samedi 11 juin 2022

Mon avis sur "Saint Jacques" de Bénédicte Belpois

J'ai découvert Bénédicte Belpois avec Suiza grâce aux 68 premières fois. Je garde encore des traces de ce livre. Alors lorsque j'ai su que l'auteure avait publié Saint Jacques, son second roman, je m'en suis réjouis, d'autant plus qu'il est maintenant disponible en format poche chez Folio, que je remercie au passage. 

« On ne perçoit pas consciemment comment certaines personnes vous manquent avant de les connaître, on devine juste, une fois qu’on les a rencontrées, qu’on ne pourra plus jamais vivre sans elles. »
À la mort de sa mère, Paloma hérite d’une maison abandonnée et chargée de secrets, au pied des Cévennes. D’abord décidée à s’en débarrasser, elle choisit sur un coup de tête de s’y installer et de la restaurer. C’est ainsi qu’elle rencontre Jacques, un charpentier de la région. Son attachement naissant pour lui réveille chez Paloma, qui n’attendait plus rien de l’existence, bien des fragilités et des espoirs.

Dès les premières pages, Bénédicte Belpois nous plonge dans l'univers d'une famille désunie au sein de laquelle les rivalités et les non-dits semblent de mise. Une fois les questions d'héritage résolues, elle nous transporte dans l'arrière-pays cévenol où une vielle bâtisse abandonnée va modifier le cours de la vie d'une femme. En effet, le carnet que sa mère lui a laissé et les pierres de cette maison vont révéler à Paloma le secret qu'ils renfermaient et vont provoquer des rencontres alors cette fille n'espérait plus. Véritable ode à la nature et à l'amour, Saint Jacques nous offre également une attachante galerie de portraits d'êtres abîmés, usés par les tourments de vie. Ensemble, ils vont former une communauté solidaire et goûter enfin à ce qui pourrait bien ressembler au bonheur. 

Bien que cette jolie histoire de rencontres soit un peu trop idéaliste pour être tout à fait crédible, ce qui marque le lecteur dans sa chair, c'est la plume de Bénédicte Belpois. Oui, parce que l'auteure n'écrit pas, elle peint. C'est avec des mots délicats et harmonieux, choisis avec précision, que Bénédicte Belpois peint le paysage, restitue l'ambiance et les émotions de ses personnages. Elle esquisse leurs sourires qui finissent par s'afficher franchement par la suite. Au gré des pages, la toile se révèle pour in fine s'imprimer en nous. 

Si Saint Jacques est un roman empreint de douceur et de mélancolie, il est surtout un véritable hymne aux désirs féminins, à l'espoir. Il est ce genre de roman d'atmosphère qui nous enivre des parfums des Cévennes, répare les cœurs cabossés mais également les tuiles abîmées. Un conseil, lisez-le !

Belle lecture !

vendredi 3 juin 2022

Mon avis sur "Celle que je suis" de Claire Norton

Claire Norton est l'auteure de cinq romans. Celle que je suis (Pocket) ayant été sélectionné pour concourir au Grand Prix des Lecteurs Pocket, c'est dans ce cadre-là et en ma qualité de jurée que je l'ai lu.

Discrète, ordinaire, Valentine jongle entre son petit garçon Nathan, qu’elle chérit de tout son cœur, et son travail à temps partiel dans une grande surface culturelle. Pourtant, dès que la porte de leur appartement se referme, elle vit dans la terreur, redoutant la colère et la jalousie de son mari...
L’arrivée d’un couple dans l’appartement d’en face bouleverse sa vision du monde. Comment résister à la bonté de Guy, qui se conduit avec Nathan comme le grand-père qu’il n’a jamais eu ? Comment refuser la tendresse de Suzette, cette femme si maternelle ? Peu à peu, Valentine se laisse apprivoiser. Jusqu’au jour où elle commet une minuscule imprudence aux conséquences dramatiques... Mais alors, elle ne sera plus seule pour affronter son bourreau et reconstruire sa vie volée.

Dès les premières lignes la tension est palpable et on devine qu'elle ne pourra aller que crescendo. Celle que je suis est ce genre de livre qui vous alpague les tripes et vous les essore jusqu'à la dernière page. Autant vous dire que cette lecture m'a éprouvée. Et pour cause, ce roman aborde un sujet  douloureux, celui des violences conjugales. Celles que certaines femmes subissent dans l'intimité de leur foyer. Valentine est de ces femmes. Au vu des autres, elle est une jeune maman qui partage son temps entre l'éducation de son gentil petit garçon et sa passion pour les livres. Mais à l'intérieur, elle est une femme rabaissée, humiliée, corrigée à la moindre erreur. Pour ne pas réveiller la bête qui sommeille en son mari, elle essaie d'être une épouse parfaite. Parfaitement soumise. Son petit garçon a bien intégré cette donnée. Lui aussi essaie d'être un petit garçon sage comme une image. Et puis, il suffit d'une mauvaise journée, d'une promotion compromise, d'un hamster un peu trop agité, pour que toute parte à vau l'eau. Valentine ne peut pas à elle seule contenir le monde. Elle ne peut éviter la fureur de celui qui est censé la chérir. Heureusement, l'arrivée d'un couple dans son immeuble va bousculer l'ordre des choses. Ils vont aider Valentine à colorer son monde si noir. Et peut-être que tous ceux qui se sont tus, qui n'ont pas voulu voir, retrouveront peu à peu l'ouïe, la vue ?

Claire Norton aborde un sujet de société qui dérange, qui touche une femme sur dix en France et combien d'enfants ? Elle nous transporte dans leur univers de terreur et de soumission. Tout n'est qu'extrême tension. Grâce à sa plume, à chaque page on craint qu'une pluie de coups ne s'abatte sur nous. On tremble, on encaisse, on espère un avenir meilleur pour Valentine et son fiston, Nathan. On les voudrait éloignés à jamais de leur tortionnaire. 

Bien qu'étant un roman, Celle que je suis sensibilise, s'il en était encore besoin, à la cause des femmes battues. Il permet d'entrevoir la psychologie de ces femmes sous emprise et celle de leurs bourreaux sans oublier les victimes collatérales que sont les enfants. Ce roman est d'une telle force et d'une telle puissance que c'est la peur au ventre et en apnée que je l'ai lu. Même si j'ai un peu moins aimé la partie romancée qui entame la crédibilité de l'histoire, Celle que je suis mérite d'être lu. Il mérite d'être lu ne serait-ce que pour dire à toutes les victimes de ces lâches, ces pleutres, ces malades, que oui, il est possible de briser les chaînes. Soyez fortes Mesdames, brisez-les !

Belle lecture !

mercredi 1 juin 2022

Mon avis sur "La fille que ma mère imaginait" d'Isabelle Boissard

Isabelle Boissard est femme d'expatrié. Ses difficultés à se conformer aux codes de cette vie l'ont poussée à réfléchir à la notion de déracinement. Des réflexions au livre, il n'y avait qu'un pas. La fille que ma mère imaginait (Les Avrils) est son premier roman. C'est grâce aux 68 premières fois que je l'ai lu. 

Tous les trois ans, c’est la même histoire. Se coltiner la fête de départ, le déménagement, et de nouveaux cheveux blancs. Accepter la destination (Taipei !?), rencontrer les autres "conjointes suiveuses" au café du lycée français, débattre de sujets cruciaux - les salons de jardin, le yoga. S’inscrire aux cours de mandarin, puis abandonner. Arrêter la cigarette, reprendre le lendemain. Dans son journal intime, la narratrice consigne son quotidien confortable et futile d’expatriée, quand sa mère a un accident. Alors contrainte de rentrer en France, elle y raconte leurs origines modestes, le décès de son père lorsqu’elle était enfant, le décalage entre deux milieux. Et tire à bout portant sur la sentence : « Si on veut, on peut. »

De suite il y a une tonalité qui vous cueille, puis viennent l'humour et l'autodérision. La fille que ma mère imaginait est le journal d'une expatriée qui à défaut d'avoir un métier, a un statut, celui de conjoint suiveur. C'est son mari que la narratrice suit de pays en pays. La petite famille a posé ses valises à Taïwan quand la narratrice doit se rendre en France au chevet de sa mère plongée dans le coma. Dès lors, elle va s'immerger dans son histoire familiale mais aussi rencontrer celui qui anime les ateliers d'écriture qu'elle suit à distance et qui lui a suggéré de consigner son quotidien dans un carnet Moleskine. Chaque jour elle y couche ses pensées, y note tout ce que la décence et sa bonne éducation lui interdisent de balancer à la figure de son entourage. Une véritable jubilation. C'est drôle, cynique et touchant notamment lorsque la narratrice se lance dans son introspection en évoquant son enfance et ses relations avec ses filles. 

Aucun doute, Isabelle Boissard a le sens de l'observation et celui de la formule. Elle manie l'humour et le second degré avec brio, ce qui permet d'adoucir certaines vérités. Sa plume est à l'instar de son esprit, vive. La fille que ma mère imaginait est un premier roman d'une douce amertume aussi léger que profond. Une vraie réussite.

Belle lecture !