Celles et ceux qui me connaissent savent combien j'apprécie la plume de Yann Moix. Fidèle lectrice, je suis toujours au rendez-vous. Pourtant la polémique qui a accompagné la sortie d'Orléans m'avait conduit à en différer sa lecture. Au printemps dernier, le deuxième volume de la tétralogie "Au pays de l'enfance immobile", Reims est paru. C'est donc d'une traite que j'ai traversé la France du Centre vers l'Est.
Qui a lu l’œuvre publiée de Yann Moix sait déjà qu’il est prisonnier d’un passé qu’il vénère alors qu’il y fut lacéré, humilité, fracassé.
Mais ce cauchemar intime de l’enfance ne faisait l’objet que d’allusions fugaces ou était traité sur un mode burlesque alors qu’il constitue ici le cœur du roman et qu’il est restitué dans toute sa nudité. En effet, Orléans raconte l’obscurité ininterrompue de l’enfance, en deux grandes parties (dedans/dehors) où les mêmes années sont revisitées en autant de brefs chapitres scandés par les changements de classe, de la maternelle à la classe de mathématiques spéciales.
Orléans est un roman d'humiliation comme il existe des romans d'initiation. Voilà, le décor est posé. Loin de l'arrogance qu'on lui prête, Yann Moix évoque son enfance passée dans la capitale de la région Centre-Val de Loire vu de l'intérieur, c'est-à-dire entre les murs de la maison familiale, puis vu de l'extérieur à l'école avec les amis et les premières amours.
Si Orléans débute par de belles phrases empreintes de poésie, "Le monde rouillait. Derrière la fenêtre, c’était l’automne. L’air jaunissait. Quelque chose d’inévitable se déroulait dehors : la mort des choses." s'ensuivent des scènes de violence et d’humiliations pas ordinaires. En les découvrant les viscères se nouent. Les horreurs s'enchainent rendant le tout insoutenable. On aimerait tellement que tout cela soit faux. Et si tel n'est pas le cas, on s'interroge. Que des parents prennent un malin plaisir à humilier et à violenter leur enfant, malheureusement, on sait que cela existe. Mais quand un enfant est déposé à l'école en pyjama avec son petit déjeuner qu'il doit prendre au pupitre devant toute la classe hilare, on s'interpelle. Comment est-ce que l'institution scolaire a pu se rendre complice de tels actes dégradants ? Même si en 1970 on était moins sensibilisé à ces questions, comment se fait-il qu'un membre de l'Education Nationale ne se soit pas aperçu de la maltraitance que subissait cet enfant ? La première partie d'Orléans, "Dedans" n'est qu'humiliation et rabaissement. Elle est vraiment poignante. Et puis au milieu de toutes ces violences, on se réjouit que très tôt le narrateur ait rencontré la littérature. Ce fut pour lui, et même si ses tortionnaires de parents ne l'ont pas entendu ainsi, une salvatrice découverte. Je crois ne pas me tromper en affirmant que la littérature a maintenu l'enfant Yann Moix en vie. Elle l'a aidé à encaisser les coups, les insultes et les humiliations. Elle lui a apporté un halo de lumière dans son monde de noirceur.
La seconde partie d'Orléans, "Dehors" est dédiée aux relations que le narrateur a pu entretenir avec les autres. Ses camarades de classe d'abord, puis avec la gente féminine. Empreinte de passages moins violents, voire tendres, cette dernière permet peut-être de mieux cerner la personnalité de l'auteur, si tant est qu'il en ait voulu ainsi, mais elle est surtout plus poussive à lire. Yann Moix évoque ses souvenirs de classe comme on regarde un album photo. Ce genre d'exercice est souvent délicat parce qu'en dehors de l'intéressé, il passionne rarement ceux qui ne figurent pas sur la photo.
Alors faut-il lire Orléans ? Ce roman est le regard de l'adulte Yann Moix devenu écrivain sur son enfance servie par une plume toujours aussi acérée. On referme ce texte habité en se réjouissant que l'enfant martyr qu'il a été, ait eu la chance un jour de croiser la plume de Gide, Péguy, Sartre, Bataille et les autres. Non seulement la Littérature lui a permis de survivre, mais surtout elle illumine et enchante son écriture. Rien que pour cela Orléans mérite d'être lu.
Après Orléans, direction Reims.
Le narrateur s’est enfin échappé du cauchemar familial d’Orléans, il aspire aux plus grandes écoles pour « monter à Paris » mais ses résultats médiocres aux examens de mathématiques le font atterrir à l’Ecole supérieure de commerce de Reims, vécue par lui comme une relégation en troisième division.
Ici tout n’est qu’ennui, impuissance, obsession sexuelle jamais assouvie, dérive alcoolisée, débâcle progressive avec une petite bande de paumés masturbateurs et suicidaires qui tournent le dos à la compétition scolaire pour mieux affirmer leur différence.
Dans cette course à la vanité paradoxale de l’échec, avec les mots brandis contre les chiffres, la littérature contre les mathématiques, le déclassement contre le classement, la révolte contre le conformisme, la provocation contre la convocation, il va s’agir, à défaut de briller par le succès, de se distinguer par l’ignominie.
"Se faire aimer de toute une promotion était un projet trop ambitieux, qui exigeait des qualités dont j'étais dépourvu ; ne me restait, pour devenir aussitôt célèbre, que l'éventualité d'être haï. Ça, c'était dans mes cordes."
Bien qu'il soit content d'avoir quitté la cellule familiale, le narrateur est déçu. Il a échoué aux concours d'intégration des écoles qu'il estimait dignes de sa personne. Il se retrouve donc à Reims dans une école de commerce où il se laisse aspirer par le fond. De ces années d'étude, il n'aimera rien. Ni la ville, ni les enseignements. Il s'ennuie mortellement. Alors pour tuer le temps, il trainent avec ses compagnons d'infortune et de beuverie qu'il aura choisi pour ce qu'ils sont, à savoir des paumés. Le narrateur a une piètre image de lui-même. Il ne réussit nulle part, pas même avec les filles. Il se rabaisse, se dénigre. Sa seule ambition, s'enfoncer dans le pire. Et il faut bien reconnaître qu'il y parvient parfaitement. Mais une fois encore, la littérature l'aidera à surmonter cette période et à prendre de la hauteur. Lui et ses acolytes savent qu'en 1922, à Reims, quatre lycéens, René Daumal, Roger Gilbert-Lecomte, Roger Vailland et Robert Meyrat ont formé un groupe qu'ils ont appelé les « Phrères simplistes » et qu'ils ont été à l'origine de la revue littéraire "Le grand jeu". Yann Moix semble avoir trouvé avec certitude sa vocation. Si Reims l'a aidé à cela, alors tout n'aura pas été vain.
Orléans était empreint de violence, Reims est empreint d'une sombre noirceur que la magnificence de la plume de l'auteur nous ferait presque oublier.
Belles lectures et prochaine étape, Verdun.
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