jeudi 29 août 2024

Mon avis sur "La ballerine de Kiev" de Stéphanie Perez

Si comme moi vous avez adoré le premier roman de Stéphanie Perez, Le gardien de Téhéran, aucun doute, La ballerine de Kiev (Éditions Récamier) est pour vous ! Grand reporter pour France Télévisions depuis plus de vingt-cinq ans, l'auteure s'est rendue plusieurs fois en Iran et a couvert plusieurs conflits, dont récemment la guerre en Ukraine. Et c'est justement à Kiev qu'elle nous transporte où Svitlana et Dmytro dansent ensemble pour la dernière fois. Mais ils ne le savent pas. 

Février 2022, comme toute l’Ukraine, aux premiers jours du conflit, les danseurs du ballet de l'Opéra national de Kiev sont happés par la guerre. Dmytro, danseur étoile, s’engage dans l’armée sans hésiter. Une fois la terreur dépassée, Svitlana, sa femme également étoile, devient secouriste. Eux qui menaient une existence centrée sur leur corps et leur art découvrent la solidarité, la résistance, mais aussi la peur et la mort. Les corps parfaits sont mutilés, les amitiés qui semblaient solides sont brisées par la trahison. La guerre bouleverse les certitudes et pousse à faire des choix impossibles. Comment remonter sur scène ? Danser a-t-il encore du sens face à la barbarie ? L’art est-il un moyen de résister et de se reconstruire ? Une seule certitude : Svitlana ne dansera plus jamais comme avant…

Une fois de plus, Stéphanie Perez nous offre un roman bouleversant d’humanité qui aborde le conflit russo-ukrainien à travers le prisme de l’art, de la danse. C'est via le journal d'une danseuse étoile débutant la veille du jour où les premiers obus russes ont déchiré le ciel de Kiev et se terminant le 17 décembre 2022, que l'auteure a choisi de nous immerger dans la guerre d'Ukraine. C'est donc de l'intérieur qu'elle nous fait vivre ce conflit et ce, durant 298 jours. Chaque jour apporte son lot de terreur, de peur, de sidération. Puis la résistance s'organise. D'aucuns s'engagent, partent. Parfois, certains reviennent. Mais peut-on vraiment revenir quand on a laissé un morceau de soi dans ces ailleurs ? Heureusement, au milieu de tout ce fracas, il y a des instants de grâce arrachés à cette guerre. Ces fugaces moments parfois entrecoupés de passage aux abris, mais ô combien essentiels pour tenir, pour survivre, pour espérer. Espérer que demain les sirènes ne retentiront plus, que la peur ne sera plus chevillée au corps, que le sommeil reviendra et avec lui pourquoi pas, les rêves arrachés aux nuits interminables. Danser pour résister. Danser pour se reconstruire. Monter un ballet pour contrer l'horreur. Danser ailleurs pour montrer aux autres, pas si éloignés, que l'on peut résister sans prendre les armes. On peut renaître en offrant la grâce.

La ballerine de Kiev est un roman immersif particulièrement poignant parce que ses héroïnes et héros sont la somme de toutes les personnes rencontrées par Stéphanie Perez en Ukraine. Grâce à sa plume sensible, l'auteure a su rendre un bel hommage à leur résilience et leur courage. Ce puissant roman m'a bouleversée de la première à la dernière page, mais ce n'est qu'à la dernière scène que le barrage a cédé. Un conseil, ne passez surtout pas à côté de La ballerine de Kiev.

Belle lecture et Slava Ukraini !





Pour aller plus loin, lisez cet article.

vendredi 23 août 2024

Mon avis sur "Mon petit" de Nadège Erika

Nadège Erika est éducatrice spécialisée dans le médico-social. Chez elle, l’écriture est un rempart à la douleur et à l’injustice. Mon Petit (Livres Agités) est son premier roman et ce sont les 68 premières fois qui me l'ont fait découvrir. Une fois de plus, je les en remercie. Sans eux, je n'aurais très probablement pas lu ce petit bijou qui a remporté le Prix du livre féminin !

Belleville dans les années 90 : chez Grand-Maman dans la cité HLM de la rue Piat, Naëlle porte des robes à col claudine, apprend qu’il faut dire les « intempéries » et non « un temps de merde », va manger chez Madame Ah qui expose des canards sans tête dans son restaurant chinois.
Porte de Montreuil : chez Jeanne, sa mère, infirmière, libre et bohème, abonnée aux huissiers, c’est dîners Banania-biscottes, tourne-disque et les Jackson Five à fond.
Entre les deux, avec ses frères et sœurs, Naëlle fait la navette, grandit, pose des questions qui restent sans réponse, rencontre des hommes jamais comme il faut, tombe amoureuse de Gustave, de ses yeux verts et de ses nouvelles Nike. Les éclats de rire, l’amour des femmes et leur silence sont toujours là. Le drame fait comme s’il attendait son heure…

Parce qu'elle vient de quitter son emploi, Naëlle ressent le besoin de retrouver ses racines, c'est donc sur les traces de celle qui l'a construite, sa Grand-maman, que ses pas la ramènent. Direction Belleville. Naëlle y vivait la semaine, le week-end elle était Porte de Montreuil, chez sa mère. Deux quartiers, deux mondes. La semaine c'était strict et respectueux, le week-end c'était relâche. Nana se souvient de son enfance et de sa jeunesse dans ce quartier populaire et cosmopolite qu'elle aimait tant. Les souvenirs affluent. Ils sont faits certes de pauvreté, d'insouciance, de silences, mais surtout d'amour. Dans cette famille déstructurée sans père, les quatre enfants grandissent comme ils peuvent. Heureusement que Grand-maman était là pour adoucir la vie de ces petits et pour les structurer un minimum car la maman en était bien incapable trop occupée à se débattre avec ses problèmes financiers et de cœur. Et puis au détour d'une rue, ce sont d'autres souvenirs qui surgissent. Fini l'insouciance. Place aux souvenirs douloureux d'une jeune femme devenue mère qui contrairement aux siens va mettre un terme à ces silences assourdissants et enfin hurler sa détresse. 

Mon petit c'est une promenade dans un quartier populaire de Paris à hauteur d'enfant. C'est aussi une plongée dans l'ambiance familiale de l'auteure, faite à la fois d'innocence et d'insouciance, d'éclats de rire mais également de peurs et de colère retenue. Ce quartier est également synonyme de traumatismes, ceux vécus plus tard par l'auteure. Tout en redonnant vie à ce Belleville qu'elle aimait tant et qui a bien changé, Nadège Erika met des mots, sur ses maux. Mon Petit est pour moi tel un 45 tours. La face 1 est empreinte d'une certaine légèreté en raison de l'humour incisif et du sens affûté de la formule de Nadège Erika. La face 2 est un cri déchirant pour dénoncer l'injustice. Au final, Mon petit est un premier roman débordant d'amour et de tendresse particulièrement réussi qui a tout des grands.

Belle lecture !

lundi 5 août 2024

Mon avis sur "On dirait des hommes" de Fabrice Tassel

Fabrice Tassel est journaliste et chef du service société à Libération, il a couvert des secteurs aussi divers que justice, politique, œnologie et sport. On dirait des hommes (Pocket) est son quatrième roman et il fait partie de la sélection des nouvelles voix du polar 2024 dans la catégorie roman français.

La juge d’instruction Dominique Bontet a la réputation de ne jamais clore un dossier avant la fin du délai légal. Les victimes méritent cela : face à leurs vies brisées, elle doit leur accorder jusqu’à la dernière seconde. Le dossier qui est aujourd’hui sur son bureau lui parle de Gabi et de ses parents, Anna et Thomas.
De cette soirée où le petit garçon a couru sur la jetée et buté sur un anneau d’amarrage, de sa chute dans des eaux sombres, de son père impuissant face aux vagues. Entre les lignes, elle lit la blessure infinie de la perte, les fissures d’un couple, la culpabilité d’un homme à n’avoir pu sauver sa famille. C’est un drame tragiquement simple : juste un accident. Pourtant, elle n’arrive pas à conclure. Chaque jour des femmes viennent dans son bureau réclamer de l’aide et elle aimerait que pour une fois un père soit un héros. Et puis elle l’a appris, les histoires simples, ça n’existe pas. Alors, elle va tout reprendre.

Comment un couple peut-il survivre à la perte de leur enfant unique, quand bien même il s'agirait d'un accident ? Comment ne pas être rongé par la culpabilité, même si le père a tout tenté pour sauver son fils de la noyade ? Peut-être en cherchant un responsable comme l'a suggéré leur avocat. Et si c'était la faute à  ce foutu anneau d'amarrage ?  Voici onze mois que l'accident s'est produit, qu'Anna et Thomas Sénéchal tentent de survivre à cette tragédie. Heureusement, ils ont leur travail. Elle, infirmière à domicile. Lui, agent immobilier. La juge d'instruction qui a été saisie de cette affaire doit rédiger son ordonnance de clôture. Avant de s'y atteler, elle souhaite entendre une dernière fois les parents. Très consciencieuse cette magistrate, un peu trop selon certains. Certes, un détail aurait pu échapper à tous, mais la priorité du moment n'est-elle pas la plainte qu'Iris Le Bihan a déposé contre son époux pour violences conjugales ? La juge passe d'un dossier à l'autre, d'un couple à l'autre. A priori, ces hommes et ces femmes n'ont rien en commun, et pourtant... Que sait-on réellement de leur intimité une fois les portes closes ?

C'est avec beaucoup de finesse que Fabrice Tassel détricote la psychologie de ces âmes tourmentées. Par de subtils retours en arrière, l'auteur égrène toutes les frustrations accumulées qui ont entamé l'amour propre de ces hommes, tous ces comportements, ces non-dits qui entachent la vie de famille, qui rendent le quotidien de ces couples de moins en moins supportable, qui font vaciller ces êtres, les font chuter du côté obscur jusqu'à ce que la vérité jaillisse. 
On dirait des hommes est un roman noir psychologique dont l'intrigue se met lentement mais surement en place. Il se lit d'une traite, les chapitres sont courts mais denses. Les personnages parfaitement campés, profondément humains. C'est un thriller qui met en exergue la faiblesse des hommes et la force des femmes. Et souvenez vous, qu'il ne faut jamais se fier aux apparences, elles sont souvent trompeuses.

Belle lecture !

vendredi 2 août 2024

Mon avis sur "Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé" de Laurent Gaudé

Parce que les chroniqueurs du masque et la plume l'ont dégommé, parce que j'aime l'écriture de Laurent Gaudé, parce que j'avais été touchée en plein cœur par le génialissime podcast 13 Novembre : trois voix pour un procès, mais aussi par V13 d'Emmanuel Carrère, j'ai voulu lire Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé (Actes Sud). Et je ne le regrette pas. Absolument pas ! 

Vendredi 13 novembre 2015. Douceur automnale : ce soir pourrait avoir un air de fête. On rêve de ce que sera cette nuit qui s'ouvre. Deux amoureuses savourent l'impatience de se retrouver ; des jumelles se sont demandé où célébrer leur anniversaire ; une infirmière se promet le repos mérité. Un mari s'agace de devoir garder seul "la petite" - sa femme part écouter de la musique. Partout dans Paris, on va bavarder, trinquer, rire, danser. Et du côté des forces de secours et de l'ordre, rien n'annonce l'horreur imminente.
Chant polyphonique, élégie narrative, Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé porte la parole de ceux qui ont vécu la joie puis la terreur, restitue les gestes, les regards échangés, la sidération partagée, offre à tous un refuge, face à un impossible oubli.

On pensait avoir tout lu sur cette date gravée à jamais dans nos mémoires, alors pourquoi y revenir ? Tout simplement pour donner la parole à toutes celles et tous ceux qui ont été touchés dans leur chair et dans leur âme par ces attentats ; pour entremêler leurs voix, leurs pensées, leurs sidérations où qu'ils aient été. Il y a ceux qui ont voulu profiter de la douceur de cette fin de semaine pour boire un verre ou dîner en terrasse, ceux qui déambulaient dans les rues, ceux qui avaient réservé longtemps à l'avance leur place de concert pour entendre leur groupe de hard rock favori, ceux qui étaient de service. Tous ignoraient que leur destin allait basculer, que le « dieu Hasard » rôdait par là. 

Loin d'être inconséquent, loin d'être irrespectueux envers toutes celles et toux ceux qui ont été impactés par les attentats, Laurent Gaudé s'empare de cette nuit d'horreur et trempe sa plume dans leur âme. À travers ce récit ramassé, il parvient à marier la plus subtile sensibilité à la plus atroce barbarie pour en faire jaillir toute l'humanité. Il suspend le temps, survole les lieux, donne voix à ceux dont la vie a bousculé, ceux qui ont été percutés par cette violence sans y avoir été préparés, à ceux que l'on a appelé pour signaler l'horreur, à tous ces professionnels qui travaillaient, à ceux qui ont spontanément repris du service quand ils ont reçu ce message et ont compris l'urgence, à tous ces anonymes qui passaient par là, à ceux qui ont tenu des mains, ont demandé aux victimes comment elles s'appelaient, à ceux qui ont prodigué les premiers soins, ceux qui ont fait des garrots comme ils pouvaient pour que les âmes ne s'envolent pas et priant pour que les secours prennent rapidement le relais, aux premiers arrivés sur place, à ce médecin qui s'est lancé dans la course contre la mort, qui a dû choisir quel corps réparer en priorité, à tous ces proches qui ont appelé encore et encore sans jamais entendre le son de la voix espérée. 

C'est à toutes celles et tous ceux dont la vie a changé à jamais ce soir-là, à ces nombreux héros anonymes qui ont tout mis en œuvre pour dépasser leur peur et aider leur prochain que Laurent Gaudé, avec des mots simples mais ô combien percutants, rend hommage dans Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé. Ce récit est bouleversant, prend aux tripes, mais est infiniment et profondément humain. C'est terrassant, mais c'est à lire.