Mehdi Charef est né en Algérie. Il a dix ans lorsqu'il arrive en France en 1962. Il a connu les bidonvilles et les cités de transit de Nanterre. Fils d’ouvrier, il a travaillé près de quinze ans en usine avant de devenir écrivain, cinéaste et scénariste. Sacré parcours !
Le retour de Mehdi Charef en littérature en 2019 avec Rue des pâquerettes a été très remarqué et très bien accueilli. Il a entrepris de raconter son histoire. Vivants est le second opus de la trilogie qu'il lui consacre.
J’apprends à mon père à écrire son nom. Il tient bien le stylo entre ses trois doigts, il ne tremble pas. Est-il épaté ou troublé d’écrire pour la première fois de sa vie, à trente-six ans ?
Mon père est de cette génération qu’on a fait venir en France après la Seconde Guerre mondiale, pour reconstruire ce que les Américains et les Allemands avaient bombardé. Que de temps perdu, depuis les années qu’il est là. On aurait pu proposer aux ouvriers algériens des cours du soir, leur montrer ainsi un peu d’estime. Ils devraient tous savoir lire et écrire. Mon père sourit, ses yeux brillent. Il est là, surpris, ému, parce qu’il voit bien que ce n’est pas si difficile que ça de se servir d’un stylo. À côté de lui, j’entends sa respiration, son souffle.
À quoi pense-t-il ce soir dans notre baraque ? Se dit-il qu’analphabète, il est une proie facile pour ses employeurs, un animal en captivité ?
La colère monte en moi.
Dans Rue des Pâquerettes (disponible dorénavant en format poche chez Pocket), Mehdi Charef revenait sur son arrivée en France en 1962, dans le bidonville de Nanterre. Une fois celui-ci détruit, les familles ont été relogées dans une cité de transit en attendant de pouvoir accéder aux habitations à loyer modéré. Vivants est le récit de cette période.
Vivre dans des préfabriqués constitue une vraie progression pour ces familles d'immigrés. Finie la promiscuité, l'eau coule à flot et chaque baraque dispose de ses propres toilettes. Même si tout n'est pas encore parfait, si cette avancée est cher payée et que le provisoire s'éternise, la vie s'organise. Des femmes et des hommes se marient, des enfants naissent et le progrès technologique s'invite dans les baraques. Les télévisions et les machines à laver révolutionnent le quotidien. Et puis chaque jeudi matin, parce que les enfants ne sont pas à l'école et qu'ils traduisent ses propos, une bonne sœur faisant office d'infirmière et d'assistante sociale déboule sur son Solex pour parler santé, hygiène et contraception aux mères pendant que leurs maris sont sur les chantiers ou dans les ateliers d'usine. Malgré tout ce qu'ils ont enduré, ces hommes, ces femmes et ces enfants sont Vivants. Ils connaissent de réels moments d'insouciance et de joie. Ils sont solidaires et forment une communauté soudée.
Vivants est parsemé d’anecdotes du quotidien au sein de cette cité de transit, de souvenirs du bled et de réflexions personnelles. Oui parce que les français ne sont pas si accueillants que cela, ils font peur. En dépit de son jeune âge, Mehdi Charef a conscience du monde qui l'entoure. Il sait que le retour en Algérie est un leurre, que seules l'école et la maîtrise du français l'émanciperont. Alors, malgré tous les obstacles, les préjugés, il fera tout pour s'intégrer.
Vivants est un témoignage à la fois touchant de sincérité et révoltant. Avec émotion et une certaine candeur, Mehdi Charef de sa plume alerte raconte cette période de sa vie à hauteur d'enfant et c'est là tout son talent. Ce n'est pas l'adulte érudit qu'il est devenu qui s'exprime, mais l'enfant qu'il était alors, tiraillé entre insouciance et crainte. Espoir et volonté de s'en sortir dominent le récit. Une vraie leçon d'humilité et de vie. On ressort de cette lecture, Vivants.
Belle lecture !
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