samedi 31 décembre 2022

Mon avis sur "Dessous les roses" d'Oliver Adam

Il y a des auteurs que l'on aime retrouver. Olivier Adam est de ceux-là. Cette fois-ci il nous est revenu avec Dessous les roses (Flammarion)un roman en forme de pièce de théâtre, qui met en scène trois enfants devenus adultes, réunis autour de leur mère après la mort du père. 

- Tu crois qu’il va venir ? m’a demandé Antoine en s’allumant une cigarette.
J’ai haussé les épaules.  Avec  Paul  comment savoir ? Il n’en faisait toujours qu’à sa tête. Se souciait peu des convenances. Considérait n’avoir aucune obligation envers qui que ce soit. Et surtout pas envers sa famille, qu’il avait laminée de film en film, de pièce en pièce, même s’il s’en défendait.
- En tout cas, a repris mon frère, si demain il s’avise de se lever pour parler de papa, je te jure, je le défonce.
- Ah ouais ? a fait une voix derrière nous. Je serais curieux de savoir comment tu comptes t’y prendre…
Antoine a sursauté. Je me suis retournée. Paul se tenait là, dans l’obscurité, son sac à la main. Nous n’avions pas entendu grincer la grille. J’ignore comment il s’y prenait. Ce portillon couinait depuis toujours. Aucun dégrippant, aucun type d’huile n’avait jamais réussi à le calmer. Mais Paul parvenait à le pousser sans lui arracher le moindre miaulement.

Dessous les roses se déploie tel un huis-clos dans la maison d’enfance de trois frères et sœur, sur trois jours, de la veille de l’enterrement de leur père jusqu’au lendemain. C’est la première fois depuis longtemps que la fratrie est réunie, à la grande joie de leur mère qui se réjouit de voir ses enfants enfin ensemble, malgré les circonstances. Pourtant, c’est l’heure des comptes entre Claire, Antoine et Paul. La famille malmenée par le frère aîné, cinéaste et dramaturge, il réécrit sans cesse dans ses œuvres l’histoire de sa jeunesse. Et tout cela, Antoine, le petit dernier, ne le supporte pas : comment son frère peut-il les trahir ainsi, et rendre publique leur intimité familiale falsifiée ? 
L’alcool, la fatigue et l’émotion aidant, les langues se délient enfin, après des années de silence et de non-dits. 

Avec Dessous les roses, Olivier Adam explore avec une grande délicatesse tout ce qui lie et parfois ces choix de vie qui éloignent, voire qui séparent une fratrie, un père et un fils. Et lorsque le patriarche n'est plus, l'auteur nous drape dans cette nostalgie qui rapproche. Le deuil resserre alors les liens et précipite les changements et les prises de décision. 
Dessous les roses est un roman dans lequel la plupart des familles peuvent se retrouver. Tout sonne terriblement juste, les dialogues sont tels une rose, à la fois piquants et emprunts de douceur, d'amour. Dessous les roses m'a fait penser à la fois au film Frère et sœur d'Arnaud Desplechin et à Ce qui nous lie de Cédric Klapisch, fichtrement émouvant et touchant.

Belle lecture !

mercredi 28 décembre 2022

Mon avis sur la saga "Blackwater" de Michael McDowell

Michael McDowell est né en 1950 dans le sud de l’Alabama et puisera tout au long de sa carrière dans ses racines pour nourrir son œuvre. Écrivain industrieux et prolifique, en à peine dix ans, il a publié plus d’une trentaine de romans dans différents genres (polar, horreur, historique…). En 1983, son œuvre majeure et aussi la plus autobiographique, la saga familiale Blackwater, est publiée à raison d’un volume par mois de janvier à juin. Le succès est au rendez-vous et il commence rapidement à travailler pour la télévision, écrivant entre autres des scénarios. Il a notamment collaboré avec Tim Burton sur L’étrange Noël de Monsieur Jack. Diagnostiqué séropositif en 1994, Michael McDowell est décédé le 27 décembre 1999.
C'est en 2022 que la maison d'édition Monsieur Toussaint Louverture a fait connaître cette saga en France. Afin de respecter l’intention originelle de son auteur, c'est d’avril à juin, à raison d’un volume tous les quinze jours, au format poche, dans une fabrication exceptionnelle que Blackwater a fait son entrée fracassante dans nos librairies et nos bibliothèques.

Blackwater
est une saga fantastique en six volumes 
(La crue, La digue, La maison, La guerre, La fortune et Pluie) d'un peu plus de 1500 pages. C'est l'histoire d'une famille, les Caskey que nous suivons sur près de 50 ans. C'est l'histoire d'une ville de l'Alabama, Perdido, du même nom que cette rivière bouillonnante et dangereuse qui la traverse.
Tout commence à Pâques 1919, alors que les flots menaçant Perdido submergent cette petite ville du nord de l’Alabama, un clan de riches propriétaires terriens, les Caskey, doivent faire face aux avaries de leurs scieries, à la perte de leur bois et aux incalculables dégâts provoqués par l’implacable crue de la rivière Blackwater. Menés par Mary-Love, la puissante matriarche aux mille tours, et par Oscar, son fils dévoué, les Caskey s’apprêtent à se relever… mais c’est sans compter l’arrivée, aussi soudaine que mystérieuse, d’une séduisante étrangère, Elinor Dammert. Que dissimule cette beauté aux cheveux ocres derrière son sourire affable ? Et quel lien étrange entretient-elle avec la Perdido ?
Venez découvrir ce coin tranquille de l’Alabama aux rues cossues, aux flots boueux qui cachent des mystères insondables, capables de vous aspirer par le fond et de ne jamais rendre votre corps. Plongez dans Blackwater, une fresque épique qui couvre un demi siècle de l’existence d’une famille tout sauf ordinaire, ses histoires, ses alliances, ses plans machiavéliques pour conserver le pouvoir. Partagez avec elle les combats et les surprises que lui réserve le destin, les morts soudaines et les événements inexplicables. Blackwater est une formidable saga familiale à l’atmosphère surnaturelle unique.

Et puis, au-delà de cette histoire familiale, il y a les livres. Ces livres-objets aussi beaux à regarder que goûteux à dévorer. Voyez ces couvertures, leur univers. Observez les détails de chacune d'elles, leur relief, leur dorure. 
Imaginés par Monsieur Toussaint Louverture, dessinés par Pedro Oyarbide, imprimés par Print System à Bègles puis façonnés par Firmin Didot à Evreux, les différents tomes de Blackwater sont de petites merveilles à la croisée des chemins. Il a fallu près d'un an pour aboutir à ces petits bijoux. Chaque couverture est le résultat de très nombreuses heures de travail, que ce soit pendant sa conception ou son impression. Elles sont toutes les six différentes mais toutes unies par un même processus de fabrication. Impression offset suivie d’une dorure noire puis d’une dorure dorée et enfin d’un gaufrage pour donner du relief et mieux capter la lumière. Monsieur Toussaint Louverture a voulu créer des livres qui donnent instantanément envie de les saisir, de plonger dans l’univers de Michael McDowell. C'est magnifiquement réussi !


Alors si vous n'avez pas encore succombé au phénomène Blackwater, n'attendez plus, plongez !

Belle lecture !

mardi 27 décembre 2022

Mon avis sur "Ceux qui restent" de Jean Michelin

Jean Michelin est un officier militaire français. Ceux qui restent (Héloïse d’Ormesson) est son premier roman. Il nous plonge dans un univers qu'il maîtrise parfaitement tout en lui donnant une épaisseur humaine, celui des combats. L'auteur a reçu le Prix Le Temps Retrouvé 2022.

Comme chaque matin, l’aube grise se lève sur l’immuable routine de la garnison. Mais cette fois, Lulu manque à l’appel. Lulu, le caporal-chef toujours fiable, toujours solide, Lulu et son sourire en coin que rien ne semblait jamais pouvoir effacer, a disparu. Aurélie, sa femme, a l’habitude des absences, du lit vide, du quotidien d’épouse de militaire. Elle fait face, mais sait que ce départ ne lui ressemble pas. Quatre hommes, quatre soldats, se lancent alors à sa recherche. Ils sont du même monde et trimballent les mêmes fantômes au bord des nuits sans sommeil. Si eux ne le retrouvent pas, personne ne le pourra.

Il a fallu cinq ans à Jean Michelin pour rédiger ce récit autobiographique et dépasser sa passion pour l'armée. Sans fioriture ni lyrisme, il décrit le quotidien des militaires, leur vie vue de l'intérieur, en direct et sans intermédiaire. 
Avec Ceux qui restent, Jean Michelin met en scène un caporal qui tel un déserteur s'évanouit dans la nature. Cet homme était pourtant solide. Serait-ce sa dernière opération extérieure dans laquelle l’un des leurs est mort au combat qui l'aurait atteint au point de le faire disparaître ? Parce que cela ne lui ressemble pas, ses quatre frères d’armes vont tout lâcher pour le retrouver. Une quête qui dévoilera les blessures cachées du métier.

Parce qu'il est écrit avec réalisme par un officier de carrière, Ceux qui restent nous immerge dans l'intimité de ce que vivent les militaires et leur famille. 
D'un côté il y a l'horreur des combats que ces hommes ne peuvent partager avec personne si ce n'est leurs carnets ou leurs frères d'armes et de l'autre, il y a celle des familles, des femmes et des enfants qui vivent dans l'incertitude, dans l'interminable attente du retour. C'est en alternant les chapitres entre ici, là-bas et ailleurs, entre le présent et le passé que Jean Michelin a choisi de nous plonger dans le quotidien de ces militaires, qu'ils soient en caserne, en mission ou dans leur foyer. On découvre à travers le cœur de ces hommes ce qu'est le combat, ce que ça implique en terme de solitude, de perte, de culpabilité sans oublier l'indispensable camaraderie qui découle de cette vie en garnison. L'auteur évoque également l'impact de ce métier sur la vie de famille, l'inévitable fossé creusé par le silence entre ceux qui partent et ceux qui restent. 

Au-delà de tout, Ceux qui restent restera pour moi une belle histoire d'amitié, une histoire de solidarité masculine indéfectible qui s'est forgée au gré des combats, des traumatismes. C'est un récit poignant qui mérite d'être découvert.

Belle lecture !

samedi 17 décembre 2022

Mon avis sur "La petite menteuse" de Pascale Robert-Diard

Pascale Robert-Diard est journaliste et chroniqueuse judiciaire depuis 2002. Elle suit toutes les grandes affaires, procès d'assises, scandales politico-financiers, mais aussi tout ce quotidien de la justice ordinaire, celle des tribunaux correctionnels, des comparutions immédiates, des chambres civiles. La petite menteuse (L'iconoclaste) est son dernier roman.

Lisa a quinze ans. C’est une adolescente en vrac, à la spontanéité déroutante. Elle a eu des seins avant les autres filles, de ceux qui excitent les garçons. Elle a une sale réputation. Un jour, Lisa change, devient sombre, est souvent au bord des larmes. Ses professeurs s’en inquiètent. Lisa n’a plus d’issue pour sortir de son adolescence troublée et violente. Acculée, elle finit par avouer : un homme a abusé d’elle. Les soupçons se portent sur Marco, un ouvrier venu faire des travaux chez ses parents. En première instance, il est condamné à dix ans de prison. Lors du procès en appel, Lisa est majeure. Elle débarque dans le bureau d'Alice, une avocate de la petite ville de province et déclare "Je préfère être défendue par une femme." C'est comme cela que tout a commencé.

Parce qu'elle arpente les salles d'audience depuis vingt ans, Pascale Robert-Diard met son expérience au service de La petite menteuse tout en nous interpellant sur le fonctionnement de la justice lequel a parfois tendance à oublier ses grands principes et à renverser la charge de la preuve. De la présomption d'innocence à la présomption de culpabilité, il n'y a qu'un pas. Lisa n'a pas hésité à le franchir en accusant un innocent de viol. Alors que le procès en appel approche, Lisa devenue majeure, veut se repentir. Pour ce faire, elle décide de changer d'avocat. Elle sera défendue par Maître Alice Keridreux. Avant d'accepter cette nouvelle affaire, cette dernière déroutée de ne plus être la justicière qu'elle a été, se lance à corps perdu dans l'étude de toutes les pièces du dossier jusqu'à ce que sa cliente lui révèle la vérité et tout ce qui l'a poussé à agir de la sorte. Dès lors, Alice n'aura de cesse de chercher à comprendre ce qui s'apparente à une erreur judiciaire. 

La petite menteuse est une véritable plaidoirie en faveur des grands principes de la justice. Habillement, son auteure nous invite à nous interroger quant à la valeur de la parole d'une femme qui se présente comme victime d'un viol. Á l'ère du mouvement #MeToo, les affirmations d'une victime suffisent-elles à faire le procès ? Quid de la parole de l'accusé ? Quid de l'instruction à charge et à décharge ? En épluchant les procès-verbaux d'audition, en scrutant la personnalité et le vécu de chacun des protagonistes, Pascale Robert-Diard interroge notre empathie pour la figure de la victime au détriment de ce qui devrait nous motiver, à savoir notre quête de vérité. Au passage, elle dénonce toutes les formes de harcèlement envers les adolescents, ausculte l'engrenage enfermant du mensonge et l'impact que celui-ci peut avoir sur la vie des autres, de l'autre. Tout n'a été que mensonge, tout deviendra vérité. Mais à quel prix ? 

La petite menteuse est un véritable plaidoyer pour un retour à une justice plus respectueuse des grands principes fondamentaux. Ce roman interpelle quant au poids accordé à la parole de la victime, il pointe les dérives dues aux préjugés et en plus, il se lit comme un thriller psychologique. Quand on sait que l'erreur judiciaire existe mais que les réhabilitations sont rarissimes, il y a vraiment de quoi s'interroger. 

Belle lecture !

dimanche 4 décembre 2022

Mon avis sur "Les enfants endormis" d'Anthony Passeron

Avec son premier roman autobiographique Les enfants endormis (Éditions Globe), Anthony Passeron nous transporte dans les années 1980 pour redonner vie à son oncle emporté par le SIDA et évoquer l'impact que cette maladie a eu sur sa famille. Il a reçu le Prix Première Plume et le Prix Wepler Fondation la Poste. Un début très prometteur.

Quarante ans après la mort de son oncle Désiré, Anthony Passeron décide d'interroger le passé familial. Évoquant l'ascension de ses grands-parents devenus bouchers pendant les Trente Glorieuses, puis le fossé grandissant apparu entre eux et la génération de leurs enfants, il croise deux histoires : celle de l'apparition du sida dans une famille de l'arrière-pays niçois - la sienne - et celle de la lutte contre la maladie dans les hôpitaux français et américains.
Dans ce roman de filiation, mêlant enquête sociologique et histoire intime, il évoque la solitude des familles à une époque où la méconnaissance du virus était totale, le déni écrasant, et la condition du malade celle d'un paria.

Avec Les enfants endormis, Anthony Passeron brise le silence et ressuscite son oncle parti trop tôt dans d'abominables conditions. Á travers l'histoire de Désiré, l'auteur évoque l'ennui d'une certaine jeunesse en quête de sensations fortes au temps où un nouveau virus dévastateur faisait son apparition. Nous sommes propulsés en France dans les années 1980, le virus dont il est question est le SIDA. Associé à une frange minoritaire de la population, ce virus ne mobilise pas vraiment la communauté médicale. On ignore tout de lui. C'est tellement vrai que les jeunes désireux de s'évader de leur quotidien qu'ils trouvent bien trop morne à leur goût, sont retrouvés endormis sur la route, le regard vitreux, une seringue plantée dans le bras. En ce temps-là, les seringues tournaient de bras en bras et Les enfants endormis se contaminaient sans qu'ils en aient conscience. 
Ailleurs, de l'autre côté de l'Atlantique des chercheurs commencent à s'intéresser à ce fléau qui affecte tout particulièrement les homosexuels, les pays et les populations les plus démunis. Peu de temps après, c'est un clinicien de l'hôpital Bichat qui sensibilise et mobilise des chercheurs français de l'Institut Pasteur. Dès lors, débute la lutte. La lutte contre le SIDA bien sûr avec son lot d'hésitations, d'échecs, de découragements, puis avec ses avancées. Mais la lutte également entre scientifiques. Après les moments de solidarité et de partage, vient le temps de la concurrence de part et d'autre de l'Atlantique, jusqu'à la consécration des Professeurs Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier, lesquels ont reçu en 2008 le prix Nobel de médecine.

Anthony Passeron alterne grâce à de courts chapitres, histoire intime et grande histoire. La qualité de sa narration, la fluidité et l'accessibilité de ses propos rendent le tout absolument captivant. Petite et grande histoires se répondent à merveille, rythment le récit. C'est à un véritable travail d'historien que l'auteur s'est livré. Aucun doute, on perçoit qu'il a consacré un temps considérable aux travaux de recherches pour non seulement retracer le parcours de vie de son oncle Désiré, mais également pour reconstituer le contexte socio-politico-économique des années 1980. Son immersion dans les ouvrages de médecine lui permettant de vulgariser les différentes étapes de la lutte contre le SIDA est également palpable. C'est bouleversée que j'ai refermé Les enfants endormis, prenant conscience que malgré les années écoulées, le SIDA est toujours là, prêt à saccager d'autres corps, gâcher d'autres rêves de vies simples, laissant derrière lui que les survivants de familles sonnées. Un conseil, ne passez pas à côté des enfants endormis.

Bonne lecture !

dimanche 27 novembre 2022

Mon avis sur "V13" d'Emmanuel Carrère

Parce que j'ai immédiatement entendu l’émotion dans sa voix, parce qu'il y a des voix qui ne trompent pas, des voix qui ne peuvent cacher les yeux humides et les tripes nouées, parce qu'il y a des voix qui en disent plus que les mots. Cette voix c'était celle de Nicolas Demorand. Je l'ai entendue lorsque ce dernier a fait la promo d'un podcast. Il a dit à propos de celui-ci, que « Seule la radio vous traverse de cette manière, seule la radio peut vous prendre comme ça, à la gorge, et imposer l’immobilité et le silence ». Dès qu’il en parlé, j’ai su que je l’écouterai. Mais ce que je ne savais pas, c’est que je serai happée par ces trois voix, happée au point d’écouter religieusement d’une traite les douze épisodes de 13 novembre, trois voix pour un procèsCes voix sont celles de Charlotte Piret, journaliste qui a couvert le procès pour France Inter, d’Arthur Dénouveaux, survivant du Bataclan et Président de l’association « Life for Paris, 13 novembre 2015 » et celle de Xavier Nogueras, avocat de la défense. Ces trois là qui ne se connaissaient pas vraiment ont décidé de déposer tout au long du procès sur un groupe WhatsApp leur ressenti, leurs réflexions, leurs émotions. Ils se sont déchargés là. Dix mois éprouvants d’un procès d’Assises versus douze épisodes absolument passionnants, émouvants. Il y a ceux qui déposent leur voix et ceux qui écrivent. Ils ont en commun d'avoir assisté à ce procès fleuve. Emmanuel Carrère a tenu une exceptionnelle chronique hebdomadaire, publiée dans 4 grands journaux européens, L'Obs en France, El País en Espagne, La Repubblica en Italie, Le Temps en Suisse. V13 (P.O.L.rassemble l'ensemble de ces chroniques et vient compléter le podcast de France Inter.

Le procès fleuve polyphonique des attentats du 13 Novembre 2015, qui ont fait 130 morts et 350 blessés à Saint-Denis et à Paris, s'est tenu entre septembre 2021 et juin 2022. Un dossier haut de plus de 53 mètres qui a occupé les magistrats dix mois durant. Plus de 300 témoins ont été entendus, dont des rescapés de cette nuit d'horreur. Les 20 accusés ont été jugés. Parmi eux, Salah Abdeslam, le seul survivant des commandos de l'organisation du groupe État islamique, commanditaire de ces attaques. Emmanuel Carrère a assisté à l'intégralité de cette descente aux enfers dans laquelle il est toujours parvenu à saisir l'humanité des uns et des autres, qu'elle soit bouleversante, admirable, ou abjecte. Il saisit l'ironie terrible des propos, des situations. Il refait le récit des événements, et surtout livre son écoute magnifique des paroles et des silences de ce procès. Il en fait notre histoire. Il donne à cet écheveau complexe d'horreur, d'idéologie, de folie et de détresse, une dimension universelle, profondément humaine, qui atteint chacun d'entre nous.

V13 est une chronique judicaire hors norme. Emmanuel Carrère nous immerge en plein prétoire aux côtés successivement des parties civiles, des accusés et de la cour. Comme il sait si bien le faire, il relate avec émotion, retenue et pudeur l'horreur des faits, les pertes, les séquelles, les peurs, les traumatismes indélébiles, la douleur et ses silences écrasants. Il embrasse tous les points de vue avec justesse et respect, tout en ayant l'élégance de s'attarder sur ce qu'ont vécu les victimes. L'auteur exprime l'indicible sans nous vautrer dans le sensationnel ni le pathos. Il veille à restituer les tensions, l'humeur ambiante, la fatigue liée à la lourdeur de cette procédure très longue, trop longue sans oublier les moments inédits comme les douleurs qui rapprochent ceux que tout semble opposer. Mais ce qui est frappant avec V13 et c'est là tout l'intérêt de ce livre, c'est qu'Emmanuel Carrère nous invite à rester intelligent en cherchant à comprendre sans pour autant excuser. 

À l'instar du podcast de France Inter, V13 est un récit passionnant parce qu’intelligemment amené. C’est instructif, essentiel pour comprendre à quoi sert un procès au-delà de rendre la justice. Ce livre est à l'image de son auteur, éminemment humain, profondément touchant. Et puis il y a cette fin à la terrasse du café « Les deux palais », bouleversante d'humanité et d'espoir.

Belle lecture et bonne immersion dans ce huis-clos hors norme !

mercredi 9 novembre 2022

Mon avis sur "Là où chantent les écrevisses" de Delia Owens

Cette pépite est restée plus d'an an coincée dans ma pile à lire jusqu'à ce que je l'en exhume. C'était l'été dernier, peu de temps avant de voir son adaptation cinématographique. Là où chantent les écrevisses (Points) est le premier roman de Delia Owens chercheur et biologiste âgée de plus de soixante dix ans. Il a été vendu à des millions d'exemplaires dans le monde entier. Un joli succès.

Pendant des années, les rumeurs les plus folles ont couru sur « la Fille des marais » de Barkley Cove, une petite ville de Caroline du Nord. Pourtant, Kya n'est pas cette fille sauvage et analphabète que tous imaginent et craignent.
A l'âge de dix ans, abandonnée par sa famille, elle doit apprendre à survivre seule dans le marais, devenu pour elle un refuge naturel et une protection. Sa rencontre avec Tate, un jeune homme doux et cultivé qui lui apprend à lire et à écrire, lui fait découvrir la science et la poésie, transforme la jeune fille à jamais. Mais Tate, appelé par ses études, l'abandonne à son tour. La solitude devient si pesante que Kya ne se méfie pas assez de celui qui va bientôt croiser son chemin et lui promettre une autre vie. Lorsque l'irréparable se produit, elle ne peut plus compter que sur elle-même...

Là où chantent les écrevisses est un récit initiatique doublé d'un véritable hymne à la nature. Depuis que les siens l'ont abandonnée, le marais est devenu la seule famille de Kya Clark. C'est en plein cœur de ce no man's land que la fillette a poussé. Viscéralement attachée à son environnement naturel, elle l'observera, apprendra tout de lui dans le plus grand respect de toutes les espèces animales et végétales qui y vivent. Véritable sauvageonne, la jeune fille intrigue. Sa marginalité attise toutes les peurs, tous les fantasmes. Si bien que lorsque un homme est retrouvé mort dans le marais, c’est sur elle que tous les soupçons se porteront. 

Bien que le procès soit le fil conducteur du roman, il permet à Delia Owens de camper avec brio la sensibilité et l'intelligence de son personnage féminin. De surcroît, le fait de retracer son parcours de vie nous immerge dans cette nature exacerbée que l'auteure sublime. Elle lui rend toute sa magnificence et par là même réveille notre conscience écologique. Ajoutez à cela, une belle histoire d'amour, une vraie touche de poésie, quelques plumes d'oiseaux du marais et vous obtiendrez un roman à succès. Parfaitement construit, savamment dosé, tout est réuni pour que Là où chantent les écrevisses marque les esprits et devienne inoubliable. Si vous ne l'avez pas encore lu, ne tardez pas et surtout ne vous contentez pas du film. Bien qu'il soit globalement fidèle au livre, il passe trop vite sur l'enfance de Kya, sa solitude qui l'a ancrée au marais, qui l'a façonnée et qui a fait d'elle une véritable femme libre, pour s'attarder un peu trop à mon goût, sur son histoire d'amour.

Belle lecture !

La bande-annonce du film "Là où chantent les écrevisses"

mardi 8 novembre 2022

Mon avis sur "La dérobéé" de Sophie de Baere

J'ai découvert les histoires d'amours contrariées de Sophie de Baere grâce aux 68 premières fois avec Les corps conjugaux, puis en ma qualité de jurée du Prix du Cercle littéraire de Maffliers avec Les ailes collées. C'est d'ailleurs ce roman qui l'a remporté cette année. Il me restait à lire le premier roman de cette auteure, La dérobée (Anne Carrière). C'est chose faite.

Alors que Claire mène une existence morne mais tranquille avec son mari, elle tombe sur Antoine, son grand amour de jeunesse. Jeune grand-mère d'une petite Léonie, Claire travaille comme responsable de caisse sur une aire de l'autoroute A8 et croit n'avoir plus grand-chose à partager avec Antoine, photographe reconnu et marié à une fille de diplomate. Mais l'irruption inattendue d'Antoine qui va user de tous les stratagèmes pour rétablir une relation avec elle, oblige Claire à interroger son existence du moment et à fouiller les drames du passé...
À travers les évènements dramatiques de sa vie, Claire saisit peu à peu qui elle est et ce qu'elle souhaite vraiment.

Il n'y a pas à discuter, Sophie de Baere a non seulement une plume bien à elle mais surtout, elle met de l'extraordinaire dans les histoires d'amour ordinaires. Son héroïne a une vie des plus banales jusqu'au jour où son amour de jeunesse, Antoine, s'installe dans son immeuble avec sa superbe femme. Dès lors, les fantômes du passé vont ressurgir et les flammes de cette passion mal éteintes, se raviver. Le morne, mais néanmoins rassurant quotidien de Claire risque fort de voler en éclats, à moins qu'elle ne fasse le choix de se dérober. 

Une fois de plus avec La dérobée, Sophie de Baere décortique une histoire d'amour, mais pas n'importe laquelle, la première. Celle qui est inoubliable, qui laisse des traces indélébiles, celle qui affadit toutes les suivantes, celle qui contraste tant avec notre quotidien, celle pour laquelle on donnerait tout pour la revivre et la poursuivre. À travers l'histoire de son héroïne, l'auteure nous interpelle sur le temps qui passe, l'usure du couple, le poids des choix et le droit au bonheur. Elle nous bouscule, nous remue et nous embarque sur des chemins insoupçonnés. On se laisse prendre par le charme de son écriture, puis très vite on est happé par l'histoire, le destin de Claire et les nombreux rebondissements savamment dosés, si bien que l'on ne cesse plus de tourner les pages. Aucun doute, Sophie de Baere est une auteure qui ne cède jamais à la facilité et qui s'attache à rendre ses personnages particulièrement touchants et humains. En refermant La dérobée j'ai eu la certitude que je continuerai à lire Sophie de Baere tant son univers et ces histoires me plaisent.

Belle lecture ! 

lundi 10 octobre 2022

Mon avis sur "Le Maître et l'assassin" de Sophie Bonnet

Sophie Bonnet est journaliste française connue et reconnue pour ses enquêtes d'investigation. Il lui aura fallu cinq ans de travail, cent cinquante interviews de personnages publics appartenant au show-biz, au monde politique ou judiciaire et de longs entretiens avec Alexandre Despallières pour que Le Maître et l'assassin (Robert Laffont) voie le jour. Un récit passionnant.

Mars 2013, un ténor du Barreau est retrouvé mort au large de son île privée en Bretagne. Dans son ombre papillonne un jeune gigolo à la beauté magnétique et au passé trouble, soupçonné d’être un empoisonneur en série.
Qui est réellement Alexandre Despallières ?
Cet adonis ambitieux qui pratique "l’art du poison" depuis l’adolescence, traîne dans son sillage nombre de morts suspectes. Sa vie dorée bascule en juin 2010, lorsqu’il est arrêté à Paris, accusé d’avoir assassiné un richissime Australien, producteur d’Elton John et de Madonna. Il l’aurait empoisonné et aurait rédigé un faux testament pour capter sa fortune. Trois ans plus tard, Olivier Metzner, l’un des avocats les plus puissants de France, est retrouvé mort, son corps flottant au large de son île privée en Bretagne. La star du Barreau et le bel Alexandre, amants depuis plus de vingt ans, partageaient nombre de secrets.

L'un est jeune, beau, solaire et diablement charismatique. L'autre est plus âgé, au physique ingrat et terriblement solitaire. Ils ont en commun le goût des paillettes, des drogues, des garçons, mais surtout celui du mensonge. L'un excellera plus que l'autre en la matière. Durant huit années, ces deux là vont se croiser dans le milieu homosexuel parisien avant de vraiment se rencontrer au détour d'une affaire judicaire. L'un est avocat, l'autre un voyou. Le premier se voit confier une affaire d'escroquerie et d'empoisonnement mettant en cause le second qui risque la prison. Dès lors, ce dernier entreprend de séduire le premier qui ne peut résister à tant de beauté. Amoureux, Maître Olivier Metzner délaisse son client et par la même occasion, sauve Alexandre Despallières. Ce ne sera que seize années plus tard, que ce dernier sera rattrapé par la justice, il aura eu tout le temps d'abuser de la crédulité de ses victimes. Pour les dépouiller jusqu'au dernier centime, le gigolo est prêt à tout y compris aux plans les plus machiavéliques. Il s'inventera tour à tour, chanteur d'un groupe célèbre, fils d'une actrice américaine, une maladie grave, une fortune. Tout est bon pour parvenir à ses fins. Véritable crapule, il n'a aucun scrupule et est prêt à tuer père et mère pour briller. Un être abject. Malgré toutes les abominations qu'il a commis, Alexandre Despallières est décédé présumé innocent. Il n'a jamais été jugé.

Quant à Olivier Metzner, il partage le même goût du mensonge avec le jeune gigolo. Il prétend être issu d'un milieu modeste alors qu'il est fils d'un agriculteur et grand propriétaire foncier dans l'Orne. Au départ, il possède peu d’atouts : un parcours scolaire de cancre, un physique ingrat, un caractère timide, une élocution qui se heurte à son bégaiement. Mais à force de travail et d'acharnement à déceler les vices de procédure, il va devenir l’un des avocats les plus riches et les plus puissants de France. D’avocat des truands, il est devenu celui des grands patrons et des figures politiques quand éclatent les premiers scandales politico-financiers. Maître Metzner possédait tous les signes extérieurs de la réussite mais derrière la fumée de ses cigares, il dissimule sa vie privée et son immense solitude. Alcoolique, drogué et homosexuel, il est tombé dans les griffes du charismatique gigolo qui tel un prédateur, le menacera de révéler ses penchants inavouables à moins qu'il achète son silence. En mars 2013, Olivier Metzner est retrouvé mort aux abords de Boëdic, son île. Il se serait suicidé.

Avec Le Maître et l'assassin, Sophie Bonnet nous dévoile un labyrinthe de crimes et de sexe dans les allées du pouvoir. Elle nous embarque dans les bas-fonds dorés, le Tout-Paris homosexuel de l’époque. Dans ce récit, tout est ahurissant. Il faut le lire pour le croire. Si ce livre avait été un roman, on aurait décrié l'imagination débordante de son auteure. Mais tout n'est que réalité, ce qui rend le tout d'autant plus sidérant. Sophie Bonnet a abattu un travail colossal permettant de sonder les tréfonds des âmes du Maître et de l'assassin assoiffé de pouvoir et assujetti. Le Maître et l'assassin est un récit haletant qui se dévore tel un thriller. Un conseil, plongez dans cet univers hors norme.

Belle lecture !

mercredi 31 août 2022

Mon avis sur "Je suis la maman du bourreau" de David Lelait-Helo

D'abord enseignant, David Lelait-Helo est devenu journaliste, auteur et parolier. Il a un faible pour les destins de femmes et notamment les chanteuses auxquelles il a consacré bon nombre de biographies. Je suis la maman du bourreau (Héloïse d'Ormesson) est son dernier roman.

Du haut de ses quatre-vingt-dix ans, Gabrielle de Miremont semblait inatteignable. Figée dans l’austérité de la vieille aristocratie catholique dont elle est l’incarnation. Sa devise : « Ne jamais rien montrer, taire ses émotions ». Jusqu’à ce matin-là, où un gendarme vient lui annoncer la mort de son fils. Son fils cadet, son enfant préféré, le Père Pierre-Marie, sa plus grande fierté. Gabrielle ne vacille pas, mais une fois la porte refermée, le monde s’écroule. Cet effondrement, pourtant, prend racine quelques semaines plus tôt, à la suite d’un article de presse révélant une affaire de prêtres pédophiles dans sa paroisse. Révoltée par cette calomnie, Gabrielle entreprend des recherches. Des recherches qui signeront sa perte. Ou sa résurrection.

Je suis la maman du bourreau s'ouvre sur cette déclaration : Je suis passée de Dieu à Diable. S'ensuivent les mots d'une mère consignés dans son carnet. Elle raconte comment son fils adoré, sa grande fierté, est devenu à la suite d'une révélation son calvaire, sa plus grande honte. Ses mots alternent avec la voix du narrateur. Ils nous plongent dans l'innommable, l'indicible, la part la plus sombre de l'Humanité. Pourtant, quand un gendarme désolé est venu lui annoncer que le corps de son fils a été retrouvé sans vie, cette mère n'a pas vacillé, ne s'est pas effondrée, elle n'a même pas été désolée. Son fils, le Père Pierre-Marie a été retrouvé mort par une fidèle. Pas d'effraction, ni marque de violence ni désordre apparent, aucun témoin. Le Père avait-il des raisons de se donner la mort ? 
Retour en arrière. 
Tout a commencé avec le titre d'un article publié dans le journal local "Pédophilie au cœur du diocèse". Interloquée, cette fervente catholique et gardienne de la vertu qu'est Gabrielle de Miremont est partie à la rencontre du vice incarné, Cédric Lautet, journaliste homosexuel auteur dudit papier. Les jours se sont enchainés, elle a guetté l'orage. Elle savait d'instinct que le pire était à venir. Une victime a témoigné à visage découvert. Parce qu'elle a enfanté, qu'elle est une mère, elle a été bouleversée par la lecture de son récit. Comment un serviteur de son Église a t-il pu salir son serment et l'innocence de ces enfants ? Ce que cette femme ne savait pas encore, c'est que sa vie allait être catapultée par ce fait divers. Elle connaîtra toutes les étapes du deuil, de la honte, de la culpabilité. 

Et c'est là toute l'originalité de ce roman. David Lelait-Helo aborde la question de la pédophilie non pas du point de vue du coupable ou de la victime, mais de celui des proches de l'auteur du crime. Des victimes collatérales. Il interpelle sur les croyances, sur l'aveuglante fierté d'un parent dont l'enfant embrasse l'ambition. Et si ce Dieu vivant qu'elle pensait avoir engendré se révélait n'être qu'un monstre, le Diable incarné ? Comment une mère, chrétienne et pratiquante de surcroît, peut survivre à une telle révélation ? 

Avec Je suis la maman du bourreau, David Lelait-Helo nous propose une histoire tristement d'actualité qui fait écho au rapport Sauvé rendu en octobre 2021 par la commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église. Par ce récit à la fois subtil et d'une justesse époustouflante, il parvient à rendre l'austère maman du bourreau terriblement humaine. Il démontre que celle que rien ne pouvait toucher, exceptée la grâce de Dieu, peut vaciller. Au gré des pages, le lecteur impuissant voit cet être invincible s'écrouler sous le poids de la culpabilité. C'est court, bien construit, intense et percutant. Je suis la maman du bourreau est un roman original et terriblement efficace qui met en lumière l'anéantissement des victimes collatérales de tous ceux qui ont commis l'innommable.

Belle lecture !

mardi 23 août 2022

Mon avis sur "Pour que chantent les montagnes" de Nguyễn Phan Quế Mai

Née en 1973 dans un petit village du nord Việt Nam, Nguyễn Phan Quế Mai a connu les ravages de la guerre dès son plus jeune âge. Elle a travaillé comme vendeuse de rue et dans des rizières avant d'obtenir une bourse pour suivre des études universitaires en Australie. Dorénavant, auteure et poétesse reconnue, elle a été lauréate des prix littéraires les plus prestigieux au Việt Nam. Pour que chantent les montagnes, son premier roman écrit en anglais, est un best-seller international déjà traduit en quinze langues. Il a reçu de nombreux prix et est désormais disponible en France aux Éditions Charleston. Il est, de mon point de vue, l'un des romans incontournables de cette rentrée littéraire. J'ai eu l'occasion de le lire en avant-première en ma qualité de jurée du Prix du roman FNAC 2022. Dès le 24 août, vous le trouverez dans toutes les bonnes librairies. Foncez !

Việt Nam, 1972.
Depuis leur refuge dans les montagnes, la petite Hương et sa grand-mère Diệu Lan regardent Hà Nội brûler sous le feu des bombardiers américains. Elles décident d’abandonner la capitale pour rejoindre les campagnes vietnamiennes. Un retour qui ravive le souvenir du départ de Diệu Lan, vingt ans plus tôt, chassée de la ferme familiale par la réforme agraire du gouvernement communiste nouvellement au pouvoir. 
À travers ce nouvel exil, ce sont les souvenirs de Diệu Lan, l'histoire de sa famille sous l’occupation française puis japonaise, la guerre d’Indochine, les multiples séparations et retrouvailles qui ont marqué sa vie, qui permettront à Hương de garder espoir dans un pays qu’elle n’a connu qu’en guerre.

Si vous avez lu et aimé Terre des oublis de Duong Thu Huong, que vous aimez le Vietnam, sa culture, sa nature, son peuple, vous allez adorer Pour que chantent les montagnes. Nguyễn Phan Quế Mai nous offre un voyage poignant à travers un siècle d’histoire vietnamienne, de l’occupation française à la chute de Sài Gòn. Pour que chantent les montagnes mêle l'histoire du Việt Nam à celle d'une famille déchirée à l'instar des souffrances qui déchirent leur patrie depuis des décennies...
C'est donc à travers le récit de trois générations de femmes d'une même lignée de paysans, qui à force de labeur est devenue une famille de passeurs de valeurs et de culture, que Nguyễn Phan Quế Mai nous transporte en Asie. 

La famille Trần a été percutée de plein fouet par la réforme agraire des années 50, puis vingt ans plus tard par la guerre du Việt Nam. Elle a connu les exils, le déchirement des séparations, la peur, la faim, la violence. Délaissées par leurs maris partis au combat, ce sont les femmes de cette lignée qui ont affronté seules avec courage et dignité ces épreuves. Elles ont tout mis en œuvre pour organiser la survie des leurs, allant jusqu'à prendre des décisions déchirantes. Grâce à leur éducation, leurs valeurs, leur philosophie, elles ont traversé aussi dignement que possible ces périodes douloureuses sans cesser de croire à des lendemains meilleurs. Ce récit à deux voix, celle de la petite-fille et de la grand-mère, est un magnifique témoignage de ténacité, de pugnacité et d'espoir. Pour que chantent les montagnes est un hymne intime à la résilience des peuples ravagés par la guerre et la mort. Non seulement il véhicule des belles valeurs humanistes, mais de surcroît, il vous apprendra énormément sur tout ce que les Vietnamiens ont enduré. Pour parvenir à cette justesse historique, Nguyễn Phan Quế Mai s'est documenté durant sept années avant d'écrire ce roman. Elle s'est appuyée sur les témoignages des membres de sa famille, mais également sur tous ceux des rescapés qu'elle a pu rencontrer ainsi que sur tous les écrits qu'elle a pu trouver. Le tout est remarquable, poignant. 

Pour que chantent les montagnes est une véritable déclaration d'amour au Việt Nam, à ses terres, ses coutumes, mais surtout à un peuple qui a tant souffert mais qui a toujours résisté. Un conseil, écoutez le chant des montagnes. Dépaysement garanti et belle leçon de vie et de courage à la clé !

Belle lecture !

lundi 22 août 2022

Mon avis sur "Anéantir" de Michel Houellebecq

S'il y a un livre qui a fait couler beaucoup d'encre en ce début d'année, c'est bien celui de Michel Houellebecq. La grande question existentielle apparemment pour certains était de savoir s'il fallait le lire ou pas. Fidèle à ce que je suis et aux auteurs que j'apprécie, je n'ai pas tergiversé, j'ai lu Anéantir (Flammarion). Bonne nouvelle, je ne suis pas anéantie, bien au contraire !

L'intrigue débute au mois de novembre 2026, quelques mois avant le début de l'élection présidentielle de 2027. Le personnage principal, Paul Raison, haut fonctionnaire auprès du Ministère de l'Économie, des Finances et du Budget, approchant la cinquantaine, travaille au cabinet du ministre Bruno Juge, avec lequel il entretient également des liens d'amitié. Le climat politique est marqué par des attentats terroristes, qui épargnent dans un premier temps les vies humaines. Ceux-ci sont extrêmement sophistiqués et font appel à des moyens militaires importants, sans que cela soit aisément possible d'évaluer les motivations profondes des auteurs. Voilà pour l'environnement professionnel de Paul. Côté vie privée, il en est plutôt privé. Englué dans une misère affective et sexuelle socialement acceptable, Paul est marié à Prudence, elle aussi au service de l’administration publique, et récemment devenue végane et adepte de la Wicca. Parce que son père, un retraité des services secrets français (DGSI), vient de faire un AVC, Paul va, le temps de se rendre à son chevet, oublier les arcanes de la politique et les problèmes du monde pour se reconnecter à sa famille. Dès lors, Anéantir se mue en roman familial pour le plus grand plaisir du lecteur, du moins, le mien. On découvre que Paul a une sœur bigote, Cécile. Elle est mariée à un notaire au chômage, Hervé. Le couple habite à Arras et vote ouvertement pour le Rassemblement national. Paul a également un petit frère, Aurélien, qui travaille comme restaurateur d’œuvres d'art au ministère de la culture et est marié à une femme détestable nommée Indy. Autour d'eux gravitent pléthore de personnages tous hauts en couleurs.

Anéantir est une fiction d'anticipation d'une grande richesse, mêlant les genres, les styles et les thématiques. Si au commencement, ce roman peut s'apparenter à un thriller politique, il se transforme très rapidement en une fresque familiale  permettant ainsi à son auteur de se livrer à une analyse critique de notre société contemporaine. Tout y passe. La situation économique et politique qui conduit inévitablement à la déliquescence de la France,  à la montée de l'individualisme, aux inégalités grandissantes, à l'absurdité environnante. Nos comportements paradoxaux sont mis en exergue pour in fine nous interpeler sur le sens la vie, notre relation à la maladie et à la mort, à la façon dont nous accompagnons nos mourants tant dans les établissements qui, faute de moyens, se déshumanisent, qu'au sein de la cellule familiale. Et pour adoucir ses propos et les parsemer d'espoir, Michel Houellebecq tapisse son roman d'une multitude de touches d'amour. Oui, vous avez bien lu, l'amour est omniprésent dans Anéantir. Qu'il s'agisse de celui qui unit un homme et une femme, une fratrie, un père et un fils, celui que l'on sème ou que l'on récolte. Il est là. Partout. Aussi étonnant que cela puisse paraître c'est bien cette thématique universelle et existentielle que l'auteur décline à travers tous ses personnages. D'abord inexistant, l'amour va reprendre corps dans le couple de Paul, mais également entre tous les membres de la famille Raison. L'auteur pose un regard tendre sur ceux qui la composent et révèle progressivement la profondeur des liens qui les unit.

Anéantir est un roman à la fois d'un pessimisme réaliste et d'une profonde humanité. Tant de thématiques sont abordées qu'il serait indigeste de toutes les inventorier, toujours est-il que ce pavé bien ancré dans son époque et invitant à la réflexion se lit d'une traite. Il faut bien reconnaître que Michel Houellebecq donne toujours une tonalité singulière à ses propos et que sa plume sans fioriture teintée de mélancolie est agréable et accessible. Alors fallait-il ou pas lire Anéantir telle n'est pas la question, je l'ai lu et vous le conseille chaleureusement.

Bonne lecture !

vendredi 19 août 2022

Mon avis sur "Les envolés" d'Étienne Kern

Étienne Kern est professeur de lettres en classes préparatoires, auteur et co-auteur d'essais sur la langue française et la vie littéraire. Les envolés (Gallimard) est son premier roman, il fait partie de la sélection 2022 des 68 premières fois et a obtenu le Prix Goncourt du premier roman en mai dernier.

4 février 1912. Le jour se lève à peine. Entourés d’une petite foule de badauds, deux reporters commencent à filmer. Là-haut, au premier étage de la tour Eiffel, un homme pose le pied sur la rambarde. Il veut essayer son invention, un parachute. On l’a prévenu : il n’a aucune chance. Acte d’amour ? Geste fou, désespéré ? Il a un rêve et nul ne pourra l’arrêter. Sa mort est l’une des premières qu’ait saisies une caméra.
Avec Les envolés Etienne Kern mêle à l’histoire vraie de Franz Reichelt, tailleur pour dames venu de Bohême, le souvenir de ses propres disparus. 

L'époque est aux débuts de l'aviation. Les premiers accidents ont poussé le tailleur  à  travailler sur la mise au point d'un costume-parachute, inspiré de la physionomie des chauves-souris. Après différents essais avec des mannequins depuis la cour de son immeuble, au 8 rue Gaillon à Paris, Reichelt se lance lui-même depuis une hauteur d'une dizaine de mètres à Joinville. Les tentatives non concluantes le pousseront à poursuivre ses recherches, jusqu'au jour où il annonce à la presse qu'il va réaliser lui-même un saut depuis le premier étage de la tour Eiffel pour prouver l'efficacité de son invention et qui sait, empocher les cinq mille francs à la clé du concours organisé par la ligue de l'Aéro-Club de France. Le jour J il s'élance mais son appareillage, qui ne semble qu'à demi-ouvert, se replie sous lui. C'est la chute libre et l'accident mortel. Franz Reichelt devra sa notoriété posthume non pas à sa participation à l'invention du parachute, mais au fait que la scène avait été filmée. Alors, folie d'un inventeur ou suicide à l'instar de l'amie d'Étienne Kern qui s'est volontairement envolée ? Peu importe la raison, le résultat est là, comme d'autres, Franz Reichelt s'est envolé.

C'est l'histoire romancée de cet envolé oublié qu'Étienne Kern retrace tout en la ponctuant d'éléments intimes. D'autres histoires d'envolés, notamment d'une qui a choisi de quitter un monde devenu trop insupportable et à qui le roman est dédié. Tout en finesse, Les envolés est porté par un style pur, servi par une plume aérienne et poétique. Un premier roman court, mais élégamment puissant.

Belle lecture !

samedi 13 août 2022

Mon avis sur "Une toute petite minute" de Laurence Peyrin

Laurence Peyrin a été journaliste de presse pendant vingt ans avant de se consacrer à l’écriture. Une toute petite minute (Pocketayant été sélectionné pour concourir au Grand Prix des Lecteurs Pocket, c'est dans ce cadre-là et en ma qualité de jurée que je l'ai lu. Encore une belle découverte...

Il a suffi d’une minute… D’une toute petite minute. Une nuit de réveillon 1995, Madeline s’enferme dans la salle de bains en compagnie de sa meilleure amie. Soixante secondes plus tard, Estrella est morte. Personne ne saura jamais la vérité sur ce drame.
Comment se pardonner ce qui est impardonnable ? Vingt ans de prison n’y ont pas réussi. Entrée adolescente, Madeline en ressort femme. Vingt ans au cours desquels elle n’a pas vu mourir son père, grandir sa sœur, changer sa mère… Comment, dès lors, se raccorder au fil des jours ? Et s’accorder le droit de vivre, d’aimer, d’être aimée peut-être… ?

Il en faut peu pour qu'une vie bascule. Une rencontre, un simple clic, un égarement, un instant… En l'espèce, Une toute petite minute a suffi pour qu'une fête se transforme en cauchemar. Madeline a 17 ans quand son étoile, Estrella, sa meilleure amie, s'est définitivement éteinte. Vingt ans plus tard, Mad sort de prison. Une toute petite minute a suffi à obscurcir son ciel. Sa peine intégralement purgée, parviendra t-elle à le rallumer, à y accrocher de nouvelles étoiles ?

Avec beaucoup de subtilité, Laurence Peyrin raconte la vie d'avant et d'après de son héroïne. Elle donne la parole à Madeline qui dévoile l'enfant qu'elle était, ses rêves d'adolescente, puis ses conditions d'enfermement, son obstination à vouloir purger sa peine jusqu'au dernier jour, jusqu'à la dernière minute. Ce récit alterne avec celui de Mad, la femme que Madeline est devenue, celle qui, une fois libérée, n'a plus de repères sociaux, celle qui doit se reconstruire, s'insérer dans cette société qu'elle ne connaît pas. 
Cette double temporalité permet de cerner la psychologie ambivalente de Madeline, de la comprendre, de cheminer avec elle et d'espérer que sa rédemption réussisse tout en cherchant à savoir ce qu'il s'est vraiment passé dans cette salle de bains le 31 décembre 1995. Ce n'est qu'à la toute dernière minute de lecture que l'intrigue sera levée.

Une toute petite minute est un roman empreint d'une grande humanité. Parfaitement construit, il est également d'une grande justesse et d'une finesse qui rendent le tout parfaitement crédible. Le milieu carcéral, l'impact du drame sur la famille et les proches, la difficulté à se réinsérer, la puissance de la nature, incontournable source de rédemption et enfin, l'espoir qu'une belle rencontre puisse de nouveau rallumer les étoiles. Une toute petite minute est un roman touchant qui nous transporte sur les chemins de Montauk Point Light et surtout sur ceux de la résilience. Ce roman a été pour moi une belle découverte qui m'a donné la furieuse envie d'apprendre à faire des crêpes d'œuf ! (Seuls les lecteurs savent). 

Belle lecture !

vendredi 12 août 2022

Mon avis sur "La belle famille" de Laure de Rivières

Laure de Rivières est une ancienne journaliste qui a évolué pendant près de quinze ans dans la presse féminine où elle a essentiellement traité de sujets de société concernant les femmes. Elle vit depuis peu à Los Angeles. La belle famille est son premier roman (Flammarion) et justement de femmes il est question.

« Quand j’ai répondu à cette petite annonce, et Dieu sait qu’à cette époque j’aurais pris n’importe quoi, je n’aurais jamais pu imaginer ce qui allait m’arriver.
D’ailleurs, personne n’aurait pu s’en douter.
Et je ne sais pas si quelqu’un aurait pu m’en protéger. »
Manon a 20 ans quand elle rencontre l’homme qui va changer le cours de sa vie. Charmeur et sûr de lui, ce catholique intégriste et père de cinq enfants révèle peu à peu son caractère trouble et dangereux. En fonçant tête baissée dans l’obscurité d’une famille et d’un monde qui lui sont étrangers, Manon s’engage sur un chemin chaotique dont personne ne sortira indemne.

Inspiré d’une histoire vraie, La belle famille est un roman polyphonique. La voix de Manon, jeune étudiante indépendante et affranchie, ainsi que celle de tous les autres protagonistes se font l'écho de cette incroyable histoire. Une histoire d'emprise psychologique. Sans jugement, à tour de rôle, chacun y va de son point de vue. Dès les premières pages, nous sommes saisis par l'ambiance très singulière de ce roman qui peu à peu devient suffocante. On devine très rapidement qu'une fois la porte de la maisonnée refermée, il se passe des choses pas très catholiques. La belle famille traite de violence conjugale, pas celle qui fracasse les assiettes, celle qui vous prend dans ses filets, qui s'insinue sournoisement là où on ne l'attendait pas, celle qui intervient entre un homme et une femme, celle qui vous enserre, vous étouffe, qui fait douter celle qui la subit, qui fait mentir celui qui la fait subir. Il est question d'emprise et de manipulation. Du haut niveau. Du très haut niveau. Tellement haut que même une jeune fille libre et indépendante tombe dans le piège, que son entourage n'y voit rien. Cette histoire interpelle, révolte, questionne. Mais qu'avons-nous appris de toutes les générations de femmes qui nous ont précédés ? Comment est-ce possible que de nos jours, une jeune fille puisse tomber entre les serres d'un tel prédateur et surtout qu'elle n'en n'ait pas conscience ? 

Admirablement construit, ce livre, à l'instar de son personnage masculin principal, vous asservit. Impossible de le lâcher, d'y renoncer. Jusqu'au bout, jusqu'à la dernière page, la dernière ligne on reste sous l'emprise de ce pervers tout en admirant la force et la détermination de cette jeune fille qui s'évertue obstinément à rester optimiste, à tenir sa lign(é)e de conduite.
La belle famille est un premier roman percutant, glaçant, mais ce qui l'est encore plus c'est qu'il est inspiré d'une histoire vraie. Laure de Rivières a rencontré Manon un été, quand elle avait vingt ans. Elle était pleine d'une radieuse envie de vivre. Quelques années plus tard, l'auteure l'a retrouvée et a pu mesurer les effets de l'emprise sociale et amoureuse, et l'impact de la maladie mentale sur les proches. Laure de Rivières a voulu écrire un livre racontant le courage d'une femme qui doit tout affronter et supporter par pur amour, bonté et sincérité. Une femme qui découvre la maternité, sous toutes ses formes, et qui s'y abandonne, qui découvre l'amour et qui veut y croire malgré toute la violence que cela impose. La belle famille est une fiction, fondée, hélas, sur des faits réels. Il est à lire pour aider celles qui connaissent ces situations et surtout pour aider les autres à décrypter tous les signaux de l'emprise et de la manipulation.

Belle lecture !

vendredi 5 août 2022

Mon avis sur "D'amour et de guerre" de Akli Tadjer

Akli Tadjer est un écrivain et scénariste franco-algérien. Il est l’auteur de quatorze romans, dont trois ont été adaptés à la télévision. D'amour et de guerre (Pocket) a été sélectionné pour concourir au Grand Prix des Lecteurs Pocket. C'est dans ce cadre et en ma qualité de jurée que je l'ai lu.

Jeune berger des montagnes kabyles, Adam a 20 ans et des rêves plein la tête. Il y a sa belle Zina. Et puis il y a La Clef, cette maison qu’il leur construit. Alors quand la guerre éclate, là-bas, en France, le jeune Algérien dit non. Tomber au champ de leur honneur, y laisser un membre, comme son père en 1914 ? Pour le compte de qui, pour l’honneur de quoi ? Mais la Guerre a ses façons de moissonner ses enfants. Arraché à sa terre, à son amour, Adam va connaître l’horreur du front, les rigueurs de l’exil, puis les camps de travail pour soldats coloniaux... Guidé par ses rêves de liberté, retrouvera-t-il son Algérie natale et sa Zina bien-aimée ?

D'amour et de guerre est la quête éperdue d’amour et de liberté d’un jeune soldat kabyle propulsé malgré lui dans un monde devenu fou. Alors que l'Algérie est colonisée par la France, la guerre opposant français et allemands va arracher Adam à son grand amour, à son village, ses racines. Il est enrôlé de force par l’armée pour tuer des allemands qu’il ne connaît pas, dans une France qu’il ne connaît pas davantage. Affecté dans le Nord de l'Hexagone avant d'être prisonnier dans un camp de travail réservé aux soldats coloniaux, Adam va découvrir l’horreur, le froid et surtout la trahison, celle des Français qui collaborent avec l'ennemi. Avec ses compagnons d'infortune, Samuel, fils de rabbin, et Tarik, un futur imam, il va s'échapper. Ensemble ils vont traverser une France occupée pour rejoindre à Paris l'ancien instituteur d'Adam à Bousoulem. Mais la capitale n'est que danger. Leur route va se séparer. Chacun empruntera une voie différente. Adam prendra la direction de la Normandie où il devra surmonter de nouvelles épreuves. Tout ce qu'il vit est consigné dans son carnet rouge qu'il noircit pour Zina, son grand amour qu'il ne désespère pas de retrouver dès que l'horreur laissera entrevoir une telle possibilité.

Avec D'amour et de guerre Akli Tadjer évoque tout un pan de l'histoire qui a été passée sous silence. À travers la tendresse du regard de son personnage principal, il dénonce la mobilisation forcée des algériens, l'absurdité de cette situation, les souffrances que ces jeunes soldats ont vécu tout en veillant à mettre à l'honneur des valeurs telles que l'amitié, la solidarité et l'amour. En mêlant grande et petite histoire, Akli Tadjer non seulement réhabilite la mémoire ce ceux qui ont été trop vite oubliés et nous offre un roman empreint d'humanité, d'humour et de poésie. La suite, D'audace et de liberté est disponible aux Éditions Les escales. 

Belle lecture !

samedi 30 juillet 2022

Mon avis sur "Dans les brumes de Capelans" d'Olivier Norek

Quand Olivier Norek publie un roman, c'est toujours un évènement, mais quand en plus, il fait ressurgir Victor Coste, ce légendaire capitaine du 93, c'est un phénomène. Allez hop, embarquement immédiat Dans les brumes de Capelans (Michel Lafon que je remercie pour l'envoi de l'exemplaire dédicacé).

Une île de l'Atlantique battue par les vents, le brouillard et la neige. Un flic qui a disparu depuis six ans et dont les nouvelles missions sont classées secret défense. Sa résidence surveillée, forteresse imprenable protégée par des vitres pare-balles. Une jeune femme qu'il y garde enfermée. Et le monstre qui les traque. 
Tels sont les ingrédients de Dans les brumes de Capelans, ajoutez-y la Norek touch et vous voici indisponible pour les prochaines 24 heures.

Coste vit reclus à Saint-Pierre, la petite île cousine de Miquelon. Bien que seul et malgré ce que peuvent croire ses anciens coéquipiers, le regretté Capitaine ne s’est pas retiré des affaires. Il habite une des résidences surveillées de l’État, où il interroge des criminels repentis. Tout va basculer quand il devra se charger d'Anna, seule survivante d’un serial-killer qui l’a maintenue captive depuis ses 14 ans et n’a épargné aucune des autres proies qu’il a enlevées. Malgré la brume qui enveloppe l'île des semaines durant, le tueur a identifié la planque et se rapproche dangereusement. Comment est-ce possible ? 

Pour faire revenir son célèbre Victor Coste, Olivier Norek nous propose un thriller à l’atmosphère particulièrement angoissante du fait de l'insaisissable psychologie des personnages et du phénomène météorologique que produit la rencontre du courant chaud du Gulf Stream avec le courant froid du Labrador et lequel enveloppe l'île d'une opacité aveuglante. Véritable course contre la montre, Dans les brumes des Capelans, Coste nous en met plein la vue. La traque est prenante, l'intrigue parfaitement ficelée, les dialogues claquent. Bref, tout est réuni pour qu'il soit impossible de lâcher ce polar. Essayez, vous verrez. Il n'y a pas grand chose à dire tant tout fonctionne et nous tient en haleine. Du grand Norek, assurément !

Belle lecture !

vendredi 22 juillet 2022

Mon avis sur "Le jeune homme" d'Annie Ernaux

Parce qu'on ne la présente plus, parce qu'elle est une femme de lettres connue et reconnue, parce que son œuvre a été très largement saluée par la critique, parce que le temps file et surtout parce qu'il n'est jamais inutile de coucher sur papier ce que renvoie la société ne serait-ce que pour la faire évoluer et puis parce qu'elle a été l'unique invitée de cette émission littéraire de référence, j'ai cédé à l'appel d'Annie Ernaux et ai lu Le jeune homme (Gallimard).

En quelques pages, à la première personne, Annie Ernaux raconte une relation vécue avec un homme de trente ans de moins qu’elle. Une expérience qui la fit redevenir, l’espace de plusieurs mois, la « fille scandaleuse » de sa jeunesse. Un voyage dans le temps qui lui permit de franchir une étape décisive dans son écriture.

Ce texte court, très court, forcément trop court raconte une histoire d'amour entre une femme et un jeune homme. Pourquoi préciser que cet homme est jeune alors que je ne dis rien sur cette femme ? Justement, parce que tout tient dans l'absence d'adjectif qualificatif. Cette femme est Annie Ernaux. Elle avait la cinquantaine passée, était admirée par un étudiant qui voulait à tout prix la rencontrer, lorsqu'à l'issue d'un dîner au restaurant, elle l'emmena chez elle pour un dernier verre. Cette soirée s'est terminée comme elle se devait, les corps emboîtés. Il s'est séparé de son amie pour vivre cette nouvelle histoire. Du vendredi soir au lundi matin, Annie Ernaux prit l'habitude d'aller chez A., ce jeune homme de trente ans son cadet. Il habitait Rouen, la ville où elle avait été étudiante dans les années soixante. L'appartement de A. donnait sur l'hôpital dans lequel elle avait été transportée une nuit à cause d'une hémorragie due à un avortement clandestin. Hasard ou rendez-vous ? 

En exergue de ce récit, Annie Ernaux écrit ceci : "Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu'à leur terme, elles ont été seulement vécues." 
Avec A., Annie Ernaux n'avait plus d'âge. Elle dérivait d'un temps à l'autre. Elle se remémorait la période de sa vie qui fût la sienne à Rouen, découvrait de nouveaux lieux, le quotidien de ceux qui doivent compter, leurs centres d'intérêt si éloignés des siens. Leur différence l'indifférait. L'essentiel était ailleurs. Il était dans l'écriture de qu'il était advenu dans sa chair à elle, avant sa naissance à lui. Cet avortement. A. a été pour A(nnie) un ouvreur de temps. À son insu, Le jeune homme aura participé à l'œuvre d'Annie Ernaux. Il lui aura permis d'aller au terme de ce qu'elle a vécu et d'accoucher de L'Évènement.

Le jeune homme est à la fois le récit intimiste et sociologique d'une histoire entre une femme d'âge mûr et un jeune homme, mais également sur le cheminement émotionnel et intellectuel d'une auteure. D'un style épuré et percutant, ce livre autobiographique ne peut que frustrer ses lecteurs. Il frustre parce qu'il est trop court, parce qu'il n'est qu'un chapitre de la vie d'une femme libre, parce que l'on voudrait lire ceux d'avant et ceux d'après, parce que malgré tout, on se demande si l'on n'aurait pas été victime d'un coup marketing. À moins que je n'ai rien compris, si ce n'est que le temps est venu pour moi de me plonger dans l'œuvre de cette auteure.

Belle lecture !

dimanche 17 juillet 2022

Mon avis sur "101 ans Mémé part en vadrouille" de Fiona Lauriol

Depuis sa plus tendre enfance, Fiona Lauriol sillonne le monde. Chez elle, le voyage est une histoire de famille. Pour preuve, à même pas quarante ans, elle a visité avec ses parents, pas moins d'une quarantaine de pays en Europe, Afrique et Asie. Toujours en complète immersion, le plus souvent en camping-car. En 2018, elle a décidé d'élargir les horizons de Dominique, sa grand-mère, et de la sortir de l'EHPAD dans lequel elle dépérissait. De cette aventure est né 101 ans mémé part en vadrouille (Blacklephant Éditions). Cap sur l'Italie, l'Espagne et le Portugal.

Ce récit est non seulement la résultante de la promesse que l'auteure avait fait à sa grand-mère -elle lui avait promis d'écrire sur leur road-trip- mais il est surtout un superbe témoignage d'amour et un plaidoyer pour lutter contre l'isolement de nos aînés.
101 ans mémé part en vadrouille raconte comment une petite-fille qui ne supportait plus de voir sa grand-mère dépérir en EHPAD, a décidé de cesser toute activité pour s'en occuper pleinement. Les débuts sont épiques, les gestes maladroits et les prescriptions médicamenteuses considérablement allégées. Un nouveau rythme s'est installé. Les caractères se sont acclimatés. Le temps s'écoulait paisiblement jusqu'au jour où Fiona Lauriol a retrouvé sa grand-mère fixant, d'un regard absent, le mur de sa chambre. C'en est trop. C'est décidé, Fiona va donner à voir du paysage à sa mémé et tracer la route. Après avoir consulté le médecin traitant de Dominique, qui ne lui donnait pas plus de huit jours à vivre, Fiona Lauriol met le cap sur l'Italie, le pays natal de sa grand-mère. Elles n'auront pas atteint la frontière qu'une mauvaise chute les contraint déjà à faire demi tour. Retour au bercail. Peu importe, elles repartiront. In fine, ce ne sont pas moins de cinq voyages que les deux femmes ont partagé. Elles ont sillonné la France, l'Espagne et le Portugal, ont démenti les pronostics du corps médical, contourné les obstacles, surmonté les imprévus. Ensemble, elles ont voyagé. Fiona a enluminé les dernières années de sa mémé, laquelle est devenue une véritable icône. Un symbole.

101 ans mémé part en vadrouille est un témoignage touchant doublé d'une belle leçon de vie. Loin d'idéaliser son expérience, de minimiser les obstacles et les contraintes auxquels elle a dû faire face, Fiona Lauriol nous parle surtout d’espoir, de courage, d’amour, de passion et de liberté. À travers son récit, elle nous sensibilise à la situation des personnes âgées accueillies en établissement, elle évoque la difficulté que représente pour les proches le fait de devoir leur prodiguer des soins, celle de se déplacer en fauteuil roulant et elle dénonce les absurdités et autres inepties des services administratifs en tout genre. Sans concession mais toujours avec beaucoup d'humour et une infinie tendresse, Fiona Lauriol raconte son vécu aux côtés de sa grand-mère. Le tout forme un récit touchant, empreint d'une grande humanité. 

Mais la mission de Fiona ne s'arrête pas à la publication de 101 ans mémé part en vadrouille. Alors même que sa grand-mère n'est plus, Fiona Lauriol a décidé de poursuivre son combat. Durant un an, elle part en croisade à bord de son camping-car. Elle va consacrer plus de 2000 heures de son temps pour lutter contre la mort sociale qui touche plus d'un demi-million de personnes âgées. À travers l’Hexagone, elle va diffuser son message, mener des conférences, parler dans les lycées, dans les associations, rencontrer des hommes politiques, des professionnels... Par son témoignage, elle souhaite contribuer à faire changer le regard de notre Société sur les personnes âgées. J'ai eu la chance d'animer un débat avec elle et Sylvain Tesson dont le thème était "Voyage et grand-âge", vous pouvez retrouver le Podcast ici. Écoutez-le, lisez 101 ans mémé part en vadrouille, vous verrez elle est passionnante Fiona Lauriol. Nos aînés, ceux en devenir, peuvent être vraiment fiers de tout ce qu'elle fait pour eux, pour nous.

Belle lecture !

Fiona Lauriol (à droite) lors du #RegardsCroisés "Voyage et grand-âge"
organisé par l'Association Petits Frères des Pauvres