lundi 25 novembre 2024

Mon avis sur "L'enfant dans le taxi" de Sylvain Prudhomme

C'est avec Par les routes que j'ai découvert la plume de Sylvain Prudhomme. Lorsque j'ai vu que pour cette année la Bibliothèque Orange avait sélectionné L'enfant dans le taxi (Les éditions de Minuit) je me suis réjouie de retrouver cet auteur. Et bien je n'ai pas été déçue !

Je sais seulement que cela fut. Que ces deux bouches un jour de printemps s'embrassèrent. Que ces deux corps se prirent. Je sais que Malusci et cette femme s'aimèrent, mot dont je ne peux dire exactement quelle valeur il faut lui donner ici, mais qui dans tous les cas convient, puisque s'aimer cela peut être mille choses, même coucher simplement dans une grange, sans autre transport ni tendresse que la fulgurance d'un désir éphémère, l'éclair d'un plaisir suraigu, dont tout indique que Malusci et cette femme gardèrent longtemps le souvenir. Je sais que de ce plaisir naquit un enfant, qui vit toujours, là-bas, près du lac. Et que ce livre est comme un livre vers lui.

L'enfant dans le taxi explore le thème des amours interdits pendant la guerre et les secrets de famille notamment lorsque les rapprochements des corps, aussi furtifs soient-ils, aboutissent à la naissance d'un enfant. Découvrant par inadvertance l'existence d'un oncle en Outre-Rhin, le narrateur qui vient de se séparer de la mère de ses enfants, se met en quête de vérité. Malgré les réticences de certains membres de sa famille, notamment de sa grand-mère récemment devenue veuve, il interroge, reconstitue les contours d'un amour entre son grand-père et une belle allemande. Il imagine la vie de son oncle inconnu et tente de réhabiliter cet enfant de la honte et du silence en tant que membre de cette famille. Au fil de son enquête et de sa réflexion, les langues se délient, levant le voile du lourd secret. 

En s'emparant du destin de cet oncle caché et en lui redonnant sa juste place au sein de la cellule familiale, c'est à la question de la filiation de près de 400000 enfants allemands nés de soldats alliés que l'auteur nous renvoie. Au-delà d'être une histoire de raccommodage familial, L'enfant dans le taxi est également une réflexion sur l'éclatement des liens familiaux à la suite d'une séparation. Le tout est amené avec une infinie justesse allant même jusqu'à s'affranchir des règles syntaxiques par moments. Cela étant, il faudra néanmoins réussir à passer les premiers chapitres, qui m'ont déstabilisée et surtout tenue à distance, avant d'être gagné par la plume sensible et subtile de Sylvain Prudhomme. Un livre touchant.

Belle lecture !
 

mardi 19 novembre 2024

Mon avis sur "Normal People" de Sally Rooney

Sally Rooney, auteure irlandaise propulsée au rang de phénomène littéraire défraye la chronique avec son dernier roman, Intermezzo. N'ayant rien lu d'elle, il était temps de me lancer. Naturellement, j'ai commencé avec Normal People (Éditions Points) son second roman plébiscité par les libraires irlandais en 2018, vendu à trois millions d'exemplaires et adapté en série télévisée par la BBC.

Connell et Marianne ont grandi dans la même ville d'Irlande. Il est le garçon en vue du lycée, elle est la solitaire un peu maladroite, ils connaissent ensemble leur premier amour. Un an plus tard, alors que Marianne s'épanouit au Trinity College de Dublin, Connell s'acclimate mal à la vie universitaire. Entre eux, le jeu vient tout juste de commencer.

Normal People est l’histoire d’une rencontre au lycée d’une jeune fille et d'un jeune garçon que tout semble opposer. Leur classe sociale, leur physique, leur côte de popularité. Malgré leurs différences, une amitié amoureuse va naître entre ces deux brillants élèves. Dès lors et durant quatre années, Sally Rooney nous plonge dans l'intimité de Marianne et Connell. Parfois ensemble, souvent séparés, ces jeunes gens expérimentent les choses de la vie, l'amour, le sexe et tout ce qui les relie aux autres. Ils tentent de se construire, de trouver leur place dans ce monde complexe. À leur côté, on embrasse leurs doutes, leurs questionnements, leurs angoisses mais également leurs espoirs. 

Avec justesse l'auteure retranscrit les préoccupations d'une jeunesse tourmentée mais pleine de vie et parvient à rendre cette histoire universelle. Normal People est un roman d'apprentissage résolument contemporain tantôt léger et insouciant, tantôt sombre et angoissant qui au vu de son succès, a su trouver écho auprès des jeunes et ceux qui l'ont été. 

Belle lecture !
 

mercredi 13 novembre 2024

Mon avis sur "Acide" de Victor Dumiot

J'ai rencontré Victor Dumiot lors du Festival du premier roman Livres en Baie au Crotoy. Lorsqu'il a présenté Acide (Bouquins Éditions) l'usagère du métro que je suis, a été intriguée. J'ai eu envie de découvrir ce qu'il adviendrait de son héroïne et ce qui pouvait la relier à ce garçon que tout oppose. 

Camille voit sa vie basculer un jeudi soir dans le métro. Lorsqu’elle se réveille à l’hôpital quelques mois plus tard, elle n’a plus de visage. Son agresseur a disparu sans laisser de traces.
Julien vit enfermé dans son appartement. Solitaire, il passe l’essentiel de son temps à consommer des images pornographiques et à surfer sur le darknet. Un soir, il télécharge par hasard une vidéo de l’agression. Alors qu’il s’enfonce peu à peu dans une spirale de violence et d’autodestruction, il ne pense plus qu’à une chose : retrouver la jeune femme.

Si vous aimez les romans qui sortent des sentiers battus, qui dérangent, Acide est pour vous. Autrement dit, les âmes sensibles doivent impérativement s'en tenir éloigné. Acide n'est que souffrance, violence et noirceur. Et c'est justement ce qui fait toute la force de ce premier roman qui s'ouvre sur une agression à l'acide dans les transports en commun. S'ensuit l'acharnement du corps médical pour reconstituer le visage de la victime complètement défigurée. Dès lors, les opérations et les greffes au résultat incertain s'enchainent. Parallèlement, on suit la descente aux enfers d'un reclus, aficionado du darknet, amateur de pornographie trash et de violence. Au détour d'un téléchargement, il tombe sur la vidéo de l'agression et est irrésistiblement attiré par cette monstruosité. Alors qu'elle tente de survivre, l'autre s'autodétruit pour ressentir sa douleur à elle. Ces deux-là ont en commun la souffrance tant physique que psychologique à une différence près, l'une la subit, l'autre se l'inflige volontairement. 

Acide est un premier roman noir d’une puissance rare qui aspire le lecteur dans cette descente aux enfers. La plume acérée et crue de Victor Dumiot nous immerge dans le psyché de ses personnages, nous fait ressentir leur douleur dans notre propre chair et colle à notre peau leur mal-être poisseux. Acide dérange, oppresse, mais pour une raison que je ne peux m'expliquer, il m'a été impossible de le lâcher. Je n'ai qu'un regret, sa fin qui m'a laissée sur ma faim.

Maintenant que vous êtes averti, à vous de choisir... Pour ma part, j'ai la certitude que Victor Dumiot est un auteur à suivre de près.

Belle lecture !