mercredi 31 août 2022

Mon avis sur "Je suis la maman du bourreau" de David Lelait-Helo

D'abord enseignant, David Lelait-Helo est devenu journaliste, auteur et parolier. Il a un faible pour les destins de femmes et notamment les chanteuses auxquelles il a consacré bon nombre de biographies. Je suis la maman du bourreau (Héloïse d'Ormesson) est son dernier roman.

Du haut de ses quatre-vingt-dix ans, Gabrielle de Miremont semblait inatteignable. Figée dans l’austérité de la vieille aristocratie catholique dont elle est l’incarnation. Sa devise : « Ne jamais rien montrer, taire ses émotions ». Jusqu’à ce matin-là, où un gendarme vient lui annoncer la mort de son fils. Son fils cadet, son enfant préféré, le Père Pierre-Marie, sa plus grande fierté. Gabrielle ne vacille pas, mais une fois la porte refermée, le monde s’écroule. Cet effondrement, pourtant, prend racine quelques semaines plus tôt, à la suite d’un article de presse révélant une affaire de prêtres pédophiles dans sa paroisse. Révoltée par cette calomnie, Gabrielle entreprend des recherches. Des recherches qui signeront sa perte. Ou sa résurrection.

Je suis la maman du bourreau s'ouvre sur cette déclaration : Je suis passée de Dieu à Diable. S'ensuivent les mots d'une mère consignés dans son carnet. Elle raconte comment son fils adoré, sa grande fierté, est devenu à la suite d'une révélation son calvaire, sa plus grande honte. Ses mots alternent avec la voix du narrateur. Ils nous plongent dans l'innommable, l'indicible, la part la plus sombre de l'Humanité. Pourtant, quand un gendarme désolé est venu lui annoncer que le corps de son fils a été retrouvé sans vie, cette mère n'a pas vacillé, ne s'est pas effondrée, elle n'a même pas été désolée. Son fils, le Père Pierre-Marie a été retrouvé mort par une fidèle. Pas d'effraction, ni marque de violence ni désordre apparent, aucun témoin. Le Père avait-il des raisons de se donner la mort ? 
Retour en arrière. 
Tout a commencé avec le titre d'un article publié dans le journal local "Pédophilie au cœur du diocèse". Interloquée, cette fervente catholique et gardienne de la vertu qu'est Gabrielle de Miremont est partie à la rencontre du vice incarné, Cédric Lautet, journaliste homosexuel auteur dudit papier. Les jours se sont enchainés, elle a guetté l'orage. Elle savait d'instinct que le pire était à venir. Une victime a témoigné à visage découvert. Parce qu'elle a enfanté, qu'elle est une mère, elle a été bouleversée par la lecture de son récit. Comment un serviteur de son Église a t-il pu salir son serment et l'innocence de ces enfants ? Ce que cette femme ne savait pas encore, c'est que sa vie allait être catapultée par ce fait divers. Elle connaîtra toutes les étapes du deuil, de la honte, de la culpabilité. 

Et c'est là toute l'originalité de ce roman. David Lelait-Helo aborde la question de la pédophilie non pas du point de vue du coupable ou de la victime, mais de celui des proches de l'auteur du crime. Des victimes collatérales. Il interpelle sur les croyances, sur l'aveuglante fierté d'un parent dont l'enfant embrasse l'ambition. Et si ce Dieu vivant qu'elle pensait avoir engendré se révélait n'être qu'un monstre, le Diable incarné ? Comment une mère, chrétienne et pratiquante de surcroît, peut survivre à une telle révélation ? 

Avec Je suis la maman du bourreau, David Lelait-Helo nous propose une histoire tristement d'actualité qui fait écho au rapport Sauvé rendu en octobre 2021 par la commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église. Par ce récit à la fois subtil et d'une justesse époustouflante, il parvient à rendre l'austère maman du bourreau terriblement humaine. Il démontre que celle que rien ne pouvait toucher, exceptée la grâce de Dieu, peut vaciller. Au gré des pages, le lecteur impuissant voit cet être invincible s'écrouler sous le poids de la culpabilité. C'est court, bien construit, intense et percutant. Je suis la maman du bourreau est un roman original et terriblement efficace qui met en lumière l'anéantissement des victimes collatérales de tous ceux qui ont commis l'innommable.

Belle lecture !

mardi 23 août 2022

Mon avis sur "Pour que chantent les montagnes" de Nguyễn Phan Quế Mai

Née en 1973 dans un petit village du nord Việt Nam, Nguyễn Phan Quế Mai a connu les ravages de la guerre dès son plus jeune âge. Elle a travaillé comme vendeuse de rue et dans des rizières avant d'obtenir une bourse pour suivre des études universitaires en Australie. Dorénavant, auteure et poétesse reconnue, elle a été lauréate des prix littéraires les plus prestigieux au Việt Nam. Pour que chantent les montagnes, son premier roman écrit en anglais, est un best-seller international déjà traduit en quinze langues. Il a reçu de nombreux prix et est désormais disponible en France aux Éditions Charleston. Il est, de mon point de vue, l'un des romans incontournables de cette rentrée littéraire. J'ai eu l'occasion de le lire en avant-première en ma qualité de jurée du Prix du roman FNAC 2022. Dès le 24 août, vous le trouverez dans toutes les bonnes librairies. Foncez !

Việt Nam, 1972.
Depuis leur refuge dans les montagnes, la petite Hương et sa grand-mère Diệu Lan regardent Hà Nội brûler sous le feu des bombardiers américains. Elles décident d’abandonner la capitale pour rejoindre les campagnes vietnamiennes. Un retour qui ravive le souvenir du départ de Diệu Lan, vingt ans plus tôt, chassée de la ferme familiale par la réforme agraire du gouvernement communiste nouvellement au pouvoir. 
À travers ce nouvel exil, ce sont les souvenirs de Diệu Lan, l'histoire de sa famille sous l’occupation française puis japonaise, la guerre d’Indochine, les multiples séparations et retrouvailles qui ont marqué sa vie, qui permettront à Hương de garder espoir dans un pays qu’elle n’a connu qu’en guerre.

Si vous avez lu et aimé Terre des oublis de Duong Thu Huong, que vous aimez le Vietnam, sa culture, sa nature, son peuple, vous allez adorer Pour que chantent les montagnes. Nguyễn Phan Quế Mai nous offre un voyage poignant à travers un siècle d’histoire vietnamienne, de l’occupation française à la chute de Sài Gòn. Pour que chantent les montagnes mêle l'histoire du Việt Nam à celle d'une famille déchirée à l'instar des souffrances qui déchirent leur patrie depuis des décennies...
C'est donc à travers le récit de trois générations de femmes d'une même lignée de paysans, qui à force de labeur est devenue une famille de passeurs de valeurs et de culture, que Nguyễn Phan Quế Mai nous transporte en Asie. 

La famille Trần a été percutée de plein fouet par la réforme agraire des années 50, puis vingt ans plus tard par la guerre du Việt Nam. Elle a connu les exils, le déchirement des séparations, la peur, la faim, la violence. Délaissées par leurs maris partis au combat, ce sont les femmes de cette lignée qui ont affronté seules avec courage et dignité ces épreuves. Elles ont tout mis en œuvre pour organiser la survie des leurs, allant jusqu'à prendre des décisions déchirantes. Grâce à leur éducation, leurs valeurs, leur philosophie, elles ont traversé aussi dignement que possible ces périodes douloureuses sans cesser de croire à des lendemains meilleurs. Ce récit à deux voix, celle de la petite-fille et de la grand-mère, est un magnifique témoignage de ténacité, de pugnacité et d'espoir. Pour que chantent les montagnes est un hymne intime à la résilience des peuples ravagés par la guerre et la mort. Non seulement il véhicule des belles valeurs humanistes, mais de surcroît, il vous apprendra énormément sur tout ce que les Vietnamiens ont enduré. Pour parvenir à cette justesse historique, Nguyễn Phan Quế Mai s'est documenté durant sept années avant d'écrire ce roman. Elle s'est appuyée sur les témoignages des membres de sa famille, mais également sur tous ceux des rescapés qu'elle a pu rencontrer ainsi que sur tous les écrits qu'elle a pu trouver. Le tout est remarquable, poignant. 

Pour que chantent les montagnes est une véritable déclaration d'amour au Việt Nam, à ses terres, ses coutumes, mais surtout à un peuple qui a tant souffert mais qui a toujours résisté. Un conseil, écoutez le chant des montagnes. Dépaysement garanti et belle leçon de vie et de courage à la clé !

Belle lecture !

lundi 22 août 2022

Mon avis sur "Anéantir" de Michel Houellebecq

S'il y a un livre qui a fait couler beaucoup d'encre en ce début d'année, c'est bien celui de Michel Houellebecq. La grande question existentielle apparemment pour certains était de savoir s'il fallait le lire ou pas. Fidèle à ce que je suis et aux auteurs que j'apprécie, je n'ai pas tergiversé, j'ai lu Anéantir (Flammarion). Bonne nouvelle, je ne suis pas anéantie, bien au contraire !

L'intrigue débute au mois de novembre 2026, quelques mois avant le début de l'élection présidentielle de 2027. Le personnage principal, Paul Raison, haut fonctionnaire auprès du Ministère de l'Économie, des Finances et du Budget, approchant la cinquantaine, travaille au cabinet du ministre Bruno Juge, avec lequel il entretient également des liens d'amitié. Le climat politique est marqué par des attentats terroristes, qui épargnent dans un premier temps les vies humaines. Ceux-ci sont extrêmement sophistiqués et font appel à des moyens militaires importants, sans que cela soit aisément possible d'évaluer les motivations profondes des auteurs. Voilà pour l'environnement professionnel de Paul. Côté vie privée, il en est plutôt privé. Englué dans une misère affective et sexuelle socialement acceptable, Paul est marié à Prudence, elle aussi au service de l’administration publique, et récemment devenue végane et adepte de la Wicca. Parce que son père, un retraité des services secrets français (DGSI), vient de faire un AVC, Paul va, le temps de se rendre à son chevet, oublier les arcanes de la politique et les problèmes du monde pour se reconnecter à sa famille. Dès lors, Anéantir se mue en roman familial pour le plus grand plaisir du lecteur, du moins, le mien. On découvre que Paul a une sœur bigote, Cécile. Elle est mariée à un notaire au chômage, Hervé. Le couple habite à Arras et vote ouvertement pour le Rassemblement national. Paul a également un petit frère, Aurélien, qui travaille comme restaurateur d’œuvres d'art au ministère de la culture et est marié à une femme détestable nommée Indy. Autour d'eux gravitent pléthore de personnages tous hauts en couleurs.

Anéantir est une fiction d'anticipation d'une grande richesse, mêlant les genres, les styles et les thématiques. Si au commencement, ce roman peut s'apparenter à un thriller politique, il se transforme très rapidement en une fresque familiale  permettant ainsi à son auteur de se livrer à une analyse critique de notre société contemporaine. Tout y passe. La situation économique et politique qui conduit inévitablement à la déliquescence de la France,  à la montée de l'individualisme, aux inégalités grandissantes, à l'absurdité environnante. Nos comportements paradoxaux sont mis en exergue pour in fine nous interpeler sur le sens la vie, notre relation à la maladie et à la mort, à la façon dont nous accompagnons nos mourants tant dans les établissements qui, faute de moyens, se déshumanisent, qu'au sein de la cellule familiale. Et pour adoucir ses propos et les parsemer d'espoir, Michel Houellebecq tapisse son roman d'une multitude de touches d'amour. Oui, vous avez bien lu, l'amour est omniprésent dans Anéantir. Qu'il s'agisse de celui qui unit un homme et une femme, une fratrie, un père et un fils, celui que l'on sème ou que l'on récolte. Il est là. Partout. Aussi étonnant que cela puisse paraître c'est bien cette thématique universelle et existentielle que l'auteur décline à travers tous ses personnages. D'abord inexistant, l'amour va reprendre corps dans le couple de Paul, mais également entre tous les membres de la famille Raison. L'auteur pose un regard tendre sur ceux qui la composent et révèle progressivement la profondeur des liens qui les unit.

Anéantir est un roman à la fois d'un pessimisme réaliste et d'une profonde humanité. Tant de thématiques sont abordées qu'il serait indigeste de toutes les inventorier, toujours est-il que ce pavé bien ancré dans son époque et invitant à la réflexion se lit d'une traite. Il faut bien reconnaître que Michel Houellebecq donne toujours une tonalité singulière à ses propos et que sa plume sans fioriture teintée de mélancolie est agréable et accessible. Alors fallait-il ou pas lire Anéantir telle n'est pas la question, je l'ai lu et vous le conseille chaleureusement.

Bonne lecture !

vendredi 19 août 2022

Mon avis sur "Les envolés" d'Étienne Kern

Étienne Kern est professeur de lettres en classes préparatoires, auteur et co-auteur d'essais sur la langue française et la vie littéraire. Les envolés (Gallimard) est son premier roman, il fait partie de la sélection 2022 des 68 premières fois et a obtenu le Prix Goncourt du premier roman en mai dernier.

4 février 1912. Le jour se lève à peine. Entourés d’une petite foule de badauds, deux reporters commencent à filmer. Là-haut, au premier étage de la tour Eiffel, un homme pose le pied sur la rambarde. Il veut essayer son invention, un parachute. On l’a prévenu : il n’a aucune chance. Acte d’amour ? Geste fou, désespéré ? Il a un rêve et nul ne pourra l’arrêter. Sa mort est l’une des premières qu’ait saisies une caméra.
Avec Les envolés Etienne Kern mêle à l’histoire vraie de Franz Reichelt, tailleur pour dames venu de Bohême, le souvenir de ses propres disparus. 

L'époque est aux débuts de l'aviation. Les premiers accidents ont poussé le tailleur  à  travailler sur la mise au point d'un costume-parachute, inspiré de la physionomie des chauves-souris. Après différents essais avec des mannequins depuis la cour de son immeuble, au 8 rue Gaillon à Paris, Reichelt se lance lui-même depuis une hauteur d'une dizaine de mètres à Joinville. Les tentatives non concluantes le pousseront à poursuivre ses recherches, jusqu'au jour où il annonce à la presse qu'il va réaliser lui-même un saut depuis le premier étage de la tour Eiffel pour prouver l'efficacité de son invention et qui sait, empocher les cinq mille francs à la clé du concours organisé par la ligue de l'Aéro-Club de France. Le jour J il s'élance mais son appareillage, qui ne semble qu'à demi-ouvert, se replie sous lui. C'est la chute libre et l'accident mortel. Franz Reichelt devra sa notoriété posthume non pas à sa participation à l'invention du parachute, mais au fait que la scène avait été filmée. Alors, folie d'un inventeur ou suicide à l'instar de l'amie d'Étienne Kern qui s'est volontairement envolée ? Peu importe la raison, le résultat est là, comme d'autres, Franz Reichelt s'est envolé.

C'est l'histoire romancée de cet envolé oublié qu'Étienne Kern retrace tout en la ponctuant d'éléments intimes. D'autres histoires d'envolés, notamment d'une qui a choisi de quitter un monde devenu trop insupportable et à qui le roman est dédié. Tout en finesse, Les envolés est porté par un style pur, servi par une plume aérienne et poétique. Un premier roman court, mais élégamment puissant.

Belle lecture !

samedi 13 août 2022

Mon avis sur "Une toute petite minute" de Laurence Peyrin

Laurence Peyrin a été journaliste de presse pendant vingt ans avant de se consacrer à l’écriture. Une toute petite minute (Pocketayant été sélectionné pour concourir au Grand Prix des Lecteurs Pocket, c'est dans ce cadre-là et en ma qualité de jurée que je l'ai lu. Encore une belle découverte...

Il a suffi d’une minute… D’une toute petite minute. Une nuit de réveillon 1995, Madeline s’enferme dans la salle de bains en compagnie de sa meilleure amie. Soixante secondes plus tard, Estrella est morte. Personne ne saura jamais la vérité sur ce drame.
Comment se pardonner ce qui est impardonnable ? Vingt ans de prison n’y ont pas réussi. Entrée adolescente, Madeline en ressort femme. Vingt ans au cours desquels elle n’a pas vu mourir son père, grandir sa sœur, changer sa mère… Comment, dès lors, se raccorder au fil des jours ? Et s’accorder le droit de vivre, d’aimer, d’être aimée peut-être… ?

Il en faut peu pour qu'une vie bascule. Une rencontre, un simple clic, un égarement, un instant… En l'espèce, Une toute petite minute a suffi pour qu'une fête se transforme en cauchemar. Madeline a 17 ans quand son étoile, Estrella, sa meilleure amie, s'est définitivement éteinte. Vingt ans plus tard, Mad sort de prison. Une toute petite minute a suffi à obscurcir son ciel. Sa peine intégralement purgée, parviendra t-elle à le rallumer, à y accrocher de nouvelles étoiles ?

Avec beaucoup de subtilité, Laurence Peyrin raconte la vie d'avant et d'après de son héroïne. Elle donne la parole à Madeline qui dévoile l'enfant qu'elle était, ses rêves d'adolescente, puis ses conditions d'enfermement, son obstination à vouloir purger sa peine jusqu'au dernier jour, jusqu'à la dernière minute. Ce récit alterne avec celui de Mad, la femme que Madeline est devenue, celle qui, une fois libérée, n'a plus de repères sociaux, celle qui doit se reconstruire, s'insérer dans cette société qu'elle ne connaît pas. 
Cette double temporalité permet de cerner la psychologie ambivalente de Madeline, de la comprendre, de cheminer avec elle et d'espérer que sa rédemption réussisse tout en cherchant à savoir ce qu'il s'est vraiment passé dans cette salle de bains le 31 décembre 1995. Ce n'est qu'à la toute dernière minute de lecture que l'intrigue sera levée.

Une toute petite minute est un roman empreint d'une grande humanité. Parfaitement construit, il est également d'une grande justesse et d'une finesse qui rendent le tout parfaitement crédible. Le milieu carcéral, l'impact du drame sur la famille et les proches, la difficulté à se réinsérer, la puissance de la nature, incontournable source de rédemption et enfin, l'espoir qu'une belle rencontre puisse de nouveau rallumer les étoiles. Une toute petite minute est un roman touchant qui nous transporte sur les chemins de Montauk Point Light et surtout sur ceux de la résilience. Ce roman a été pour moi une belle découverte qui m'a donné la furieuse envie d'apprendre à faire des crêpes d'œuf ! (Seuls les lecteurs savent). 

Belle lecture !

vendredi 12 août 2022

Mon avis sur "La belle famille" de Laure de Rivières

Laure de Rivières est une ancienne journaliste qui a évolué pendant près de quinze ans dans la presse féminine où elle a essentiellement traité de sujets de société concernant les femmes. Elle vit depuis peu à Los Angeles. La belle famille est son premier roman (Flammarion) et justement de femmes il est question.

« Quand j’ai répondu à cette petite annonce, et Dieu sait qu’à cette époque j’aurais pris n’importe quoi, je n’aurais jamais pu imaginer ce qui allait m’arriver.
D’ailleurs, personne n’aurait pu s’en douter.
Et je ne sais pas si quelqu’un aurait pu m’en protéger. »
Manon a 20 ans quand elle rencontre l’homme qui va changer le cours de sa vie. Charmeur et sûr de lui, ce catholique intégriste et père de cinq enfants révèle peu à peu son caractère trouble et dangereux. En fonçant tête baissée dans l’obscurité d’une famille et d’un monde qui lui sont étrangers, Manon s’engage sur un chemin chaotique dont personne ne sortira indemne.

Inspiré d’une histoire vraie, La belle famille est un roman polyphonique. La voix de Manon, jeune étudiante indépendante et affranchie, ainsi que celle de tous les autres protagonistes se font l'écho de cette incroyable histoire. Une histoire d'emprise psychologique. Sans jugement, à tour de rôle, chacun y va de son point de vue. Dès les premières pages, nous sommes saisis par l'ambiance très singulière de ce roman qui peu à peu devient suffocante. On devine très rapidement qu'une fois la porte de la maisonnée refermée, il se passe des choses pas très catholiques. La belle famille traite de violence conjugale, pas celle qui fracasse les assiettes, celle qui vous prend dans ses filets, qui s'insinue sournoisement là où on ne l'attendait pas, celle qui intervient entre un homme et une femme, celle qui vous enserre, vous étouffe, qui fait douter celle qui la subit, qui fait mentir celui qui la fait subir. Il est question d'emprise et de manipulation. Du haut niveau. Du très haut niveau. Tellement haut que même une jeune fille libre et indépendante tombe dans le piège, que son entourage n'y voit rien. Cette histoire interpelle, révolte, questionne. Mais qu'avons-nous appris de toutes les générations de femmes qui nous ont précédés ? Comment est-ce possible que de nos jours, une jeune fille puisse tomber entre les serres d'un tel prédateur et surtout qu'elle n'en n'ait pas conscience ? 

Admirablement construit, ce livre, à l'instar de son personnage masculin principal, vous asservit. Impossible de le lâcher, d'y renoncer. Jusqu'au bout, jusqu'à la dernière page, la dernière ligne on reste sous l'emprise de ce pervers tout en admirant la force et la détermination de cette jeune fille qui s'évertue obstinément à rester optimiste, à tenir sa lign(é)e de conduite.
La belle famille est un premier roman percutant, glaçant, mais ce qui l'est encore plus c'est qu'il est inspiré d'une histoire vraie. Laure de Rivières a rencontré Manon un été, quand elle avait vingt ans. Elle était pleine d'une radieuse envie de vivre. Quelques années plus tard, l'auteure l'a retrouvée et a pu mesurer les effets de l'emprise sociale et amoureuse, et l'impact de la maladie mentale sur les proches. Laure de Rivières a voulu écrire un livre racontant le courage d'une femme qui doit tout affronter et supporter par pur amour, bonté et sincérité. Une femme qui découvre la maternité, sous toutes ses formes, et qui s'y abandonne, qui découvre l'amour et qui veut y croire malgré toute la violence que cela impose. La belle famille est une fiction, fondée, hélas, sur des faits réels. Il est à lire pour aider celles qui connaissent ces situations et surtout pour aider les autres à décrypter tous les signaux de l'emprise et de la manipulation.

Belle lecture !

vendredi 5 août 2022

Mon avis sur "D'amour et de guerre" de Akli Tadjer

Akli Tadjer est un écrivain et scénariste franco-algérien. Il est l’auteur de quatorze romans, dont trois ont été adaptés à la télévision. D'amour et de guerre (Pocket) a été sélectionné pour concourir au Grand Prix des Lecteurs Pocket. C'est dans ce cadre et en ma qualité de jurée que je l'ai lu.

Jeune berger des montagnes kabyles, Adam a 20 ans et des rêves plein la tête. Il y a sa belle Zina. Et puis il y a La Clef, cette maison qu’il leur construit. Alors quand la guerre éclate, là-bas, en France, le jeune Algérien dit non. Tomber au champ de leur honneur, y laisser un membre, comme son père en 1914 ? Pour le compte de qui, pour l’honneur de quoi ? Mais la Guerre a ses façons de moissonner ses enfants. Arraché à sa terre, à son amour, Adam va connaître l’horreur du front, les rigueurs de l’exil, puis les camps de travail pour soldats coloniaux... Guidé par ses rêves de liberté, retrouvera-t-il son Algérie natale et sa Zina bien-aimée ?

D'amour et de guerre est la quête éperdue d’amour et de liberté d’un jeune soldat kabyle propulsé malgré lui dans un monde devenu fou. Alors que l'Algérie est colonisée par la France, la guerre opposant français et allemands va arracher Adam à son grand amour, à son village, ses racines. Il est enrôlé de force par l’armée pour tuer des allemands qu’il ne connaît pas, dans une France qu’il ne connaît pas davantage. Affecté dans le Nord de l'Hexagone avant d'être prisonnier dans un camp de travail réservé aux soldats coloniaux, Adam va découvrir l’horreur, le froid et surtout la trahison, celle des Français qui collaborent avec l'ennemi. Avec ses compagnons d'infortune, Samuel, fils de rabbin, et Tarik, un futur imam, il va s'échapper. Ensemble ils vont traverser une France occupée pour rejoindre à Paris l'ancien instituteur d'Adam à Bousoulem. Mais la capitale n'est que danger. Leur route va se séparer. Chacun empruntera une voie différente. Adam prendra la direction de la Normandie où il devra surmonter de nouvelles épreuves. Tout ce qu'il vit est consigné dans son carnet rouge qu'il noircit pour Zina, son grand amour qu'il ne désespère pas de retrouver dès que l'horreur laissera entrevoir une telle possibilité.

Avec D'amour et de guerre Akli Tadjer évoque tout un pan de l'histoire qui a été passée sous silence. À travers la tendresse du regard de son personnage principal, il dénonce la mobilisation forcée des algériens, l'absurdité de cette situation, les souffrances que ces jeunes soldats ont vécu tout en veillant à mettre à l'honneur des valeurs telles que l'amitié, la solidarité et l'amour. En mêlant grande et petite histoire, Akli Tadjer non seulement réhabilite la mémoire ce ceux qui ont été trop vite oubliés et nous offre un roman empreint d'humanité, d'humour et de poésie. La suite, D'audace et de liberté est disponible aux Éditions Les escales. 

Belle lecture !