Alexandra Lapierre est une auteure française qui met en lumière les destins d’immenses figures passées à la trappe par l’Histoire. Alliant le sérieux du chercheur à la force d’évocation de l’écrivain, elle est l’une des rares romancières à fouiller les archives et à suivre ses personnages in situ. Ses livres sont traduits dans une vingtaine de pays. En France, plusieurs d'entre eux ont été primés. Belle Greene est son dernier roman et il fait partie de la sélection de la première édition du Grand prix des Lecteurs Pocket. C'est en ma qualité de jurée que je l'ai lu.
New York, dans les années 1900. Une jeune fille, qui se passionne pour les livres rares, se joue du destin et gravit tous les échelons. Elle devient la directrice de la fabuleuse bibliothèque du magnat J.P. Morgan et la coqueluche de l'aristocratie internationale, sous le faux nom de Belle da Costa Greene. Belle Greene pour les intimes. Elle triche sur tout. Car la flamboyante collectionneuse qui fait tourner les têtes et règne sur le monde des bibliophiles cache un terrible secret, dans une Amérique violemment raciste. Bien qu'elle paraisse blanche, elle est en réalité afro-américaine. Et, de surcroît, fille d'un célèbre activiste noir qui voit sa volonté de cacher ses origines comme une trahison. Toute sa vie est bâtie sur un mensonge explosif...
En début de mois, j'ai eu la chance de rencontrer Alexandra Lapierre chez Christie's. Au cours de cette soirée organisée par Pocket, l'auteure nous a parlé avec passion et enthousiasme de Belle Greene. Elle a évoqué le titanesque travail qu’elle a abattu pour reconstituer la vie et le parcours de son héroïne alors même que cette dernière s’était évertuée à effacer toute trace d’elle pour mieux préserver son secret. Alexandra Lapierre a consacré pas moins de trois années à ses recherches. Elle s'est rendue dans différents pays, aux USA bien sûr, mais également en Angleterre et en Italie, à Florence précisément pour y lire les 628 lettres que Belle Greene avait envoyé à son amant, Bernard Berenson. Mais comme il était formellement interdit de les photocopier, Alexandra Lapierre a dû les recopier manuellement. Cette méthode lui aura certes permis de s'imprégner de son personnage, elle aura surtout généré un surcroît de travail. Lorsque l'on sait la somme de documents recueillis et étudiés (toutes les sources sont mentionnées à la fin du roman), on ne peut qu'être admiratif des travaux accomplis. On l'est d'autant plus qu'Alexandra Lapierre s'est évertuée à respecter tous les faits dont elle a eu connaissance sans rien altérer. La vie de Belle da Costa Greene était à la fois si exceptionnelle et si romanesque qu'Alexandra Lapierre n'a pas eu besoin d'inventer. Comme quoi, à partir d'une biographie on peut écrire un grand roman.
En effet, Belle Greene est un grand roman. Il est de ceux qui se dévore, qui nous dévore plus exactement. Il nous entraine sur le continent américain de 1898 à 1943. Il s'ouvre post abolition de l'esclavage, au temps où la population était divisée en deux groupes, white ou colored. La loi obligeait alors les métis à se déclarer comme noirs selon la règle de l'unique goutte de sang. Il suffisait d'avoir eu un ancêtre africain pour que les portes des meilleures écoles restent closes, que certains quartiers, commerces, transports, vous soient interdits. Dès lors, la tentation était grande pour les métis qui pouvaient être pris pour des blancs de transgresser la loi, de basculer dans la clandestinité et franchir au péril de leur vie la barrière de couleur. The passing. C'est exactement ce qu'ont fait la mère et les frères et sœurs de Belle Greener. Il ont franchi cette barrière de couleur. Ils ont renié leurs origines, se sont inventés des ancêtres portugais et hollandais, ont transformé leur nom de famille et les enfants ont fait le serment de ne jamais avoir de descendance. Devenus blancs, les portes des meilleurs établissements se sont ouvertes et pour Belle celles de la bibliothèque de Princeton et son impressionnant fonds documentaire alors que celle dédiée aux noirs ne comptait pas plus d'une cinquantaine d'ouvrages. Peu à peu, Belle parviendra à gagner la confiance de la bibliothécaire, puis celle du très érudit Junius Morgan qui la présentera à son oncle, le richissime John Pierpont Morgan. Bibliophile averti, il recherchait les incunables, les éditions originales et les reliures du Moyen-âge. Quand il les trouvait, il les entassait dans son palais de marbre blanc, the Morgan library. Il ne manquait plus qu'une personne de confiance, amoureuse des livres pour répertorier, ordonner et compléter ses collections. Ce sera Belle Greene. Son intelligence, sa vivacité d'esprit et sa détermination lui permettront de s'épanouir au milieu de ce temple de la culture. Pour JP Morgan, elle a traversé l'Atlantique, a participé à toutes les ventes aux enchères, a traqué les livres rares, puis les tableaux. Elle a su gagner la confiance des Morgan et a permis l'ouverture au plus grand nombre de ce lieu culturel. Belle Greene a été l'inspiratrice de la modernité de la Morgan Library. Son nom est à jamais associé à ce lieu. Aujourd'hui encore son ancien bureau est désigné "le bureau de Belle".
Belle Greene a été une femme libre, moderne et autonome, travaillant le jour, croquant la vie la nuit. Malgré son statut et ses fréquentations mondaines, elle n'a jamais oublié sa famille. Elle est toujours restée très proche de sa mère et de ses frères et sœurs très certainement en raison du secret qu'ils partageaient. Belle subvenait à leurs besoins sans difficulté, il faut dire qu'elle était la femme la mieux payée de tous les États-Unis. Bien que fondé sur un mensonge, Belle s'est bâti un destin hors norme. Ce n'est qu'en 1996, soit quarante-six ans après sa mort, que son secret a été découvert.
Avec Belle Greene, non seulement Alexandra Lapierre dresse le magnifique portrait d'une femme qui a choisi son destin, mais elle lui rend justice en mettant en lumière tout ce que cette afro-américaine a fait pour la culture des États-Unis. La Belle Greene d’Alexandra Lapierre est plus grande que la vie ! Un souffle romanesque à ne pas manquer.
Belle lecture !
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