dimanche 28 février 2021

Mon avis sur "Tant qu'il reste des îles" de Martin Dumont

Martin Dumont travaille comme architecte naval. Il a passé son adolescence à Rennes où il s’est épris de l’océan et de la voile. Il aime la symbolique des ponts, tout ce qu’ils représentent en termes de liens, d’abolissement des frontières et des barrières. Et justement de pont il en est question dans son second roman, Tant qu'il reste des îles, publié aux Éditions Les Avrils et sélectionné pour cette nouvelle saison par les 68 premières fois.

Ici, on ne parle que de ça. Du pont. Bientôt, il reliera l'île au continent. Quand certains veulent bloquer le chantier, Léni, lui, observe sans rien dire. S'impliquer, il ne sait pas bien faire. Sauf auprès de sa fille. Et de Marcel qui lui a tant appris : réparer les bateaux dans l'odeur de résine, tenir la houle, rêver de grands voiliers. Alors que le béton gagne sur la baie, Léni rencontre Chloé. Elle ouvre d'autres possibles. Mais des îles comme des hommes, l'inaccessibilité fait le charme autant que la faiblesse.

Avec Tant qu'il reste des îles, Martin Dumont nous embarque dans le quotidien de ces insulaires qui assistent plus ou moins impuissants à la mutation de leur île. Un pont est en construction alors que toute la magie de leur île tient à son inaccessibilité. Une fin s'annonce, un nouveau monde se dessine. Entre peur et attrait, le cœur de Léni balance. Sa fille vit avec sa mère sur le continent. Un pont permettrait de la voir plus souvent. Mais sur l'île, la solidarité est de mise. Pêcheurs, ouvriers maritimes, habitants, tous se retrouvent au café que tient Christine pour une partie de coinche et débattre des actions à mener si ce n'est empêcher la construction du pont, du moins la ralentir. Ailleurs sur l'île, Marcel, patron et ami de Léni, tente de sauver son entreprise et se démène pour que son carnet de commandes de réparations et constructions de voiliers se remplisse. La vie est simple sur l'île, rythmée par les horaires du ferry, des marées et le bruit du chantier. Et demain, qu'en sera t-il une fois qu'elle sera reliée au continent ?

Tant qu'il reste des îles est un roman qui vous cueille dès les premières pages, vous embarque à la rencontre d'autochtones ordinaires contrariés par la métamorphose à venir de leur environnement vital. Et parce ce qui l'intéresse par dessus tout ce sont les gens et leur complexité, Martin Dumont dresse un parallèle entre l'évolution de cette île et son personnage principal, un taiseux qui, peu à peu, va s'ouvrir aux autres du fait des événements. Tant qu'il reste des îles est un roman empli d'humanité et de douceur. Les personnages sont terriblement attachants. Il faut bien reconnaître que l'écriture de Martin Dumont dépouillée, concise y est pour beaucoup. Elle apporte force et charme au récit. Vous l'aurez compris, un petit tour sur l'île s'impose.

Voilà, le temps est venu de quitter Léni et les siens pour rejoindre le continent. Le départ du dernier ferry est imminent, je vais à regret laisser derrière moi les embruns et l'air iodé si vivifiant. Mais Tant qu'il reste des îles, je reviendrai.

Belle lecture !

dimanche 14 février 2021

Mon avis sur "L'étreinte" de Flavie Flament

Animatrice de télévision et de radio, Flavie Flament est également auteure. Bien qu'il ne soit pas son premier roman, c'est avec La consolation publié en 2016 qu'elle s'est fait connaître en cette qualité du grand public. C'était juste avant le Mouvement #MeToo. Après, elle a milité pour l'allongement du délai de prescription des crimes sexuels commis sur des mineurs. En septembre dernier, Flavie Flament est revenue en librairie avec L'étreinte (JC Lattès), l'occasion pour moi de découvrir sa plume.

L’étreinte est une conversation. Une langue au vocabulaire silencieux, qui ne souffre pas les frontières. Longtemps, mes bras ont été orphelins, en astreinte permanente, en alerte, en quête de chair, de poignets à serrer, de mains à caresser, de fronts à apaiser… J’avais besoin de les ouvrir, le plus grand possible, jusqu’au bout de mes doigts tendus à la limite de la crampe. Jusqu’à ce que je rencontre Augustin. 
Un homme et une femme tombent amoureux à l’heure où  ils  ne peuvent plus se voir. Comment vivre le désir lorsqu’il est impossible de se toucher et de s’étreindre ? Et  quand ils le pourront enfin, qu’adviendra-t-il de leur histoire ? 

L'étreinte c'est l'amour au temps du confinement. Tout débute en mars 2020, un homme et une femme se font cueillir par le sentiment amoureux à la boulangerie du coin. Après s'être rencontrés deux fois, il vont vite être privés de tout contact physique. Elle est confinée à Paris, Lui en Bretagne. S'ensuit une longue période de séparation, d'attente de messages qui ne viennent pas, ou pas assez vite, de questionnement sur ce qui fait le sentiment amoureux, de l'importance de se toucher, de s'étreindre tout simplement, de sentir la chaleur du corps de l'autre. Tout n'est que manque et incertitude. Et puis, vient enfin le déconfinement, l'occasion de reprendre là où tout s'est arrêté, de rattraper le temps. Et si justement les sentiments s'étaient évaporés, si cette séparation n'avait finalement qu'alimenté les fantasmes d'Emma. D'ailleurs, que sait-elle au juste d'Augustin ? 

L'étreinte évoque tout ce dont nous avons été privé depuis quasi un an, cet indispensable contact physique. L’étreinte nous invite à réfléchir à la valeur inestimable de la tendresse. Pourquoi est-ce si important d'étreindre ceux qu’on aime, qu'il s'agisse de ses enfants, ses amis, sa famille, son amoureux(se) ? Etreindre est un geste à la fois simple et tellement révélateur. L'étreinte en dit long sur ses émotions, ses sentiments. 

L'étreinte est un joli roman qui explore avec finesse ce qui nous lie aux autres, ce sentiment d'attachement qui nous fait oublier tout le reste. Quant à la plume de Flavie Flament, elle est à la fois contemporaine et sensible. L'étreinte m'a fait l'effet d'une caresse sensuelle, douce et légère qui transporte.
Et puisque aujourd'hui on fête les amoureux, un conseil, étreignez-vous, étreignez tous ceux que vous aimez, c'est si bon L'étreinte.

Belle lecture !

samedi 13 février 2021

Mon avis sur "Le dernier enfant" de Philippe Besson

Lire Philippe Besson c'est accepter de se poser, d'entrer dans l'intimité de ses personnages, dans leurs pensées. Voilà, Philippe Besson est un écrivain de l'intime. Le dernier enfant n'échappe pas à la règle. Il évoque ce séisme intérieur qui ébranle ces mères qui assistent impuissantes au départ du petit dernier.

Elle le détaille tandis qu’il va prendre sa place : les cheveux en broussaille, le visage encore ensommeillé, il porte juste un caleçon et un tee-shirt informe, marche pieds nus sur le carrelage. Pas à son avantage et pourtant d’une beauté qui continue de l’époustoufler, de la gonfler d’orgueil. Et aussitôt, elle songe, alors qu’elle s’était juré de se l’interdire, qu’elle s’était répété non il ne faut pas y songer, surtout pas, oui voici qu’elle songe, au risque de la souffrance, au risque de ne pas pouvoir réprimer un sanglot : c’est la dernière fois que mon fils apparaît ainsi, c’est le dernier matin.

Le dernier enfant est à l'image de cette famille, simple. Le père, Patrick, est chef de rayon dans un supermarché, la mère, Anne-Marie, caissière. Ensemble ils ont eu trois enfants. Ils s'apprêtent à vivre leur dernière journée à trois dans leur pavillon de banlieue. Théo, le petit dernier part s'installer dans la ville d'à côté pour ses études. Ses parents l'aident à déménager. Du lever au coucher du soleil, Philippe Besson nous invite à plonger dans le psyché de ces gens ordinaires ébranlés par ce qu'il y a lieu de nommer une étape de la vie. Plus l'heure de la séparation approche, plus la peur du vide augmente. Comment se quitter sans se blesser, sans culpabiliser ? Comment dire que malgré tout, on s'aime quand on ne se l'ai jamais dit ? Comment réapprendre à vivre pour soi quand on a vécu que pour ses enfants ? 

Le dernier enfant est avant tout un roman d'atmosphère. On ressent tout. L'angoisse de la mère, le désœuvrement du père, leur nécessité de s'occuper pour ne pas être envahi par ce sentiment d'abandon. Faire la vaisselle pour l'une, tondre le carré de pelouse et tailler les géraniums pour l'autre. Et puis il y a ce jeune garçon qui retient d'abord sa fougue pour ne pas blesser ses parents, puis sa peur de l'inconnu quand le moment venu, il se retrouve seul au milieu de ses cartons. Tout le talent de l'auteur réside dans ces ces petits riens qui peuvent faire de grands drames. Philippe Besson a cette acuité à saisir l'insaisissable, à rendre palpable cette d'ambiance si singulière, qui s'apparente tellement à celle des dimanches soirs. De plus, il incarne si justement cette mère qui se rapproche dangereusement du précipice que l'émotion n'en est que plus présente. Le dernier enfant est un roman sobre et déchirant, d'une justesse et d'une humanité touchantes. Philippe Besson rend un bien bel hommage à toutes ces mamans qui se sont une peu trop oubliées. 

En fermant Le dernier enfant, croyez-moi vous serez tout particulièrement heureuse d'entendre la sempiternelle question de vos gnomes Eh m'mam qu'est-ce qu'on mange ce soir ?

Allez, belle lecture !

jeudi 11 février 2021

Mon avis sur "Un garçon c'est presque rien" de Lisa Balavoine

Après un premier roman salué par la critique et très bien accueilli par le public, Éparse (dorénavant disponible chez Le Livre de Poche), Lisa Balavoine revient avec son premier récit destiné aux adolescents Un garçon c'est presque rien (aux Éditions Rageot). Après le portrait intime d'une femme de quarante ans, voici celui d'un ado d'aujourd'hui.

Une chambre d’hôpital. Dans le lit, un garçon. À côté, une fille, qui attend qu’il se réveille. Au travers du coma de Roméo, son histoire : pourquoi, comment, la vie l’a-t-elle amené là ?...

Un garçon c'est presque rien est le récit introspectif de ce qui a conduit Roméo sur ce lit d'hôpital. Roméo est lycéen. Sensible, mal dans sa peau, il pense n'être presque rien. Roméo doute, se cherche, se questionne. Il observe les autres garçons et ne comprend pas pourquoi ils parlent mal des filles, ils ne les respectent pas, pourquoi ils embrassent la pensée unique, pourquoi ils s'empressent de juger, de condamner, pourquoi il est si difficile d'accepter la différence. Roméo est un peu à part. Pour s'extraire de ce monde, il se réfugie dans la boutique de son oncle. Il est disquaire. Ces deux là partagent la passion de la musique -mais attention, pas n'importe laquelle, celle des années quatre-vingts- des vinyls et de la guitare. Roméo échange bien avec son oncle, bien mieux qu'avec ses propres parents qui ne le comprennent pas tout à fait. Et puis, il y a cette fille, Justine. Elle l'intrigue. Elle est vive, bien dans sa peau. Tout l'opposé de lui. Les contraires s'attirant, ils vont se découvrir, se confier, s'aimer un peu puis combattre ensemble le cyber-harcèlement dont Justine sera victime.

Un garçon c'est presque rien est un roman résolument d'actualité. Il évoque l'adolescence, cette période de la vie où l'on est à la fois invincible et tellement fragile, libéré et empreint de doutes, où on a du mal à trouver sa place au sein de la Société dès lors que l'on n'est pas comme les autres. Tout en subtilité, loin des clichés, Lisa Balavoine nous propose, sur fond musical une immersion dans l'adolescence. Elle a écrit sur ce thème en vers libre. Cette forme littéraire adossée à de courts chapitres, rythme le tout, donne de la profondeur aux réflexions de ce jeune garçon et insuffle poésie et douceur.

Un garçon c'est presque rien est un roman touchant, sensible, vrai qui donne à réfléchir sur la violence de notre Société laquelle est loin d'être inclusive. Ce second roman de Lisa Balavoine n'est pas presque rien, c'est même tout l'inverse ! Il est à lire par tous, ados, adultes, filles et garçons.

Belle lecture !

mardi 9 février 2021

Mon avis sur "Que Dieu lui pardonne" de Laurent Malot

J'ai découvert l'univers très éclectique de Laurent Malot il y a quelques mois lorsque j'étais jurée du Prix des Lecteurs 2020 du Livre de Poche. Son premier roman, De la part d'Hannah avait été sélectionné. Alors, lorsque Babelio m'a proposé de recevoir en avant-première son dernier roman, Que Dieu lui pardonne publié chez XO Éditions, j'ai tout de suite accepté.

Maya a dix-sept ans. Lorsqu’elle décide d’échapper à la violence de son père, elle trouve refuge à Fécamp, au pied des falaises. Elle se reconstruit et peut enfin se rêver un avenir : elle sera architecte.
Mais dans l’appartement mitoyen du sien, quatre enfants, de six à douze ans, sont la proie d’un homme tyrannique. Son combat, désormais, n’est plus seulement de sauver son âme, mais de les protéger.
Jamais elle n’aurait imaginé que les choses se passeraient ainsi. Elle va agir avec son cœur. Sans réfléchir. Que Dieu lui pardonne. Comme il pardonne aux lâches. Aux misérables...

Décidemment cette rentrée littéraire d'hiver est placée sous le signe des violences faites aux enfants. Entre viols et maltraitances physiques, voici de quoi déprimer. Pour autant, Que Dieu lui pardonne nous épargne. Laurent Malot ne tombe ni dans le pathos, ni la dramaturgie. Il a pris le parti de traiter ce sujet du point de vue des enfants. En se mettant à hauteur de trois pommes, il introduit fraîcheur et luminosité. Laurent Malot met en scène cinq enfants. Une adolescente qui a fui sa famille pour se libérer de ses traumatismes et une fratrie livrée à la tyrannie de leur ivrogne de beau-père. Parce que les adultes n'ont pas été capables de les protéger, de les secourir, parce qu'ils ont préféré fermer les yeux et les écoutilles, ces enfants vont s'entraider et organiser leur vie à l'abri du regard de ces lâches et dans l'indifférence la plus totale, jusqu'au jour où certains vont enfin se réveiller et s'en mêler.

Bien que certaines situations soient poignantes, d'autres révoltantes, que les réflexions du petit Lucien, la répartie de Maya soient à la fois touchantes et drôles et qu'elles permettent de tenir à distance l'horreur, il n'empêche que certaines situations entament la crédibilité de l'histoire. Pour autant, il est indispensable de traiter de ces sujets, de dénoncer l'impuissance des institutions et le silence des uns, de soutenir le combat des autres et de rappeler à ceux qui l'auraient oublié que l'enfance est sacrée et que le rôle des adultes est de préserver les enfants et non pas de les maltraiter.

Malgré sa thématique ce roman reste tout à fait abordable. La plume de Laurent Malot est simple et limpide. Outre les quelques invraisemblances, Que Dieu lui pardonne reste agréable à lire.

Belle lecture !