mardi 19 novembre 2024

Mon avis sur "Normal People" de Sally Rooney

Sally Rooney, auteure irlandaise propulsée au rang de phénomène littéraire défraye la chronique avec son dernier roman, Intermezzo. N'ayant rien lu d'elle, il était temps de me lancer. Naturellement, j'ai commencé avec Normal People (Éditions Points) son second roman plébiscité par les libraires irlandais en 2018, vendu à trois millions d'exemplaires et adapté en série télévisée par la BBC.

Connell et Marianne ont grandi dans la même ville d'Irlande. Il est le garçon en vue du lycée, elle est la solitaire un peu maladroite, ils connaissent ensemble leur premier amour. Un an plus tard, alors que Marianne s'épanouit au Trinity College de Dublin, Connell s'acclimate mal à la vie universitaire. Entre eux, le jeu vient tout juste de commencer.

Normal People est l’histoire d’une rencontre au lycée d’une jeune fille et d'un jeune garçon que tout semble opposer. Leur classe sociale, leur physique, leur côte de popularité. Malgré leurs différences, une amitié amoureuse va naître entre ces deux brillants élèves. Dès lors et durant quatre années, Sally Rooney nous plonge dans l'intimité de Marianne et Connell. Parfois ensemble, souvent séparés, ces jeunes gens expérimentent les choses de la vie, l'amour, le sexe et tout ce qui les relie aux autres. Ils tentent de se construire, de trouver leur place dans ce monde complexe. À leur côté, on embrasse leurs doutes, leurs questionnements, leurs angoisses mais également leurs espoirs. 

Avec justesse l'auteure retranscrit les préoccupations d'une jeunesse tourmentée mais pleine de vie et parvient à rendre cette histoire universelle. Normal People est un roman d'apprentissage résolument contemporain tantôt léger et insouciant, tantôt sombre et angoissant qui au vu de son succès, a su trouver écho auprès des jeunes et ceux qui l'ont été. 

Belle lecture !
 

mercredi 13 novembre 2024

Mon avis sur "Acide" de Victor Dumiot

J'ai rencontré Victor Dumiot lors du Festival du premier roman Livres en Baie au Crotoy. Lorsqu'il a présenté Acide (Bouquins Éditions) l'usagère du métro que je suis, a été intriguée. J'ai eu envie de découvrir ce qu'il adviendrait de son héroïne et ce qui pouvait la relier à ce garçon que tout oppose. 

Camille voit sa vie basculer un jeudi soir dans le métro. Lorsqu’elle se réveille à l’hôpital quelques mois plus tard, elle n’a plus de visage. Son agresseur a disparu sans laisser de traces.
Julien vit enfermé dans son appartement. Solitaire, il passe l’essentiel de son temps à consommer des images pornographiques et à surfer sur le darknet. Un soir, il télécharge par hasard une vidéo de l’agression. Alors qu’il s’enfonce peu à peu dans une spirale de violence et d’autodestruction, il ne pense plus qu’à une chose : retrouver la jeune femme.

Si vous aimez les romans qui sortent des sentiers battus, qui dérangent, Acide est pour vous. Autrement dit, les âmes sensibles doivent impérativement s'en tenir éloigné. Acide n'est que souffrance, violence et noirceur. Et c'est justement ce qui fait toute la force de ce premier roman qui s'ouvre sur une agression à l'acide dans les transports en commun. S'ensuit l'acharnement du corps médical pour reconstituer le visage de la victime complètement défigurée. Dès lors, les opérations et les greffes au résultat incertain s'enchainent. Parallèlement, on suit la descente aux enfers d'un reclus, aficionado du darknet, amateur de pornographie trash et de violence. Au détour d'un téléchargement, il tombe sur la vidéo de l'agression et est irrésistiblement attiré par cette monstruosité. Alors qu'elle tente de survivre, l'autre s'autodétruit pour ressentir sa douleur à elle. Ces deux-là ont en commun la souffrance tant physique que psychologique à une différence près, l'une la subit, l'autre se l'inflige volontairement. 

Acide est un premier roman noir d’une puissance rare qui aspire le lecteur dans cette descente aux enfers. La plume acérée et crue de Victor Dumiot nous immerge dans le psyché de ses personnages, nous fait ressentir leur douleur dans notre propre chair et colle à notre peau leur mal-être poisseux. Acide dérange, oppresse, mais pour une raison que je ne peux m'expliquer, il m'a été impossible de le lâcher. Je n'ai qu'un regret, sa fin qui m'a laissée sur ma faim.

Maintenant que vous êtes averti, à vous de choisir... Pour ma part, j'ai la certitude que Victor Dumiot est un auteur à suivre de près.

Belle lecture !
 

jeudi 31 octobre 2024

Mon avis sur "Ravage" de Ian Manook

Ian Manook est l'un des quatre pseudonymes sous lesquels Patrick Manoukian écrit. Grand voyageur, il a parcouru les États-Unis et le Canada, puis plus tard l'Islande, le Belize et le Brésil. Ravage (Éditions Paulsen) est son dernier roman noir sur fond blanc et fait partie de la sélection 2024 de la Bibliothèque Orange.

Red Arctic, hiver 1931. Une meute d'une trentaine d'hommes armés, équipés de traîneaux, d'une centaine de chiens et d'un avion de reconnaissance pourchasse un homme. Un seul. Tout seul. C'est la plus grande traque jamais organisée dans le Grand Nord canadien. Pendant six semaines, à travers blizzards et tempêtes, ces hommes assoiffés de vengeance se lancent sur la piste d'un fugitif qui les fascine. Cette course-poursuite va mettre certains d'eux face à leur propre destin. Car tout prédateur devient un jour la proie de quelqu'un d'autre...
Ravage est inspiré de l'histoire vraie d'Albert Johnson, le trappeur fou de la rivière Rat qui fut l'objet d'une absurde chasse à l'homme à travers les territoires du Grand Nord au Canada plusieurs semaines durant à l'hiver 1931 et qui défraya la chronique.

Ravage s'ouvre avec un traîneau tiré par sept chiens qui glisse à grande vitesse vers l'hôpital d'Aklavik pour sauver Billy, blessé par balle alors qu'il se rendait avec deux équipages de la Gendarmerie royale canadienne pour la seconde fois chez un trappeur. Ce dernier chassait très vraisemblablement sans permis, sur les terres de Loucheux (Indiens). Cette seconde visite a tourné au drame et a pris une tournure absolument inattendue. L'inspecteur Walker, homme de principe, met un point d'honneur à faire respecter l'ordre sur son territoire. Il veut arrêter coûte que coûte celui qui s'est rendu coupable d'une tentative d'homicide sur un représentant de la Gendarmerie royale. Dès lors, il va engager des moyens considérables. Onze hommes, soixante-trois chiens au total, sept cents kilos de nourriture, des tentes, des raquettes, des armes, des munitions et de la dynamite. Une véritable expédition. D'ici quatre jours, le trappeur récalcitrant sera sous les verrous. Sauf que tout ne se passera pas exactement comme prévu. Le fugitif d'une exceptionnelle résistance, est particulièrement rusé. Les températures extrêmes et le blizzard ne semblent pas avoir de prise sur lui et miraculeusement la neige n'imprime pas ses traces ou alors uniquement pour ramener les poursuivants sur leurs pas. La traque va finalement durer six semaines, des moyens colossaux vont être déployés. Tout ne sera que disproportion face à un seul et unique homme. 

Ravage est le récit journalier de cette chasse à l'homme totalement folle du point de vue des poursuivants. Et c'est ce qui fait son intérêt. Non seulement Ian Manook nous fait découvrir une faune et des paysages à couper le souffle, mais il nous fait vivre cette expédition de l'intérieur. On glisse à vive allure sur la neige glacée s'en remettant au musher, on scrute l'horizon immaculé et ouaté tentant de détecter la moindre trace de pas. Puis, peu à peu gagné par le froid et l'épuisement, on s'interroge. Comme certains des participants qui finissent par se désolidariser, on en vient à se demander s'il est bien utile de mobiliser autant de moyens pour ce fugitif qui à n'en pas douter, finira par périr de froid ? Cette traque démesurée, guidée par la fierté et l'égo de certains et merveilleusement restituée sous la plume de Ian Manook, nous laisse un goût amer. C'est abattu et complètement ahuri que l'on referme Ravage. Et dire que ce roman est inspiré de faits réels...

Belle lecture !
 

lundi 28 octobre 2024

Mon avis sur "Il ne se passe jamais rien ici" d'Olivier Adam

Lire Oliver Adam c'est la certitude de plonger dans la société, d'être traversé par l'époque ou l'histoire, d'assister à la mise à nu de ses personnages jusqu'à voir apparaitre leurs failles et fêlures. Il ne se passe jamais rien ici (Flammarion) ne déroge pas à la règle.

La saison touristique touche à sa fin dans ce village niché sur les rives du lac d’Annecy. Comme souvent, Antoine passe la soirée au Café des Sports avec les habitués. L’atmosphère est à la fête. Mais quand, au petit matin, on découvre le corps d’une femme assassinée au bord de l’eau, c’est vers lui que se portent les regards. Connu de tous, jugé instable par beaucoup, y compris par sa propre famille, ce bientôt quadragénaire aux airs d’éternel adolescent fait vite figure de coupable idéal. Sans doute un peu trop. Car, ce soir-là, ils sont nombreux à être partis tard dans la nuit.

Il ne se passe jamais rien ici est un roman choral qui pourrait ressembler à un polar, mais qui est en réalité un roman sociologique redoutable. Fanny était une jeune fille sans histoires. Appréciée de tous, surtout des hommes, on ne lui connaissait aucun ennemi. Alors, pour tenter de démasquer l'auteur de ce qui semble être un féminicide, les policiers vont entendre à tour de rôle tous ceux qui de près ou de loin ont interagit avec la victime. Chacun va s'exprimer, dire ce qu'il a à dire, émettre des hypothèses et rebondir sur les déclarations de leurs prédécesseurs. L'occasion parfaite pour libérer les rancœurs trop longtemps ressassées et pour au détour d'une déclaration, soupçonner son voisin. 

Il ne se passe jamais rien ici est une analyse de la psychologie de ceux qui vivent enfermés dans ce lieu clos enclavé entre les montagnes quel que soit leur âge ou leur statut social. Olivier Adam nous fait rentrer dans la tête de chacun des vingt-cinq personnages et nous propose une mise en abyme de leurs contradictions et nous dévoile tout ce que ceux-ci s'évertuent de cacher derrière les apparences. Sur fond de fait divers, c'est toute une palette de sentiments qui nous est dépeinte avec finesse et justesse. En résumé, il se passe toujours quelque chose avec les romans d'Olivier Adam.

Belle lecture !

lundi 14 octobre 2024

Mon avis sur "Un printemps en moins" d'Arnaud Dudek

Arnaud Dudek se présente sur son compte Instagram comme étant écrivain, de temps à autres. Sinon, il a participé à plusieurs revues, dont Les Refusés, la Revue Décapage, Tempo, ou encore Rouge Déclic. Il est également le cofondateur des rencontres littéraires AlternaLivres. J'ai lu son dernier roman Un printemps en moins (Les Avrils) grâce à Babelio et sa Masse critique de la rentrée.

Gabriel a 14 ans. Un âge en principe insouciant, fait de parties de foot, d’amitiés, de premiers flirts. Sauf que Gabriel est dans un lit d’hôpital, plongé dans le coma. En suivant ses pensées, mais aussi celles de son père et d’une enseignante qui n’ont rien vu venir, le puzzle du drame se recompose. Les moqueries en classe, les injures incessantes, les photomontages immondes sur les réseaux sociaux. Jusqu’au matin où Gabriel n’a plus pu supporter. Durant ce printemps volé à sa vie, tous revisitent leurs vulnérabilités pour y puiser la tendresse qui permet de se reconstruire
.

Un printemps en moins c'est trois voix pour comprendre ce qui a poussé Gabriel à passer à l'acte. Celle de son père, de sa prof de français et la sienne. Comment les deux premiers ont-ils pu passer à côté de son mal-être, à côté de tout ce que les autres lui faisaient subir constamment ? Comment un collégien comme tant d’autres en est-il arrivé à cela ? Pourquoi alors qu’à son âge il devrait courir après une balle, les filles et tout ce qu’il aime, Gabriel se retrouve immobilisé sur un lit d’hôpital entre la vie et la mort ?
Un printemps en moins c'est trois voix pour décrire l'indescriptible, la violence subie sans répit qui se prolonge hors la classe, la culpabilité de ceux qui n'ont rien vu venir, de ceux qui, trop préoccupés par leurs propres problèmes, n'ont pas su détecter la souffrance de cet enfant et qui n'ont pas pu agir pour empêcher ce geste.
Un printemps en moins c'est trois voix pour expliquer, pour sensibiliser et pour qu'un jour le harcèlement scolaire qui blesse, qui tue, cesse.

En alternant les voix, en reconstituant le puzzle au gré des déclarations des uns et des autres, en écrivant des chapitres courts mais percutants, Arnaud Dudek permet au lecteur de plonger pleinement dans ce printemps en moins. Ses propos font l’effet d’un uppercut et nous laissent sans voix.

Lorsque l'on sait que plus d’un élève par classe est en moyenne victime de harcèlement scolaire selon les résultats d’une grande enquête nationale,  que 5 % des écoliers du CE2 au CM2, 6 % des collégiens et 4 % des lycéens sont considérés comme victimes de harcèlement, on ne peut qu'espérer que Un printemps en moins soit lu pour que chacun prenne conscience de la gravité des situations vécues par les enfants et que tous ensemble nous luttions contre ce fléau.

Un grand merci aux Editions Les Avrils et à la Masse critique Babelio de septembre pour cette lecture responsable !

lundi 30 septembre 2024

Mon avis sur "Badjens" de Delphine Minoui

D’origine iranienne, lauréate du prix Albert-Londres et grand reporter au Figaro, Delphine Minoui couvre depuis vingt-cinq ans l’actualité du Proche et Moyen-Orient. Elle est l'auteure de plusieurs romans, dont certains ont été traduits dans une dizaine de langues. Badjens (Seuil) est le dernier paru à l'occasion de cette rentrée littéraire.

Chiraz, automne 2022. Au cœur de la révolte « Femme, Vie, Liberté », une Iranienne de 16 ans escalade une benne à ordures, prête à brûler son foulard en public. Face aux encouragements de la foule, et tandis que la peur se dissipe peu à peu, le paysage intime de l’adolescente rebelle défile en flash-back : sa naissance indésirée, son père castrateur, son smartphone rempli de tubes frondeurs, ses copines, ses premières amours, son corps assoiffé de liberté, et ce code vestimentaire, fait d’un bout de tissu sur la tête, dont elle rêve de s’affranchir. Et si dans son surnom, Badjens (Bad-jens : mot à mot, mauvais genre. En persan de tous les jours: espiègle ou effrontée), choisi dès sa naissance par sa mère, se trouvait le secret de son émancipation ? 

Badjens est un livre essentiel pour comprendre l'oppression dont sont victimes les femmes iraniennes et ce qui a poussé les plus jeunes à se révolter depuis que le 16 septembre 2022, Jina Mahsa Amini, une étudiante iranienne de 22 ans, est décédée des suites des coups portés par la police des mœurs pour un hijab jugé non conforme. La mort de cette jeune femme a suscité une vague d'indignation en Iran. Partout, les slogans « Femme, Vie, Liberté » résonnaient. Deux ans après, les femmes qui ne respectent pas le code vestimentaire iranien sont toujours rudement réprimées et encourent jusqu'à dix ans de prison. Comment est-ce encore possible ?

Badjens s'ouvre dans la rueZhara, cheveux au vent, s'apprête à brûler son foulard. Si on imagine la suite, on ne peut deviner ce que cette jeune iranienne a vécu jusqu'alors. Pour expliquer son geste, elle nous livre son quotidien sous forme de monologue.
Tout a commencé le jour où ses parents ont appris qu'elle serait une  fille. Ils ont immédiatement envisagé l'avortement, qui, faute de moyens, n'a pu être réalisé. Le jour de sa naissance fut pour son père, un non-évènement. Si elle porte un prénom, ce n'est qu'à sa grand-mère qu'elle le doit. Plus tard, alors qu'un incendie s'est déclaré en pleine nuit dans leur immeuble, Zhara ne doit sa survie qu'à son instinct, le plus précieux des êtres, son frère cadet né après elle et élevé dans la toute puissance, ayant été sauvé des flammes. Seul ce dernier compte. La fille n'est rien, n'a aucun droit, elle n'existe pas. Comment ne pas se révolter ? Comment lorsque l'on a accès à Internet, lorsque l'on sait qu'un ailleurs plus tolérant existe, accepter d'être soumise à la gent masculine toute puissante ? Heureusement que Zhara s'est construit son univers à elle, qu'elle discute avec des jeunes d'autres pays, qu'elle partage avec ses copines, qu'elle peut échanger avec sa mère, sa complice dès que le père s'absente du domicile. Quand il n'est pas là, l'ambiance de la maison change du tout au tout. La musique occidentale envahit l'espace, le maquillage est déballé, plus tard, ce sera le matériel à tatouer. Ces petits moments de légèreté et de liberté rendent quelque peu supportable l'oppression et les humiliations du quotidien, jusqu'au jour où Zhara apprendra que Jina Mahsa Amini a perdu la vie dans d'atroces conditions pour une mèche de cheveux trop visible. 

Avec Badjens, Delphine Minoui nous permet de mesurer concrètement tout ce que les femmes iraniennes endurent, le statut qui leur est réservé et tout ce qui est mis en place pour les rendre invisibles. Elles sont opprimées, mises au banc de la société, mais pas dénuées de courage. Certaines, au prix de leur vie, osent se révolter et défier le pouvoir en place pour qu'un jour, un vent de liberté soulève leur chevelure. 
Badjens est un texte fort, percutant à l'écriture à la fois poétique et vive. Ce livre est un incontournable de cette rentrée littéraire, sa lecture indispensable.

Femme, Vie, Liberté !
 

vendredi 27 septembre 2024

Mon avis sur "La vie qui reste" de Roberta Recchia

Roberta Recchia est enseignante. Bien qu'elle ait toujours pratiqué l'écriture La vie qui reste (Istya & Cie) est son premier roman. Publié dans quatorze pays, il est l'un des 459 de cette rentrée littéraire et le meilleur selon Gérard Collard de La griffe noire. Info ou intox ?

Tout commence à Rome, comme dans un vieux film d'Ettore Scola, avec la rencontre improbable de Marisa et Stelvio. Ils tombent amoureux, se marient, ont deux enfants, une famille parfaite. Voilà pour la vie d'avant.
Tout bascule un été lorsque leur fille Betta est assassinée sur une plage de Torre Domizia. La vie d'après commence.

La Vie qui reste commence un dimanche de novembre 1956 quand Stelvio a pris Marisa dans ses bras et qu'il a serré sa main dans la sienne. Par ce geste, il a fait taire les rumeurs et a sauvé l'honneur des Balestrieri. Ils vécurent heureux au soleil et eurent deux enfants, un garçon et une fille. Cette romance aurait pu s'arrêter là, mais où serait l'après ? 
L'après commence un matin d'août 1980, le 11 précisément quand le corps d'Elisabetta, la fille de Stelvio et Marisa, est découvert sur la plage de Torre Domizia. Dès lors, tout va basculer. Au fur et à mesure que les liens familiaux se délitent, que nous pénétrons le psyché des parents de Betta, de sa cousine Miriam et de sa grand-mère, la tonalité du roman change radicalement, passant de la légèreté de la comédie romantique à la lourdeur du roman noir. Aux éclats de voix et de rires, succèdent le silence pesant et les non-dits. Les personnages se murent dans leur peine. Incapables de communiquer, ils noient leur désarroi dans l'alcool, la dépression ou la drogue. Une vraie descente en enfer jusqu'à l'intervention salvatrice de Leo de Maria et de Corallina. 

La vie qui reste est un bon roman résolument contemporain et universel en raison des thématiques abordées. La plume fluide empreinte de pudeur et sans fioritures de Roberta Recchia alliée à la traduction d'Elsa Damien, laissent toute la place nécessaire aux émotions et facilitent l'immersion du lecteur dans cette tragédie familiale au dénouement favorable. Si La vie qui reste est le roman de la résilience, de la force de l'amour et de la reconstruction, s'il est vrai qu'il habite le lecteur et que tout est réuni pour l'inciter à tourner les pages avec frénésie, il n'en demeure pas moins qu'il me semble excessif de l'estampiller "meilleur roman de cette rentrée littéraire d'automne". Cette précision apportée, La vie qui reste mérite d'être lu et son auteure d'être découverte.

Belle lecture !
 

lundi 23 septembre 2024

Mon avis sur "Le rêve du jaguar" de Miguel Bonnefoy

Lire Miguel Bonnefoy c'est la certitude de faire un voyage extraordinaire en Amérique du Sud, d'y vivre des aventures hors normes, le tout parsemé d'une pointe de réalisme magique. Le dernier roman de l'auteur franco-vénézuélien, Le rêve du jaguar (Payot et Rivages) réunit tous ces ingrédients et comme à l'accoutumée, ça fonctionne à merveille. 

Quand une mendiante muette de Maracaibo, au Venezuela, recueille un nouveau-né sur les marches d’une église, elle ne se doute pas du destin hors du commun qui attend l’orphelin. Élevé dans la misère, Antonio sera tour à tour vendeur de cigarettes, porteur sur les quais, domestique dans une maison close avant de devenir, grâce à son énergie bouillonnante, un des plus illustres chirurgiens de son pays.
Une compagne d’exception l’inspirera. Ana Maria se distinguera comme la première femme médecin de la région. Ils donneront naissance à une fille qu’ils baptiseront du nom de leur propre nation : Venezuela. Liée par son prénom autant que par ses origines à l’Amérique du Sud, elle n’a d’yeux que pour Paris. Mais on ne quitte jamais vraiment les siens. C’est dans le carnet de Cristobal, dernier maillon de la descendance, que les mille histoires de cette étonnante lignée pourront, enfin, s’ancrer.

Le rêve du jaguar est avant tout une saga familiale, inspirée de la lignée maternelle de l'auteur. Le récit s’étire sur trois générations et se mêle à l’Histoire du Venezuela. Il commence sur les marches d’une église où un bébé de trois jours y a été abandonné et se termine lors d'une cérémonie officielle. De la rue à la plaque de rue il n’y a qu’un nom, celui d’Antonio Borjas Romero, l'homme aux mille vies et aux mille récits d’amour. Cet homme d'exception a exercé toutes sortes de métiers avant d'accéder à l'instruction. Ce changement de paradigme et sa détermination lui permettront de conquérir le cœur de la plus inaccessible des jeunes filles. Ensemble, ils seront de tous les combats. Ils lutteront contre la dictature du pouvoir en place, se battront pour défendre les droits des plus fragiles et rendre l'instruction accessible au plus grand nombre.

Outre ces êtres d'exception, dans Le rêve du jaguar on croise un pingouin originaire du pôle qui aurait nagé jusqu'aux eaux tropicales, une tara noire annonciatrice de la mort, un papillon géant qui n'apparaît que dans les songes, un jaguar enfanté par une chatte, on entend les râles caverneux d'un mort qui hante la maison dont les meubles sont sculptés de méduses et tant d'autres étrangetés qui nous ouvrent avec émerveillement au réalisme magique fermement revendiqué par Miguel Bonnefoy. 
Heureusement que ce dernier a navigué dans la sève de son arbre familial comme on remonte le fleuve du passé, qu'il a trouvé la souche du rêve du jaguar, qu'il a expliqué le cahier des mille histoires d'amour, qu'il a décrit les paysages irréels de Pela el Ojo, qu'il a gravi le talus des songes, qu'il a bu à la racine, a pris son stylo et s'est mis à écrire Le rêve du jaguar. En partageant le destin de son grand-père et sa grand-mère exceptionnels, mythiques, à l'origine de tant d'avancées sociales et économiques, Miguel Bonnefoy nous régale d'une épopée flamboyante d'un enfant abandonné au troisième jour de sa vie sur les marches d'une église d'une rue qui aujourd'hui porte son nom. C'est un merveilleux conteur à la plume poétique qui nous embarque pour un voyage hors du temps. Un conseil, ne passez pas à côté de ce jaguar d'une puissance hors norme.

Belle lecture !

vendredi 13 septembre 2024

Mon avis sur "La fileuse de verre" de Tracy Chevalier

Tracy Chevalier est une auteure spécialisée dans les romans historiques. Vingt-quatre ans après son immense succès, La jeune fille à la perle, elle nous embarque à Murano pour justement une nouvelle histoire de perles, certes moins précieuses mais éclatantes, colorées et symbole d’une émancipation féminine. La fileuse de verre est son dernier roman (La table ronde).

À Murano, le long des canaux et des ruelles, derrière les portes des ateliers, maestros et apprentis domptent le verre. Le secret de leur savoir-faire, qui ne doit jamais atteindre la terraferma, n’est pas l’affaire des femmes. Pourtant, à la mort de son père, voyant l’entreprise familiale décliner, Orsola Rosso décide de sauver sa famille de la ruine en apprenant à fabriquer des perles de verre. Un art qui ne va pas sans celui du commerce. Découvrant le ballet des marchandises dans le port de Venise, Orsola comprend qu’elle devra œuvrer sans relâche pour atteindre la perfection et déjouer les pièges de la négociation. Et ceux de l’amour, quand Antonio, pêcheur vénitien, rejoint l’atelier Rosso…
De ce côté de la lagune, le temps s’écoule différemment. 

Telle une pierre ricochant sur l’eau à intervalles plus ou moins grands, La fileuse de verre traverse de siècle en siècle, guerres et épidémies, amours et deuils, tandis qu’Orsola façonne ses bijoux. Sur l'île du verre, le temps qui s'écoule n'a pas de prise sur les personnages. Au commencement, Orsola n'est qu'une enfant. Elle n'a que soixante-dix ans quand le roman s'achève, six siècles plus tard. Cette singularité précisée dès le début du roman en nous demandant de visualiser l'image de la pierre sur l'eau et de remplacer l'eau par le temps, peut surprendre le lecteur. Mais une fois acceptée, c'est tout le talent de conteuse de Tracy Chevalier qui prend le dessus.

Basé sur une documentation solide, l'auteure nous raconte le verre sous toutes ses formes mais également l’histoire de Venise et celle de la famille Rosso. Elle nous plonge au cœur des ateliers des verriers les plus renommés, nous dévoile la technique de fabrication des pièces les plus prisées, les travaux de recherches aboutissant à des créations toujours plus complexes et sophistiquées. Parce derrière chaque atelier, il y a un clan familial, l'auteure nous immerge dans sa structuration et sa hiérarchisation. Les tâches des uns et des autres sont strictement définies. Les hommes travaillent à l'atelier, les femmes s'occupent de l'intendance du foyer et des enfants. Et si l'une d'elles était assez folle pour s'imaginer qu'elle était capable de travailler le verre, ce ne serait qu'une fois son devoir accompli et à l'abri du regard du maestro, des garzoni et garzonetti. Cette femme c'est Orsola, une femme ordinaire au service des siens, analphabète, qui à force de persévérance, de détermination, de travail et de créativité s'imposera dans ce milieu machiste. Son acharnement, son sens de l'observation, du sacrifice et de la négociation, lui permettront d'assurer la survie de sa famille puis, de s'émanciper. 

La fileuse de verre est un récit historique foisonnant impossible à résumer tant il est riche, doublé d'une fresque familiale qui ne laisse aucune place au temps mort. Petite et grande histoire se mêlent pour insuffler un air romanesque sur la lagune vénitienne. Benvenuti a Murano !

Belle lecture !

jeudi 29 août 2024

Mon avis sur "La ballerine de Kiev" de Stéphanie Perez

Si comme moi vous avez adoré le premier roman de Stéphanie Perez, Le gardien de Téhéran, aucun doute, La ballerine de Kiev (Éditions Récamier) est pour vous ! Grand reporter pour France Télévisions depuis plus de vingt-cinq ans, l'auteure s'est rendue plusieurs fois en Iran et a couvert plusieurs conflits, dont récemment la guerre en Ukraine. Et c'est justement à Kiev qu'elle nous transporte où Svitlana et Dmytro dansent ensemble pour la dernière fois. Mais ils ne le savent pas. 

Février 2022, comme toute l’Ukraine, aux premiers jours du conflit, les danseurs du ballet de l'Opéra national de Kiev sont happés par la guerre. Dmytro, danseur étoile, s’engage dans l’armée sans hésiter. Une fois la terreur dépassée, Svitlana, sa femme également étoile, devient secouriste. Eux qui menaient une existence centrée sur leur corps et leur art découvrent la solidarité, la résistance, mais aussi la peur et la mort. Les corps parfaits sont mutilés, les amitiés qui semblaient solides sont brisées par la trahison. La guerre bouleverse les certitudes et pousse à faire des choix impossibles. Comment remonter sur scène ? Danser a-t-il encore du sens face à la barbarie ? L’art est-il un moyen de résister et de se reconstruire ? Une seule certitude : Svitlana ne dansera plus jamais comme avant…

Une fois de plus, Stéphanie Perez nous offre un roman bouleversant d’humanité qui aborde le conflit russo-ukrainien à travers le prisme de l’art, de la danse. C'est via le journal d'une danseuse étoile débutant la veille du jour où les premiers obus russes ont déchiré le ciel de Kiev et se terminant le 17 décembre 2022, que l'auteure a choisi de nous immerger dans la guerre d'Ukraine. C'est donc de l'intérieur qu'elle nous fait vivre ce conflit et ce, durant 298 jours. Chaque jour apporte son lot de terreur, de peur, de sidération. Puis la résistance s'organise. D'aucuns s'engagent, partent. Parfois, certains reviennent. Mais peut-on vraiment revenir quand on a laissé un morceau de soi dans ces ailleurs ? Heureusement, au milieu de tout ce fracas, il y a des instants de grâce arrachés à cette guerre. Ces fugaces moments parfois entrecoupés de passage aux abris, mais ô combien essentiels pour tenir, pour survivre, pour espérer. Espérer que demain les sirènes ne retentiront plus, que la peur ne sera plus chevillée au corps, que le sommeil reviendra et avec lui pourquoi pas, les rêves arrachés aux nuits interminables. Danser pour résister. Danser pour se reconstruire. Monter un ballet pour contrer l'horreur. Danser ailleurs pour montrer aux autres, pas si éloignés, que l'on peut résister sans prendre les armes. On peut renaître en offrant la grâce.

La ballerine de Kiev est un roman immersif particulièrement poignant parce que ses héroïnes et héros sont la somme de toutes les personnes rencontrées par Stéphanie Perez en Ukraine. Grâce à sa plume sensible, l'auteure a su rendre un bel hommage à leur résilience et leur courage. Ce puissant roman m'a bouleversée de la première à la dernière page, mais ce n'est qu'à la dernière scène que le barrage a cédé. Un conseil, ne passez surtout pas à côté de La ballerine de Kiev.

Belle lecture et Slava Ukraini !





Pour aller plus loin, lisez cet article.

vendredi 23 août 2024

Mon avis sur "Mon petit" de Nadège Erika

Nadège Erika est éducatrice spécialisée dans le médico-social. Chez elle, l’écriture est un rempart à la douleur et à l’injustice. Mon Petit (Livres Agités) est son premier roman et ce sont les 68 premières fois qui me l'ont fait découvrir. Une fois de plus, je les en remercie. Sans eux, je n'aurais très probablement pas lu ce petit bijou qui a remporté le Prix du livre féminin !

Belleville dans les années 90 : chez Grand-Maman dans la cité HLM de la rue Piat, Naëlle porte des robes à col claudine, apprend qu’il faut dire les « intempéries » et non « un temps de merde », va manger chez Madame Ah qui expose des canards sans tête dans son restaurant chinois.
Porte de Montreuil : chez Jeanne, sa mère, infirmière, libre et bohème, abonnée aux huissiers, c’est dîners Banania-biscottes, tourne-disque et les Jackson Five à fond.
Entre les deux, avec ses frères et sœurs, Naëlle fait la navette, grandit, pose des questions qui restent sans réponse, rencontre des hommes jamais comme il faut, tombe amoureuse de Gustave, de ses yeux verts et de ses nouvelles Nike. Les éclats de rire, l’amour des femmes et leur silence sont toujours là. Le drame fait comme s’il attendait son heure…

Parce qu'elle vient de quitter son emploi, Naëlle ressent le besoin de retrouver ses racines, c'est donc sur les traces de celle qui l'a construite, sa Grand-maman, que ses pas la ramènent. Direction Belleville. Naëlle y vivait la semaine, le week-end elle était Porte de Montreuil, chez sa mère. Deux quartiers, deux mondes. La semaine c'était strict et respectueux, le week-end c'était relâche. Nana se souvient de son enfance et de sa jeunesse dans ce quartier populaire et cosmopolite qu'elle aimait tant. Les souvenirs affluent. Ils sont faits certes de pauvreté, d'insouciance, de silences, mais surtout d'amour. Dans cette famille déstructurée sans père, les quatre enfants grandissent comme ils peuvent. Heureusement que Grand-maman était là pour adoucir la vie de ces petits et pour les structurer un minimum car la maman en était bien incapable trop occupée à se débattre avec ses problèmes financiers et de cœur. Et puis au détour d'une rue, ce sont d'autres souvenirs qui surgissent. Fini l'insouciance. Place aux souvenirs douloureux d'une jeune femme devenue mère qui contrairement aux siens va mettre un terme à ces silences assourdissants et enfin hurler sa détresse. 

Mon petit c'est une promenade dans un quartier populaire de Paris à hauteur d'enfant. C'est aussi une plongée dans l'ambiance familiale de l'auteure, faite à la fois d'innocence et d'insouciance, d'éclats de rire mais également de peurs et de colère retenue. Ce quartier est également synonyme de traumatismes, ceux vécus plus tard par l'auteure. Tout en redonnant vie à ce Belleville qu'elle aimait tant et qui a bien changé, Nadège Erika met des mots, sur ses maux. Mon Petit est pour moi tel un 45 tours. La face 1 est empreinte d'une certaine légèreté en raison de l'humour incisif et du sens affûté de la formule de Nadège Erika. La face 2 est un cri déchirant pour dénoncer l'injustice. Au final, Mon petit est un premier roman débordant d'amour et de tendresse particulièrement réussi qui a tout des grands.

Belle lecture !

lundi 5 août 2024

Mon avis sur "On dirait des hommes" de Fabrice Tassel

Fabrice Tassel est journaliste et chef du service société à Libération, il a couvert des secteurs aussi divers que justice, politique, œnologie et sport. On dirait des hommes (Pocket) est son quatrième roman et il fait partie de la sélection des nouvelles voix du polar 2024 dans la catégorie roman français.

La juge d’instruction Dominique Bontet a la réputation de ne jamais clore un dossier avant la fin du délai légal. Les victimes méritent cela : face à leurs vies brisées, elle doit leur accorder jusqu’à la dernière seconde. Le dossier qui est aujourd’hui sur son bureau lui parle de Gabi et de ses parents, Anna et Thomas.
De cette soirée où le petit garçon a couru sur la jetée et buté sur un anneau d’amarrage, de sa chute dans des eaux sombres, de son père impuissant face aux vagues. Entre les lignes, elle lit la blessure infinie de la perte, les fissures d’un couple, la culpabilité d’un homme à n’avoir pu sauver sa famille. C’est un drame tragiquement simple : juste un accident. Pourtant, elle n’arrive pas à conclure. Chaque jour des femmes viennent dans son bureau réclamer de l’aide et elle aimerait que pour une fois un père soit un héros. Et puis elle l’a appris, les histoires simples, ça n’existe pas. Alors, elle va tout reprendre.

Comment un couple peut-il survivre à la perte de leur enfant unique, quand bien même il s'agirait d'un accident ? Comment ne pas être rongé par la culpabilité, même si le père a tout tenté pour sauver son fils de la noyade ? Peut-être en cherchant un responsable comme l'a suggéré leur avocat. Et si c'était la faute à  ce foutu anneau d'amarrage ?  Voici onze mois que l'accident s'est produit, qu'Anna et Thomas Sénéchal tentent de survivre à cette tragédie. Heureusement, ils ont leur travail. Elle, infirmière à domicile. Lui, agent immobilier. La juge d'instruction qui a été saisie de cette affaire doit rédiger son ordonnance de clôture. Avant de s'y atteler, elle souhaite entendre une dernière fois les parents. Très consciencieuse cette magistrate, un peu trop selon certains. Certes, un détail aurait pu échapper à tous, mais la priorité du moment n'est-elle pas la plainte qu'Iris Le Bihan a déposé contre son époux pour violences conjugales ? La juge passe d'un dossier à l'autre, d'un couple à l'autre. A priori, ces hommes et ces femmes n'ont rien en commun, et pourtant... Que sait-on réellement de leur intimité une fois les portes closes ?

C'est avec beaucoup de finesse que Fabrice Tassel détricote la psychologie de ces âmes tourmentées. Par de subtils retours en arrière, l'auteur égrène toutes les frustrations accumulées qui ont entamé l'amour propre de ces hommes, tous ces comportements, ces non-dits qui entachent la vie de famille, qui rendent le quotidien de ces couples de moins en moins supportable, qui font vaciller ces êtres, les font chuter du côté obscur jusqu'à ce que la vérité jaillisse. 
On dirait des hommes est un roman noir psychologique dont l'intrigue se met lentement mais surement en place. Il se lit d'une traite, les chapitres sont courts mais denses. Les personnages parfaitement campés, profondément humains. C'est un thriller qui met en exergue la faiblesse des hommes et la force des femmes. Et souvenez vous, qu'il ne faut jamais se fier aux apparences, elles sont souvent trompeuses.

Belle lecture !

vendredi 2 août 2024

Mon avis sur "Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé" de Laurent Gaudé

Parce que les chroniqueurs du masque et la plume l'ont dégommé, parce que j'aime l'écriture de Laurent Gaudé, parce que j'avais été touchée en plein cœur par le génialissime podcast 13 Novembre : trois voix pour un procès, mais aussi par V13 d'Emmanuel Carrère, j'ai voulu lire Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé (Actes Sud). Et je ne le regrette pas. Absolument pas ! 

Vendredi 13 novembre 2015. Douceur automnale : ce soir pourrait avoir un air de fête. On rêve de ce que sera cette nuit qui s'ouvre. Deux amoureuses savourent l'impatience de se retrouver ; des jumelles se sont demandé où célébrer leur anniversaire ; une infirmière se promet le repos mérité. Un mari s'agace de devoir garder seul "la petite" - sa femme part écouter de la musique. Partout dans Paris, on va bavarder, trinquer, rire, danser. Et du côté des forces de secours et de l'ordre, rien n'annonce l'horreur imminente.
Chant polyphonique, élégie narrative, Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé porte la parole de ceux qui ont vécu la joie puis la terreur, restitue les gestes, les regards échangés, la sidération partagée, offre à tous un refuge, face à un impossible oubli.

On pensait avoir tout lu sur cette date gravée à jamais dans nos mémoires, alors pourquoi y revenir ? Tout simplement pour donner la parole à toutes celles et tous ceux qui ont été touchés dans leur chair et dans leur âme par ces attentats ; pour entremêler leurs voix, leurs pensées, leurs sidérations où qu'ils aient été. Il y a ceux qui ont voulu profiter de la douceur de cette fin de semaine pour boire un verre ou dîner en terrasse, ceux qui déambulaient dans les rues, ceux qui avaient réservé longtemps à l'avance leur place de concert pour entendre leur groupe de hard rock favori, ceux qui étaient de service. Tous ignoraient que leur destin allait basculer, que le « dieu Hasard » rôdait par là. 

Loin d'être inconséquent, loin d'être irrespectueux envers toutes celles et toux ceux qui ont été impactés par les attentats, Laurent Gaudé s'empare de cette nuit d'horreur et trempe sa plume dans leur âme. À travers ce récit ramassé, il parvient à marier la plus subtile sensibilité à la plus atroce barbarie pour en faire jaillir toute l'humanité. Il suspend le temps, survole les lieux, donne voix à ceux dont la vie a bousculé, ceux qui ont été percutés par cette violence sans y avoir été préparés, à ceux que l'on a appelé pour signaler l'horreur, à tous ces professionnels qui travaillaient, à ceux qui ont spontanément repris du service quand ils ont reçu ce message et ont compris l'urgence, à tous ces anonymes qui passaient par là, à ceux qui ont tenu des mains, ont demandé aux victimes comment elles s'appelaient, à ceux qui ont prodigué les premiers soins, ceux qui ont fait des garrots comme ils pouvaient pour que les âmes ne s'envolent pas et priant pour que les secours prennent rapidement le relais, aux premiers arrivés sur place, à ce médecin qui s'est lancé dans la course contre la mort, qui a dû choisir quel corps réparer en priorité, à tous ces proches qui ont appelé encore et encore sans jamais entendre le son de la voix espérée. 

C'est à toutes celles et tous ceux dont la vie a changé à jamais ce soir-là, à ces nombreux héros anonymes qui ont tout mis en œuvre pour dépasser leur peur et aider leur prochain que Laurent Gaudé, avec des mots simples mais ô combien percutants, rend hommage dans Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé. Ce récit est bouleversant, prend aux tripes, mais est infiniment et profondément humain. C'est terrassant, mais c'est à lire.

mercredi 31 juillet 2024

Mon avis sur "Le dernier thé de maître Sohô" de Cyril Gely

Généralement, je ne prête pas trop attention aux conseils lectures des uns et des autres. Mais lorsque j'ai entendu Gérard Collard parler du dernier thé de maître Sohô, paru chez Arléa (excellente maison d'édition) j'ai su que j'allais succomber. J'ai succombé et autant vous dire que je n'ai aucun regret tant la plume poétique de Cyril Gely m'a conquise. Allez venez, préparez vous un bon thé, on embarque pour le Japon du XIXème siècle.

Juillet 1853. La flotte américaine entre dans la baie d’Edo. La modernité rattrape le Japon. Mais Ibuki, une jeune femme rebelle, n’a qu’un rêve : devenir samouraï. Elle part en quête d’Akira Sohô, illustre guerrier qui a délaissé la violence du sabre pour la voie du thé. Leur rencontre sera bien plus qu’un affrontement entre maître et disciple. Tout les oppose mais les extrêmes, dit-on, finissent toujours par se rejoindre.
Voie du sabre ou voie du thé ? Ce conte poétique nous emporte dans le Japon de la tradition mais aussi dans l’histoire de deux destins qui trouveront leur accomplissement.

Le dernier thé de maître Sohô est un voyage philosophique et poétique qui réunit l'art du thé et celui du sabre. Dès l'épigraphe, toute la culture et l'esprit du Japon nous gagnent. Le temps se fige, une bulle de douceur nous enveloppe. Abandonnant le fracas du monde, nous voici partis à la rencontre de la sagesse et de la fougue. La sagesse d'un vieil homme, ancien samouraï, maitrisant l'art du thé. La fougue d'une jeune fille rebelle refusant de devenir la neuvième génération de distillateurs de saké. Considérant que Japon et samouraïs sont indissociables, qu'ils ne font qu'un, qu'ils sont dans tous les cœurs, dans toutes les mémoires, les collines, les rivières, dans tous les vents, c'est travestie en homme, qu'elle partira au devant de celui qui, elle l'espère, deviendra son maître et lui apprendra la voie du sabre. Il lui enseignera bien plus que cela. L'art de la calligraphie, de la peinture de la poésie et surtout l'art du thé. Commence alors une longue initiation à la sagesse et au voyage intérieur.

Le dernier thé de maître Sohô est un savoureux conte initiatique. Chaque court chapitre apporte son lot de joie, d'émerveillement, de poésie et de philosophie. La plume à la fois minimaliste et poétique de Cyril Gely et la construction narrative de son roman permettent de laisser infuser toute la profondeur contenue dans les échanges d'un maître et de son disciple et de nous révéler lentement l'intrigue de ce récit d'une beauté absolue.

Laissez vous gagner par la sérénité, la lenteur. Portez l'eau à ébullition, choisissez quelques feuilles de thé et venez à la rencontre de maître Sohô. Moment bonheur garanti !

Belle lecture !

lundi 1 avril 2024

Mon avis sur "Tempo" de Martin Dumont

J'ai découvert la plume de Martin Dumont grâce aux 68 premières fois avec son précédent roman, Tant qu'il reste des îles, un roman empli d'humanité que j'avais beaucoup aimé. Alors lorsque j'ai su que pour cette rentrée d'hiver c'est avec Tempo (Les Avrils) que l'auteur nous revenait, je n'ai pas hésité une seconde. Je suis partie à la rencontre de Félix, Anna, Louis, Rémi, Alex, Kacem, Marc et les autres. Et quelle rencontre !
 
À trente ans, Félix Pogam vit à Belleville avec sa compagne et leur bébé. Le soir, il joue de la guitare dans les bars avec l’espoir tenace de voir sa carrière solo démarrer. Car la gloire, Félix l’a déjà frôlée. Avec ses amis, ils avaient le talent, l’audace, l’osmose. Il y avait la fièvre, l’excitation et l’insouciance. Signature en label, disque et tournée ; leur groupe a décollé puis tout s’est arrêté. Félix, lui, n’a jamais renoncé. D’ailleurs, Marc, son manager, le lui répète sans cesse ; il doit persévérer. Pourtant, arrivé en ce point précis où l’existence l’exige, Félix doit faire un choix : poursuivre encore le rêve ou changer de regard sur sa réalité.
 
Tempo c'est bien plus qu'un roman. C'est un livre tout en résonnance, qui fait écho et qui inévitablement convoque la nostalgie. Tempo nous renvoie dans les années lycée. Celles de l'Amitié, de la passion et de l'insouciance. Celles durant lesquelles les rêves, même les plus fous, semblent terriblement accessibles. Celles que l'on regarde, des années plus tard, avec tendresse et mélancolie. Tempo c'est l'histoire d'un ado passionné de musique devenu père qui doit, pour répondre aux attentes de sa compagne, faire un choix. Doit-il s'accrocher obstinément à ses rêves ou y renoncer ?
 
Tempo se déroule sur une dizaine d'années. Le récit alterne entre les souvenirs des années 80 de Félix -le narrateur- et ses interrogations du moment. Durant ces oscillations, on croise Louis, Rémi et Alex, mais aussi d’Anna, d’Ellie, Kacem, Marc et quelques autres. Tous sont profondément humains et attachants.
 
Le Tempo de ce roman à la fois lent et rythmé permet d'apprécier à sa juste valeur la délicate plume de Martin Dumont toute en retenue et d'une touchante sobriété. Tempo est un roman d'espoir empreint d'une tendresse infinie à glisser entre les mains de ceux qui ont des rêves plein la tête.

Belle lecture !