vendredi 28 janvier 2022

Mon avis sur "Ordure" de Eugene Marten

Auteur culte et un des fers de lance de la littérature contemporaine américaine qui dit-on écrit pour les écrivains, Eugene Marten n’avait jamais été traduit en français. Ce regrettable oubli est dorénavant réparé grâce aux Éditions Quidam et à Stéphane Vanderhaeghe. Bien que court, Ordure n'en reste pas moins un roman percutant qui marquera bien des esprits. Et puis surtout ne vous fiez pas au packaging. Le joli rose de sa couverture ne fait pas de lui un roman rose, bien au contraire !

Sloper commence sa journée de travail au moment où s’arrêtent les faiseurs de richesses et redresseurs de torts. Agent d’entretien dans un immeuble, il passe d’étage en étage en poussant son chariot. Il aspire, vide les poubelles, récupère ce qu’il peut. Ni vu ni connu. Avant de rentrer chez sa mère, où il vit à la cave, épiant ses voisines par la fenêtre.
Personnage sans histoire, sans ambition ni qualité, Sloper pourrait continuer à dilapider ainsi son temps dans l’indifférence la plus totale. Or un soir, sa routine est brutalement interrompue par une macabre découverte…

Sloper est un invisible. Il œuvre une fois les bureaux vidés de ses occupants, les poubelles remplies de leurs déchets qu'il récupère, recycle. Ici ou à la cave, les échanges humains sont rares. Il y avait bien la fille du 23ème qui lui adressait un vague bonjour, une aide-soignante avec sa patiente en fauteuil roulant qui discute avec lui sur le chemin du retour et quelques sans-abris. Rien de très engageant. Mais Sloper s'en moque. Il n'est pas un être social. Ses distractions il les trouve dans les magazines pornos et un petit cube transparent contenant trois billes argentées de diamètres différents qu'il convient de loger dans leur coupelles respectives. De quoi le distraire longtemps. Entre ce jeu et la mise en pratique de ses souvenirs d'employé de la morgue, Sloper recycle. 

Brian Evenson, écrivain, indique en préface qu'Ordure fait partie de ces livres, qui, dans le milieu underground de la fiction américaine ont acquis le statut de légende. Il dit qu'Ordure est un livre dont il faut faire l'expérience, pas un livre qu'on aime. C'est exactement cela. Au gré de ma lecture, des sentiments ressentis pour cet être abject et froid qu'est Sloper, j'ai eu l'impression qu'Eugene Marten rajoutait à l'horreur pour tester mon seuil de tolérance. Ordure se vit, se subit. Pour l'être socialement constitué et identifiable que je suis, il ne peut procurer aucun plaisir, aucune jouissance. Alors pourquoi le lire ? Pour l'expérience justement. 

Ordure est un récit étrange, narré à la troisième personne au style très minimaliste, très dépouillé. Une ellipse narrative qui attire autant qu'elle rebute. Seule notre curiosité, notre attirance pour l'interdit nous incite à en poursuivre la lecture. Ordure nous plonge sans sommation dans un monde parallèle où tout n'est que noirceur, déchet. Je rejoins complètement Brian Evenson, Ordure n'est pas un livre que j'ai aimé, c'est l'expérience littéraire très singulière qu'il m'a offerte que j'ai appréciée. À expérimenter.

Belle expérience littéraire !

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