dimanche 27 novembre 2022

Mon avis sur "V13" d'Emmanuel Carrère

Parce que j'ai immédiatement entendu l’émotion dans sa voix, parce qu'il y a des voix qui ne trompent pas, des voix qui ne peuvent cacher les yeux humides et les tripes nouées, parce qu'il y a des voix qui en disent plus que les mots. Cette voix c'était celle de Nicolas Demorand. Je l'ai entendue lorsque ce dernier a fait la promo d'un podcast. Il a dit à propos de celui-ci, que « Seule la radio vous traverse de cette manière, seule la radio peut vous prendre comme ça, à la gorge, et imposer l’immobilité et le silence ». Dès qu’il en parlé, j’ai su que je l’écouterai. Mais ce que je ne savais pas, c’est que je serai happée par ces trois voix, happée au point d’écouter religieusement d’une traite les douze épisodes de 13 novembre, trois voix pour un procèsCes voix sont celles de Charlotte Piret, journaliste qui a couvert le procès pour France Inter, d’Arthur Dénouveaux, survivant du Bataclan et Président de l’association « Life for Paris, 13 novembre 2015 » et celle de Xavier Nogueras, avocat de la défense. Ces trois là qui ne se connaissaient pas vraiment ont décidé de déposer tout au long du procès sur un groupe WhatsApp leur ressenti, leurs réflexions, leurs émotions. Ils se sont déchargés là. Dix mois éprouvants d’un procès d’Assises versus douze épisodes absolument passionnants, émouvants. Il y a ceux qui déposent leur voix et ceux qui écrivent. Ils ont en commun d'avoir assisté à ce procès fleuve. Emmanuel Carrère a tenu une exceptionnelle chronique hebdomadaire, publiée dans 4 grands journaux européens, L'Obs en France, El País en Espagne, La Repubblica en Italie, Le Temps en Suisse. V13 (P.O.L.rassemble l'ensemble de ces chroniques et vient compléter le podcast de France Inter.

Le procès fleuve polyphonique des attentats du 13 Novembre 2015, qui ont fait 130 morts et 350 blessés à Saint-Denis et à Paris, s'est tenu entre septembre 2021 et juin 2022. Un dossier haut de plus de 53 mètres qui a occupé les magistrats dix mois durant. Plus de 300 témoins ont été entendus, dont des rescapés de cette nuit d'horreur. Les 20 accusés ont été jugés. Parmi eux, Salah Abdeslam, le seul survivant des commandos de l'organisation du groupe État islamique, commanditaire de ces attaques. Emmanuel Carrère a assisté à l'intégralité de cette descente aux enfers dans laquelle il est toujours parvenu à saisir l'humanité des uns et des autres, qu'elle soit bouleversante, admirable, ou abjecte. Il saisit l'ironie terrible des propos, des situations. Il refait le récit des événements, et surtout livre son écoute magnifique des paroles et des silences de ce procès. Il en fait notre histoire. Il donne à cet écheveau complexe d'horreur, d'idéologie, de folie et de détresse, une dimension universelle, profondément humaine, qui atteint chacun d'entre nous.

V13 est une chronique judicaire hors norme. Emmanuel Carrère nous immerge en plein prétoire aux côtés successivement des parties civiles, des accusés et de la cour. Comme il sait si bien le faire, il relate avec émotion, retenue et pudeur l'horreur des faits, les pertes, les séquelles, les peurs, les traumatismes indélébiles, la douleur et ses silences écrasants. Il embrasse tous les points de vue avec justesse et respect, tout en ayant l'élégance de s'attarder sur ce qu'ont vécu les victimes. L'auteur exprime l'indicible sans nous vautrer dans le sensationnel ni le pathos. Il veille à restituer les tensions, l'humeur ambiante, la fatigue liée à la lourdeur de cette procédure très longue, trop longue sans oublier les moments inédits comme les douleurs qui rapprochent ceux que tout semble opposer. Mais ce qui est frappant avec V13 et c'est là tout l'intérêt de ce livre, c'est qu'Emmanuel Carrère nous invite à rester intelligent en cherchant à comprendre sans pour autant excuser. 

À l'instar du podcast de France Inter, V13 est un récit passionnant parce qu’intelligemment amené. C’est instructif, essentiel pour comprendre à quoi sert un procès au-delà de rendre la justice. Ce livre est à l'image de son auteur, éminemment humain, profondément touchant. Et puis il y a cette fin à la terrasse du café « Les deux palais », bouleversante d'humanité et d'espoir.

Belle lecture et bonne immersion dans ce huis-clos hors norme !

mercredi 9 novembre 2022

Mon avis sur "Là où chantent les écrevisses" de Delia Owens

Cette pépite est restée plus d'an an coincée dans ma pile à lire jusqu'à ce que je l'en exhume. C'était l'été dernier, peu de temps avant de voir son adaptation cinématographique. Là où chantent les écrevisses (Points) est le premier roman de Delia Owens chercheur et biologiste âgée de plus de soixante dix ans. Il a été vendu à des millions d'exemplaires dans le monde entier. Un joli succès.

Pendant des années, les rumeurs les plus folles ont couru sur « la Fille des marais » de Barkley Cove, une petite ville de Caroline du Nord. Pourtant, Kya n'est pas cette fille sauvage et analphabète que tous imaginent et craignent.
A l'âge de dix ans, abandonnée par sa famille, elle doit apprendre à survivre seule dans le marais, devenu pour elle un refuge naturel et une protection. Sa rencontre avec Tate, un jeune homme doux et cultivé qui lui apprend à lire et à écrire, lui fait découvrir la science et la poésie, transforme la jeune fille à jamais. Mais Tate, appelé par ses études, l'abandonne à son tour. La solitude devient si pesante que Kya ne se méfie pas assez de celui qui va bientôt croiser son chemin et lui promettre une autre vie. Lorsque l'irréparable se produit, elle ne peut plus compter que sur elle-même...

Là où chantent les écrevisses est un récit initiatique doublé d'un véritable hymne à la nature. Depuis que les siens l'ont abandonnée, le marais est devenu la seule famille de Kya Clark. C'est en plein cœur de ce no man's land que la fillette a poussé. Viscéralement attachée à son environnement naturel, elle l'observera, apprendra tout de lui dans le plus grand respect de toutes les espèces animales et végétales qui y vivent. Véritable sauvageonne, la jeune fille intrigue. Sa marginalité attise toutes les peurs, tous les fantasmes. Si bien que lorsque un homme est retrouvé mort dans le marais, c’est sur elle que tous les soupçons se porteront. 

Bien que le procès soit le fil conducteur du roman, il permet à Delia Owens de camper avec brio la sensibilité et l'intelligence de son personnage féminin. De surcroît, le fait de retracer son parcours de vie nous immerge dans cette nature exacerbée que l'auteure sublime. Elle lui rend toute sa magnificence et par là même réveille notre conscience écologique. Ajoutez à cela, une belle histoire d'amour, une vraie touche de poésie, quelques plumes d'oiseaux du marais et vous obtiendrez un roman à succès. Parfaitement construit, savamment dosé, tout est réuni pour que Là où chantent les écrevisses marque les esprits et devienne inoubliable. Si vous ne l'avez pas encore lu, ne tardez pas et surtout ne vous contentez pas du film. Bien qu'il soit globalement fidèle au livre, il passe trop vite sur l'enfance de Kya, sa solitude qui l'a ancrée au marais, qui l'a façonnée et qui a fait d'elle une véritable femme libre, pour s'attarder un peu trop à mon goût, sur son histoire d'amour.

Belle lecture !

La bande-annonce du film "Là où chantent les écrevisses"

mardi 8 novembre 2022

Mon avis sur "La dérobéé" de Sophie de Baere

J'ai découvert les histoires d'amours contrariées de Sophie de Baere grâce aux 68 premières fois avec Les corps conjugaux, puis en ma qualité de jurée du Prix du Cercle littéraire de Maffliers avec Les ailes collées. C'est d'ailleurs ce roman qui l'a remporté cette année. Il me restait à lire le premier roman de cette auteure, La dérobée (Anne Carrière). C'est chose faite.

Alors que Claire mène une existence morne mais tranquille avec son mari, elle tombe sur Antoine, son grand amour de jeunesse. Jeune grand-mère d'une petite Léonie, Claire travaille comme responsable de caisse sur une aire de l'autoroute A8 et croit n'avoir plus grand-chose à partager avec Antoine, photographe reconnu et marié à une fille de diplomate. Mais l'irruption inattendue d'Antoine qui va user de tous les stratagèmes pour rétablir une relation avec elle, oblige Claire à interroger son existence du moment et à fouiller les drames du passé...
À travers les évènements dramatiques de sa vie, Claire saisit peu à peu qui elle est et ce qu'elle souhaite vraiment.

Il n'y a pas à discuter, Sophie de Baere a non seulement une plume bien à elle mais surtout, elle met de l'extraordinaire dans les histoires d'amour ordinaires. Son héroïne a une vie des plus banales jusqu'au jour où son amour de jeunesse, Antoine, s'installe dans son immeuble avec sa superbe femme. Dès lors, les fantômes du passé vont ressurgir et les flammes de cette passion mal éteintes, se raviver. Le morne, mais néanmoins rassurant quotidien de Claire risque fort de voler en éclats, à moins qu'elle ne fasse le choix de se dérober. 

Une fois de plus avec La dérobée, Sophie de Baere décortique une histoire d'amour, mais pas n'importe laquelle, la première. Celle qui est inoubliable, qui laisse des traces indélébiles, celle qui affadit toutes les suivantes, celle qui contraste tant avec notre quotidien, celle pour laquelle on donnerait tout pour la revivre et la poursuivre. À travers l'histoire de son héroïne, l'auteure nous interpelle sur le temps qui passe, l'usure du couple, le poids des choix et le droit au bonheur. Elle nous bouscule, nous remue et nous embarque sur des chemins insoupçonnés. On se laisse prendre par le charme de son écriture, puis très vite on est happé par l'histoire, le destin de Claire et les nombreux rebondissements savamment dosés, si bien que l'on ne cesse plus de tourner les pages. Aucun doute, Sophie de Baere est une auteure qui ne cède jamais à la facilité et qui s'attache à rendre ses personnages particulièrement touchants et humains. En refermant La dérobée j'ai eu la certitude que je continuerai à lire Sophie de Baere tant son univers et ces histoires me plaisent.

Belle lecture !