vendredi 23 octobre 2020

Mon avis sur "Elles m'attendaient..." de Tom Noti

Enfant d'une famille d'ouvriers d'origine italienne, Tom Noti est instituteur. Il vit au creux de montagnes majestueuses qui sont son oxygène. Lecteur et solitaire, il a toujours eu le désir d'écrire, en réaction contre le poids de la vie familiale mais il se l'est longtemps interdit croyant que la littérature était une affaire de castes. C’est en incitant ses fils à vivre leurs rêves que le boomerang des passions intimes lui est revenu en pleine tête. Il s’est donc jeté sur ses pages restées trop blanches, trop longtemps, pour être désormais, l’auteur de plusieurs romans. Ses histoires racontent les gens qui avancent, vaille que vaille, avec leurs sentiments en bandoulière et les casseroles qu’ils trimballent. Elles m'attendaient est l'une d'elles et disponible aux Éditions La Trace. 

Deux personnes s'aiment et leurs solitudes s'aimantent. Cela ressemble à une histoire d'amour simple et lumineuse, mais c'est sans compter sur les ombres que Max cache derrière ses silences... 
Elles m'attendaient... aurait pu être une simple histoire d'amour, si tant est que les histoires d'amour soient simples, mais c'est bien plus que cela. Elles m'attendaient... c'est une jolie histoire qui commence à une terrasse de café. Une histoire de larme qui effleure de longs cils et qui va accrocher le cœur d'une comète, Halley. Elles m'attendaient... est aussi une histoire de symphonie avec des violons, et tous les instruments les plus délicats de la Terre. Une histoire de parents et d'une petite Rosie. Elles m'attendaient... c'est surtout une histoire de silences et de sentiments délicatement pesés. Des silences qui vont devenir si assourdissants qu'ils vont le faire chuter. De la chaleur de son foyer à celle de l'alcool il n'y avait qu'un saut que Max a franchi. Rattrapé par son passé, qui l'a étreint, pris à la gorge, aux tripes et au cœur Max n'a pas eu la force de retenir ce bonheur qu'il devinait éphémère... Ses démons l'ont amené à fuir son cocon familial pour échouer sur la ouate d'un sac de couchage au bout de la rue. Halley et Rosie ont un mari et un papa à part. Un mari et un papa pas comme les autres...

Bien que Elles m'attendaient... soit un court roman de 142 pages, sa densité en émotions est telle qu'il est de ceux qui reste à jamais gravé dans nos cœurs. Chaque mot est délicatement choisi, chaque page harmonieusement noircie, chaque scène magistralement dépeinte et chaque épreuve doucereusement douloureuse comme pour mieux résonner au plus profond de nous. Tom Noti se plaît à explorer l'âme humaine. Il nous emmène sur le bord, sur la marge pour mieux voir, pour élargir notre horizon, sortir des clichés. Il est de ces auteurs qui nous livre une littérature à la fois puissante, touchante, percutante, profondément humaine tout en étant empreinte d'une rare poésie. Aucun doute, Tom Noti a eu raison de s'accorder le droit d'écrire, parce qu'il le fait magnifiquement. Et même si son Max en visant le cœur d'une comète a atterri dans le caniveau, c'est les yeux remplis d'étoiles que j'ai découvert Elles m'attendaient... 

Belle lecture !

lundi 19 octobre 2020

Mon avis sur "L'albatros" de Nicolas Houguet

Nicolas Houguet a organisé sa vie autour de la culture. Handicapé moteur, c'est par livres ou films interposés qu'il a appris à aimer le monde. Ses études l'ont amené à réaliser que la culture était un tout, qu'elle ne se bornait pas à un domaine ou un autre. Alors, il a choisi d'être inclassable. S'intéresser autant à Tolkien qu'à Baudelaire, à Quentin Tarantino qu'à Ingmar Bergman, à Beethoven qu'à David Bowie. Son envie, c'est de décrire ce grand patchwork de références qui a fait de lui ce qu'il est. Aujourd'hui Nicolas Houguet est chroniqueur littéraire et écrivain. Amateur de littérature, de rock et blogueur reconnu, je l'ai convié à ma troisième édition du Rock'n Books pour son roman L'Albatros paru chez Stock. Et évidemment, Nicolas a eu l'honneur d'ouvrir cet évènement.

Mardi 20 octobre 2015. À l’Olympia, la foule se presse pour aller écouter Patti Smith. Nicolas emprunte une coursive, fait rouler son fauteuil jusqu’à l’ascenseur et s’installe au milieu des gradins, au-dessus de la table de mixage, absurdement placé, comme toujours. C’est la première fois qu’il se rend seul à un concert. Dans la fosse, invisible, se trouve celle qu’il a aimée et qui est partie. Soudain, Patti Smith entre en scène. Elle a soixante-huit ans, la puissance des sorcières, le regard sauvage. Gloria ! Sa voix est un ciel dans lequel Nicolas s’élance les yeux fermés. Il y retrouve l’enfance, les peines et les joies, les chers disparus, les histoires d’amour, les rêves d’un corps empêché. Il y retrouve tous les poètes, les chanteurs et les écrivains qui lui ont donné une place dans le monde. Il s’y retrouve lui. Autobiographie musicale, poétique et anticonformiste, L’Albatros est un hymne à la liberté insufflée par une Pythie des temps modernes.

Il suffit parfois d'un concert pour que tout bascule, pour qu'au gré des chansons, les souvenirs ressurgissent, que votre vie défile sous vos yeux et qu'enfin, quelque chose lâche. C'était le 20 octobre 2015, c’était à l’Olympia et c’était Elle… Elle c'est Patti Smith, cette immense rockeuse poétesse qui sans le savoir, en jouant chaque titre de son premier album Horses a permis à Nicolas Houguet de se confronter à ce qu'il avait de plus cher. Son enfance, sa famille, ses joies, ses peines, ses amours, mais également les deuils et les silences qu'il n'avait pas eu la force de briser ni de surmonter. Submergé par l'émotion, libéré de tous ses liens, c'est à ce concert que Nicolas Houguet a retrouvé cette insouciance qui l'a concentré sur l'essentiel. Grâce à la voix de Patti Smith et contrairement à l'Albatros de Beaudelaire, Nicolas a pris son envol. Avec ses ailes de géant, il a regagné ses cieux. De cette bouleversante expérience, il a décidé de mettre en musique ses maux/mots, ses émotions. C'est ainsi qu'est né L'Albatros

L'Albatros est un récit intime mais Ô combien intense. Il est des ces précieuses confessions que l'on reçoit et dont on se sent gratifié. Oui, ce livre est un cadeau. C'est une grâce qui étreint les cœurs et les corps meurtris. Bercé par les notes de musique et les titres de Patti Smith, L'Albatros nous immerge dans un bain de mélancolie, dans les affres de la douleur et des blessures passées, mais c'est nourri du suc de la vie, ce précieux liquide qui nous revigore tant, que l'on en ressort. Voilà, L'Albatros est une ode à la vie, tout simplement. Une ode à la vie servie par la plume magistrale de Nicolas Houguet et tellement sonore. L'émotion effleure les mots, les titres de Patti Smith la révèle. Le Rock et les mots, un savoureux mélange. Un conseil, laissez-vous gagner par la magie.

Belle lecture !


Nicolas Houguet - Rock'n Books
26 sept-20

L'albatros 

Charles Beaudelaire (Les fleurs du mal)


Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage

Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,

Qui suivent, indolents compagnons de voyage,

Le navire glissant sur les gouffres amers.

 

A peine les ont-ils déposés sur les planches,

Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,

Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches

Comme des avirons traîner à côté d'eux.

 

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !

Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !

L'un agace son bec avec un brûle-gueule,

L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !

 

Le Poète est semblable au prince des nuées

Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;

Exilé sur le sol au milieu des huées,

Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.


lundi 12 octobre 2020

Mon avis sur "Leurs enfants après eux" de Nicolas Mathieu

Après des études d’histoire et de cinéma et l'exercice d'une multitude de métiers, Nicolas Mathieu s'adonne à l'écriture. En 2014, il publie son premier roman, Aux animaux la guerre, dans la collection Actes noirs, et reçoit le prix Erckmann-Chatrian, le prix Transfuge du meilleur espoir Polar et le prix Mystère de la critique. Il participe à l’adaptation du roman qui devient une série diffusée sur France 3. En 2018, il remet le couvert avec Leurs enfants après eux et remporte rien de moins que le prix Goncourt ! Promesse d'une belle lecture... ou pas.

Août 1992. Une vallée perdue quelque part dans l’Est, des hauts-fourneaux qui ne brûlent plus, un lac, un après-midi de canicule. Anthony a quatorze ans, et avec son cousin, pour tuer l’ennui, il décide de voler un canoë et d’aller voir ce qui se passe de l’autre côté, sur la fameuse plage des culs-nus. Au bout, ce sera pour Anthony le premier amour, le premier été, celui qui décide de toute la suite. Ce sera le drame de la vie qui commence.
Leurs enfants après eux, c'est l'histoire d’une vallée, d’une époque, de l’adolescence, le récit politique d’une jeunesse qui, malgré l'absence d'horizon doit trouver sa voie. 

Anthony, Steph, Clem, Hacine sont dépeints de quatorze ans à vingt ans, au cours de quatre étés de 1992 à 1998 à Heillange (Hayange en Moselle). Ils grandissent dans une région dévastée par le chômage, désindustrialisée et dominée par les hauts fourneaux désaffectés évocateurs du temps où la sidérurgie rassemblait les ouvriers qui, malgré leurs difficiles conditions de travail transmettaient à leur descendance leur fierté et leur savoir-faire. Depuis que la crise est passée par là, alcoolisme, violence, ennui, désœuvrement et racisme ordinaire règnent en maître. Incapables de transmettre le moindre repère à leurs enfants, les adultes font de ces derniers des paumés qui occupent leur temps comme ils peuvent. Ils boivent, se droguent, flirtent avec la délinquance tout en essayant d'avoir un semblant de vie amoureuse. Les plus ambitieux d'entre eux ne rêvent que d'une chose, fuir cette région sinistrée, où les seules distractions se résument au foot, aux fêtes foraines, au Picon bière et à Johnny Hallyday.

Vous l'aurez compris, avec Leurs enfants après eux, Nicolas Mathieu nous propose une analyse sociologique de ces territoires délaissés qu'il a si bien connu. S'il faut bien reconnaître que le contexte est justement restitué, que la plume de l'auteur est talentueuse, que ses personnages sont criants de vérité, il n'en demeure pas moins que le tout est magistralement déprimant et que de surcroît, il ne se passe pas grand chose. Dans le genre, j'ai préféré et de loin Fief de David Lopez qui, bien qu'il n'ait pas obtenu le Goncourt m'avait frappée en plein cœur.  

Belle lecture !

dimanche 11 octobre 2020

Mon avis sur "Je ne suis plus inquiet" de Scali Delpeyrat

Scali Delpeyrat est comédien, auteur et metteur en scène. Avec sa compagnie théâtrale Le bel établissement, il monte et adapte ses textes. Homme de théâtre, mais également de cinéma et de télévision, Scali Delpeyrat est de ces acteurs qui s'invite régulièrement sur nos écrans. Pas étonnant, sa filmographie est longue comme le bras ! Si être comédien c'est dire avec justesse des mots mis en scène, être auteur c'est savoir coucher avec une harmonieuse sonorité ses maux/mots sur papier. Dès lors, être publié fait-il de l'auteur un écrivain ? Quoi qu'il en soit, lui a osé. Je ne suis plus inquiet est le premier livre publié de Scali Delpeyrat. Il est disponible à compter du 14 octobre prochain dans la collection Au singulier chez Actes Sud-Papiers.

Je ne suis plus inquiet est un court recueil de soixante trois pages et de soixante et un textes exactement. Difficile à résumer et à la fois facile tant ce livre touche tout un chacun. En effet, qui ne s'est jamais auto-interpellé de scènes du quotidien tantôt drolatiques, tantôt horripilantes ? Qui ne s'est jamais agacé du comportement d'autrui, ne s'est jamais retourné sur ses amours perdues, sur son enfance, sur ses origines ? Voilà, Je ne suis plus inquiet c'est cela. Des tranches de vie savamment et harmonieusement mises en scène. Mais il serait réducteur de s'en tenir à cela. Je ne suis plus inquiet c'est tellement plus ! C'est drôle, c'est touchant, c'est questionnant, c'est mélancolique mais c'est surtout débordant d'amour. Oui, Je ne suis plus inquiet est de ces petits livres universels fait d'éclats de rire, de sourires qui s'étirent, de sourcils qui se froncent, d'estomac qui se noue, de larmes qui perlent au coin des yeux. C'est doux, c'est tendre, c'est juste, c'est émouvant et c'est truffé d'humour. C'est à lire et à relire. 

Oui parce que Je ne suis plus inquiet est ce genre de livre qui ne trônera jamais dans une bibliothèque à l'abri de la poussière. Non. Il est de ceux qui va rejoindre cette pile posée à même le sol à la tête du lit. Oui. Je ne suis plus inquiet est de ces livres que l'on ne se lassera jamais d'ouvrir à n'importe quelle page. Sa lecture achevée, il en surgira selon le tableau dépeint, un éclat de rire, ou bien une question existentielle sur le sens de nos gestes, de nos actes, ou encore des hypothèses sur ce que nous serions si telle ou telle chose ne s'était pas produite. On s'interrogera sur nos origines, ou bien on retournera en enfance ou tout simplement, on prendra conscience de l'importance d'aimer et de savoir le dire. Oui, Je ne suis plus inquiet est ce genre de livre, exactement comme La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules de Philippe Delerm. Mais ne vous y trompez pas, il n'est point question de plaisirs minuscules, c'est même tout l'inverse ! Et comme il semblerait que Noël approche (oui, oui j'ai croisé hier avec consternation tous les apparats de cette fête dans un magasin alors même que nous ne sommes qu'au début du mois d'octobre... Comme si nous n'avions qu'une envie... Ah ces gens du marketing), bref, comme Noël approche disais-je, Je ne suis plus inquiet sera le cadeau idéal tant il est aisé de s'identifier à ces saynètes si joliment peintes, parfaitement décrites et reliées entre elles. Les mots sont subtilement choisis, le tout est délicieusement construit. Aucun doute, vous ferez des heureux !

Avant de clôturer cette chronique, ne pas oublier de dire à Scali Delpeyrat que Je ne suis pas inquiet est bon, check. / Non, lui dire qu'il est très bon, check. / Ne pas oublier d'oublier d'imaginer Scali Delpeyrat dans la scène de la minuterie, check. / Ne pas oublier demain dans le métro de prêter attention à la voix ascendante et descendante, check. / Ne pas oublier que si ma voix déraille et devient fluette, c'est juste parce que je suis émue, check. / Ne pas oublier de dire merci à Scali Delpeyrat d'avoir eu la merveilleuse idée de me faire envoyer Je ne suis plus inquiet, check. / Ne pas oublier de remercier Actes Sud et leur dire combien le livre est beau, check. / Enfin, ne pas être inquiète de savoir que l'auteur, que dis-je, que cet écrivain va lire ma chronique... hum, pas check...

Belle lecture !