lundi 30 septembre 2019

Hors Concours, le prix de l'édition qui n'a pas de prix

Tous les amoureux de la littérature le savent, Septembre est le mois de la rentrée littéraire, Novembre celui des prix. Goncourt, Renaudot, Femina, Interallié, Médicis... autant de prestigieuses récompenses qui en font rêver plus d'un. Mais saviez-vous que depuis 2016, il existe un autre prix ? Un prix qui n'a pas de prix, le Hors Concours


Ce prix met en valeur l’édition indépendante auprès du grand public et des professionnels du livre en récompensant chaque année l'auteur d'un roman ou récit francophone, publié par un éditeur indépendant. En 2017, le prix Hors Concours a donné la possibilité aux lecteurs de participer aux sélections en intégrant l'Académie des lecteurs, j'avais alors participé à cette aventure. Cette même année, l'Académie a créé le prix Hors Concours des lycéens. Proposé par les enseignants ou les documentalistes à leurs élèves, le prix Hors Concours des lycéens s'appuie sur la même sélection que le prix Hors Concours, seul le calendrier change car adapté au rythme scolaire.

Le prix Hors Concours décerne donc trois prix : le prix Hors Concours, la mention spéciale de l'Académie des lecteurs, le prix Hors Concours des lycéens.

Et côté sélection ? Chaque éditeur indépendant doit proposer un titre de littérature adulte paru entre le 1er mars de l’année précédente et le 1er octobre de l’année en cours. Le titre présenté doit être un ouvrage de création (pas de réédition), francophone (pas de traduction). Il doit être publié à compte d’éditeur (pas d’édition à compte d’auteur ou d’auto-édition) au sein du catalogue d'une maison d'édition indépendante (n'appartenant pas à un grand groupe d'édition ou de communication, de moins d'un million de chiffre d'affaires). Parmi les propositions, l'Académie en sélectionne quarante. Des extraits de ces 40 textes sont publiés dans la Bibliothèque Hors Concours laquelle est ensuite adressée au jury composé de cinq journalistes, de trois cents professionnels du livre et de deux cents lecteurs. La sélection 2019 se trouve ici

Pour ma part, après lecture  du recueil, j'ai voté pour les cinq romans suivants : 

Hors d'atteinte : Mehdi Charef
Le Lamantin : Gilles Sevastos
Le Passage : Jean-Baptiste Maudet
Rue de l’Échiquier : Géraldine Collet
Tusitala : Martin Mongin

Les cinq romans pour lesquels j'ai voté

Courant octobre l'Académie Hors Concours annoncera les cinq finalistes du prix Hors Concours 2019. Les cinq journalistes du jury liront les cinq œuvres complètes et choisiront lors d'une délibération à huis clos leur lauréat. Pendant ce temps, les professionnels du livre et l'Académie des lecteurs liront également les cinq ouvrages et voteront en ligne pour attribuer les mentions spéciales. C'est en décembre que l'Académie Hors Concours divulguera le lauréat du prix Hors Concours 2019 lors d'une Cérémonie à la Société des Gens de Lettres, soirée à laquelle sont conviés les éditeurs, les auteurs, les professionnels du livre et les lecteurs.

Quand on vous dit que le Hors Concours est un prix qui n'a pas de prix, aucun autre ne peut l'égaler.

Belle lecture !

Mon avis sur "Ásta" de Jón Kalman Stefánsson

Jón Kalman Stefánsson est un romancier, poète et traducteur islandais. Son oeuvre a reçu les plus hautes distinctions littéraires de son pays, il est l'un des auteurs les plus importants. Ásta est son sixième livre traduit. Il est disponible en format poche chez Folio que je remercie. Grâce à vous, j'ai découvert non seulement un auteur, une plume, mais également un univers.

Pour tromper le monde, je m’habille avec élégance chaque fois que je sors. J’allume mon sourire. Je maquille un peu ma tristesse puis je mets mes lunettes de soleil pour que personne ne remarque ton absence au fond de mes yeux.
Reykjavík, début des années 50. Sigvaldi et Helga décident de nommer leur fille Ásta, d’après une grande héroïne de littérature islandaise. Un prénom signifiant, à une lettre près, amour et qui, croient-ils, ne peut que porter chance à leur fille... Mais amour ne veut pas dire bonheur, et les sentiments ne sont pas éternels. 

Difficile de résumer Ásta. Les quasi cinq cents pages renferment le récit de sa vie narré par son père mourant. Ásta a jadis été jeune, mais est nettement plus âgée au moment où ces lignes ont été écrites ou, plutôt hâtivement griffonnées. Mais comment raconter l'histoire d'une personne sans présenter l'univers qui la voit naître, sans évoquer cette atmosphère, cet air du temps qui retient le ciel ? Ásta est tel un puzzle géant mêlant présent et passé. On y croise outre ses parents, Sigvaldi et Helga qui se sont aimés passionnément des décennies durant, sa nourrice, sa sœur, sa famille, celles et ceux qu'elle a rencontrés, qu'elle a aimés. On traverse les époques, les lieux, les ambiances. Rien n'est linéaire. On emprunte des chemins incertains. On avance et recule. Nous vivons en même temps à toutes les époques.

Difficile de restituer son ressenti tant ce roman est singulier, lyrique, charnel. Ásta est un roman envoûtant à l'instar de l'Islande. Pour l'apprécier à sa juste valeur, il faut accepter de se laisser porter par la narration, faire confiance à Jón Kalman Stefánsson qui a intelligemment construit son récit. Ásta raconte la vie ordinaire, l'urgence autant que la difficulté d'aimer malgré notre quête du bonheur.

Do I love you, do I ? Il est difficile de trouver plus grande question. Celle-là a sans doute la taille du soleil, ou peut-être d'un astéroïde incandescent qui s'apprête à tomber sur terre... (p. 151)

Un conseil, laissez-vous gagner par la plume à la fois mélancolique et intense de ce conteur d'exception qu'est Jón Kalman Stefánsson.

Belle lecture !

dimanche 29 septembre 2019

Mon avis sur "L'éternel printemps" de Marc Pautrel

Marc Pautrel est l'auteur de nombreux romans. Il publie en cette rentrée littéraire L'éternel printemps. Un court roman publié chez Gallimard que je remercie ainsi que son éternel complice, Babelio.

Il est auteur, elle est libraire. Ils se sont rencontrés lors d'un déjeuner entre amis. Elle a près de dix ans de plus que lui. Elle n'a personne dans sa vie actuellement. De son côté, elle sait qu'il est séparé. Elle a été mariée, a divorcé, n’a pas d’enfants. Elle sort peu, mais elle aime aller au restaurant. Parler sans fin en mangeant est également un de ses grands plaisirs.
De déjeuners en promenades, ils apprécient échanger sur tout, sur rien, sur les livres, l'écriture, les généralités, leur intimité. La chaleur de la ville est étouffante, suffocante. 

L'éternel printemps est un monologue de cent douze pages. Au fil de longues discussions le narrateur tombe sous le charme de cette femme plus âgée, pas vraiment belle, mais terriblement attirante. Ils partagent l'amour des mots, des livres. Les jours passent. Ils échangent d'abord dans sa librairie à elle puis autour de déjeuners et enfin de dîners. Malgré la chaleur écrasante, ils marchent  comme ils discutent. Côte à côte. Sans but. Au gré de leurs promenades, une relation platonique s'installe. Inlassablement il la courtise, inlassablement elle esquive tout rapprochement. Il parviendra cependant à la ramener jusqu'à sa porte, sans toutefois la franchir. Si le printemps auprès de cette femme débordant de joie et d'énergie est éternel, ces discussions et rencontres peuvent-elles vraiment s'éterniser ? 

Marc Pautrel cultive l'art de la conversation à la française et de la séduction. La rondeur de son écriture poétique nous enveloppe jusqu'à nous faire oublier la passivité de cet amour naissant. Sa plume est aussi légère qu'un nuage, aussi douce qu'une caresse. L'éternel printemps se déguste plus qu'il ne se dévore. Au fil des pages, on se laisse gagner par cette chaleur qui envahit les corps et les cœurs.

Douce lecture !

samedi 28 septembre 2019

Mon avis sur "Baïkonour" d'Odile d'Oultremont

Après un premier roman qui a reçu en 2018 le prix de la Closerie des Lilas, Odile d'Oultremont revient avec un second roman, Baïkonour. Il est publié aux Éditions de l'Observatoire et fait partie de la sélection de la rentrée d’automne 2019 des 68 premières fois.

Anka vit au bord du golfe de Gascogne, dans une petite ville de Bretagne offerte à la houle et aux rafales. Fascinée par l'océan, la jeune femme rêve depuis toujours de prendre le large. Jusqu'au jour où la mer lui ravit ce père qu'elle aimait tant : Vladimir, pêcheur aguerri et capitaine du Baïkonour.
Sur le chantier déployé un peu plus loin, Marcus est grutier. Depuis les hauteurs de sa cabine, à cinquante mètres du sol, il orchestre les travaux et observe, passionné, la vie qui se meut en contrebas. Chaque jour, il attend le passage d'une inconnue. Un matin, distrait par la contemplation de cette jeune femme, il chute depuis la flèche de sa grue et bascule dans le coma. 
Quelque part entre ciel et mer, les destins de ces deux êtres que tout oppose se croiseront-ils enfin ?

Baïkonour est un roman entre ciel et mer, entre hauteur et profondeur. Grâce à sa plume aérienne, Odile d'Oultremont aborde toute en subtilité, douceur et mélancolie notre rapport au deuil, à l'héritage et à la renaissance ce, à travers des portraits de gens ordinaires. Le tout est baigné par la houle du Golfe de Gascogne. Baïkonour nous ballotte sur mer et dans les airs. Les personnages centraux que sont Anka et Marcus sont délicatement touchants. L'une l'est parce que bouleversée par la perte de ce père que la mer a englouti, par cette mère qui se réfugie dans le déni. L'autre l'est en raison de sa timidité qui le fera trébucher et le mènera inerte sur un lit d’hôpital. Entre ciel et mer il y a la terre. C'est donc là que deux êtres se trouveront, parviendront-ils ensemble à un certain bonheur ?

Et justement, du bonheur il y en a dans BaïkonourBercée par les flots, par les mots, par la poésie d'Odile d'Oultremont, j'ai aimé me promener cheveux au vent sur le port de cette petite ville de Bretagne, côtoyer ces marins pêcheurs, enfiler une blouse à fleurs, me faire chahuter par ces bourrasques du haut de cette grue de chantier. Au fil des pages, l'iode, l'odeur de soupes, de l'ammoniaque, de l’éther m'ont enveloppée. Puis, lorsque l'horizon s'est éclairci, je suis partie.

Beau voyage, belle lecture !

jeudi 26 septembre 2019

Mon avis sur "Animal" de Sandrine Collette

J'en avais envie, Polar'Osny l'a fait. En effet, voici quelque temps que je voyais passer son nom, que son univers semblait faire mouche auprès des lecteurs, alors lorsque dans le cadre du festival du roman policier qui se déroulera à Osny du 12 au 30 novembre prochain, on m'a demandé de chroniquer un des auteurs parmi les invités. Sans hésitation, j'ai choisi Sandrine Collette. Animal est son dernier et septième roman. Ambiance...

Dans l’obscurité dense de la forêt népalaise, Mara découvre deux très jeunes enfants ligotés à un arbre. Elle sait qu’elle ne devrait pas s’en mêler. Pourtant, elle les délivre, et fuit avec eux vers la grande ville où ils pourront se cacher. Elle les a baptisés Nin et Nun. 
Vingt ans plus tard, dans une autre forêt, au milieu des volcans du Kamtchatka, débarque un groupe de chasseurs. Parmi eux, Lior, une Française. Comment cette jeune femme peut-elle être aussi exaltée par la chasse, voilà un mystère que son mari, qui l’adore, n’a jamais résolu. Quand elle chasse, le regard de Lior tourne à l’étrange, son pas devient souple. Elle semble partie prenante de la nature, douée d’un flair affûté, dangereuse. Elle a quelque chose d’animal. Cette fois, guidés par un vieil homme à la parole rare, Lior et les autres sont lancés sur les traces d’un ours. Un ours qui les a repérés, bien sûr. Et qui va entraîner Lior bien au-delà de ses limites, la forçant à affronter enfin la vérité sur elle-même.

Animal est un roman qui réunit noirceur et tension. Dès les toutes premières pages Sandrine Collette plonge le lecteur dans une jungle faite de misère et d'un ailleurs. Une singulière cellule familiale se compose pour se décomposer quelques pages plus loin. Vingt ans ont passé. Le lecteur impuissant est propulsé en Extrême-Orient russe et assiste à une grande chasse. Une femme et un groupe d'hommes traquent l'ours à moins que ce ne soit l'inverse. Animal et humains se jaugent, se défient. L'hostilité de l'environnement naturel à laquelle s'ajoute la détermination à exterminer la bête révèlent l'animalité de l'Homme. Si les grands espaces sont généralement propices au voyage intérieur et à une certaine quiétude, Sandrine Collette n'hésite pas à démontrer que la traque de l'Animal qu'il soit ours ou tigre, peut faire surgir une quête. Et si Lior, cette femme que la chasse rend méconnaissable, ne poursuivait pas qu'un animal sauvage, si cet univers la propulsait vers un ailleurs plus sombre pour l'aider à dépasser ses peurs et ses traumatismes ?

Animal met en lumière l'intelligence et l'humanité des animaux pour mieux décortiquer la nature humaine capable d'animalité. Sous la plume acérée de Sandrine Collette, l'être humain devient Animal, l'Animal devient humain.

Puisque la chasse est ouverte, avant d'aller traquer le gibier un conseil, lisez Animal.

Belle lecture !

jeudi 19 septembre 2019

Mon avis sur "L'homme qui n'aimait plus les chats" d'Isabelle Aupy

L'homme qui n'aimait plus les chats est non seulement le premier roman d'Isabelle Aupy, mais également le premier roman publié par Les éditions du panseur, toute nouvelle maison d'édition.  Enfin, c'est le premier roman reçu dans le cadre de la saison automnale 2019 des 68 premières fois. Que de premières ! 

Imaginez une île avec des chats. Des domestiqués, des pantouflards et des errants, qui se baladent un peu chez l'un, un peu chez l'autre, pas faciles à apprivoiser, mais qui aiment bien se laisser caresser de temps en temps. Et puis aussi, des qui viennent toujours quand on les appelle, des qui s'échappent la nuit pour funambuler sur les toits, d'autres qui rentrent au contraire pour se blottir contre soi.
Sur cette île point de chiens, enfin si peu que ça ne comptait pas. Et puis, sans qu'on le voie vraiment d'ailleurs, les chats ont disparu.

Dans L'homme qui n'aimait plus les chats, il y a ce goût de sel et d'embruns, ce vent qui met la pagaille et donc remet tout en ordre. Il y a la voix de ce vieil homme qui nous raconte son histoire et celle des autres, qui parle de vivre ensemble, mais surtout qui cherche ses mots aux accents de son émotion pour comprendre un monde où le langage se manipule pour changer les idées. 

Intelligemment construit, à travers une énigme et des figures métaphoriques, ce court roman fait écho à notre Société. Il interpelle et amène subtilement le lecteur à s'interroger sur la notion de liberté, de différence et de manipulation. Ce n'est d'ailleurs pas par hasard que le chat, animal domestique indépendant, a été introduit sur une île pour tenir compagnie aux insulaires. De même que ce n'est pas par hasard qu'une fois disparus les chats sont remplacés par des chiens, enfin des "non-chiens". De la liberté à l’aliénation, n'y aurait-il qu'un pas ? L'homme qui n'aimait plus les chats est le récit d'un vieil homme qui à première vue semble décousu, invraisemblable, mais qui au fil des pages prend forme, fait sens. Entre conte et dystopie, ce premier roman est original et subtil. Isabelle Aupy manie la plume et les mots avec poésie et tout en finesse. 

Différence et exigence sont le leitmotiv des éditions du panseur. Ils affirment vouloir proposer aux lecteurs un voyage où chaque livre est une avancée sur une route sinueuse faite de courbes douces comme de virages serrés ; où chaque histoire est une traversée parsemée d’obstacles à dépasser, contourner ou briser ; où chaque rencontre est une surprise. L'homme qui n'aimait plus les chats c'est tout cela à la fois. Les "sans-chiens", les "avec-chats" s'expriment, s'opposent, se rencontrent. 

Ce premier roman est un objet singulier. Son design, sa couverture méritent à eux seuls qu'on s'y attarde. Puis viennent les mots. Le tout nous fait ronronner de plaisir. L'homme qui n'aimait plus les chats a reçu le prix "Coup de foudre" aux Vendanges littéraires de Rivesaltes. Quelle première fois !

Belle lecture !

jeudi 12 septembre 2019

Mon avis sur "L'Américaine" de Catherine Bardon

Rappelez-vous, il y a quelques semaines, un souffle romanesque m'embarqua de Vienne à Sosùa en République dominicaine. C'était avec Les déracinés le premier opus de cette saga familiale. L'Américaine n'est autre que la suite du primo roman de Catherine Bardon. Inutile d'avoir lu le premier pour se plonger dans le second. Néanmoins au vu des nombreux analepses, il est tout de même conseiller de les découvrir dans l'ordre de leur publication.

Septembre 1961. Depuis le pont du bateau sur lequel elle a embarqué, Ruth tourne le dos à son île natale, la République dominicaine. 
En ligne de mire : New York, l’université, un stage au Times. Une nouvelle vie… Elle n’en doute pas, bientôt elle sera journaliste comme l’était son père, Wilhelm.
Ruth devient très vite une véritable New-Yorkaise et vit au rythme du rock, de l’amitié et des amours. Des bouleversements du temps aussi : l’assassinat de Kennedy, la marche pour les droits civiques, les frémissements de la contre culture, l’opposition de la jeunesse à la guerre du Viêt Nam…

Mais Ruth, qui a laissé derrière elle les siens dans un pays gangrené par la dictature où la guerre civile fait rage, s’interroge et se cherche. Qui est- elle vraiment ? Dominicaine, née de parents juifs autrichiens ? Américaine d’adoption ? Où va-t-elle construire sa vie, elle dont les parents ont dû tout fuir et réinventer leur existence ? Trouvera-t-elle la réponse en Israël où vit Svenja, sa marraine ?

Ecrire une suite après un premier roman qui plus est lorsqu'il a été très bien accueilli par les lecteurs, est un exercice difficile et particulièrement risqué. Catherine Bardon a su relever le défi. Bien que L'Américaine soit de mon point de vue un peu en deçà du premier opus, notamment parce qu'il est moins rythmé, moins romanesque, c'est avec plaisir que j'ai retrouvé ceux qui ont fait Les déracinésEntrelaçant encore une fois petite et grande histoire, explorant la question de l’exil et de la quête des racines, Catherine Bardon  nous livre à travers le parcours de Ruth une radiographie des États-Unis des années 1960, tout en poursuivant l'histoire d'Almah, de Frédérick, d'Aaron, Myriam, Svenja, Markus et les autres...

Si de prime abord les thèmes explorés par l'auteure semblent similaires d'un roman à l'autre, il convient de souligner que l'exil de Ruth aux Etats-Unis après le décès de son père est volontaire et qu'à aucun moment il ne s'impose à elle en raison de faits extérieurs. Si cette jeune femme tout juste sortie de l'adolescence ressent le besoin de rompre avec les siens c'est uniquement pour répondre à une question existentielle qui la taraude. Qui est-elle ?Née en République dominicaine de parents juifs autrichiens, parachutée à New York, Ruth est perdue. Est-elle juive, dominicaine, américaine ? S'exiler sera pour elle non seulement l'occasion de convoquer le passé de ses parents pour mieux le comprendre mais surtout pour trouver son identité. Mais si Ruth choisit de s'éloigner des siens, c'est également pour exister indépendamment de sa mère, cette femme flamboyante au destin si singulier, cette femme qu'elle a mis sur un piédestal.
Partir non pas pour fuir, mais partir pour se trouver, telle est la démarche de Ruth, telle est la thématique de L'Américaine.

Catherine Bardon a réussi ce pari fou mais pas impossible de convoquer le passé des parents pour aider la fille à mieux définir son futur. Elle fait du second opus, L'Américaine, un roman miroir du premier, Les déracinés. Bien qu'un peu moins exaltant, moins fouillé d'un point de vue historique L'Américaine reste un roman plaisant à lire. On y croise énormément de personnages, ceux qui ont fait Les déracinés mais également ceux qui ont fait l'Amérique tels Marilyn Monroe,  John Fitzgerald Kennedy, Martin Luter King, les hippies, les Rock Stars... 

Dans L'Américaine, petite et grande histoire se mêlent, s'emmêlent, s'entremêlent pour mieux dénouer celle d'une famille d'exilés qui finira par poser ses valises sur une parcelle de terre, un petit bout de paradis.

Belle lecture et pour ma part, j'adresse tous mes remerciements à la plateforme NetGalley et aux Éditions Les Escales.


mercredi 4 septembre 2019

Mon avis sur "Sale gosse" de Mathieu Palain

Mathieu Palain a grandi en banlieue parisienne à Ris-Orangis. Il rêvait de devenir footballeur ou prof de sport. Il est devenu journaliste. Pour les besoins d'un reportage, il a intégré à Auxerre la Protection judiciaire de la jeunesse, communément nommée la PJJ. Accrédité pour un mois, il en a pris pour six. Loin d'être une punition, son immersion lui a permis de côtoyer au plus près éducateurs, jeunes délinquants et tous les professionnels de la PJJ. Disposant d'énormément de matière et d'enregistrements, ce qui devait être un papier d'une quinzaine de pages s'est transformé en roman. Un premier roman. Sale gosse. Il est disponible aux Éditions Iconoclaste, que je remercie au passage tout comme Babelio

Wilfried n’est pas né sous une bonne étoile. Retiré à sa mère à huit mois, il est recueilli par les services de la Protection judiciaire de la jeunesse et placé dans une famille aimante. Les années passent. Et malgré son enfance chaotique, Wilfried parvient à intégrer un club de football. Le garçon est doué, mais il reste fragile. Un jour, dans un accès de rage, il frappe un autre joueur ; il est exclu du club. Alors il retrouve le quartier où l’horizon ne dépasse pas les tours. Retour à la case départ. Il sombre peu à peu dans une délinquance qui le conduira de nouveau à fréquenter la PJJC’est là qu’il rencontre Nina, éducatrice. Pour elle, chaque jour est une course contre la montre ; il faut sortir ces ados de l’engrenage. Avec Wilfried, un lien particulier se noue.

Sale gosse est un roman percutant. Il faut dire que Mathieu Palain a grandi avec la PJJ. Non pas qu'il fut lui-même un sale gosse, mais son père était éducateur à la Protection judiciaire de la jeunesse. Bien qu'il était du genre taiseux et ne parlait que très peu de son travail, les noms des jeunes et des collègues résonnaient après le dîner. Plus tard, alors que Mathieu Palain était stagiaire à Libération, Polisse de Maïwenn est sorti en salle. Touché par ce film, l'auteur en a parlé avec un ami de son père, Salem, ancien éducateur, devenu directeur de la PJJ de l'Essonne. Salem trouvait ce film très en-deçà de la réalité. Du coup, Mathieu Palain a eu envie de voir à quoi elle ressemble, cette réalité. Il a vu. Il a vu aussi tous ces anciens collègues, ces sales gosses devenus des hommes qui sont venus accompagnés de leurs femme et enfants dire au revoir à Salem qui a été emporté d'un putain de cancer. C'est ainsi qu'est née l'envie d'intégrer une PJJ. Pour voir et témoigner.

Avec sa plume hyper-réaliste, Mathieu Palain parvient à nous plonger dans le quotidien de ces héros anonymes et raconte avec empathie une réalité urbaine, bouleversante d’humanité. Bien qu'il s'agisse d'un roman l'auteur a précisé avoir écrit Sale gosse à partir d'histoires vraies, les personnes existent, il les connait. Et c'est là toute la force de ce récit. Il est crédible. Crédible par ce qu'il dit de la misère sociale de certaines banlieues, par ce qu'il montre du peu de moyens dont dispose les services de la PJJ, par la mise en lumière de l'engagement voire le surinvestissement de ces hommes et ces femmes. Mathieu Palain ne prête pas à ses personnages un langage trop politiquement correct. Les mots claquent. Les vannes fusent. Les expressions sont crues. Le langage est familier, très familier. Sale gosse est un roman certes, mais un roman au réalisme saisissant qui témoigne de la difficile mission de la PJJ et du manque de repères d'une certaine jeunesse. L'avantage c'est qu'à la différence d'un reportage, l'auteur a toute latitude pour achever son roman sur une note d'espoir...

Un conseil, pour comprendre, lisez Sale gosse
Belle lecture !

Mathieu Palain (à droite) lors de la rencontre organisée par
Babelio dans les locaux des Éditions Iconoclaste le 3 sept-19.


dimanche 1 septembre 2019

Mon avis sur "San Perdido" de David Zukerman

San Perdido est le premier roman publié de David Zukerman, un auteur au parcours atypique, jugez plutôt ! 
Ce dernier a été successivement ouvrier spécialisé, homme de ménage, plongeur, contrôleur dans un cinéma, membre d’un groupe de rock, comédien et metteur en scène. Il a également écrit une quinzaine de pièces de théâtre, dont certaines furent diffusées sur France Culture et quatre romans qu’il n’a jamais voulu envoyer à des éditeurs. Original, non ? Limite héroïque.

Qu’est-ce qu’un héros, sinon un homme qui réalise un jour les rêves secrets de tout un peuple ?
Un matin de printemps, dans la décharge à ciel ouvert de San Perdido, petite ville côtière du Panama aussi impitoyable que colorée, apparaît un enfant noir aux yeux bleus. Un orphelin muet qui n’a pour seul talent apparent qu’une force singulière dans les mains. Il va pourtant survivre et devenir une légende. Venu de nulle part, cet enfant mystérieux au regard magnétique endossera le rôle de justicier silencieux au service des femmes et des opprimés et deviendra le héros d’une population jusque-là oubliée de Dieu.

David Zukerman nous sert ici une fable sociale venue tout droit du Panama, de la décharge de San Perdido plus précisément. Cet amoncellement d'ordures à ciel ouvert permet aux laissés-pour-compte de survivre. Non loin de là, sur les hauteurs de la ville, vivent les nantis. Se considérant intouchables, s'arrangeant avec leur morale, ces derniers n'ont aucun scrupule à exploiter les premiers pour nourrir leurs trafics en tout genre. Ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'un jeune garçon énigmatique, un taiseux parce que muet à la peau aussi sombre que ses yeux sont clairs et doté d'une force surhumaine, les observent. 

David Zukerman insuffle un vent romanesque sur San Perdido. Sous le ciel panaméen, il fait évoluer des personnages hauts en couleur, certains même hauts en douleur et un héros digne de ce nom. Le tout est parfaitement rythmé, intelligemment construit. C'est pittoresque, vif, dépaysant. C'est de la littérature comme on l'aime mixant fiction et réalité. Le tout est particulièrement visuel. Les lignes défilent, les aventures également. 

San Perdido est un premier roman somme toute inclassable à la fois conte, fable sociale, roman d'aventure. Bref, je ne sais qu'une chose c'est que David Zukerman livre au public un roman très abouti qui à n'en pas douter, va ravir les lecteurs. San Perdido est à découvrir à tout prix. Je remercie à ce titre les 68 premières fois de cet excellent choix.

Et si les quatre autres romans écrits par l'auteur sont du même acabit, ce serait dommage qu'il nous prive de sa belle plume fluide et aérienne. À bon entendeur...

Belle lecture !