vendredi 31 janvier 2020

Mon avis sur "Sauf que c'étaient des enfants" de Gabrielle Tuloup

Gabrielle Tuloup est professeur agrégée de Lettres et slameuse. Elle a grandi entre Paris et Saint-Malo. Championne de France de slam 2010, elle utilise cette discipline pour transmettre son goût de la langue aux élèves du collège Diderot d’Aubervilliers. Sauf que c'étaient des enfants est son second roman.

Un matin, la police entre dans un collège de Stains. Huit élèves, huit garçons, sont suspectés de viol en réunion sur une fille de la cité voisine, Fatima. Leur interpellation fait exploser le quotidien de chacun des adultes qui entourent les enfants. En quoi sont-ils, eux aussi, responsables ?
Il y a les parents, le principal, les surveillants, et une professeure de français, Emma, dont la réaction extrêmement vive surprend tout le monde. Tandis que l'événement ravive en elle des souvenirs douloureux, Emma s'interroge : face à ce qu'a subi Fatima, a-t-elle seulement le droit de se sentir victime ? Car il est des zones grises où la violence ne dit pas toujours son nom...

Avec beaucoup de justesse, Gabrielle Tuloup aborde de manière journalistique la question de l'abus sexuel dans notre société. Elle oppose les différents points de vue, sans prendre parti. Le drame se produit dans une zone prioritaire du 93. Le quotidien des professeurs est difficile, le manque de moyens omniprésent. En face, des jeunes, la cité, la violence, leur environnement familial, leur avenir en déshérence. Et puis, tout bascule. Un groupe de jeunes garçons a abusé d’une jeune fille. La plainte déposée par cette dernière accompagnée de sa mère mènera à l’identification des auteurs et à leur arrestation. Évidemment cette tragédie cueille tout le monde. Les autres jeunes, les professeurs, le directeur, les pions, les familles… tous vont réagir différemment face à l’infamie. D’aucuns sont tentés de nier, de minimiser, d’autres de sauvegarder les faux-semblants, s’interroger. Et puis au centre de cette affaire il y a non seulement cette jeune victime, Fatima et cette prof de français, Emma. Peu à peu la douleur de l'une raisonnera chez l'autre et leur combat convergera. 

Sauf que c'étaient des enfants commence comme un rapport administratif pour muter en roman polyphonique, une sorte de docu-fiction en somme. Il m’a, à ce titre, fait penser au film Les misérables. Quoi qu’il en soit, même si le sujet est malheureusement toujours d’actualité, même s’il est intelligemment traité, même si l’auteure fait voler en éclats les a priori, le style documentaire notamment de la première partie m’a quelque peu déstabilisée, gênée. Une fois dépassé, il n'en demeure pas moins que Gabrielle Tuloup parvient à tisser une toile psychologique fine et juste qui suscite le débat et la réflexion. 

Sauf que c'étaient des enfants est une lecture utile qui donne à réfléchir. Á lire et à faire lire !

Belle lecture !

jeudi 30 janvier 2020

Mon avis sur "Une fille sans histoire" de Constance Rivière

Ancienne élève de l’École normale supérieure de Paris, de l'Institut d'études politiques de Paris et de l'École nationale d'administration, Constance Rivière est aujourd'hui maître des requêtes au Conseil d’État. Elle fut conseillère à l’Elysée pendant la présidence de François Hollande. Une jeune fille sans histoire est son premier roman. Il est publié aux Éditions Stock et a été sélectionné par les 68 premières fois.

13 novembre 2015. Comme tous les soirs, Adèle est assise seule chez elle, inventant les vies qui se déroulent derrière les fenêtres fermées, de l’autre côté de la cour. Quand soudain, en cette nuit de presqu’hiver, elle entend des cris et des sirènes qui montent de la rue, envahissant son salon, cognant contre ses murs. La peur la saisit, elle ne sait plus où elle est, peu à peu elle dérive. Au petit matin apparaît à la télévision l’image de Matteo, un étudiant porté disparu, un visage qu’elle aimait observer dans le bar où elle travaillait. Sans y avoir réfléchi, elle décide de partir à sa recherche, elle devient sa petite amie. Dans le chaos des survivants, Adèle invente une histoire qu’elle enrichira au fil des jours, jouant le personnage qu’on attend d’elle. Les autres la regardent, frappés par son étrangeté, mais ils ne peuvent pas imaginer qu’on veuille usurper la pire des douleurs.

Une fille sans histoire est un roman certes contemporain mais ô combien troublant. Il interpelle, interroge. Jusqu'où peut-on aller pour briser sa solitude, cesser d'être transparent et enfin exister aux yeux des autres ?

Adèle est une jeune femme isolée. Sans emploi, elle vit par procuration en observant ses voisins jusqu'au jour où une opportunité se présente à elle. Sans réfléchir aux conséquences, elle va se présenter comme étant la fiancée d'une des victimes du Bataclan dont elle a découvert le portrait à la télévision. Lorsqu'elle travaillait encore au bistrot du coin, il arrivait à Adèle de servir Mattéo, celui que ses proches recherchent. Adèle va alors endosser un costume qui ne lui était pas destiné. Elle va s'enfermer dans le mensonge, se construire un personnage allant même jusqu'à se convaincre qu'elle a bien eu une relation avec ce jeune homme même si le lien qui les unissait était atypique. Dès lors, persuadée d'être une victime collatérale des attentats, Adèle va agir en veuve éplorée. Elle recevra les parents de Matteo chez elle, suivra sa dépouille jusqu'à Rome où se dérouleront les funérailles, ira même jusqu'à s'occuper des formalités administratives et vider l'appartement que le défunt occupait. Á force de se pâmer devant les médias Adèle deviendra l'une des porte-parole de l'association des victimes du Bataclan. Enfin, Adèle est. Sa solitude s'est arrêtée là où a commencé celle des proches de Mattéo. Adèle est devenue quelqu’un jusqu'à ce que la vérité éclate et qu'elle doive répondre de ses actes devant les tribunaux. 

Une fille sans histoire est un roman glaçant qui interpelle. Á force de médiatiser nos relations sociales par des images à fort impact immédiat, à force de vouloir être à tout prix reconnu, notre vie sociale ne deviendrait que mensonge. Dès lors et pour peu que l'on soit psychologiquement fragilisé, il semble aisé dans ce monde d'images de manipuler son entourage, y compris les médias. Avec une plume à la fois juste et distante et à travers la voix de ses personnages, Constance Rivière analyse ce qui peut pousser un être à s'enferrer dans le mensonge pour enfin exister aux yeux des autres.

Vous l'aurez compris, la vie d'Adèle est une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnages n'ayant pas réellement existé n'est absolument pas fortuite. Une fille sans histoire est à lire pour réfléchir.

Belle lecture !

mercredi 29 janvier 2020

Mon avis sur "J'ai cru qu'ils enlevaient toute trace de toi" de Yoan Smadja

Yoan Smadja a grandi en banlieue parisienne à Saint-Denis. Depuis 2007 il vit en Israël. Membre de l’Hashomer Hatzaïr (mouvement de jeunesse sioniste) il a participé à l'organisation d'un voyage au Rwanda pour témoigner de l’existence de génocides post Shoah et surtout de la reconstruction post traumatisme. J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi est son premier roman. Yoan Smadja en a débuté l'écriture en 2006 au retour de son voyage au Rwanda et l'a repris en 2017. Après l'avoir fait relire par un historien et une correspondante de l'AFP qui se trouvait au Rwanda en 1994, ce roman a été publié aux Éditions Belfond en 2019. Il a été sélectionné par les 68 premières fois. Il sera disponible en version poche chez Pocket dans quelques jours.

Printemps 1994. Le pays des mille collines s’embrase. Il faut s’occuper des Tutsi avant qu’ils ne s’occupent de nous.
Rose, jeune Tutsi muette, écrit tous les jours à Daniel, son mari médecin, souvent absent. Elle lui raconte ses journées avec leur fils Joseph, lui adresse des lettres d’amour… Jusqu’au jour où écrire devient une nécessité pour se retrouver. Obligée de fuir leur maison, Rose continue de noircir les pages de son cahier dans l’espoir que Daniel puisse suivre sa trace.
Sacha est une journaliste française envoyée en Afrique du Sud pour couvrir les premières élections démocratiques post-apartheid. Par instinct, elle suit les nombreux convois de machettes qui se rendent au Rwanda. Plongée dans l’horreur et l’indicible, pour la première fois de sa vie de reporter de guerre, Sacha va poser son carnet et cesser d’écrire…

J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi s'ouvre sur l'odeur délicate et enveloppante de la vanille qui rappelle l'enfance et rassure pour se poursuivre dans tout ce que notre formidable humanité a de pire, massacrer des êtres pour ce qu'ils sont. Bourreaux et victimes étaient voisins, les uns régalaient les autres, jusqu'à ce que vienne le temps de la stigmatisation, de la persécution et de la mise à mort de toute une population, les Tutsi. 

C'est à travers les écrits de deux femmes que Yoan Smadja évoque le dernier des génocides du vingtième siècle. L'une est française et journaliste, l'autre est Tutsi, muette et à la recherche de son mari médecin humanitaire. Sacha et Rose ont en commun l'écriture. L'une écrit pour le journal qui l'emploie, l'autre pour celui qu'elle aime, Daniel, son mari. Sacha témoigne de l'horreur alors que Rose évoque avec nostalgie son père, son enfance dans ce Rwanda d’antan, la rencontre avec celui qui deviendra le père de son fils, Joseph. D'une écriture à l'autre, le destin de ces deux femmes va finir par se croiser, se lier. L'une finira par déposer la plume perdant le goût des mots, tandis que l'autre s'y accrochera tel un remède contre l'horreur et l'inhumanité.

Bien que J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi aborde l'indicible, ce roman n'en demeure pas moins lumineux, certainement parce que Yoan Smadja oppose avec sensibilité et intelligence l'amour à la folie des hommes, l'espoir à la mort. Le tout est savamment dosé de sorte que la balance ne penche ni du côté du pathos, ni de celui de la mièvrerie.

J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi est un premier roman émouvant, puissant, qui fait appel à nos sens et milite pour qu'ensemble nous veillons vraiment à ce que plus jamais de telles horreurs ne se reproduisent. Un conseil, lisez-le, vous n'en ressortirez pas indemne.

Belle lecture !

jeudi 23 janvier 2020

Mon avis sur "Après la fête" de Lola Nicolle

Lola Nicolle est éditrice. Elle est l’auteure d’un recueil de poésie et a participé à un ouvrage collectif. Après la fête est son premier roman. Je l'ai lu dans le cadre de mon adhésion aux 68 premières fois.

Raphaëlle et Antoine se sont connus à l’université et aiment se retrouver. Le temps est aux discussions intenses et à la fête. Jusqu’au jour où, insidieusement, ils arrivent à ce moment de transition, de bascule entre les études et le monde du travail. De rupture aussi.
Tous deux habitent le quartier de Château-Rouge, à Paris. Elle est issue de la petite bourgeoisie, lui vient de la cité. Elle trouve rapidement du travail quand le chemin se fait pour lui plus épineux… Et la réalité se rappelle soudain à eux. Comment faire alors pour que la vie, toujours, reste une fête ? Après la fête saisit cet instant, celui de la fin de l’insouciance, quand les amis s’éloignent et que les premières amours se tarissent. Même celles de Raphaëlle et Antoine.

La jeunesse est-elle une fête faite d'insouciance et de légèreté dont il faudrait impérativement se départir pour enfin grandir ? C'est à cette question que le premier roman de Lola Nicolle tente de répondre.

Après la fête relate l'histoire d'un jeune couple lâché dans une époque sans pitié. Dès les premières pages, au lendemain des attentats du Bataclan, l'issue est révélée. Raphaëlle et Antoine ne résisteront pas à tout ce qui les sépare. Leur origine sociale, leur insertion professionnelle, leur vision de la vie. Dès lors la nostalgie s'invite à la fête. Aux sons et aux rythmes d’une époque, notamment du RAP, d’une génération (la Y), Raphaëlle, la narratrice convoque ses souvenirs pour mieux comprendre tout ce qui l'a, peu à peu, éloigné de celui qu'elle a aimé. Inévitablement l'échec de leur relation se profile. Elle détricote leur histoire et à travers elle, celle de toute une classe d'âge qui prend conscience du monde qui l'entoure. Sans être tout à fait effrayant, il n'est pas franchement réjouissant. 

S'il est vrai que l'écriture de Lola Nicolle est à la fois poétique et gracieuse, cela n'aura pas suffi à me faire oublier la mélancolie qui colle au corps de cette jeunesse désabusée. J'aurai aimé que ce roman soit plus festif.

Belle lecture !

mardi 14 janvier 2020

Mon avis sur "Ceux que je suis" d'Olivier Dorchamps

Olivier Dorchamps est un auteur franco-britannique. Il a grandi  à Paris et a choisi de vivre à Londres après quelques années aux Etats-Unis, à Washington. D’abord avocat puis entrepreneur, il a changé de vie pour se consacrer à l’écriture. Ceux que je suis publié aux Éditions Finitude est son premier roman. Evidemment, il faisait partie de la sélection des 68 premières fois, mais a également concouru pour différents Prix littéraires. Il est l’un des quatre vainqueurs du Talent Cutura 2019. L'année 2020 s'annonce tout aussi prometteuse...

Le Maroc, c’est un pays dont j’ai hérité un prénom que je passe ma vie à épeler et un bronzage permanent qui supporte mal l’hiver à Paris, surtout quand il s’agissait de trouver un petit boulot pour payer mes études. »
Marwan est français, un point c’est tout. Alors, comme ses deux frères, il ne comprend pas pourquoi leur père, garagiste à Clichy, a souhaité être enterré à Casablanca. Comme si le chagrin ne suffisait pas. Pourquoi leur imposer ça ?
C’est Marwan qui ira. C’est lui qui accompagnera le cercueil dans l’avion, tandis que le reste de la famille ­arrivera par la route. Et c’est à lui que sa grand-mère, dernier lien avec ce pays qu’il connaît mal, racontera toute l’histoire. L’incroyable histoire.

Ceux que je suis est un roman qui traite de l'identité, des racines, de l'héritage culturel et de la transmission. Il s'ouvre sur la disparition du père et sur l'incompréhension de ses enfants de sa décision d'être inhumé au pays. D'ailleurs de quel pays est-on lorsque l'on naît dans un, que l'on vit dans un autre et que l'on y fonde sa famille ? Répondre à cette question existentielle est éminemment complexe et dépend du vécu de chacun. C'est donc à travers l'histoire d'une famille issue de l'immigration que l'auteur a choisi de nous interpeller. Au fil des pages il évoque la problématique de l'intégration, l'inévitable choc des cultures mais également les raisons qui ont poussé un homme à fuir son pays. 

Olivier Dorchamps aborde ces sujets avec subtilité, humour et émotion. Le titre de son roman, volontairement ambivalent, Ceux que je suis, contient tout ce que l'auteur a voulu abordé, les origines multiculturelles et le regard que les autres portent sur celui qui est différent et de la nécessité de s'en affranchir. Ceux que je suis est un roman intimiste, écrit tout en retenue, en finesse. Côté plume , celle d'Olivier Dorchamps est fluide, ensoleillée et parfumée à l'essence de fleurs d'oranger. 

Ceux que je suis est un premier roman particulièrement réussi. Á Casablanca un fils, Marwan, a compris son histoire familiale tandis qu'à Londres un nouvel auteur français, Olivier Dorchamps, est né.

Belle lecture !