J'avoue, s'il y en a bien un à qui je ne peux pas résister, c'est bien lui. Ce dandy parisien érudit, devenu ermite de Guétary, nombriliste, agaçant, mais tellement attachant qu'est Frédéric Beigbeder. Retiré du monde de la nuit depuis plusieurs années, il revient ensoleiller nos jours avec Un barrage contre l'Atlantique, qui n'est rien d'autre que la suite de son récit autobiographique Un roman français.
Au hasard d’une galerie de Saint-Jean-de-Luz, Frédéric Beigbeder aperçoit un tableau représentant une cabane, dans une vitrine. Au premier plan, un fauteuil couvert d’un coussin à rayures, devant un bureau d’écrivain avec encrier et carnets, sur une plage curieusement exotique. Cette toile le fait rêver, il l’achète et soudain, il se souvient : la scène représente la pointe du bassin d’Arcachon, le cap Ferret, où vit son ami Benoît Bartherotte. Sans doute fatigué, Frédéric prend cette peinture pour une invitation au voyage. Il va écrire dans cette cabane, sur ce bureau.
Face à l’Atlantique qui à chaque instant gagne du terrain, il voit remonter le temps. Par vagues, les phrases envahissent d’abord l’espace mental et la page, réflexions sur l’écriture, la solitude, la quête inlassable d’un élan artistique aussi fugace que le désir, un shoot, un paysage maritime. Puis des éclats du passé reviennent, s’imposent, tels « un mur pour se protéger du présent ».
Un barrage contre l'Atlantique commence par un aveu. Frédéric Beigbeder l'affirme, il est complotiste. Il pense que la nature conspire pour éradiquer l'homme parce qu'il a causé trop de dégâts à la surface de la Terre. S'ensuivent des réflexions et des phrases qui, époque oblige, respectent la distanciation littéraire. Chaque phrase est séparée de celle qui la précède -et a fortiori de celle qui la suit- de deux lignes. Ainsi, chacune d'elles devient plus attractive. Parce qu'il considère que Twitter n'a pas le monopole de l'apophtegme, l'auteur entend bien le concurrencer tout en augmentant la pagination de son livre. Un escroc Frédéric Beigbeder ? Pas du tout, il annonce la couleur. Il se prend pour un poète, alors qu'il n'est qu’un phraseur. Il enchaîne les phrases qui, de phrase en phrase, le font échouer sur l'île de ses vingt ans. Dès lors, Frédéric Beigbeder nous plonge dans la délicieuse insouciance des années 80. Il trempe sa plume dans la mélancolie de sa jeunesse et de paragraphe en paragraphe se remémore son enfance, ses premières amours, son frère, ses parents et tout ce qui lui file entre les doigts, tout ce qu'il ne peut retenir. Et avec lui on replonge dans cette époque. Ses souvenirs sont nos souvenirs. Tout ce qui lui est personnel devient universel. C'est délicieux, touchant. On avale les phrases de Frédéric Beigbeder comme on regarde un album de famille, un sourire aux lèvres, le cœur tout attendri. Et puis soudain, le présent ressurgit. Nous voici au Cap-Ferret, face à l'océan, là où Frédéric Beigbeder est enfin heureux, là où son ami Benoît Bartherotte s'emploie à dresser une digue contre la montée des eaux, Un barrage contre l'Atlantique.
Frédéric Beigbeder écrit que "La littérature consiste à attendre la phrase dont personne n'a besoin, je suis un littérature-addict, un phraséophile". Pour ma part, j'ai maintenant la certitude de pourvoir affirmer, je suis une Beigbedéophile.
Belle lecture !