mardi 26 février 2019

Mon avis sur "Un jardin en Australie" de Sylvie Tanette

Ayant l'honneur de faire partie du jury du Prix du Roman Version Femina dont la vocation est de remettre en lumière un livre paru au cours de l'année écoulée en raison de ses qualités littéraires, j'ai reçu l'un des trois titres mis en compétition ce mois-ci. Il s'agit d'Un jardin en Australie de Sylvie Tanette. L'auteure est journaliste et critique littéraire. Ce roman est édité chez Grasset et sera disponible le 6 mars prochain. Il fait d'ores et déjà partie de la première sélection du Prix Closerie des Lilas.

Quelque part vers le centre de l’Australie, la cité minière de Salinasburg s’étale en bordure du désert. Tout au bout, une petite maison de bois délabrée se cache dans un jardin lui aussi à l’abandon. Deux femmes se racontent depuis cet endroit que les Aborigènes nommaient « le lieu d’où les morts ne partent pas ».
Tout commence dans les années 30. Ann, née dans la bonne bourgeoisie de Sydney, choisit contre l’avis de sa famille de suivre son mari aux confins du désert. Elle aura toute sa vie le projet fou d’y faire pousser un parc luxuriant. Soixante-dix ans plus tard, une jeune Française, Valérie, dirige un festival d’art contemporain dans la même région reculée. Sur un coup de cœur, elle s’installe dans une maison décrépie mais envoûtante, entourée de plantations désormais délaissées. Elena, la petite fille de Valérie a trois ans. Elle ne parle toujours pas. Secrètement, Ann veille sur ce qui reste de son jardin et sur ses nouveaux habitants...

Un jardin en Australie relie deux époques, deux femmes, que tout semble éloigner mais que tout rapproche. Toutes deux trouveront un réel réconfort au sein de cette maison du bout du monde. Toutes deux défieront la sécheresse, la poussière pour faire surgir la vie. Et bien qu’il soit impossible que ces deux femmes se connaissent, ni même se croisent, par-delà les années, elles se rencontrent dans cet envoûtant havre de verdure et de liberté. Un jardin à soi. Un rêve.

Un jardin en Australie est un roman qui se lit lentement. Il se déguste. Au fil des pages, on prend possession de cette terre d'un ocre rouge, on s'y attache, on la dompte, pour créer. C'est donc une belle histoire d'amour entre des femmes et leur terre, leur jardin que Sylvie Tanette nous propose. Elle dresse deux jolis portrait de femmes indépendantes, résolument modernes, déterminées qui ne rechignent pas à donner sans compter pour réaliser leur passion. Elles ne savaient pas que c'était impossible, alors elles l'on fait.

L'écriture de Sylvie Tanette est fluide et douce. Le rythme est savamment dosé pour permettre de s'ancrer dans cette terre, pour lui appartenir. Un jardin en Australie est un de ces petits joyaux qui prend possession du lecteur, qui l'envoûte. Un jardin en Australie est de ces romans qui fait appel aux sens, à la réalité, à l'enracinement. Á l'essentiel. On n'a qu'une envie, prendre cette terre à pleine main et la laisser s'écouler lentement entre nos doigts. Un joli moment de communion avec les éléments.

Belle lecture !

lundi 25 février 2019

Mon avis sur "Éparse" de Lisa Balavoine

Lisa Balavoine, professeure-documentaliste, vit et travaille à Amiens. Traversé par les questions de la transmission et de l'éternel recommencement amoureux, Éparse est son premier roman. Il est paru en janvier 2018 aux éditions J.C Lattès

À travers une série de fragments, Lisa Balavoine, la quarantaine, divorcée et mère imparfaite de trois enfants, fait le tour de son existence comme on fait le tour du propriétaire. Elle signe un roman espiègle et nostalgique de toute une génération.
Sur fond de culture pop, de films, d’événements emblématiques des années 80 à aujourd’hui, entremêlant souvenirs de jeunesse et instantanés de sa vie quotidienne, elle fait de son histoire intime, de ses doutes, ses fiascos, un récit dans lequel chacun peut se reconnaître. 

Éparse n'est pas un roman tel que nous l'entendons habituellement, il s'apparente plus à un recueil de textes. Des tranches de vie, de moments se succèdent. Lisa Balavoine se promène sur le fil de ses souvenirs et nous embarque avec elle. Car tout en résonance, les questions qu’elle pose sont les nôtres. Ses doutes, ses joies, ses peines fugaces ou durables, nous les connaissons toutes et tous. Et oui parce qu'Éparse n'est pas destiné qu'aux nanas. Les garçons aussi ont des fêlures, des rêves, des envies. Eux aussi ont de l'amour à donner et à recevoir.

Éparse est un puzzle de multiples pièces qui rassemblées, reconstituent l'environnement sentimental et émotionnel de tout un chacun. La plume de Lisa Balavoine est faussement simple. Les mots sont justes, les textes percutent, marquent, nous renvoient à notre propre vécu et à nos obsessions. On revit avec émotion ces tranches de vie ponctuées de musique notamment, de films. Toute une époque. La nôtre. 

Éparse est un roman résolument contemporain, touchant, qui mérite d'être lu par tous les hommes et femmes parce qu'universel, comme l'Amour.


Belle lecture !

mardi 19 février 2019

Mon avis sur "Même les monstres" de Thierry Illouz

Lorsque l'on choisit de devenir avocat, on doit, pour exercer cette profession, prêter serment devant la Cour d'appel de son Barreau. Au cours de cette cérémonie, l'avocat en devenir s'engage à respecter les principes essentiels de la profession. Il jure, comme avocat, d'exercer ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité. Alors lorsque l'on choisit de devenir avocat pénaliste, on peut être amené à défendre tout genre d'individu. De celui qui a commis un simple larcin, à celui qui a assassiné, violé. Alors comment peut-on défendre de tels êtres ? Sont-ils seulement défendables ? Thierry Illouz est avocat pénaliste, avec Même les monstres, il lance un appel.

Thierry Illouz exerce depuis trente ans. Sa vocation est née de son histoire. Il a grandi en Picardie dans une cité de rapatriés. La misère,  celle qui fabrique les monstres défendus aujourd’hui, il l'a côtoyée par le passé. Convaincu que l'identité de tout un chacun se construit au fur et à mesure de la vie, il dit ce que vivent les gens, raconte les quartiers, les immeubles, l’argent qui manque, l’absence de reconnaissance. Il voudrait oser les mots ghetto, stigmatisation, relégation. Il voudrait appeler à la clémence, au doute. Il voudrait que l’on se soucie des abandonnés. Même les monstres est un essai par lequel Thierry Illouz voudrait qu’enfin on regarde l’autre, celui qui se trouve dans le box des accusés. Celui qui nous effraie, celui que l’on condamne. Et qu’il est urgent de comprendre.

Thierry Illouz est rarement du côté des parties civiles, il défend ceux que l'on accuse. Mais comment fait-il ? Comment peut-on défendre un pédophile, un assassin, en un mot, un monstre ? L'avocat l'affirme, le monstre n'existe pas. C'est un fantasme, un raccourci pour enfermer une personne, cet autre déshumanisé. Cet autre que l'on ne cherche pas à comprendre. Thierry Illouz l'avoue, il a de l'empathie pour ceux qu'il défend. Mais attention précise t-il, défendre n'est pas excuser. Tout comme être accusé n'est pas synonyme de culpabilité. Trop souvent, les médias, la Société actuelle ont tendance à faire fi de la présomption d'innocence, comme pour mieux satisfaire la vindicte populaire. Or, Maître Illouz le rappelle, la présomption d'innocence est un droit fondamental. Le doute doit toujours bénéficier à celui qui est mis en cause. La Justice a besoin de temps, c'est une des conditions essentielles pour la rendre dignement. Du temps pour comprendre, du temps pour regarder, pour observer, du temps pour défendre, du temps pour protéger la Société, du temps pour (ré)insérer. 

À travers différentes affaires, Thierry Illouz illustre ses convictions. Il humanise toutes les parties qui composent un procès. Il évoque également le traumatisme de la prison, ce châtiment populaire qui ne remplit pas nécessairement la finalité de la sanction, protéger la Société et (ré)insérer. Même les monstres est un essai qui honore son auteur. Sa démarche est noble, humaine. Loin d'être un super héros, Maître Thierry Illouz est un avocat qui n'a pas oublié le serment qu'un jour il a prêté.

Je remercie vivement les Éditions L'iconoclaste et vous encourage à lire cet essai. 

Enfin, si le sujet vous intéresse, je vous invite à aller voir Une intime conviction, le film de Antoine Raimbault  avec  Marina Foïs et Olivier Gourmet qui traite de l'affaire Viguier. 



Belle lecture et bonne toile !

dimanche 17 février 2019

Mon avis sur "Ces rêves qu'on piétine" de Sébastien Spitzer

Sébastien Spitzer est depuis peu romancier. Journaliste puis grand reporter, les années passant il s'est persuadé qu'il était temps de réaliser son rêve, écrire. Ces rêves qu'on piétine est son premier roman. Un roman couronné d'une quinzaine de prix entre fiction et faits réels qui interpelle sur la nécessaire survie et le sacrifice pour l'amour des siens.

Sous les bombardements, dans Berlin assiégé, la femme la plus puissante du IIIe Reich se terre avec ses six enfants dans le dernier refuge des dignitaires de l’Allemagne nazie. L’ambitieuse s’est hissée jusqu’aux plus hautes marches du pouvoir sans jamais se retourner sur ceux qu’elle a sacrifiés. Aux dernières heures du funeste régime, Magda s’enfonce dans l’abîme, avec ses secrets.
Au même moment, des centaines de femmes et d’hommes avancent sur un chemin poussiéreux, s’accrochant à ce qu’il leur reste de vie. Parmi ces survivants de l’enfer des camps, marche une enfant frêle et silencieuse. Ava est la dépositaire d’une tragique mémoire : dans un rouleau de cuir, elle tient cachées les lettres d’un père. Richard Friedländer, raflé parmi les premiers juifs, fut condamné par la folie d’un homme et le silence d’une femme : sa fille. Elle aurait pu le sauver. Elle s’appelle Magda Goebbels.

Particulièrement documenté, Ces rêves qu'on piétine revient d'une part, sur les derniers jours de Magda Goebbels, épouse du ministre de la propagande nazie et fille adoptive d'un juif, Richard Friedländer et d'autre part, sur la liberté retrouvée des rescapés des camps de l’horreur. Toute la force de ce roman réside dans la démonstration de ce que l'humanité a de plus vil, mais également de plus précieux. 

D'un côté une femme n'hésite pas à bafouer ses origines pour assouvir son ambition, pour être au plus près du pouvoir, de l'autre des êtres ont été déshumanisés, ils ont connu l'horreur des camps de concentration. Alors que certains ont péri dans des conditions atroces, indignes, d'autres, la défaite venue, ont choisi la mort. Une mort douce grâce au cyanure. Concomitamment, ceux qui ont eu la force de résister à leur détention ont retrouvé la liberté, mais pas leur dignité. Hagards, ils errent. Ils tentent de survivre au froid, à la faim. Mais sans qu'ils n'en n'aient conscience, ils détiennent une part de cette Histoire, de celle qu'il ne faut jamais oublier. 

Ces rêves qu'on piétine est certes un roman, mais un roman troublant, saisissant. Sans jugement, Sébastien Spitzer met en exergue à la fois l'inhumanité dont certains sont capables, que la force que chaque être humain possède au plus profond de lui. Ces rêves qu'on piétine est un premier roman particulièrement réussi, tout en subtilité. Je remercie Le Livre de Poche de m'avoir permis de le découvrir.

Belle lecture !

vendredi 8 février 2019

Mon avis sur "Trancher" d'Amélie Cordonnier

Amélie Cordonnier est journaliste. Trancher est son premier roman. Il est paru aux Éditions Flammarion. Il traite d'un sujet grave, malheureusement toujours d'actualité, celui de la violence faite aux femmes dans l'intimité du couple.

Elle a toujours fait des listes. Petite, elle notait le nom de ses poupées, des copains à inviter, des poneys qu'elle voulait monter, les mots inconnus à chercher dans le dictionnaire et tous les cadeaux d'anniversaire dont rêvait Anna. Elle griffonnait aussi le titre des Bibliothèque Verte à commander, puis la liste des romans à lire en priorité, celle des garçons qui lui souriaient à la sortie du lycée, ceux rencontrés le samedi en boîte de nuit. Quand les enfants sont nés, d'autres listes se sont ajoutées. Celles des corvées et des réjouissances à venir. Les horaires des biberons, ceux de la danse, des spectacles et expos à ne pas manquer : toutes ces listes-là, elle les a faites. Souvent avec plaisir, parfois en grognant, mais toujours de son plein gré. Des listes d'insultes, en revanche, ça jamais elle n'en avait fait. Cela faisait des années qu’elle croyait Aurélien guéri de sa violence, des années que ses paroles lancées comme des couteaux n’avaient plus déchiré leur quotidien. Mais un matin de septembre, devant leurs enfants ahuris, il a rechuté : il l’a de nouveau insultée. Malgré lui, plaide-t-il. Pourra-t-elle encore supporter tout ça ? Elle va avoir quarante ans le 3 janvier. Elle se promet d’avoir décidé pour son anniversaire.

Trancher explore les effets dévastateurs de la violence verbale, celle qui ne laisse de trace qu'à l'intérieur. Avec une grande subtilité, Amélie Cordonnier déroule la mécanique de ce qui conduit à l'extrême, à la destruction d'un couple, d'une famille. Elle amorce ces bombes que sont les mots d'un homme pour sa femme. Des mots qui claquent, détonnent, explosent. Des mots qui lacèrent de l'intérieur. Ces mots qui sont perçus comme autant de maux. Des mots qui pousseront la narratrice à devoir Trancher, partir ou rester.

Trancher est un roman puissant. Toute sa force tient dans sa construction. De sa plume alerte et imagée, Amélie Cordonnier a choisi de mettre en scène une femme, dont nous ne connaîtrons pas le prénom, qui parle d'elle à la deuxième personne du singulier. Cette forme narrative place le lecteur au cœur de cette cellule familiale dans ce qu'elle a de plus intime, de sorte que l'on reçoit cette violence psychologique en pleine figure, tel un uppercut. On suffoque, on a le souffle court. Au-delà des insultes, Amélie Cordonnier met en exergue l'ambivalence des sentiments, la difficulté à quitter celui que l'on aime, la difficulté à faire le deuil de son couple malgré le malheur subi et celui que l'on fait subir à ses enfants en ne choisissant pas. A l'instar de cette femme, on est déterminé à partir, à moins que l'on ne reste. Bref, il y a urgence à Trancher

Alors partira ou restera ? La seule chose dont je suis certaine, c'est que la fin est magnifique. Un conseil, lisez Trancher d'Amélie Cordonnier, un premier roman percutant.

Belle lecture !

mercredi 6 février 2019

Mon avis sur "Faire mouche" de Vincent Almendros

Faire mouche, le troisième roman de Vincent Almendros est paru aux Éditions de Minuit. Un format court (128 pages) mais percutant, qui fait mouche justement.

Invité au mariage de sa cousine, Laurent revient en Auvergne, à Saint-Fourneau, son village natal. Son amie Claire, qu’il fait appeler Constance, l'accompagne. Voici une paire d'années que Vincent n'était pas revenu. Il revoit les siens. Enfin ceux qui restent. Sa mère au gilet mité. Son oncle malade et ventripotent. Laurent scrute tout. Aucun détail ne lui échappe, pas même les mouches qui jonchent le plancher. Laurent semble à l’affût. Il semble anxieux. Est-ce le fait de retrouver sa famille qui le met mal à l'aise ? Ou bien celui de revivre son passé ? Mais soyons honnête, le problème n'est pas là.

Aucun doute, Vincent Almendros fait mouche avec son thriller campagnard suffoquant. Faire mouche est un roman d'atmosphère, d'ambiance. Il prend corps dans un de ces petits villages isolés, où les gens sont taiseux. A Saint-Fourneau, secrets et mensonges sont bien gardés. Les non-dits sont légende. Les silences assourdissants. Tout est oppressant. Et c'est en apnée que Faire mouche se lit.

L'écriture de Vincent Almentros est visuelle, condensée, ciselée. Aucun détail n'échappe au lecteur. Son style minimaliste est faussement simple. Taillé au cordeau, chaque mot est pesé, minutieusement choisi. Aucun n'est de trop. Tout le talent de l'auteur tient justement dans la force de son écriture. C'est puissant. Il réussit à appâter le lecteur dans un souffle de légèreté qui au fil des pages devient pesant, dérangeant. Vincent Almentros est diaboliquement ambigu. Seul bémol, la fin se devine très rapidement. Mais l'essentiel n'est pas là, tout est dans ces souvenirs que l'on ne partage pas.

Un conseil, lisez Faire mouche de Vincent Almentros.

Belle lecture !