Gabriel Lévi est né à Chartres en 1990. Il vit et étudie l’esthétique littéraire à Paris.
Eugénie et Eugenia est son premier roman. Il est publié par une toute nouvelle maison d'édition, Les éditions des instants qui s'est donné pour ligne éditoriale de réinterroger le présent à travers le prisme des instants ; instants de pensées et d’expériences qui peuvent ouvrir sur une perception plus riche du monde. Un vrai challenge !
« Finalement, j’ai peut-être fait de ma vie ce qu’Esteban fait avec ces femmes, se dit soudain Andrea.
J’ai voulu oublier, rajeunir mon visage en changeant les décors, les détails.
Le rajeunir pour qu’il ne porte plus les marques de cette histoire passée.
Et curieusement, de cette histoire espagnole. J’ai voulu masquer ses traces, ne plus les voir. Mais elles sont là, je les porte en moi. Elles seront toujours là, toujours à m’empêcher, à m’aveugler », conclut-il, étonné que ce passé remonte ainsi en lui. Tout en se faisant ces réflexions, Andrea s’était assis sur le canapé du salon. En s’appuyant contre l’accoudoir gauche, il avait senti la présence d’un papier dans la poche intérieure de sa veste. Ce n’était pas un papier. C’était la lettre reçue à Paris et qu’il n’avait toujours pas ouverte. Il trouvait incroyable de ne pas l’avoir perdue ; incroyable qu’il ne l’ait pas déjà lue ; incroyable qu’elle lui rappelle son existence à ce moment précis. « Je pourrais l’ouvrir maintenant, pensa-t-il, et d’autant plus qu’elle vient d’Espagne. » Il hésita puis sentit qu’il ne le voulait pas ; pas encore.
Une fois n'est pas coutume, avant de parler d'Eugénie et Eugenia je souhaiterais en premier lieu, m'arrêter quelques instants -justement- sur la démarche des Éditions des instants, puis en second lieu, sur la qualité de leur travail d'édition.
Créée sous forme associative, en février 2019, cette nouvelle maison d'édition a pour finalité de produire, promouvoir et vendre afin de favoriser l'édition d'ouvrages d'auteurs non encore reconnus, de leur donner une chance d'être édités et faire connaître leur travail, mais également de promouvoir la lecture. Une réelle démarche culturelle qui mérite d'être soulignée de même que la qualité de l'objet qu'est ce livre. Sa couverture, son papier, son poids, la typographie, tout est réuni pour rappeler les grands classiques. Il ressort de cette stratégie éditoriale un grand respect tant pour le travail des auteurs, que pour la Littérature. Le tout pour un prix des plus abordables. Jugez plutôt, 13 € pour 278 pages (ou 350 g). Vous comprenez pourquoi je ne pouvais pas ne pas consacrer ces quelques lignes à ce beau projet. Je souhaite longue vie aux Éditions des instants !
Et Eugénie et Eugenia dans tout cela me direz-vous. Et bien, figurez-vous que ce premier roman est du même acabit que sa maison d'édition. Il oscille entre littérature classique et contemporaine. C'est simple le roman de Gabriel Lévi m'a fait penser à celui d'Ernest Hemingway, Le soleil se lève aussi. Je mesure le poids de la référence. Pourtant, l'ambiance de ce roman, l'insouciance et la légèreté d'Andrea, ce qui le lie à Eugénie, n'ont eu de cesse de me renvoyer à ce classique de la littérature américaine.
Andrea, est le personnage central de Eugénie et Eugenia. Il vient de quitter brusquement Nora. Fraîchement débarqué à Paris, il séjourne dans un hôtel-pension proche du parc Montsouris où il semble avoir ses habitudes. Au lendemain de son arrivée, (le désopilant) Monsieur Desnos, le propriétaire de l'établissement, lui remet une lettre. Andrea n'en prendra connaissance qu'à la toute fin du roman. En attendant, nous suivons les déambulations de ce jeune homme qui paraît sans attache, sans famille, indéterminé. Il flâne, boit, croise surtout des personnages féminins qu'il a vraisemblablement connus auparavant, assiste au mariage de l'un d'eux, avant de partir en Espagne.
Eugénie et Eugenia évoque pour partie, l’histoire entre Eugénie et Andrea, de Paris à Barcelone. Mais un autre personnage sans qu’il apparaisse une seule fois, hante ce livre, c'est Eugenia. Plus on avance dans la lecture de ce roman, plus sa trame devient énigmatique et floue. L'espace temps s'efface. Au gré des pages, nos certitudes s'effondrent. Nous ne savons plus si nous sommes au XIXème ou au XXIème siècle. Certes Andrea possède un téléphone et reçoit des SMS, mais l'essentiel est ailleurs. Il est dans les non-dits et les lectures à plusieurs niveaux, dans l'écriture à la fois épurée et imagée de Gabriel Lévi, dans le ressenti, dans l'instant. Eugénie et Eugenia n'est pas un roman qui se lit en apnée, mais au contraire il nécessite d'avoir le temps de prendre le temps. Un conseil, vous aussi réinterrogez le présent à travers le prisme des instants et laissez-vous bercer par ce rythme si singulier.
Belle lecture !
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