vendredi 2 août 2024

Mon avis sur "Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé" de Laurent Gaudé

Parce que les chroniqueurs du masque et la plume l'ont dégommé, parce que j'aime l'écriture de Laurent Gaudé, parce que j'avais été touchée en plein cœur par le génialissime podcast 13 Novembre : trois voix pour un procès, mais aussi par V13 d'Emmanuel Carrère, j'ai voulu lire Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé (Actes Sud). Et je ne le regrette pas. Absolument pas ! 

Vendredi 13 novembre 2015. Douceur automnale : ce soir pourrait avoir un air de fête. On rêve de ce que sera cette nuit qui s'ouvre. Deux amoureuses savourent l'impatience de se retrouver ; des jumelles se sont demandé où célébrer leur anniversaire ; une infirmière se promet le repos mérité. Un mari s'agace de devoir garder seul "la petite" - sa femme part écouter de la musique. Partout dans Paris, on va bavarder, trinquer, rire, danser. Et du côté des forces de secours et de l'ordre, rien n'annonce l'horreur imminente.
Chant polyphonique, élégie narrative, Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé porte la parole de ceux qui ont vécu la joie puis la terreur, restitue les gestes, les regards échangés, la sidération partagée, offre à tous un refuge, face à un impossible oubli.

On pensait avoir tout lu sur cette date gravée à jamais dans nos mémoires, alors pourquoi y revenir ? Tout simplement pour donner la parole à toutes celles et tous ceux qui ont été touchés dans leur chair et dans leur âme par ces attentats ; pour entremêler leurs voix, leurs pensées, leurs sidérations où qu'ils aient été. Il y a ceux qui ont voulu profiter de la douceur de cette fin de semaine pour boire un verre ou dîner en terrasse, ceux qui déambulaient dans les rues, ceux qui avaient réservé longtemps à l'avance leur place de concert pour entendre leur groupe de hard rock favori, ceux qui étaient de service. Tous ignoraient que leur destin allait basculer, que le « dieu Hasard » rôdait par là. 

Loin d'être inconséquent, loin d'être irrespectueux envers toutes celles et toux ceux qui ont été impactés par les attentats, Laurent Gaudé s'empare de cette nuit d'horreur et trempe sa plume dans leur âme. À travers ce récit ramassé, il parvient à marier la plus subtile sensibilité à la plus atroce barbarie pour en faire jaillir toute l'humanité. Il suspend le temps, survole les lieux, donne voix à ceux dont la vie a bousculé, ceux qui ont été percutés par cette violence sans y avoir été préparés, à ceux que l'on a appelé pour signaler l'horreur, à tous ces professionnels qui travaillaient, à ceux qui ont spontanément repris du service quand ils ont reçu ce message et ont compris l'urgence, à tous ces anonymes qui passaient par là, à ceux qui ont tenu des mains, ont demandé aux victimes comment elles s'appelaient, à ceux qui ont prodigué les premiers soins, ceux qui ont fait des garrots comme ils pouvaient pour que les âmes ne s'envolent pas et priant pour que les secours prennent rapidement le relais, aux premiers arrivés sur place, à ce médecin qui s'est lancé dans la course contre la mort, qui a dû choisir quel corps réparer en priorité, à tous ces proches qui ont appelé encore et encore sans jamais entendre le son de la voix espérée. 

C'est à toutes celles et tous ceux dont la vie a changé à jamais ce soir-là, à ces nombreux héros anonymes qui ont tout mis en œuvre pour dépasser leur peur et aider leur prochain que Laurent Gaudé, avec des mots simples mais ô combien percutants, rend hommage dans Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé. Ce récit est bouleversant, prend aux tripes, mais est infiniment et profondément humain. C'est terrassant, mais c'est à lire.

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