mercredi 28 avril 2021

Mon avis sur "Elmet" de Fiona Mozley

Sélectionné pour le prestigieux Man Booker Prize en 2017, Elmet (disponible en poche chez Folio) est le premier roman de Fiona Mozley. Cette jeune auteure prépare une thèse sur le Moyen Âge tout en travaillant à mi-temps dans la librairie The Little Apple Bookshop à York. Elle vient de sortir un nouveau roman Hot stew.

John est venu s’installer avec ses enfants, Cathy et Daniel, dans le Yorkshire rural où était née leur mère. Ils y construisent une petite maison, bordée par la forêt et la voie ferrée. Dans ces paysages tour à tour désolés et enchanteurs, les deux enfants grandissent en marge des hommes, chassant pour se nourrir et recevant, pour toute éducation, quelques leçons d’une voisine. Mais un gros propriétaire terrien, Mr Price, menace de les expulser si John refuse de passer à son service. Ravivant un passé trouble, ce chantage déclenche dans la région un crescendo de violence. Jusqu’où John ira-t-il pour protéger les siens ?

Elmet fut l’ultime royaume celte indépendant d’Angleterre. Jusqu’au VIIe siècle, il constituait un sanctuaire pour ceux qui souhaitaient échapper à la loi, un peu comme à l'instar de John et ses enfants. Tous trois se sont installés sur le lopin de terre qui appartenait à la mère décédée. Ils y vivent en toute quiétude, en parfaite harmonie avec la nature et surtout à l'abri de tous les regards jusqu'à ce qu'un propriétaire terrien vienne troubler leur existence. Au motif qu'il n'apprécie guère que John joue au justicier, incite les ouvriers agricoles à revendiquer un juste salaire, à refuser de payer des loyers exorbitants, un bras de fer s'engage entre Mr Price et John. L'acte de propriété sera régularisé au profit du fils si et seulement si le père d'une force herculéenne et boxeur occasionnel, accepte de combattre pour ce propriétaire. Régulariser une situation juridique en organisant un combat illégal, un comble !

Elmet est un conte social moderne. Entre sanctuaire mythique et terre de revendications. Tout commence idéalement. Loin des contraintes, des institutions conventionnelles, du brouhaha de la ville, dans un univers verdoyant certes à dompter, mais qui pourvoit aux besoins vitaux d'une singulière cellule familiale. Vivre en quasi autarcie, heureux jusqu'à ce que le monde extérieur vienne perturber ce fragile équilibre. Dès lors, à la douceur succède la violence. À l'insouciance, la dure réalité. Tout implose jusqu'à l'explosion finale. Le tout est parfaitement amené. Fiona Mozley magnifie aussi bien la nature, qu'elle noircit l'âme humaine en saupoudrant le tout d'un soupçon de merveilleux. Elmet est un premier roman qui ne peut laisser indifférent. Il a réveillé chez moi, le souvenir que m'a laissé La ligne verte. Je souhaite à Fiona Mozley le même succès que Stephen King et je remercie Folio de m'avoir fait découvrir ce royaume.

Belle lecture !

lundi 26 avril 2021

Mon avis sur "Ce qu'il faut de nuit" de Laurent Petitmangin

Grand lecteur et bien qu'il écrive depuis une dizaine d’années Ce qu’il faut de nuit est le premier roman de Laurent Petitmangin. Il est disponible à La manufacture de livres. Ce roman a déjà reçu de nombreux Prix littéraires. Il est également en cours de traduction dans de nombreux pays et même d'adaptation pour Arte. Pour une première fois, c'est exceptionnel ! Et justement, qui dit première fois, dit sélection 2021 des 68 premières fois.

C'est l'histoire d'un père qui élève seul ses deux fils. Les années passent, et les enfants grandissent. Ils choisissent ce qui a de l'importance à leurs yeux, ceux qu'ils sont en train de devenir. Ils agissent comme des hommes. Et pourtant, ce ne sont encore que des gosses. 
C'est une histoire de famille et de convictions, de choix et de sentiments ébranlés, une plongée dans le cœur de trois hommes.

Ce qu'il faut de nuit se déroule dans l'Est de la France. C'est l'histoire de trois hommes qui se retrouvent seuls. Sa femme, leur mère a été emportée par un cancer. Il faut faire face. Vivre malgré tout. Essayer de se construire un avenir. Le père, technicien à la SNCF partage le peu de temps libre qu'il lui reste entre la Section et ses deux fils. Il fait face à la situation du mieux qu'il peut. Il est présent, taiseux mais présent. C'est par l'exemple qu'il inculque ses valeurs à ses enfants. Les grands discours, très peu pour lui. L'aîné a quitté l'école quand sa mère a été hospitalisée. Il finira par intégrer un IUT tout en s'occupant de son petit frère qui aime étudier. Il envisage même de faire Sciences Po. Le temps s'écoule, les enfants grandissent. De nouvelles fréquentations. Malgré tout, malgré le délitement des idées socialistes, malgré les écarts, le père veut faire confiance à ses fils. Et puis le départ pour Paris du petit s'annonce. Et puis l'irréparable se produit. Comment cela a-t-il été possible ? Pourquoi ? Qu'est-ce qui pousse la chair de sa chair à embrasser ces idées-là ?

Sans jugement, sans haine, ce père raconte. Lui le taiseux raconte avec ses mots simples la dérive progressive de son fils, son échec à lui. Pourquoi cet adolescent a cessé d'y croire, pourquoi s'est-il laissé embarquer dans une histoire qui ne devait pas être la sienne ? Ce qu'il faut de nuit est le récit de cet homme qui a fait comme il a pu, mais qui a échoué. Il raconte simplement, sans dramaturgie, avec une infinie justesse. Il dit tout l'amour qui l'unit à ses fils, qui unit les frères. Le tout n'est que pudeur, sonne comme un constat d'échec, comme une fatalité. Laurent Petitmangin nous plonge dans les cœurs de ces hommes, nous interpelle jusqu'à nous mener à la réflexion. Et nous, qu'aurions-nous fait ? Comment ne plus aimer, comment ne pas pardonner ?

Ce qu'il faut de nuit est un très beau premier roman, d'une sobriété et d'une finesse percutantes. Un conseil, de jour, de nuit, ne passez pas à côté.

Belle lecture !

dimanche 25 avril 2021

Mon avis sur "Lunch-box" d'Emilie de Turckheim

Emilie de Turckheim est l’auteure d'une dizaine de romans et de livres pour enfants. Elle a reçu plusieurs prix. Elle anime des ateliers d’écriture, notamment en milieu pénitentiaire et scolaire. Lunch-box publié chez Gallimard est son dernier roman. Il est l'un des huit finalistes du Prix du Cercle littéraire Novotel Château de Maffliers 2021, auquel je participe. Alors, vous prendrez bien un peu de drame pour le déjeuner ?

Dans la ville rêvée de Zion Heights, sur la baie du détroit de Long Island, un petit monde gravite autour de l’école bilingue : les mères délurées organisent des garden-parties, les pères, souvent absents, suivent de loin les affaires de la vie courante, les couples se font et se défont tandis que les enfants préparent le spectacle de fin d’année. Tous ont pour coqueluche Sarah, la professeur de chant, célèbre pour ses comédies musicales extravagantes. Jusqu’au jour où, par accident, elle bouleversera leurs vies et la sienne, à jamais. Ce roman lumineux, où l’émotion affleure à chaque page, explore la manière dont chacun, témoin, victime ou coupable, surmonte l’irrémédiable.

Véritable institution aux États-Unis, la Lunch-box est ce que le jambon-beurre est au déjeuner des français. C'est donc au cœur d'une ville de fiction qu'Emilie de Turckheim a choisi de nous la faire découvrir. Là, dans la baie de Long Island, les familles sont heureuses. Beaucoup de français s'y sont installés. L'école est donc bilingue. Les mamans passent leur temps à confectionner des gâteaux et à s'investir dans la vie scolaire de leurs enfants. Ces familles semblent vivre dans un monde idéal, préservées de tout, jusqu'au drame de la Lunch-box. Le vrai visage des uns et des autres va-t-il enfin se révéler ?

Lunch-box est un récit choral binaire. Il y a l'avant et l'après le drame. 
En premier lieu, l'auteure nous plonge dans l'ambiance. Tout commence avec la gourmandise de M. Patok. Un vieux Monsieur prêt à tout, notamment à traverser la ville, pour se délecter de son péché mignon, un gâteau à la noix de pécan. Malheureusement, il meurt foudroyé alors qu’il n’y avait objectivement aucune raison qu'il soit touché par la foudre. Les présentations se poursuivent via une voix off qui nous campe les personnages ainsi que leur lieu de vie idyllique. Immédiatement, la tonalité m'a fait penser à Amélie Poulain. J'allais me délecter de cette Lunch-BoxJe n'en ai pas eu le temps. Question de tempo, d'accident. Si le décor reste le même, l'ambiance a littéralement changé. Nous voici propulsés dans ces lotissements typiquement américains à la Desperate Housewives. À la magie de la première partie succède une atmosphère plus superficielle, déliquescente. Les masques tombent, la vérité claque. Et à partir de cet instant, l’auteure m’a tenue à distance. En disséquant la tragédie, elle m'a projetée dans un monde dénué d’empathie, d’humanité. C'est vraiment dommage car mélanger l’univers poétique d’Amélie Poulain et celui plus superficiel des Desperate était une idée très originale. 

Quoi qu'il en soit, Lunch-box reste un roman très original pour aborder la question du deuil. De plus, Emilie de Turckheim a une belle plume et a su composer un menu tout en finesse. Alors, vous lirez bien Lunch-box pour votre déjeuner ?

Belle lecture !

jeudi 22 avril 2021

Mon avis sur "L'enfant céleste" de Maud Simonnot

L’enfant céleste publié aux Éditions de l'Observatoire, est le premier roman de Maud Simonnot. Non seulement ce roman se distingue par son style rêveur et évocateur, mais surtout par le fait qu'il a reçu en mars dernier le Prix Choix Goncourt de l’Italie. Pour une première fois, c'est très prometteur. Et justement en évoquant les premières fois, ce roman fait partie de la sélection 2021 des 68 premières fois.

Sensible, rêveur, Célian ne s’épanouit pas à l’école. Sa mère Mary, à la suite d’une rupture amoureuse, décide de partir avec lui dans une île légendaire de la mer Baltique. C’est là en effet qu’à la Renaissance, Tycho Brahe, astronome dont l’étrange destinée aurait inspiré Hamlet, imagina un observatoire prodigieux depuis lequel il redessina entièrement la carte du Ciel. En parcourant les forêts et les rivages de cette île préservée où seuls le soleil et la lune semblent diviser le temps, Mary et Célian découvrent un monde sauvage au contact duquel s’effacent peu à peu leurs blessures.
Porté par une écriture délicate, sensuelle, ce premier roman est une ode à la beauté du cosmos et de la nature. L’enfant céleste évoque aussi la tendresse inconditionnelle d’une mère pour son fils, personnage d’une grande pureté qui donne toute sa lumière au roman.

Avec L'enfant céleste, Maud Simonnot nous offre une grande respiration, une parenthèse enchantée inspirée de ses années passées en Norvège. Ce récit est avant tout celui d’une guérison. La guérison d'une mère qui décide de stopper l'hémorragie sentimentale que le départ de celui qu'elle aimait a provoquée et celle de son fils, enfant précoce et hypersensible victime de brimades et rejeté par système scolaire. Dès lors, quoi de mieux pour se recentrer, que de tout quitter ? Ces deux-là échouent d'abord chez la grand-mère. Rattrapée par ses souvenirs, la mère décide de pousser plus loin et de mettre les voiles. Cap sur l'île de Ven en Suède dans les traces de Tycho Brahe, astronome danois du XVIème siècle. 

Plonger dans L'enfant céleste c'est s'immerger dans la nature brute, opulente, celle que la main de l'homme n'a pas cherché à dompter. C'est se retrouver suspendu entre ciel et terre. Tantôt les pieds ancrés dans la terre pour se reconnecter, tantôt les yeux rivés dans les étoiles pour, à l'instar de ce célèbre astronome de jadis, les relier. Les relier tout comme ce qui relie une mère à son fils. L'enfant céleste traite de l'essentiel, de l'indispensable, du vital. Ajoutez à cela la plume à la fois délicate et poétique de Maud Simonnot, vous obtiendrez une apaisante invitation à la contemplation et à l'introspection. Un conseil, dégustez L'enfant céleste, mais lentement.

Belle lecture !

mardi 20 avril 2021

Mon avis sur "Ces orages-là" de Sandrine Collette

Sandrine Collette n'est plus à présenter. Tous les afficionados de romans noirs connaissent sa plume, son univers et ses livres multiprimés. Alors quand un nouveau Sandrine Collette est publié, c'est toujours un évènement. Ces orages-là est paru en janvier dernier aux Éditions JC Lattès, il fait partie de la sélection du Prix Cercle littéraire château de Maffliers 2021, dont je suis membre du jury. Autant vous dire que ce roman n'a pas fait mentir la réputation de l'auteure.

Clémence a trente ans lorsque, mue par l’énergie du désespoir, elle parvient à s’extraire d’une relation toxique. Trois ans pendant lesquels elle a couru après l’amour vrai, trois ans pendant lesquels elle n’a cessé de s’éteindre.
Aujourd’hui, elle vit recluse, sans amis, sans famille, sans travail, dans une petite maison fissurée dont le jardin s’apparente à une jungle.
Comment faire pour ne pas tomber et résister minute après minute à la tentation de faire marche arrière  ?

Ces orages-là s’ouvre sur une scène de conte fantastique. Une jeune femme à moitié nue court en pleine nuit dans la forêt poursuivie par un homme. Cet homme, c'est Thomas, son compagnon. Il la terrorise. Malgré l'emprise, Clémence parvient à s'enfuir. Elle a tout quitté du jour au lendemain. Ailleurs, retirée dans une maison lugubre dotée d'un jardin en friche, Clémence va tenter de tout oublier et de se reconstruire. Elle se sent comme cette moitié de poisson qui survit dans le bassin qui orne le jardin. Cette jeune femme est amputée d'une partie d'elle-même.

Tout le propos de Ces orages-là consiste à décrire l'après, cette période synonyme de tension permanente qui habite celle qui a fui. Peut-on seulement échapper à son prédateur ? L'ombre de ce dernier rôde. À chaque coin de rue, derrière chaque nouveau visage, l'héroïne s'attend à ce que le machiavélique pervers ressurgisse. Dès lors, tout n'est que tension, oppression et c'est en apnée que la traquée tente de reprendre le cours de sa vie, de se remettre debout. Ces orages-là est un huis clos psychologique qui sonne, qui claque. Sandrine Collette parvient à plonger le lecteur dans le psyché de la bête traquée. Comme elle, le lecteur est aux aguets, il s'attend à chaque page, à chaque coin de rue à voir surgir le prédateur et il l'imagine se ruer sur sa proie. Et si finalement c'était le lecteur la proie et non cette jeune femme ? 

Vous l'aurez compris, Ces orages-là est un roman puissant. Il est haletant, prenant et angoissant à la fois. L'écriture au scalpel de l'auteure parfaitement maîtrisée nous tient en haleine du début à la fin. Un livre à ouvrir à tout prix !

Belle lecture !