mardi 28 novembre 2017

Mon avis sur "Le livre que je ne voulais pas écrire" d'Erwan Larher

Voici deux ans que l'indicible s'est produit. Comment l'oublier ? Cet évènement nous a tous bouleversés. Il y ceux qui l'ont vécu de l'intérieur et les autres. Il y a ceux qui en ont écrit des livres et celui qui ne voulait surtout pas en écrire un. Pourtant lui est écrivain. Ecrivain et amateur de Rock. Le 13 novembre 2015, il était au Bataclan. Il, c'est Erwan Larher. Le livre que je ne voulais pas écrire est le livre qu'il a fini par écrire après une discussion dans le TGV avec ses amis Alice Zeniter et Manuel Candré. Ce livre réunit histoire intime et drame collectif, ce n'est ni un roman, ni un témoignage, c'est juste un livre que l'on n'aurait jamais dû avoir à lire, mais puisqu'il existe maintenant, il doit être lu de tous.
 
Le livre que je ne voulais pas écrire s'ouvre sur l'histoire d'un môme qui découvre la musique, celle qui sera un exécutoire pour l'enfant sage  et obéissant qu'il est. Cette musique, c'est le Rock. C'est son amour pour cette musique qui le mènera à la violence. Non pas parce qu'elle l'aura rendu violent, mais parce qu'un soir, des années plus tard, ce môme qui a grandi se trouvera au mauvais endroit, au mauvais moment. Cette violence arrivera un 13 novembre 2015 à 21h40, ou 42, ou 47, difficile de se mettre d'accord.  Ce môme est devenu romancier. Il invente des histoires, des intrigues, des personnages, et, il l'espère, une langue pour dire et questionner le monde, l'humain. Ce qui lui est arrivé est une tuile pour le romancier qui partage sa vie. De cette mésaventure, il ne voulait pas écrire de livre. Il ne voulait pas l'écrire parce que selon lui, ce soir-là, il n'a rien fait qui mérite d'être su, connu, médité, relayé ou commenté par ses semblables. Et puis, au cours d'une conversation le mot magique a été prononcé. Ce mot c'est "Partager".

Pour mettre une certaine distance avec la terreur et le chaos intérieur qu'il a connus ce soir là, Erwan Larher a décidé de s'extraire de lui-même, d'utiliser l'autodérision et l'humour pour raconter l'irracontable. Cette approche fait de  ce livre un OLNI, un objet littéraire comme le nomme son auteur. Le livre que je ne voulais pas écrire  nous fait sortir des sentiers battus de la littérature. Oubliez les codes. Ce livre est polyphonique, alternant le "je", le "tu" et le "il", mêlant la voix de l'écrivain qui a vécu les évènements de l'intérieur à celle des amis, vu du dehors. Erwan Larher va même jusqu'à s'immiscer dans les pensées des assaillants. Les mots sont toujours justes, parfaitement choisis. L'auteur parvient à partager la peur, la souffrance, le chaos, les HURLEMENTS, sans jamais verser dans le pathos. Une vraie performance.
 
Puis une fois secouru, vient le temps des soins, celui de la reconstruction et de la reconquête de son intimité. De l'intérieur à ce qu'il y a de plus intime, il n'y avait qu'une balle. Une balle reçue à bout portant dans les fesses. Cette balle a anéanti la virilité d'Erwan Larher. Avec beaucoup de pudeur et d'humour il partage son angoisse dans ce qu'il a de plus intime. Il en est terriblement touchant parce que face à la douleur de ceux qui ont perdu un être cher, ceux qui ont perdu l'usage de leurs membres, la perte du sien, n'est rien et tellement à la fois. Ses réflexions, sa mise à nu sont subtilement dosées.
 
L'écriture d'Erwan Larher et son approche  font de cet objet littéraire un livre intelligent, fin. Tout n'est que respect pour les victimes, pour tous ceux qui sont intervenus sur les lieux, pour le personnel hospitalier à qui Erwan Larher rend un hommage vibrant. L'auteur échappe au piège du sensationnalisme et du pathos grâce à la sincérité, la sobriété et la subtilité de ses propos. Le livre que je ne voulais pas écrire  prend le contrepied de ce qu'il aurait pu être. Il parle moins de mort et de haine que de vie et d’amour, moins de barbarie que d’humanité, il prive les terroristes de leur victoire.
 
Le livre que je ne voulais pas écrire est l'un des cinq  finalistes du Prix Hors Concours, dont j'ai intégré l'Académie des lecteurs. Je ne surprendrais personne en révélant avoir voté pour cet objet littéraire parfaitement identifié. Il est pour moi une bien belle révélation de cette dernière rentrée littéraire. Que des maisons d'édition se paient le luxe de choisir l'insolite, le singulier, les auteurs plutôt que des livres, me ravit. Telle est la philosophie de Quidam Editeur qui se consacre à la littérature contemporaine, française et étrangère. Ils n’éditent que ce qu'ils souhaitent défendre et publient peu. Cette maison d'édition peut être fière d'avoir publié Erwarn Larher, qui je l'espère sera primé lundi prochain...
 
Belle lecture à tou(te)s et Vive la Vie !

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