Toujours difficile de revenir sur le devant de la scène littéraire après un remarquable premier roman de surcroît, lorsqu'il a été treize fois primé. On imagine que pour celui qui suit, l'auteur doit être attendu au coin du bois. Si tant est qu'il en était un pour lui, je peux vous assurer qu'Olivier Dorchamps a relevé ce challenge haut la main. En effet, après Ceux que je suis, il a enchainé avec Fuir l'Eden (Éditions Finitude) un roman si percutant que l'on voudrait qu'il ne se termine jamais...
« Elle a mon âge. Ses yeux clairs ont peu dormi. Elle est jolie, perdue dans sa solitude. Elle doit porter un peu de rouge à lèvres mais c’est discret. Comme elle. Une fille invisible au rouge à lèvres discret. Elle me rappelle ma mère ; des bribes de ma mère. Sa douceur. Sa mélancolie. Sa fragilité. Comme un puzzle, si tu veux, les morceaux du bord. Avec un grand vide au milieu. »
Adam a dix-sept ans et vient de tomber amoureux, là, sur le quai de la gare de Clapham Junction, à deux pas de cet immeuble de la banlieue de Londres où la vie est devenue si sombre. Cette fille aux yeux clairs est comme une promesse, celle d’un ailleurs, d’une vie de l’autre côté de la voie ferrée, du bon côté. Mais comment apprendre à aimer quand depuis son enfance on a connu plus de coups que de caresses ? Comment choisir les mots, comment choisir les gestes ?
Mais avant tout, il faut la retrouver…
Adam, le narrateur, vit du côté moche des voies ferrées dans la barre d'immeubles au fond d'une impasse. Vu de l'extérieur et d'après le panneau qui orne les grilles de l'Eden Tower, ce lieu présente un intérêt artistique. Issu du mouvement brutaliste, il est classé auprès du Fonds Mondial pour les Monuments. Construit en béton ce bâtiment de quatre-vingt-dix-huit mètres est composé d'une barre d'habitation dans laquelle les familles modestes s'empilent et d'une tour, surnommée Cap Canaveral, dédiée aux ascenseurs, canalisations et tous les trucs qui tombent régulièrement en panne. L'une et l'autre sont reliées par des passerelles. L'Eden Tower est une véritable attraction touristique. Vu de l'intérieur, l'Eden c'est l'enfer. Adam y vit avec sa petite sœur, Lauren, et l'autre. L'autre c'est le père, celui qui a fait fuir la mère. Elle n'en pouvait plus d'amortir ses coups avec son ventre, de subir ses assauts nocturnes. Un beau matin, elle est partie. Elle n'avait de cesse de dire à Adam que le choix n'existe qu'au-delà des rails. Depuis, il n'a qu'un objectif, Fuir l'Eden. En attendant ce jour, il s'accroche à la vie avec Ben et Pav, ses amis, et travaille chez Claire, une aveugle à qui il fait la lecture. Auprès de cette femme Adam découvre qu'une autre vie est possible. Elle lui ouvre les portes d'un monde insoupçonné, sans violence, sans cri. De ce côté-ci des rails, Adam est considéré, respecté. Il s'élève et se surprend à rêver d'un après. D'un autrement. Jusqu'au jour où, sur le quai de la gare, son destin va basculer. Eva. Elle s'appelle Eva.
Fuir l'Eden est un roman d'initiation qui irradie tant il apporte de la lumière là où tout ne pourrait être que noirceur. Ce roman nous cueille dès les premiers mots, il nous embarque dans un univers qui aurait pu être pesant, mais qui ne l'est pas. En effet, malgré l'environnement social défavorisé, malgré la violence, Fuir l'Eden ne verse ni dans le pathos, ni dans l'apitoiement. Tout en étant réaliste, d'une justesse et d'une humanité bouleversante, Olivier Dorchamps y a mis une bonne dose de légèreté. De ce fait, son roman social se mue en véritable cri d'amour, une ode à la liberté et à la fraternité. Sans compter qu'il met à mal la fameuse théorie du déterminisme social selon laquelle nous serions conditionnés par le milieu social auquel nous appartenons. Heureusement, certaines rencontres élèvent. Encore faut-il à l'instar d'Adam savoir saisir les mains qui se tendent, s'ouvrir à d'autres horizons et tout mettre en œuvre pour passer de l'autre côté des rails.
Vous l'aurez compris, Fuir l'Eden est un immense coup de ❤️❤️❤️ pour moi. J’ai tout aimé. L’histoire, le style, la plume d’Oliver Dorchamps, l’humour, l'autodérision, la répartie de ses personnages tellement attachants. Sans jamais tomber dans la facilité, cet auteur véhicule un beau message d'espoir et nous rappelle, s'il en était besoin, qu'au bout du tunnel, il y a le soleil.
Un grand merci aux 68 premières fois qui ont mis entre mes mains ce petit bijou. Un conseil, ne passez pas à côté.
Belle lecture !
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