jeudi 31 octobre 2024

Mon avis sur "Ravage" de Ian Manook

Ian Manook est l'un des quatre pseudonymes sous lesquels Patrick Manoukian écrit. Grand voyageur, il a parcouru les États-Unis et le Canada, puis plus tard l'Islande, le Belize et le Brésil. Ravage (Éditions Paulsen) est son dernier roman noir sur fond blanc et fait partie de la sélection 2024 de la Bibliothèque Orange.

Red Arctic, hiver 1931. Une meute d'une trentaine d'hommes armés, équipés de traîneaux, d'une centaine de chiens et d'un avion de reconnaissance pourchasse un homme. Un seul. Tout seul. C'est la plus grande traque jamais organisée dans le Grand Nord canadien. Pendant six semaines, à travers blizzards et tempêtes, ces hommes assoiffés de vengeance se lancent sur la piste d'un fugitif qui les fascine. Cette course-poursuite va mettre certains d'eux face à leur propre destin. Car tout prédateur devient un jour la proie de quelqu'un d'autre...
Ravage est inspiré de l'histoire vraie d'Albert Johnson, le trappeur fou de la rivière Rat qui fut l'objet d'une absurde chasse à l'homme à travers les territoires du Grand Nord au Canada plusieurs semaines durant à l'hiver 1931 et qui défraya la chronique.

Ravage s'ouvre avec un traîneau tiré par sept chiens qui glisse à grande vitesse vers l'hôpital d'Aklavik pour sauver Billy, blessé par balle alors qu'il se rendait avec deux équipages de la Gendarmerie royale canadienne pour la seconde fois chez un trappeur. Ce dernier chassait très vraisemblablement sans permis, sur les terres de Loucheux (Indiens). Cette seconde visite a tourné au drame et a pris une tournure absolument inattendue. L'inspecteur Walker, homme de principe, met un point d'honneur à faire respecter l'ordre sur son territoire. Il veut arrêter coûte que coûte celui qui s'est rendu coupable d'une tentative d'homicide sur un représentant de la Gendarmerie royale. Dès lors, il va engager des moyens considérables. Onze hommes, soixante-trois chiens au total, sept cents kilos de nourriture, des tentes, des raquettes, des armes, des munitions et de la dynamite. Une véritable expédition. D'ici quatre jours, le trappeur récalcitrant sera sous les verrous. Sauf que tout ne se passera pas exactement comme prévu. Le fugitif d'une exceptionnelle résistance, est particulièrement rusé. Les températures extrêmes et le blizzard ne semblent pas avoir de prise sur lui et miraculeusement la neige n'imprime pas ses traces ou alors uniquement pour ramener les poursuivants sur leurs pas. La traque va finalement durer six semaines, des moyens colossaux vont être déployés. Tout ne sera que disproportion face à un seul et unique homme. 

Ravage est le récit journalier de cette chasse à l'homme totalement folle du point de vue des poursuivants. Et c'est ce qui fait son intérêt. Non seulement Ian Manook nous fait découvrir une faune et des paysages à couper le souffle, mais il nous fait vivre cette expédition de l'intérieur. On glisse à vive allure sur la neige glacée s'en remettant au musher, on scrute l'horizon immaculé et ouaté tentant de détecter la moindre trace de pas. Puis, peu à peu gagné par le froid et l'épuisement, on s'interroge. Comme certains des participants qui finissent par se désolidariser, on en vient à se demander s'il est bien utile de mobiliser autant de moyens pour ce fugitif qui à n'en pas douter, finira par périr de froid ? Cette traque démesurée, guidée par la fierté et l'égo de certains et merveilleusement restituée sous la plume de Ian Manook, nous laisse un goût amer. C'est abattu et complètement ahuri que l'on referme Ravage. Et dire que ce roman est inspiré de faits réels...

Belle lecture !
 

lundi 28 octobre 2024

Mon avis sur "Il ne se passe jamais rien ici" d'Olivier Adam

Lire Oliver Adam c'est la certitude de plonger dans la société, d'être traversé par l'époque ou l'histoire, d'assister à la mise à nu de ses personnages jusqu'à voir apparaitre leurs failles et fêlures. Il ne se passe jamais rien ici (Flammarion) ne déroge pas à la règle.

La saison touristique touche à sa fin dans ce village niché sur les rives du lac d’Annecy. Comme souvent, Antoine passe la soirée au Café des Sports avec les habitués. L’atmosphère est à la fête. Mais quand, au petit matin, on découvre le corps d’une femme assassinée au bord de l’eau, c’est vers lui que se portent les regards. Connu de tous, jugé instable par beaucoup, y compris par sa propre famille, ce bientôt quadragénaire aux airs d’éternel adolescent fait vite figure de coupable idéal. Sans doute un peu trop. Car, ce soir-là, ils sont nombreux à être partis tard dans la nuit.

Il ne se passe jamais rien ici est un roman choral qui pourrait ressembler à un polar, mais qui est en réalité un roman sociologique redoutable. Fanny était une jeune fille sans histoires. Appréciée de tous, surtout des hommes, on ne lui connaissait aucun ennemi. Alors, pour tenter de démasquer l'auteur de ce qui semble être un féminicide, les policiers vont entendre à tour de rôle tous ceux qui de près ou de loin ont interagit avec la victime. Chacun va s'exprimer, dire ce qu'il a à dire, émettre des hypothèses et rebondir sur les déclarations de leurs prédécesseurs. L'occasion parfaite pour libérer les rancœurs trop longtemps ressassées et pour au détour d'une déclaration, soupçonner son voisin. 

Il ne se passe jamais rien ici est une analyse de la psychologie de ceux qui vivent enfermés dans ce lieu clos enclavé entre les montagnes quel que soit leur âge ou leur statut social. Olivier Adam nous fait rentrer dans la tête de chacun des vingt-cinq personnages et nous propose une mise en abyme de leurs contradictions et nous dévoile tout ce que ceux-ci s'évertuent de cacher derrière les apparences. Sur fond de fait divers, c'est toute une palette de sentiments qui nous est dépeinte avec finesse et justesse. En résumé, il se passe toujours quelque chose avec les romans d'Olivier Adam.

Belle lecture !

lundi 14 octobre 2024

Mon avis sur "Un printemps en moins" d'Arnaud Dudek

Arnaud Dudek se présente sur son compte Instagram comme étant écrivain, de temps à autres. Sinon, il a participé à plusieurs revues, dont Les Refusés, la Revue Décapage, Tempo, ou encore Rouge Déclic. Il est également le cofondateur des rencontres littéraires AlternaLivres. J'ai lu son dernier roman Un printemps en moins (Les Avrils) grâce à Babelio et sa Masse critique de la rentrée.

Gabriel a 14 ans. Un âge en principe insouciant, fait de parties de foot, d’amitiés, de premiers flirts. Sauf que Gabriel est dans un lit d’hôpital, plongé dans le coma. En suivant ses pensées, mais aussi celles de son père et d’une enseignante qui n’ont rien vu venir, le puzzle du drame se recompose. Les moqueries en classe, les injures incessantes, les photomontages immondes sur les réseaux sociaux. Jusqu’au matin où Gabriel n’a plus pu supporter. Durant ce printemps volé à sa vie, tous revisitent leurs vulnérabilités pour y puiser la tendresse qui permet de se reconstruire
.

Un printemps en moins c'est trois voix pour comprendre ce qui a poussé Gabriel à passer à l'acte. Celle de son père, de sa prof de français et la sienne. Comment les deux premiers ont-ils pu passer à côté de son mal-être, à côté de tout ce que les autres lui faisaient subir constamment ? Comment un collégien comme tant d’autres en est-il arrivé à cela ? Pourquoi alors qu’à son âge il devrait courir après une balle, les filles et tout ce qu’il aime, Gabriel se retrouve immobilisé sur un lit d’hôpital entre la vie et la mort ?
Un printemps en moins c'est trois voix pour décrire l'indescriptible, la violence subie sans répit qui se prolonge hors la classe, la culpabilité de ceux qui n'ont rien vu venir, de ceux qui, trop préoccupés par leurs propres problèmes, n'ont pas su détecter la souffrance de cet enfant et qui n'ont pas pu agir pour empêcher ce geste.
Un printemps en moins c'est trois voix pour expliquer, pour sensibiliser et pour qu'un jour le harcèlement scolaire qui blesse, qui tue, cesse.

En alternant les voix, en reconstituant le puzzle au gré des déclarations des uns et des autres, en écrivant des chapitres courts mais percutants, Arnaud Dudek permet au lecteur de plonger pleinement dans ce printemps en moins. Ses propos font l’effet d’un uppercut et nous laissent sans voix.

Lorsque l'on sait que plus d’un élève par classe est en moyenne victime de harcèlement scolaire selon les résultats d’une grande enquête nationale,  que 5 % des écoliers du CE2 au CM2, 6 % des collégiens et 4 % des lycéens sont considérés comme victimes de harcèlement, on ne peut qu'espérer que Un printemps en moins soit lu pour que chacun prenne conscience de la gravité des situations vécues par les enfants et que tous ensemble nous luttions contre ce fléau.

Un grand merci aux Editions Les Avrils et à la Masse critique Babelio de septembre pour cette lecture responsable !