mercredi 5 janvier 2022

Mon avis sur "La décision" de Karine Tuil

Juriste de formation, Karine Tuil a une appétence pour les questions judiciaires. Son précédent roman, Les choses humaines s'inspirait de "L’affaire dite de Stanford", La décision nous plonge dans l'univers des juges d’instruction antiterroristes. 

Mai 2016. Dans une aile ultrasécurisée du Palais de justice, la juge Alma Revel doit se prononcer sur le sort d’un jeune homme suspecté d’avoir rejoint l’État islamique en Syrie. À ce dilemme professionnel s’en ajoute un autre, plus intime : mariée depuis plus de vingt ans à un écrivain à succès sur le déclin, Alma entretient une liaison avec l’avocat qui représente le mis en examen. Entre raison et déraison, ses choix risquent de bouleverser sa vie et celle du pays…

Avec La décision, Karine Tuil nous immerge dans le quotidien des juges d’instruction antiterroristes. L’héroïne, Alma Revel, en est. Elle coordonne le pôle d’instruction antiterroriste, soit une équipe de onze magistrats. A 49 ans, mère de 3 enfants, elle est en instance de divorce.
Janvier 2015, Alma interroge Kacem Abdeljalil, interpellé avec sa toute jeune épouse et leur bébé lors de leur retour en France après l’avoir quittée pour se rendre en Syrie. Tout l’enjeu de l’interrogatoire consiste à cerner la personnalité du prévenu et à déterminer s’il représente ou pas un danger pour la France, s’il est rentré au pays à la demande de l’Etat islamique pour effectuer une mission ou si c’est, comme il le soutient, de son propre gré, écœuré par toutes les atrocités qu’il a vues en Syrie. Alma questionne, fouille, sonde dans le seul but de juger en son âme et conscience, selon son intime conviction et en toute impartialité. Elle doit trancher. Soit proposer un avenir possible à ce jeune père de vingt-trois ans ou l’enfermer, bien que rentrer de Syrie ne constitue ni un délit, ni un crime. Parallèlement, Alma doit prendre une autre décision. Assister au délitement de son couple et renoncer à l’amour ou quitter, oser se libérer de son obsession sécuritaire pour vivre. Avec son métier à hautes responsabilités, les menaces anonymes qu’elle reçoit, le service de protection rapprochée qui marche dans ses pas, sa vie familiale qui s’effondre, Alma est soumise à une forte pression. Elle s’accroche, reste professionnelle coûte que coûte même si le point de rupture est là, tout proche.

Parfaitement documenté, La décision rend un bel hommage à une profession souvent décriée, méconnue et injustement fustigée. Ce roman humanise la fonction. Il met en exergue le poids de la responsabilité qui repose sur ces magistrats, ces hommes et ces femmes qui pèsent, soupèsent, évaluent les risques. C’est d’autant plus percutant que les faits se déroulent à Paris en 2015 - 2016, les années de la terreur islamique. Ces hommes et ces femmes du pôle d’instruction antiterrorisme vivent, respirent, dorment (enfin essaient) terrorisme. Tout juge d’instruction antiterroriste sait qu’il peut être visé à tout moment. Il vit avec cette menace. Être juge antiterroriste est un métier difficile, un métier de conflit. Le juge est en conflit avec les avocats, les enquêteurs, le parquet, les victimes, les détenus, et quand il rentre chez lui, il l’est avec ses proches parce qu’il n’a plus d'énergie pour les écouter, parce qu’il est électrisé par la fureur que les récits déchargent. Comment dans ces conditions, rendre la Justice sereinement ? Peut-on encore croire en l’humain ? C’est un combat de tous les instants. Aucun répit. Même quand l’amour s’invite en plein chaos.

La décision est un roman saisissant. Sa construction, un chapitre dédié à l’interrogatoire du prévenu, un autre dédié à l’introspection de la juge, nous incite, toute la lecture durant, à nous poser cette sempiternelle question : Et moi, qu’aurais-je décidé à sa place ? Le parcours de celui qui est jugé et de celle qui juge, défilent. Le doute puis la compréhension nous assaillent. Comme ces juges, on veut croire à l’humain, à la rédemption de ceux qui se sont égarés même si comme eux, on sait que la compréhension humaine n’est pas une science exacte. Mais le savoir suffit-il à pardonner, à se pardonner ses erreurs de jugement ?

La décision est un roman magistral. Tout est intelligemment amené, profondément humain. Et la plume de Karine Tuil est fluide et saisissante. La décision est un véritable coup de cœur pour moi, une déflagration. À lire sans jugement. 

Belle lecture !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire