jeudi 6 février 2025

Mon avis sur "Ta promesse" de Camille Laurens

On ne présente plus Camille Laurens, auteure à succès, primée à de multiples reprises et depuis 2020, membre de l'Académie Goncourt. Ta promesse (Gallimard) est son dernier roman.

« Au moment où s’ouvre ce livre, je romps une promesse. 
Lorsque je l’ai faite, c’est idiot, j’étais sûre que je la tiendrais. Enfin, idiot, je ne sais pas. La moindre des choses, quand on fait une promesse, n’est-ce pas d’y croire ? »
Que s’est-il passé avec son compagnon pour que la romancière Claire Lancel doive se défendre devant un tribunal ? Au fil du récit, elle raconte comment elle s’est peu à peu laissé entraîner dans une histoire faite de manipulations et de mensonges.

Ta promesse est une plongée vertigineuse dans les tréfonds d'une passion amoureuse toxique. Ce roman totalement addictif, se lit comme un thriller. 
Claire Lancel, écrivaine inspirée et reconnue en est la narratrice. Elle a rencontré Gilles Fabian, metteur en scène d'opéra, spécialisé dans le spectacle de marionnettes, lors d'une soirée de Nouvel An. Avant que ce dernier ne sombre dans le coma, ils filaient le parfait amour dans leur maison qu'ils ont acheté ensemble à Hyères. 
Bien qu'elle avait promis à Gilles de ne jamais parler de lui, ni de leur relation dans l’un de ses livres, Claire va rompre son engagement. Accusée de tentative de meurtre avec préméditation, elle va détricoter la relation qu'elle a vécue avec cet homme et la narrer à son avocate. Au gré de son récit et de ceux des proches appelés à témoigner, tel un puzzle, une ébauche de vérité se dessine. Pour comprendre ce qu'il s'est réellement passé, il faut confronter les différents points de vue, les croiser, les décortiquer. Ces déclarations permettront de déterminer qui, de Claire ou de Gilles, est la vraie victime. Claire, à force de manipulation et de violences psychologiques, apparaît telle une victime invisible qui, dévastée et poussée à bout, a fini par perdre tout contrôle. Dès les premières pages de Ta promesse, elle est affichée comme étant coupable de violences sur son compagnon, peut-être n'a-t-elle été qu'une marionnette manipulée par ce bel Apollon ? 

Ta promesse déconstruit une histoire d'amour pour décrypter le mécanisme de l'emprise amoureuse du parfait pervers narcissique dont la devise est : Séduire, Réduire, Détruire. 
Présenté ainsi, Ta promesse ne semble pas prometteur... Pourtant je peux vous assurer que Camille Laurens nous fait une démonstration magistrale et use de toutes les ficelles littéraires pour capturer son lectorat. La structure narrative infaillible n'y est pas pour rien. Le roman commence par la fin, s'ensuit la description critique des différentes étapes de la relation entre la narratrice et celui qui l'a assignée, puis vient le temps des procès. Ces diverses phases narratives sont ponctuées de styles différents, allant des vers libres, aux témoignages en passant par les interrogatoires et autres dépositions. Le tout permet de mesurer l'épaisseur de l'ombre du côté obscur de certains êtres sans pour autant nous désillusionner de l'amour. Ta promesse est un roman parfaitement maîtrisé, fluide et totalement addictif. Un conseil, ne passez surtout pas à côté !

Belle lecture !

samedi 1 février 2025

Mon avis sur "La longe" de Sarah Jollien-Fardel

Sarah Jollien-Fardel est une écrivaine suisse. En 2022, elle a reçu plusieurs Prix dont celui du Roman Fnac et le Goncourt des détenus pour son premier roman, Sa préférée. L'ayant fortement apprécié, lorsque j'ai vu que pour cette rentrée littéraire d'hiver paraissait La longe (SABINE WESPIESER ÉDITEUR) je n'ai pas hésité une seconde.

Chaque jour, au réveil, Rose lutte pour ne pas être assaillie par la réalité, dans la chambre aux parois boisées où elle vit désormais attachée à une longe.
Tout a basculé trois ans auparavant, quand la police est venue lui annoncer l’accident : Anna, sa petite fille, a été fauchée par une camionnette. Depuis lors, Rose interroge le passé, tente d’élucider les circonstances du drame et, chemin faisant, nous révèle celles de son enfermement. 
Avant, l’existence était simple et belle, scandée par la phrase gravée sur une poutre du bistrot de sa grand-mère adorée : « Tu es d’une espèce qui aime la lumière et déteste la nuit et les ténèbres. » Rose a grandi dans un village haut perché des montagnes valaisannes. C’est là, alors qu’ils étaient encore des enfants, qu’elle a rencontré Camil, devenu bien plus tard son mari et son indéfectible soutien. Leurs lectures, leurs promenades dans une nature âpre et complice, leurs retrouvailles bien plus tard à Lausanne, la naissance de leur fille, leurs métiers qu’ils aiment : Rose, évoquant ce quotidien heureux, s’efforce d’y traquer les failles. Elle cherche désespérément à comprendre quels excès l’ont conduite à sa situation de recluse.
Un jour pourtant, quand elle perçoit une présence inconnue derrière sa porte close et croit entendre la phrase d’un livre de Marguerite Duras lu naguère, nous, lecteurs, avons l’intuition que la lumière pourrait gagner.

La longe est un court roman, mais ô combien puissant. C'est en apnée que je l'ai lu. D'aucuns n'y verront que de la violence. C'est indéniable, il y en a. Pour ma part, je ne veux y voir qu'une magnifique preuve d'amour. Quand les mots, la présence de l'autre et les méthodes traditionnelles ne fonctionnent pas, quand trois ans après le drame, cette femme est incapable de se défaire de sa douleur et de tout ce malheur dans lequel elle s'est engluée, que reste t-il, si ce n'est peut-être une solution radicale et dérangeante ? Un séjour dans leur mayen montagnard. Un séjour, attachée. C'est une longe qui doit ramener Rose à la vie. Une longe et un enfermement dans le noir pour ultime remède. Et quand, le mari doit s'absenter une voix vient compléter ce protocole. La voix de la littérature. 

La longe est un roman sombre et douloureux qui s'adoucit progressivement pour in fine, laisser entrer la lumière. Sarah Jollien-Fardel explore avec brio la souffrance, décrit puissamment les effets dévastateurs de cet état, tout en faisant naître l'espoir malgré la violence. Et puis ce roman est une ode à la nature et à l'amour. Oui, il faut sacrément aimer une personne pour vouloir l'arracher à sa douleur et s'y tenir malgré tout. Un conseil, ne passez pas à côté de La longe.

Belle lecture !