mardi 31 mai 2022

Mon avis sur "Route One" de Michel Moutot

Michel Moutot est un journaliste, spécialiste des questions de terrorisme international. J'ai découvert le romancier qu'il est devenu avec son vertigineux Ciel d'acier. Alors lorsque Babelio m'a proposé de lire son dernier roman, Route One (Éditions du Seuil), je n'ai pas hésité une seconde.

À l’aube du XXe siècle, des hommes intrépides bâtissent la mythique route One, balcon sur l’océan Pacifique qui longe la côte ouest des États-Unis, de la Californie du Sud aux confins du Canada. Mais le destin du jeune ingénieur chargé de tracer la voie sur ces terres sauvages va croiser celui du dernier grand propriétaire terrien de Big Sur, mormon polygame à la fortune mystérieuse, prêt à empêcher toute intrusion dans son domaine et préserver ses secrets.
La construction de la route One, c’est aussi la parabole de la fin d’un monde, poussé dans les oubliettes de l’Histoire par un autre. Le XXe siècle et ses machines rugissantes remplacent le XIXe siècle, la pelle mécanique chasse le grizzly. À l’autre bout de l’Amérique, la dernière route part à l’assaut des falaises du Pacifique et met le point final à la conquête de l’Ouest.

S’étendant sur un peu plus de 1 000 km entre Dana Point et Leggett, la California State Route One fait partie du club très sélect des plus belles routes du monde. On peut y voir des paysages spectaculaires. Cette route est une vraie ode à la Californie sauvage, ses falaises, ses criques et ses forêts de séquoias. Il se dit que le tronçon Big Sur est l'un des coins les plus pittoresques des Etats-Unis. Et c'est justement là que se situe l'intrigue du roman.

Avec Route One, Michel Moutot nous raconte l'histoire de ceux qui, au sortir de la Première Guerre mondiale, au péril de leur vie, ont tracé la route. D'un côté, il y a ce mormon polygame, propriétaire terrien qui, pour préserver ses propres intérêts et sa source de revenus, mettra tout en œuvre pour saboter le chantier. De l'autre, il y a ce jeune ingénieur fraîchement diplômé, originaire du Maine, intègre et particulièrement doué qui mettra un point d'honneur à achever cette route. Et au milieu, les mafieux et corrompus prêts à tout pour s'enrichir. 
Pour parvenir à bâtir cette mythique Route One, Wilbur Tremblay devra composer avec cet environnement particulièrement hostile, faire preuve d'ingéniosité pour percer la roche, aplanir le relief et veiller à ce que la main-d'œuvre composée pour l'essentiel des prisonniers de San Quentin, applique ses consignes. Les bâtisseurs devront être efficaces au risque de voir les crédits budgétaires supprimés. Un défi semé d'embûches auquel Wilbur Tremblay se frottera. Mais si la liberté et l'amour sont au bout de la route, alors, tout n'aura pas été vain.

Route One est un roman historique absolument passionnant parce que parfaitement documenté. Il faut bien reconnaître que Michel Moutot maîtrise l'histoire de la construction de la Californie et que de surcroît, il sait captiver avec brio notre attention pour ces chantiers titanesques. Une fois les premiers chapitres passés qui à grand coup de flash-back nous posent le décor et les personnages, on est totalement embarqué dans cet époustouflant road trip sous fond de crise économique et de mutation de la Californie. Un conseil, partez à la conquête de l'Ouest.

Belle lecture !

Mon avis sur "Faire corps" de Charlotte Pons

Charlotte Pons est journaliste de formation, elle a créé en 2016 les ateliers d’écriture Engrenages & Fictions. Faire corps (Flammarion) est son second roman, il fait partie de la sélection 2022 des 68 premières fois.

« Et votre projet, c’en est où ? » Voilà plusieurs années que Sandra observe Romain et son compagnon se confronter au parcours épineux de la GPA aux États-Unis. Ce désir d’enfant que rien ne semble faire vaciller l’intrigue, elle qui est catégorique depuis toujours: elle ne sera jamais mère. À bout, son ami va lui demander de porter son bébé. Commence alors un corps-à-corps avec un enfant qui ne sera pas le sien. Neuf mois de bouleversements physiques que la raison ne peut pas ignorer et qui font naître des sentiments d’une intensité insoupçonnée.
Dans ce deuxième roman à fleur de peau, Charlotte Pons met très subtilement en scène une femme qui consent, sans en mesurer toute la portée, à réparer le mal d’enfant de son ami. Jusqu’où son geste l’emportera-t-elle ?

Faire corps n'est pas un livre sur la maternité, mais plutôt sur ce que cet état provoque intérieurement. Sandra ne veut pas être mère, elle veut juste aider son ami homosexuel à concrétiser son rêve de paternité. Puisqu'il se heurte à l'impossibilité de donner la vie, elle entend disposer de son corps librement, en toute illégalité et de lui en offrir un. Cet être en gestation pour autrui n'est qu'un projet jusqu'à ce qu'un courrier de l'administration vienne bousculer ses croyances. Sandra prend conscience brusquement qu'elle est enceinte. Dès lors, la digue cède et laisse place à un corps-à-corps des plus intimes avec un enfant dont elle ne sera jamais la mère, du moins c'est ce qu'elle s'évertue à croire. Suffit-il d'être volontairement enceinte pour ne pas devenir mère ?

Faire corps est un roman qui aborde avec beaucoup de subtilité et de justesse la question de la gestation pour autrui et tout ce que ce sujet de société peut engendrer de bouleversement, de doute et de questionnement tant pour la mère porteuse, que pour ceux qui sont habités par le désir de parentalité. Avec beaucoup de psychologie et grâce à son écriture chirurgicale, précise et saisissante, Charlotte Pons a construit un livre tout en émotion et en tension. Elle met en lumière la lutte intérieure de celle qui prête son utérus comme celle de ceux qui vont devoir s'emparer de leur parentalité. C'est parfois cru, souvent poétique mais toujours percutant.

Belle lecture !

samedi 28 mai 2022

Mon avis sur "Minuit dans la ville des songes" de René Frégni

J'ai eu la chance de rencontrer René Frégni en Février 2018 à l'occasion de la remise du Prix des Lecteurs Gallimard 2017 qu'il avait remporté pour Les vivants au prix des morts. Immédiatement, j'avais été conquise par l'humanité et la générosité de l'homme sans oublier le talent de l'auteur. En ce début d'année et pour mon plus grand plaisir, il est revenu avec Minuit dans la ville des songes (Gallimard). Ce roman a été l'un des huit finalistes du Prix du Cercle littéraire de Maffliers 2022.

J’avais été jadis un voyageur insouciant. Je devins un lecteur de grand chemin, toujours aussi rêveur mais un livre à la main. Je lus, adossé à tous les talus d’Europe, à l’orée de vastes forêts. Je lus dans des gares, sur de petits ports, des aires d’autoroute, à l’abri d’une grange, d’un hangar à bateaux où je m’abritais de la pluie et du vent. Le soir je me glissais dans mon duvet et tant que ma page était un peu claire, sous la dernière lumière du jour, je lisais. J’étais redevenu un vagabond, mal rasé, hirsute, un vagabond de mots dans un voyage de songes. 

Autant vous prévenir de suite, lire ce livre est dangereux pour la santé. En effet, Minuit dans la ville des songes m'a provoqué une double fracture du cœur. Mais n'allez surtout pas m'imaginer souffrante, je ne le suis point. Si je souffre, ce n'est que d'avoir terminé trop vite, trop tôt, ce sublime roman qui nous plonge dans l'univers aussi chaotique que poétique de ce Cher Monsieur Frégni.

Le narrateur de Minuit dans la ville des songes ressemble à s'y méprendre à son auteur. Il nous embarque sur les chemins de l'école buissonnière, nous fait vivre les plus grandes émotions de sa vie qu'il a mises en musique. Il raconte sa vie d'avant et celle d'après. Celle d'avant sa rencontre avec la littérature, celle où sa mauvaise vue et son léger strabisme l'handicapaient, celle où il avait l'école et les livres en horreur. Parce que ses camarades le surnommaient quatre yeux, il a préféré, au grand désespoir de sa maman, faire les 400 coups plutôt que de s'instruire. Et puis, parce qu'il était rebelle et déserteur et qu'il s'est fait rattraper par les autorités, il est passé par la case prison. Certes, il n'a pas touché vingt mille, mais un trésor inestimable. C'est à cet instant qu'a commencé sa vie d'après.
Parce qu'il avait repéré sur son numéro d'écrou que le jeune détenu était originaire de Provence, l'aumônier de la maison d'arrêt lui a apporté de quoi s'évader. Un livre de Jean Giono. Il ne manquait plus qu'une paire de lunette pour que René Frégni découvre le pouvoir des mots et de la littérature. C'est entre ces quatre murs, que l'auteur est tombé en amour pour les livres au point de lire tout ce qu'il était possible de lire dans ce lieu. Puis est venu le temps de l'évasion, la vraie. René Frégni est alors devenu un lecteur de grand chemin. Partout où il a marché, partout où il s'est planqué, il a lu. Il a lu tout Dostoïevski face à la mer en Corse, il a vécu de grands chagrins et de grandes joies à travers les livres de tous les grands écrivains qu'il a dévorés. Sans le savoir, ces derniers ont été ses professeurs particuliers. Véritable autodidacte, René Frégni a tout appris dans les livres. Et c'est exactement cela qu'il raconte dans Minuit dans la ville des songes, le parcours d'un cancre marseillais, d'un minot qui a préféré s'acoquiner de tous les garnements, les vauriens et les petits voyous de Marseille avant d'apprendre à ramasser des mots et de se construire sa maison. Sa maison de mots. 

Je rends grâce à ces passeurs de livres, de mots, que René Frégni a croisés. Sans eux, sans sa maman à qui il rend tout l'amour qu'elle lui a donné, nous n'aurions pas la chance de lire ce merveilleux conteur qu'il est devenu. Sans eux, je ne me serai jamais délectée de son pouvoir d'émerveillement, de sa poésie, de son émotion et de son humanité. Cher Monsieur Frégni, vous m'avez doublement fracturé le cœur, mais je vous le dis, je n'ai pas souffert. Vous lire a été un enchantement. De cela, MERCI !

Belle lecture !

jeudi 26 mai 2022

Mon avis sur "Les méduses n'ont pas d'oreilles" d'Adèle Rosenfeld

Adèle Rosenfeld travaille dans l’édition depuis dix ans et développe des projets d’écriture à dimensions variables. Les méduses n'ont pas d'oreilles (Grasset) est son premier roman.

Quelques sons parviennent encore à l’oreille droite de Louise, mais plus rien à gauche. Celle qui s’est construite depuis son enfance sur un entre-deux - ni totalement entendante, ni totalement sourde - voit son audition baisser drastiquement lors de son dernier examen chez l’ORL. Face à cette perte inéluctable, son médecin lui propose un implant cochléaire. Un implant cornélien, car l’intervention est irréversible et lourde de conséquences pour l’ouïe de la jeune femme. Elle perdrait sa faible audition naturelle au profit d’une audition synthétique, et avec elle son rapport au monde si singulier, plein d’images et d’ombres poétiques. Jusqu’à présent, Louise a toujours eu besoin des lèvres des autres pour entendre. C’est grâce à la lumière qu’elle peut comprendre les mots qu’elle enfile ensuite, tels des perles de son, pour reconstituer les conversations. Mais parfois le fil lâche et surgissent alors des malentendus, des visions loufoques qui s’infiltrent dans son esprit et s’incarnent en de fabuleux personnages  : un soldat de la Première Guerre mondiale, un chien nommé Cirrus ou encore une botaniste fantasque qui l’accompagnent pendant ces longs mois de réflexion, de doute, au cours desquels elle tente de préserver son univers grâce à un herbier sonore. Un univers onirique qui se heurte constamment aux grands changements de la vie de Louise - les émois d’un début de relation amoureuse, un premier emploi à la mairie, une amitié qui se délite. Le temps presse et la jeune femme doit annoncer sa décision…

Pour son premier roman, Adèle Rosenfeld aborde un sujet aussi original que déconcertant. Elle nous immerge dans le quotidien des malentendants comme pour mieux nous sensibiliser à cet handicap invisible. Louise vit entre deux mondes jusqu'à ce que son audition se dégrade. Toute l'intrigue du roman va consister à savoir si elle va accepter cet implant qui va la sortir définitivement de cet entre-deux. Durant tout le temps de la réflexion, Louise narre l'incompréhension, l'indifférence et le mépris dont elle est victime. Elle dit les angoisses qui l'étreignent, son épuisement à devoir toujours tendre l'oreille, raconte les vibrations, les bruits de la ville, la hauteur des fréquences et nous ouvre son imaginaire, cet endroit où elle se réfugie et l'herbier sonore qu'elle s'est constitué pour garder en mémoire les sons.

Les méduses n'ont pas d'oreilles est roman d'ambiance, tantôt poétique, tantôt cacophonique. Si son originalité et la plume d'Adèle Rosenfeld m'ont marquée, il m'a manqué une bonne dose d'émotion pour être totalement embarquée. 

Belle lecture !

mardi 24 mai 2022

Mon avis sur "La Fille parfaite" de Nathalie Azoulai

Auteure d'ouvrages pour la jeunesse Nathalie Azoulai travaille dans l'édition. Elle a écrit plusieurs romans et a également collaboré à plusieurs scénarios pour le cinéma et la télévision. La Fille parfaite (P.O.L.) est son onzième roman. Il était l'un des huit finalistes du Prix du Cercle littéraire de Maffliers 2022.

Quand, un beau matin de juin, Rachel apprend qu’Adèle, son amie de toujours, s’est pendue chez elle, elle se sent à la fois assommée et allégée. Une réaction à l’image de cette amitié tumultueuse qui a toujours provoqué en elle un mélange de fusion et de malaise profond. À partir de cette ambivalence, Rachel mène l’enquête et s’interroge sur ce qui a pu mener une fille aussi parfaite qu’Adèle, brillante mathématicienne et mère d’un jeune garçon, à se supprimer aussi violemment à 46 ans.
Elle revient sur la naissance, les étapes et les péripéties de leur histoire en butant sans cesse sur ce qui l’a fondée, un serment tacite dès le lycée, un deal crucial : au pays du Savoir, Adèle prendra les Sciences et Rachel les Lettres. Ont-elles eu pour ambition de couvrir tout le spectre ? Mais de quoi ? De la connaissance, de la réussite sociale ? Pour le dire autrement : pourquoi Adèle choisit-elle les maths, la « voie des garçons », quand Rachel choisit la littérature, la « voie des filles » depuis toujours ? Mais est-ce vraiment ainsi que les choses se passent dans la vie ? Jusqu’à quel point ?

La Fille parfaite est un roman d’apprentissage où l’orientation scolaire détermine bien plus qu’un cursus. Il oppose Sciences et Lettres mais également deux filles parfaites chacune dans leur domaine de prédilection. Malgré tout ce qui les sépare, Adèle et Rachel vivent une histoire d’amitié jumelle. L’une aime les maths, l’autre préfère les mots. L’une adore Freddie (Mercury), l’autre Marcel (Proust). L’une est très cérébrale, l’autre est très émotive. Mais toutes deux sont brillantes. L'une deviendra une auteure reconnue, l'autre une mathématicienne listée pour la médaille Fields, la plus prestigieuse des récompenses dans ce domaine. 

Alternant le récit des jours qui ont suivi le suicide d'Adèle et les souvenirs de Rachel, La Fille parfaite révèle une amitié faite de compétition permettant d'atteindre l'excellence, mais également de complexes conduisant à des périodes plus ou moins longues de distance avant de s'achever par de chaleureuses retrouvailles. Il dénonce également le déterminisme familial que les amies subissent. Le père d'Adèle ne jure que par les maths, leur vérité et leur pouvoir sur le monde, tandis que la famille de Rachel prône la suprématie de l'art et de la littérature. 

À travers la rivalité de ses personnages, Nathalie Azoulai fait dialoguer les Lettres et les Sciences, bâti des passerelles entre elles, interroge les choix d'orientation et s'attaque au territoire des hommes. La Fille parfaite est un livre élégant et intelligent analysant la féminité et l’ambition. 

Belle lecture !

dimanche 22 mai 2022

Mon avis sur "À la lumière de nos jours" de Clarisse Sabard

C'est à la suite d'un accident vasculaire cérébral que Clarisse Sabard a décidé de se consacrer à l’écriture. Son premier roman, Les Lettres de Rose, a reçu le Prix du Livre Romantique. Elle en a depuis publié neuf autres. À la lumière de nos jours (Pocket) fait partie de la sélection de la première édition du Grand prix des Lecteurs Pocket. C'est en ma qualité de jurée que je l'ai lu.

Parce que sa vie et sa carrière lui échappent, ces derniers temps, Julia a trouvé refuge dans le village de sa famille. À Cressigny, petite bourgade tranquille du cœur de Touraine, tout se sait, ou finit par se savoir… Julia, pourtant, ignore tout de ses racines. Il faudra que Suzette, sa grand-mère, lui entrouvre la porte. De sa vie, de celle d’Eugénie, sa mère et la première de la famille à être devenue pâtissière, la jeune femme apprend peu à peu les secrets, les non-dits et les blessures de la guerre. Pour se réconcilier avec le présent, le passé est parfois la meilleure des recettes…

Le livre s'ouvre sur un drame qui s'est passé l'été 1977 et se poursuit en 2013 avec Julia qui découvre la dernière volonté de sa mère décédée. Tout va la ramener aux origines de sa passion pour la pâtisserie. Dès lors, Julia va marcher dans les pas de ses aïeux. D'abord d'un pas hésitant, puis d'un pas déterminé. En découvrant ses racines familiales et notamment cette lignée de femmes exceptionnelles qu'ont été son arrière grand-mère, Eugénie, et sa grand-mère, Suzette, Julia va enfin comprendre son héritage et s'autoriser à vivre pleinement sa passion. Au fur et à mesure qu'elle percera les secrets, qu'elle décodera les non-dits, qu'elle prendra conscience des traumatismes qui ont frappé sa lignée, elle va s'ancrer et s'affirmer. 

À la lumière de nos jours est un roman touchant et lumineux qui, à l'instar d'une savoureuse pâtisserie, se dévore. Alternant présent et passé, mêlant et entremêlant les époques et les personnages, Clarisse Sabard relie ces générations non pas uniquement par les liens du sang, mais par ce qui les anime au plus profond. Chaque personnage, chaque histoire est une pièce d'un puzzle qui une fois toutes assemblées, forment une passionnante saga familiale. D'une plume fluide et addictive, Clarisse Sabard dresse de magnifiques portraits de femmes courageuses, déterminées et fortement attachées aux valeurs de générosité, de solidarité et de partage. À la lumière de nos jours est un roman à dévorer sans modération.

Belle lecture !

dimanche 15 mai 2022

Mon avis sur "Le livre de Neige" d'Olivier Liron

Il n'a écrit que trois romans pourtant, il a tout des grands. Son hypersensibilité à fleur de peau, sa poésie, son érudition, sa gentillesse, sans oublier son sens de l'humour font de lui un être à part. Le 16 avril dernier, lors du Rock'n Books, j'ai eu l'immense plaisir de le recevoir pour son dernier roman, Le livre de Neige (Gallimard). Une fois encore, Olivier Liron nous a offert un moment fort en émotion.

« J’ai voulu écrire ce livre comme un cadeau pour ma mère, Maria Nieves, dite Nieves, qui signifie neige en espagnol. Un livre pour elle, entre vérité et fiction. Un portrait romanesque par petites touches, comme des flocons. »
Neige a grandi sous la dictature franquiste, puis connu l’exil et la misère des bidonvilles de Saint-Denis. Humiliée, insoumise, elle s’est inventé en France un nouveau destin. Hommage espiègle d’Olivier Liron à sa mère, cette héroïne discrète qui lui a transmis l’amour de la vie et l’idée que les livres sont notre salut, Le livre de Neige raconte aussi, en creux, la naissance d’un écrivain.

Le livre de Neige est un magnifique cadeau qu'un fils puisse faire à sa mère, qu'Olivier Liron offre à Maria Nieves, dite Nieves, Neige en espagnol. 

Née à Madrid au moment où l'abbé Pierre s'insurge, très jeune Neige va connaître l'exil et tout ce qui en découle. Grâce à son instinct de survie, elle va se battre. Ses armes ? La culture et l'éducation. Bien que sa différence lui a valu grand nombre de brimades et de discriminations, ce n'est qu'à force de travail, d'acharnement et de courage, que Neige aura pu faire de brillantes études. Elle se passionnera pour la littérature mais également les mathématiques et les sciences, puis plus tard pour l'écologie. Neige est une femme accomplie et pleinement épanouie lorsqu'elle décide de sceller son destin à l'homme qu'elle aime. De leur amour naîtra celui qui lui fait ce précieux cadeau, Le livre de Neige. Olivier poursuit son récit en l'agrémentant de nombreuses anecdotes et de souvenirs familiaux. Tous les trois coulent des jours heureux jusqu'en 1997 où Neige commence à tomber. Elle s’enfonce dans une dépression. Même si elle ne s'est jamais départie de son instinct de survie et qu'elle s'en sortira, chaque membre de la famille affrontera cette épreuve à sa manière. Olivier se réfugie dans l'écriture. Il n'imaginait certainement pas que des années plus tard, il toucherait ses lecteurs en plein cœur.

Et oui parce que c'est exactement à cet endroit qu'il percute Le livre de Neige. En plein cœur. C'est un roman d’une tendresse infinie, débordant d’amour et d’humour. C'est un témoignage intime et universel, doublé d'une belle leçon de vie qu'Olivier Liron nous offre. Sa plume à la fois acérée et poétique convoque un tourbillon d'émotions qui à l'image d'un flocon, nous fait virevolter. C'est très émue que j'ai refermé Le livre de Neige. Merci Olivier !

Belle lecture !


Olivier Liron au Rock'n Books, le 16 avril 2022 
De gauche à droite : Moi, Scali Delpeyrat, Mina Namous, Olivier Liron & Lou Vernet

samedi 14 mai 2022

Mon avis sur "Connemara" de Nicolas Mathieu

J'ai découvert l'univers de Nicolas Mathieu avec son Goncourt, Leurs enfants après euxContre toute attente et malgré les retours élogieux, je n'avais pas été particulièrement emballée. Autant vous dire que lorsque j'ai vu que Connemara (Actes Sud) faisait partie de la sélection du Grand Prix des Lectrices ELLE 2022, j'ai quelque peu redouté fouler sa terre brûlée.

Coincée dans le Grand Est de la France, Hélène a toujours voulu se tirer et réussir sa vie. A bientôt 40 ans, il semblerait qu’elle ait tenu son cap. Et pourtant, après de belles études, une carrière professionnelle réussie, une maison digne d’un magazine de déco, deux filles et un mari plutôt bien conservé, elle ne peut se départir d’un sentiment de gâchis. Elle est usée, blasée. Parce qu’elle a besoin de se sentir vivante, Hélène veut pimenter sa vie. Après une expérience malheureuse sur Tinder elle recontacte Christophe, le beau gosse du lycée et joueur amateur de hockey qui la faisait tant fantasmer. Lui n’a jamais quitté Cornécourt. Il vit avec son père et son fils. Il est commercial. Il vend de la bouffe pour chiens. Les deux que tout semble opposer se retrouvent et deviennent amants. 

À travers les parcours de vie d’Hélène et de Christophe, Nicolas Mathieu dresse le portrait sans concession de notre société d’hier et d’aujourd’hui. Il nous interpelle sur le sens de la vie, sur ce que nous avons fait de nos rêves, sur ce qu’est une vie réussie. Est-ce le fait d’avoir des avoirs plein nos armoires ? Il interroge également notre relation au travail, analyse les comportements des acteurs de ce microcosme professionnel. Et si le bonheur était ailleurs ? Dans la simplicité, la sincérité et la tendresse des moments partagés avec ceux qu’on aime, qu’on apprécie. Connemara est ce genre de roman qui incite au bilan de nos vies à mi-parcours. D’un côté, il y a ce que nous rêvions d’être et de l'autre, ce que nous sommes devenus, dans le meilleur comme dans le pire. 

Aucun doute, Nicolas Mathieu sait observer et retranscrire avec finesse et justesse la jeunesse en mal de repères, il pose un regard attendri sur ceux qui ne parviennent pas à se départir de leur milieu social d'origine, qui s'embourbent sur place et ne se réalisent pas pleinement. Il évoque avec tendresse et empathie tous ceux qui forment ce que l’on appelle la France populaire, moque et met à nu ceux qui relèvent des catégories sociales supérieures, mais à l'instar de la chanson de Michel Sardou, il les rassemble. Aucun doute, Nicolas Mathieu sait nous plonger dans l'intimité de ses personnages en prenant soin de les départir de leur carapace. Il est un conteur hors pair du temps qui passe et de toutes nos illusions perdues en chemin. 

Connemara est un roman teinté de mélancolie, agrémenté d’une pointe de désenchantement, mais tellement universel. Il ne peut que résonner en chacun d’entre nous. Que celui qui ne s’est jamais interrogé sur son parcours de vie, me jette la première pierre ! Un seul bémol, la longueur et la densité de ce roman. De mon point de vue, Connemara aurait gagné à être un peu plus court, plus ramassé. Il reste néanmoins un très bon roman. À lire avec Sardou dans les oreilles (ou pas).

Belle lecture !

dimanche 8 mai 2022

Mon avis sur "Marguerite" de Jacky Durand

J'ai découvert la plume de romancier de Jacky Durand avec Les recettes de la vie. M'en étant délectée, lorsque Folio m'a proposé de lire Marguerite (Folio) le second roman de l'auteur désormais disponible en format poche, j'ai tout de suite accepté. 

« Elle sait que les femmes dans la guerre sont toujours regardées comme des êtres vulnérables, des proies faciles, même si elles remplacent les hommes. »
Août 1939. Qui peut se douter de ce qui va se déchaîner, dévaster tant de vies ? Marguerite est à son bonheur, son mariage avec Pierre, dans leur petite maison de l’est de la France. Un mois s’écoule avant que Pierre ne soit mobilisé. Pour survivre dans la France occupée, Marguerite prend un emploi à la poste. Elle doit affronter la solitude et la dureté d’un monde de plus en plus hostile. Mais elle découvre aussi, peu à peu, sa propre force, celle de l’amitié, et des émotions qui l’agitent. Lorsqu’elle rencontre Franz, un soldat allemand, toutes ses certitudes vacillent. Quel que soit le prix à payer, Marguerite se veut maîtresse de sa vie, de son corps et de ses sentiments.

Marguerite est une jeune femme mariée, heureuse et insouciante, jusqu'au jour où la seconde guerre mondiale éclate. Privée de son mari qu'elle aime tant, elle doit seule faire face au quotidien. Ce n'est qu'une histoire de mois pense-t-elle. Mais le conflit s'éternise et le retour de Pierre s'éloigne. Dès lors, Marguerite s'endurcit. Elle affronte courageusement le froid, la faim, la solitude, le manque de tout, de lui surtout depuis que ses lettres ne lui parviennent plus. L'avenir auparavant lumineux et empreint de légèreté, ne cesse de s'obscurcir et devenir incertain. Heureusement, Marguerite peut compter sur son amie Raymonde, le petit André qui vit dans une roulotte dans la forêt avec les siens et Frantz, ce soldat allemand pas comme les autres. Ensemble, ils vont apprendre à s'apprivoiser avant de s'entraider. Malgré le climat hostile, Marguerite est forte. Sa capacité d'adaptation et son courage sont admirables. Mais que c'est long quatre ans ! Alors face à l'incertitude, aux doutes, à l'angoisse, il arrive que les corps se rapprochent. Et lorsque le temps de l'occupation s'achève, vient celui de l'épuration. Celles et ceux qui ont collaboré d'une manière ou d'une autre doivent répondre de leurs actes. Les femmes ayant collaboré horizontalement sont injuriées et tondues sur la place publique. Mais même glabre comme un œuf, Marguerite parvient à rester fière et à défier la foule. Que savent-ils eux de tout ce qu'elle a enduré ? Qui sont-ils pour la juger ? 

Marguerite est un roman qui rend hommage aux femmes qui ont été contraintes d'endosser le costume des hommes pendant que ces derniers défendaient leur patrie. Jour après jour, mois après mois, année après année, elles ont tout appris. Elles ont acquis leur indépendance. Certaines plus chèrement que d'autres.

La plume de Jacky Durand est comme sa Marguerite. À la fois touchante et  profondément humaine. Même s'il m'a manqué un je ne sais quoi pour être totalement emportée, Marguerite reste un roman très agréable à lire et un bel hommage aux femmes de 39-45.

Belle lecture !

mercredi 4 mai 2022

Mon avis sur "Les maisons vides" de Laurine Thizy

Il y a des premiers romans qui sont annonciateurs de talent à suivre de près. Les maisons vides de Laurine Thizy (Éditions de l'Olivier) est de ceux là. Pour preuve, à peine publié qu'il est lauréat du Prix Régine Deforges du premier roman 2022 organisé par la librairie La bicyclette bleue et du prix du roman Marie Claire, sans compter qu'il a été l'un des huit finalistes du Prix du Cercle littéraire de Maffliers 2022 et qu'il fait partie de la sélection 2022 des 68 premières fois. Il y a des faits qui parlent d'eux-mêmes...

« Par une nuit aux étoiles claires, Gabrielle court à travers champs. Elle court, je crois, sans penser ni faiblir, court vers la ferme, la chambre, le lit, s'élance minuscule dans un labyrinthe de maïs, poussée par une urgence aiguë, par le besoin soudain de voir, d'être sûre. Gabrielle sait qu’il est trop tard - ses paumes meurtries le lui rappellent - pourtant elle court, de toute la vigueur de ses treize ans. »

Les maisons vides s'ouvre alors que Gabrielle a rendez-vous avec un cadavre. Un corps qu’elle connaît bien, des yeux verts dont elle a hérité, des mains noueuses qui l’ont tant de fois coiffée… L'une est partie, l'autre doit quitter l'enfance. Dès lors, débute les récits. Celui de la naissance jusqu'à l'adolescence et celui d'après. Les deux s'entrechoquent, se répondent et sont agrémentés d'énigmes et de figures métaphoriques. Elle devait être une fille d'été, elle sera finalement une fille de printemps, née le même mois que celui de la Vierge Marie que son arrière-grand-mère aimait tant. Prématurée, Gabrielle affrontera le monde avec ses fragilités et ses araignées velues. Elle se fera l'écho des générations de femmes qui l'ont précédée. Suzanne, Joséphine, María. Sa mère, sa grand-mère et son arrière grand-mère. Autant de femmes sacrifiées ou mal aimées, qui ont appris à se dévouer, à faire face et, souvent, à se taire.

Au gré des chapitres, tel un puzzle, l'histoire se met subtilement en place tout en préservant l'intrigue et sa part de mystère. Les maisons vides est un premier roman singulier porté par une écriture alliant rythme et délicatesse. Aucun doute, Laurine Thizy est une auteure très prometteuse. Un conseil, lisez-la !

Belle lecture !

dimanche 1 mai 2022

Mon avis sur "Les ailes collées" de Sophie de Baere

Il y a un peu plus d'un an, grâce aux 68 premières fois j'ai découvert la plume et l'univers de Sophie de Baere avec Les corps conjugaux. Lorsque j'ai appris en début d'année qu'elle publiait un nouveau roman, je n'ai pas hésité un instant. Je crois que j'ai bien fait puisque Les ailes collées (JC Lattès) a remporté le Prix du Cercle littéraire de Maffliers 2022. 

« Sa poésie à Paul, c’était Joseph. Et Joseph n’était plus là. »
Suis-je passé à côté de ma vie ? C’est la question qui éclabousse Paul lorsque, le jour de son mariage, il retrouve Joseph, un ami perdu de vue depuis vingt ans.
Et c’est l’été 1983 qui ressurgit soudain. Celui des débuts flamboyants et des premiers renoncements. Avant que la violence des autres fonde sur lui et bouleverse à jamais son existence et celle des siens.

Une fois de plus, Sophie de Baere nous propose un roman d'une grande sensibilité et incandescent sur la complexité et la force des liens filiaux et amoureux. Tout commence par une belle journée de noces. Paul épouse Ana. Cette dernière a réservé une surprise de taille à son promis, elle a convié Joseph, l'ami d'enfance de Paul. Voici des années qu'ils ne sont pas vus. Dès lors, tout le ramène en 1983. 
Paul raconte l'enfant chétif et bègue qu'il était. Parce qu'il butait sur les mots, il était la honte de son père, le souffre douleur de ses camarades de classe. Il raconte les déboires familiaux. Un père infidèle et toujours absent, une mère trop occupée à noyer son chagrin dans l'alcool, incapable de s'occuper de Paul et de sa petite sœur. Heureusement ce dernier trouvera son salut après de Joseph, un garçon libre, qui croque la vie à pleines dents. Les deux enfants se lient d'amitié. Et puis lors d'une soirée, tout bascule. 

Avec Les ailes collées non seulement Sophie de Baere décrit avec beaucoup de finesse la fragilité des adolescents, leurs doutes, leurs quêtes, leur cruauté, mais également les adultes qu'ils sont devenus, tout ce à quoi ils ont renoncé. Sa plume est tel un scanner, elle révèle tout ce que les âmes de ses personnages contiennent de plus intime et de plus douloureux. C'est un très beau roman qui ne se raconte pas, il se vit. Il faut le lire pour comprendre l'émoi qu'il suscite. 

Belle lecture !