lundi 30 octobre 2023

Mon avis sur "L'amour" de François Bégaudeau

François Bégaudeau est un écrivain, critique littéraire et scénariste français. Auteur de nombreux romans, on lui doit le fameux Entre les murs, inspiré par son expérience d'enseignant en ZEP au Collège Mozart à Paris qui lui a valu le Prix France Culture-Télérama et la Palme d'or au Festival de Cannes 2008 puisque ce roman a été porté à l'écran par Laurent Cantet. Pour cette rentrée littéraire, l'auteur vient nous raconter L'amour (Éditions Verticales). Et c'est exactement ce dont nous avions besoin !

J’ai voulu raconter l’amour tel qu’il est vécu la plupart du temps par la plupart des gens : sans crise ni événement. Au gré de la vie qui passe, des printemps qui reviennent et repartent. Dans la mélancolie des choses. Il est nulle part et partout, il est dans le temps même.
Les Moreau vont vivre cinquante ans côte à côte, en compagnie l’un de l’autre. C’est le bon mot : elle est sa compagne, il est son compagnon. Seule la mort les séparera, et encore ce n’est pas sûr.

L'amour entre ces deux-là s'écrit sans majuscule et en moins d'une centaine de pages. Pourtant, il a duré une cinquantaine d'années. Un amour simple et ordinaire à l'instar de la vie de Jeanne et Jacques Moreau. Elle est réceptionniste dans un hôtel, il travaille dans l’entreprise de maçonnerie de son père. Entre eux, pas de coup de foudre, pas de passion dévorante, juste une attirance qui au gré des rencontres va les mener devant Monsieur le Maire. S'ensuit le petit pavillon, l'enfant que l'on n'a pas vu grandir et voilà qu'arrivent déjà les petits-enfants. La vie sans histoire des Moreau défile au gré des pages. Une vie simple ancrée dans le quotidien, parsemée de chamailleries, d'instants bonheurs mais également de petits et grands malheurs. 

L'amour est autant d'instantanés mis bout à bout. En effet, ce roman se lit comme on feuillèterait un album de famille dont les photos auraient jauni. Avec mélancolie. On constate que le temps file, que les choses évoluent. Les téléphones sont à touches, les bouteilles de soda en plastique, les mouchoirs en papier, les têtes d’hommes nues, les machines à coudre envolées, le papier peint suranné, les baguettes tradition, les wagons non-fumeurs, les shorts de foot longs. Ils vieillissent ensemble et puis un jour l'un des deux disparaît. Alors l'autre survit.

Aucun doute, François Bégaudeau nous offre un petit bijou éminemment touchant, empli de tendresse. Certes L'amour qui unit Jeanne et Jacques n'est pas grandiloquent, mais il est profond et sincère. Il s'est construit à deux. Au jour le jour. Jusqu'à ce qu'elle devienne sa compagne et lui son compagnon. Jusqu'à ce que l'ordinaire devienne extraordinaire. Pour preuve, la longévité de leur couple ! Finalement, il n'y a pas que les amours impossibles qui fendent les cœurs, mouillent les yeux, il y a aussi celles ordinaires qui nous narrées avec brio. À lire d'une traite.

Belle lecture !

dimanche 22 octobre 2023

Mon avis sur "Au sol" de Charlotte Milandri

Avocate de formation, Charlotte Milandri est une amoureuse des mots. Pour preuve, elle est la fondatrice de l'association 68 premières fois, association qui met en lumière les premiers romans et leurs auteurs et développe des actions littéraires en milieu carcéral. Ceux qui me suivent savent que depuis plusieurs années je suis une inconditionnelle du projet associatif des 68 premières fois, lequel m'a permis de découvrir de nouvelles plumes de qualité. C'est donc à travers sa passion et les évènements qu'elle et ses comparses ont pu organiser que j'ai rencontré Charlotte Milandri. Une femme discrète, que l'on devine plus à l'aise derrière les projecteurs que sous leurs feux. Une femme qui, à l'instar de son héroïne, a opéré un virage à 180 degrés puisqu'elle a troqué sa robe d'avocate pour les livres. Charlotte Milandri est aujourd'hui responsable du service éditorial et des ateliers à l'école d'écriture Les Mots. Au sol (Éditions des Équateurs) est son premier roman.

Découper les courgettes en cubes réguliers, préparer le poulet du dimanche, sourire, oui, merci, tout va bien : cette vie-là, Claire n’en peut plus, n’en veut plus. Elle, la petite fille autrefois si docile, la jeune femme bien comme il faut, l’avocate toujours irréprochable, toujours discrète, crève de cette vie sans couleurs, sans passion, sans surprise.
Elle voudrait hurler pour faire s’écrouler les murs immaculés de cette maison où rien ne fait plus écho, claquer la porte, sentir son corps désirant, faire enfin naître le feu allumé dix ans plus tôt dans les flammes de la folle création d’un   homme : Jackson Pollock.

Ne vous fiez pas aux apparences. Bien que Claire soit à l'abri avec sa vie de famille conventionnelle, un garçonnet craquant et si sage, un mari aimant, un métier qui claque, elle n'en peut plus. Claire suffoque de cette vie où les sans s'empilent. Sans surprise. Sans inattendu. Sans déviation. Sans risque. Sans désir. Sans envie. Elle voudrait être bousculée Claire. Percutée. Oui, percutée. Exactement comme lorsqu'enfant elle a vu pour la première fois cette toile de Jackson Pollock. C'était à l'occasion d'une sortie scolaire au musée. La petite Clara qui visite le Palais la renvoie à cette époque, à ses émotions. Les mêmes qu'elle a ressenti à New York lorsqu'à l'occasion de son voyage de noces, elle a revu cette toile. Claire s'éteint. Elle se meurt. Jusqu'au jour où elle sombre. Elle ne veut que lui. Celui qui mort, lui tord le ventre. Elle veut être sa créature et qu'il soit la sienne. Elle ne veut que cela depuis qu'elle l'a rencontré, depuis qu'elle accumule les tubes de peinture. Plus que tout, elle veut le rejoindre lui et son univers. Alors Claire se laisse partir. Elle accélère la chute. Sombre. Au sol.

Pour un premier roman, Charlotte Milandri a frappé fort. Au sol est un uppercut à l'écriture âpre et saisissante qui coupe le souffle et vous laisse à terre. Ce livre est aussi dérangeant qu'intense comme peut l'être le processus de création artistique. À travers Claire, l'auteure nous (se) rappelle, s'il en était besoin, combien il est urgent de vivre, d'être accompli. Se réaliser tout simplement. Se libérer de ses chaînes, des conventions sociales et être soi. Et s'il faut sombrer pour y parvenir, alors s'engouffrer. Comme Jackson Pollock, flirter avec la folie, mais ne pas se vautrer dedans. Créer son univers. Au sol est un roman audacieux qui devrait ravir tous ceux que les romans insipides ennuient. Un grand bravo à Charlotte Milandri qui fait une entrée fracassante de l'autre côté.

Belle lecture !