vendredi 31 août 2018

Mon avis sur "Hiver à Sokcho" d'Élisa Shua Dusapin

Lorsque les Éditions Folio m'ont contactée pour me proposer de découvrir en avant-première un de leurs coups de cœur, c'est avec impatience et une certaine attente que j'ai commencé Hiver à Sokcho, le premier roman d’Élisa Shua Dusapin qui a obtenu le prix Robert Walser 2016 ainsi que le prix Révélation SGDL 2016. 

C'est donc à Sokcho, petite ville portuaire coincée entre la Corée du Nord et du Sud que j'ai rencontré cette jeune femme  franco-coréenne qui rêvait d'un ailleurs dans une modeste pension. Venue s'abriter des regards le temps que les traces de sa chirurgie esthétique s'estompent, chaque jour, elle cuisinait pour les rares visiteurs désireux de s'isoler du monde. L'arrivée d'un français, auteur de bandes-dessinées, a rompu la monotonie de l'hiver. Ces deux êtres aux cultures si différentes, en quête d'absolu, se sont observés, se sont frôlés à mesure que l'encre coulait. Un lien fragile est né entre eux.

Autant vous prévenir de suite, en hiver à Sokcho il ne se passe pas grand chose. Si l'été cette ville est une station balnéaire, l'hiver on y vient uniquement pour se retirer du monde, pour fuir, s'isoler. A Sokcho, on ne fait qu'attendre et on contemple le temps qui s'écoule lentement, très lentement. Alors lorsqu'un touriste débarque de France, c'est une attraction à lui seul. On l'épie, on cherche sa compagnie. Le jour, tantôt les corps se frôlent, tantôt ils s'évitent. La nuit, seuls les grattements de la plume et le froissement des feuilles de papier troublent le silence assourdissant. Dès lors, pour mieux supporter ce froid, combler de vie abyssal, une fragile relation faite de non-dits et de regards furtifs va se nouer entre cette jeune métisse et ce dessinateur.

Hiver à Sokcho est un court roman d'atmosphère qui nous plonge dans un huis clos empli de vide et de mélancolie. L'écriture d'Élisa Shua Dusapin est simple, excessivement dépouillée, pure. Les phrases et les chapitres sont tellement courts, que finalement, c'est entre les lignes que ce livre se lit. Et c'est ce qui fait toute sa force. Tout est suspendu, le temps, les mots. Ce roman n'est que silence et suggestion. 

Belle lecture !

lundi 27 août 2018

Mon avis sur "Les filles au lion" de Jessie Burton

C'est autour d'une maison de poupée que l'intrigue de son premier roman Miniaturiste était bâtie. Pour son second roman, Jessie Burton a choisi une toile de maître, un tableau énigmatique baptisé Les filles au lion.

Londres 1967. Arrivée des Caraïbes cinq ans plus tôt, Odelle Bastien se rêve écrivain mais peine à trouver ses marques. Sa vie bascule lorsqu'elle décroche un poste de dactylo dans une galerie d'art et rencontre la charismatique Marjorie Quick, qui lui redonne confiance et l'incite à écrire. Parallèlement, Odelle fait la connaissance de Lawrie Scott, un charmant jeune homme qui possède un magnifique tableau dont il ne sait rien, si ce n'est qu'il appartenait à sa mère. Sur les conseils d'Odelle, il l'apporte à la galerie. Intriguée par la réaction de  Marjorie qui semble particulièrement troublée par cette toile, Odelle décide d'en savoir un peu plus. Sa curiosité va la mener dans l'Andalousie des années trente alors que la guerre d'Espagne s'apprête à éclater.

Les filles au lion est un pont spatio-temporel qui relie deux lieux, deux époques, le Londres des années soixante et l'Espagne des années trente, mais également deux personnages féminins hauts en couleurs, déterminés, cultivés et férus d'art, Odelle et Odile. L'une doit faire face au racisme ordinaire, l'autre doit lutter contre les préjugés et les mentalités d'une toute autre époque. Toutes deux doivent  redoubler d'efforts pour vivre leur passion, pour que leur talent soit reconnu à leur juste valeur. Gravitent autour de ces deux héroïnes, de beaux personnages tout aussi fascinants qui permettent d'aborder des thèmes tels l'amour, l'amitié, la trahison, la création, l'engagement, la liberté et surtout la condition féminine. L'auteure met notamment en exergue la difficulté pour les femmes de s'émanciper, de s'affranchir du carcan social pour vivre pleinement leur passion artistique. 

Aucun doute, Jessie Burton a non seulement le sens du romanesque, du détail mais également celui de l'histoire. Elle sait faire monter la tension au gré des allers retours entre les époques et les lieux, capter l'attention du lecteur et l'immerger dans deux mondes que tout semble a priori opposer mais qui sont éminemment liés. Les filles au lion est un roman bien rythmé, dont l'intrigue est parfaitement construite. Et pour ne pas gâter notre plaisir, l'écriture de Jessis Burton est fluide, précise, soutenue.

Sans aucun doute, Les filles au lion est une fresque à découvrir. 
Un grand merci aux Editions Folio.  

Belle lecture !

mercredi 22 août 2018

Mon avis sur "Poupée volée" d'Elena Ferrante

Décidément, j'ai du mal avec Elena Ferrante... Souvenez-vous je suis l'une des rares à ne pas avoir été embarquée par sa saga L'amie prodigieuse que j'ai finalement abandonnée à peine le second tome achevé. J'avais dans ma PAL Poupée volée, alors cet été sur la plage, j'ai récidivé.

Leda est enseignante à l'université de Florence. Seule depuis que ses deux filles sont parties rejoindre leur père au Canada, elle passe quelques semaines au bord de la mer. Parmi les estivants qu'elle observe chaque jour sur la plage, elle s’intéresse à une véritable tribu. Elle se lie d'amitié avec Nina, une jeune femme mariée à un homme plus âgé et à sa fille Elena. Cette rencontre constitue pour Leda l'occasion de réfléchir aux rapports qu'elle entretient avec ses propres filles, qu'elle a abandonnées pendant trois ans alors qu'elles étaient encore petites, mais également à une maternité qu'elle n'a jamais pleinement assumée. Tout s'accélère lorsque la petite Elena perd sa poupée et que Leda constate que c'est toute une famille qui se mobilise pour la retrouver. Mais pourquoi Leda a-t-elle substitué la poupée ? 

Poupée volée est l'un des premiers romans d'Elena Ferrante. Il a été publié chez Folio alors que le troisième opus de sa célèbre saga napolitaine était attendu. Si l'écriture et le style de l'auteure ne sont pas désagréables, c'est le mal-être et l'univers dans lequel évolue cette femme au demeurant parfaitement restitués, qui rendent la lecture de ce court roman pesante. En effet, qu'est-ce qui a poussé Leda à voler la poupée de cette petite fille ? Qu'est-ce qui pousse cette même femme à participer activement à la battue qui est organisée sur la plage pour la retrouver ? On ne le sait pas vraiment, mais son geste insensé est le catalyseur d'une introspection, d'un huis clos entre le passé et le présent de cette femme qui oscille entre raison et la folie. Elle, qui n'a pas su accueillir la maternité, qui n'a pas su concilier vie professionnelle et vie familiale, qui a fait le choix d'abandonner ses filles, jalouse cette jeune femme qu'elle observe et qui développe des liens maternels forts avec sa petite fille. Leda est torturée par les rapports mère-filles, c'est une mère dénaturée. 

On referme Poupée volée avec une étrange impression de malaise. J'ai dans ma PAL un autre roman d'Elena Ferrante, Les jours de mon abandon, j'avoue ne pas être pressée de le lire.

Belle lecture !

vendredi 10 août 2018

Mon avis sur "Une vie comme les autres" de Hanya Yanagihara

Je vous l'accorde, l'épaisseur d'un roman ne garantit pas sa qualité, pas plus qu'apparemment sa visibilité. En effet, certains romans bien que volumineux (816 pages quand même !) parviennent à passer inaperçus ou presque... C'est typiquement le cas de Une vie comme les autres, le premier roman de Hanya Yanagihara à être traduit en français. Il l'a déjà été dans vingt-trois pays, a conquis plus d'un million de lecteurs dans le monde, mais reste assez confidentiel chez nous. Et pourtant, il mérite de caracoler en tête des ventes. Mon défi du jour, vous convaincre de plonger dans ce pavé. 

Une vie comme les autres, se  déroule exclusivement dans le New York aisé des années 1980 à 2010. Trois décennies durant, Hanya Yanagihara nous propose de suivre la vie d'un quatuor masculin venu conquérir NYC. Willem, Malcom, JB et Jude étaient colocataires lorsqu'ils étaient à l'université. Brillants, chacun d'eux excellera dans leur domaine. L'un deviendra architecte, un autre peintre, avocat ou encore comédien. Ces quatre amis resteront liés jusqu'à leurs vieilles années. Leur relation, qu'elle soit collective ou individuelle, évoluera au fil du temps mais surtout autour de Jude, un personnage pour le moins mystérieux.

Une vie comme les autres c'est quatre trajectoires croisées mêlant réussites et échecs. Quatre trajectoires qui peuvent en premier lieu donner une impression plutôt agréable au lecteur de déjà lu. Mais Une vie comme les autres n'est pas un roman comme les autres, au fil des pages sa vraie nature est révélée au lecteur. Il mute, devient intime, intensément douloureux dès lors que l'énigmatique Jude entre en scène avec son corps scarifié qu'il s'évertue à cacher sous d'amples vêtements.

Une vie comme les autres est non seulement un bel hymne à l'amitié masculine, mais il est surtout un roman d'une puissance psychologique telle que le lecteur est complètement happé par la souffrance du personnage principal. On endosse son passé traumatique, son mal-être, ses espoirs, son désespoir. Tout en finesse, Hanya Yanagihara interroge notre disposition à l'empathie et à l'endurance à la souffrance, c'est une véritable descente dans les tréfonds de l'âme humaine qu'elle nous propose. Une vie comme les autres est un roman intense, profond, bouleversant dont on ne sort pas indemne. Quant à l'écriture de Hanya Yanagihara, elle est fluide, parfaitement aiguisée, fine et tranchante comme une lame de rasoir.

Un conseil, ne passez surtout pas à côté de ce roman captivant.
Belle lecture !

jeudi 2 août 2018

Mon avis sur "L'autre qu'on adorait" de Catherine Cusset

L'un l'a chanté, une autre l'a écrit. Oui, avec le temps, avec le temps, va, tout s'en va, L'autre qu'on adorait, qu'on cherchait sous la pluie, l'autre qu'on devinait au détour d'un regard  entre les mots, entre les lignes, et sous le fard d'un serment maquillé, qui s'en va faire sa nuit...

Thomas est cet autre. Il était l'ami et un temps l'amant de Catherine Cusset. Il est parti, il n'avait même pas quarante ans. Parce que de tous ses amis c'est celui qu'elle  aimait le plus, celui qui la faisait sentir plus vivante grâce à ce quelque chose d’exceptionnel qui l’illuminait, le rire. Mais Thomas n'a pas toujours eu envie de rire. Il n'a pas ri lorsque par deux fois il a raté le concours d'entrée à Normale Sup alors que ses amis réussissaient et qu'ils se dessinaient un bel avenir. Non, Thomas n'a pas ri, il est parti vivre outre-Atlantique. Sa passion pour Proust alliée à sa culture  musicale et cinématographique  lui ouvriront les portes de l'université de Columbia, à New York. Un avenir prometteur semble  enfin se profiler pour Thomas. Il décroche un contrat d'enseignant à l'université, les jolies filles succombent à son charme. Le temps d'un instant, Thomas est heureux. Puis, progressivement le rêve américain se transforme en véritable cauchemar. Thomas s’enfonce dans la solitude qu’il crée comme malgré lui, à coups de sautes d’humeur, d'excès d'alcool, de maladresses, de caprices. Aux perspectives d'un bel avenir succèdent les échecs tant professionnels que personnels. Peu à peu, Thomas sombre jusqu'à perdre définitivement pied, jusqu'à perdre la vie.

L’autre qu’on adorait est une oraison touchante que Catherine Cusset a composée pour son ami disparu.  Á travers ses quelques pages, Catherine Cusset rend hommage à ce virtuose des échecs, à ce bipolaire tardivement diagnostiqué. Elle lui offre un tombeau qu'elle tapisse de velours rouge, de bulles de champagne, de notes de musique classique et de jazz et de quelques morceaux choisis de l'œuvre de Marcel Proust. Á titre posthume, elle rend à son brillant ami toute son épaisseur.

L’autre qu’on adorait est écrit à la deuxième personne du singulier pour mieux mettre en exergue la vie intérieure de cet autre. Il est construit pour nous faire comprendre au fil des pages ce qui a amené cet homme à défier les lois de la gravité. L'écriture de Catherine Cusset est fluide, musicale, classique, mais tellement agréable.

L'autre qu'on adorait, paru aux Éditions Folio a été distingué par la Communauté des blogueurs littéraires comme lauréat de l'été en poche 2018. Ce fut l'occasion de rencontrer Catherine Cusset et d'évoquer cet autre qu'elle adorait. Nous blogueur(euse)s, on a tout simplement adoré. L'autre qu'on adorait est à glisser dans votre valise si vous ne l'avez pas encore lu et Avec le temps de Léo Ferré est ma suggestion d'accompagnement.

Avec le temps - Léo Ferré 

Belle lecture (et ravie de vous retrouver après ces quelques mois d'absence) !