mardi 25 juin 2019

Mon avis sur "La plus précieuse des marchandises" de Jean-Claude Grumberg

Jean-Claude Grumberg est né en 1939. Il est dramaturge, scénariste et écrivain. Enfant, il a assisté à Paris à la rafle de son père et de ses grands-parents. Ils ont tous été déportés et ne sont jamais revenus. Ce traumatisme est présent dans toute son œuvre. 
Alors que nous venons de célébrer le soixante-quinzième anniversaire du débarquement et qu'une enquête de l’Ifop révèle qu'un français sur dix (oui, vous avez bien lu !) déclare n'avoir pas entendu parler de la Shoah, comment faire pour ne pas oublier ? Et si un conte était une des réponses, s'il permettait de convaincre que La plus précieuse des marchandises était l'être humain, quelles que soient ses origines, ses croyances.

Il était une fois, dans un grand bois, une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron.
Non non non non, rassurez-vous, ce n’est pas Le Petit Poucet ! 
Pas du tout. 
Moi-même, tout comme vous, je déteste cette histoire ridicule. 
Où et quand a-t-on vu des parents abandonner leurs enfants faute de pouvoir les nourrir ? Allons…
Dans ce grand bois donc, régnaient grande faim et grand froid. Surtout en hiver. En été une chaleur accablante s’abattait sur ce bois et chassait le grand froid. La faim, elle, par contre, était constante, surtout en ces temps où sévissait, autour de ce bois, la guerre mondiale. La guerre mondiale, oui oui oui oui oui.

Ainsi commence La plus précieuse des marchandises. Le ton est donné, le contexte, posé. Ce conte, si tant est qu'il en soit bien un, débute dans un bois et se poursuit dans un camp de concentration. Il y a des bûcherons, mais aussi des nazis et ceux que l’on appelle "les sans-cœur", les juifs. Dans ce bois, il y avait un couple de bûcherons, très pauvres. Chaque jour, à l’orée de la forêt, la bûcheronne voit passer un train. Elle ignore ce qu’il transporte, ramasse les petits papiers jetés par les fentes des wagons, mais comme elle ne sait pas lire, elle imagine un monde merveilleux. Elle espère qu’un jour, quelque chose lui arrivera de ce train, peut-être de la nourriture. Aussi, quand un père transporté finit par comprendre quel funeste sort les attend, il prend au hasard un de ses jumeaux et, lorsque le train s'immobilise, lâche par la lucarne du wagon La plus précieuse des marchandises enveloppée dans un châle brodé d'or et d'argent. Pauvre bûcheronne qui n'a jamais pu avoir d'enfant récupère cette précieuse marchandise qu'elle considère comme un cadeau des dieux du train qui lui offrent le bonheur d'être enfin mère. Mais pauvre bûcheron comprend que cet enfant est de la race des sans-cœur.

Qui d'autre que Jean-Claude Grumberg pour avoir l'audace d'utiliser cette forme littéraire pour conter une telle horreur, pour dire l'indicible en une centaine de pages ? Il a l’art de la formule, il sait attirer l’attention par des détails qui confinent au merveilleux. La plus précieuse des marchandises est sinistre pour l’adulte, mais probablement très marquant pour l’enfant. Difficile de ne pas y voir une volonté pédagogique de son auteur pour contrer tous les sondages et rétablir une vérité de notre Histoire, n'en déplaise aux négationnistes.

Voilà, vous savez tout. Pardon ? Encore une question ? Vous voulez savoir si c’est une histoire vraie ? Une histoire vraie ? Bien sûr que non, pas du tout. Il n’y eut pas de trains de marchandises traversant les continents en guerre afin de livrer d’urgence leurs marchandises, ô combien périssables. Ni de camp de regroupement, d’internement, de concentration, ou même d’extermination. Rien, rien de tout cela n’est arrivé, rien de tout cela n’est vrai, affirme Jean-Claude Grumberg dans son épilogue. La seule chose vraie, vraiment vraie, ou qui mérite de l’être dans cette histoire, car il faut bien qu’il y ait quelque chose de vrai dans une histoire sinon à quoi bon se décarcasser à la raconter, la seule chose vraie, vraiment vraie donc, c’est qu’une petite fille, qui n’existait pas, fut jetée de la lucarne d’un train de marchandises, par amour et par désespoir, fut jetée d’un train, enveloppée d’un châle de prière frangé et brodé d’or et d’argent, châle de prière qui n’existait pas, fut jetée dans la neige aux pieds d’une pauvre bûcheronne sans enfant à chérir, et que cette pauvre bûcheronne, qui n’existait pas, l’a ramassée, nourrie, chérie, et aimée plus que tout. Plus que sa vie même. Voilà. 
Voilà la seule chose qui mérite d’exister dans les histoires comme dans la vie vraie. L’amour, l’amour offert aux enfants, aux siens comme à ceux des autres. L’amour qui fait que, malgré tout ce qui existe, et tout ce qui n’existe pas, l’amour qui fait que la vie continue.

Que dire après cela, si ce n'est, Vive l'amour !
La plus précieuse des marchandises est un récit à lire, à relire et surtout à offrir. 

Belle lecture !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire