dimanche 9 juin 2019

Mon avis sur "À la ligne : Feuillets d'usine" de Joseph Ponthus

Après des études de littérature à Reims et de travail social à Nancy, Joseph Ponthus a exercé plus de dix ans comme éducateur spécialisé en banlieue parisienne. Il a tout quitté par amour pour retrouver celle qui deviendra sa femme. Ne trouvant pas d'emploi en tant qu'éducateur et parce qu'il faut bien gagner sa croûte, Joseph Ponthus va se retrouver à l'usine, À la ligne comme on dit maintenant.  

À la ligne est le premier roman de Joseph Ponthus. C’est l’histoire d’un ouvrier intérimaire qui embauche dans les conserveries de poissons et les abattoirs bretons. Jour après jour, il inventorie avec une infinie précision les gestes du travail À la ligne, le bruit, la fatigue, les rêves confisqués dans la répétition de rituels épuisants, la souffrance du corps. Ce qui le sauve, c’est qu’il a eu une autre vie. Il connaît les auteurs latins, il a vibré avec Dumas, il sait les poèmes d’Apollinaire et les chansons de Trenet. C’est sa victoire provisoire contre tout ce qui fait mal, tout ce qui aliène. Et, en allant À la ligne, on trouvera dans les blancs du texte la femme aimée, le bonheur dominical, le chien Pok Pok, l’odeur de la mer. 

Un intellectuel à l'usine sans intention d'y faire un quelconque reportage, quelle idée saugrenue, me direz-vous ! Oui mais voilà, il faut bien gagner sa croûte et parfois on ne choisit pas son point d’amarrage. En effet, faute d'avoir trouvé un emploi dans son secteur d'activité, Joseph Ponthus est allé triturer le bulot, la crevette, le crabe, le poisson pané, le tofu, le cochon et la vache. Les produits de la mer et autres réjouissances de l'abattoir, il en connaît un rayon. Il a côtoyé un univers tellement surréaliste, il a vécu une telle déflagration mentale et physique que pour sa survie, il a écrit. Pour écrire, il a volé deux heures à son quotidien, à son ménage, des heures à l'usine. Des textes et des heures comme autant de baisers volés, comme autant de bonheur. Point de ponctuation pour À la ligne. Les écrits sont cadencés sur le rythme de l'usine. Tout va vite. Les phrases, les mots s’enchaînent sans répit à l'instar des ouvriers qui enchaînent leur labeur huit heures durant. À la chaîne, À la ligne

Joseph Ponthus raconte la vie à l'usine, la précarité, la pénibilité tant physique que psychologique de ce travail. Il est aussi question de l'insécurité de l'emploi, de cette bataille administrative avec Pôle Emploi, de cette dépendance avec l'agence d'intérim. Pour tenir le rythme, pour résister à la fatigue, pour pouvoir répéter les gestes, garder la cadence, Joseph Ponthus avait la littérature, Apollinaire, Aragon, Cendrars, Proust et Brel. Il avait également l'humour. D'autres avaient les chansons. Ils chantaient dans leur tête dès lors qu'ils n'étaient pas complètement abrutis de fatigue. 

Des lignes de production le matin, aux lignes d'écriture le soir il n'y avait qu'une ligne que Joseph Ponthus a sauté avec intelligence, humour et dignité. À la ligne ne dénonce rien. Ce roman rend hommage à toutes ces usines, à toutes ces femmes et tous ces hommes qui la font tourner. Vous l'aurez compris, À la ligne est un chant d’amour aux ouvriers, à la littérature. Le chef de Joseph Ponthus ne l'a pas vu ainsi, quand l'auteur l'a informé de la publication de ses feuillets d'usine, il a été remercié. Heureusement pour ce dernier,  À la ligne lui a permis de passer du statut d'ouvrier à celui d'écrivain et de rafler au passage quelques prix littéraires.

Un conseil, lisez À la ligne ! 
C'est poétique, éminemment intelligent. Un point c'est tout. 

Belle lecture ! 

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