. Le tout s'enchaîne délicieusement, est prétexte à réflexion, à mise en exergue de nos paradoxes. L'ensemble est empreint d'une grande humanité et d'une charmante mélancolie.

Entre douceur et amertume, Les fruits tombent des arbres rend un bel hommage à l'art de ne pas faire grand chose et fait l'apologie de l'ordinaire. Un conseil, cueillez ce livre et régalez-vous !

Belle lecture !

lundi 1 novembre 2021

Mon avis sur "Seule en sa demeure" de Cécile Coulon

Après Une bête au paradis, Cécile Coulon nous embarque pour cette rentrée littéraire dans l'enfer du mariage arrangé comme il en existait tant au dix-neuvième siècle. Bienvenue dans le Jura où se déroule Seule en sa demeure, le huitième roman de l'auteure publié chez L'Iconoclaste.

À dix-huit ans, Aimée se plie au charme froid de Candre Marchère, un riche propriétaire terrien du Jura. Pleine d’espoir et d’illusions, elle quitte sa famille pour le domaine de la Forêt d’Or. Mais très vite, elle se heurte au silence de son mari, à la toute-puissance d’Henria, la servante. Encerclée par la forêt dense, étourdie par les cris d’oiseaux, Aimée cherche sa place. La demeure est hantée par le fantôme d’Aleth, la première épouse de Candre, morte subitement peu de temps après son mariage. Aimée dort dans son lit, porte ses robes, se donne au même homme. Que lui est-il arrivé ? Jusqu’au jour où Émeline, venue donner des cours de flûte, fait éclater ce monde clos. Au fil des leçons, sa présence trouble Aimée, éveille sa sensualité. La Forêt d’Or devient alors le théâtre de désirs et de secrets enchâssés.

Seule en sa demeure est une histoire de domination, de passions et d’amours empêchés. Cécile Coulon mélange les styles et les références littéraires. Les premiers chapitres font référence au classicisme des romans du XIXème. On a l'impression d'avoir ouvert un livre d'Honoré de Balzac ou de Jane Austen. Puis, le mariage célébré, nous voici spectateur d'un huis clos pour le moins fantastique. Le fantôme de l'ancienne épouse vient troubler la tranquillité des lieux, sans compter l'énigmatique servante et son démoniaque descendant. Dès lors, on bascule dans l'univers merveilleux qui caractérise les contes. À l'innocence et à la légèreté du début, succède l'angoisse et le mystère. Et parce que l'auteure prend un malin plaisir à planter le décor, à décrire les lieux, la forêt et les atmosphères, le tout est vraiment intrigant. Si l'on y ajoute son écriture toujours aussi acérée, puissante et poétique, Seule en sa demeure devient un roman vraiment prenant. 

Néanmoins et même si les différentes ambiances sont parfaitement rendues, l'environnement magistralement dépeint, il n'en demeure pas moins que j'aurais aimé que les personnages soient un peu plus incarnés, leur psychologie et leur histoire plus déflorées. À l'exception d'Aimée, j'ai eu le sentiment que les autres protagonistes étaient relayés au second plan. J'aurais aimé en savoir plus sur le silencieux Candre, sur l'envoûtante Aleth, la précédente épouse, sur l'énigmatique gouvernante, Henria, et la stricte Émeline. J'aurais aimé un peu plus de puissance et d'incarnation. 

En dépit de ces quelques regrets et même s'il est en-deçà de Une bête au paradis, Seule en sa demeure reste un roman très agréable à lire et Cécile Coulon une valeur sûre.

Belle lecture !