lundi 31 octobre 2016

Mon avis sur "Chanson douce" de Leïla Slimani

Tous les parents de jeunes enfants le savent, espérer une place en crèche c'est un peu comme le Père Noël, il y a longtemps qu'ils n'y croient plus. Reste alors la garde à domicile, encore faut-il trouver une nounou digne de confiance. Un vrai parcours du combattant ! Généralement le coup de cœur n'intervient qu'après un long et laborieux casting. Et quand enfin ce jour arrive, c'est un peu comme gagner au loto. C'est donc euphoriques que les parents peuvent envisager de laisser leur progéniture et filer s'épanouir professionnellement. Mais que savons-nous réellement de la nourrice de nos enfants, peut-on vraiment se fier aux apparences ? Telle est la thématique du second roman de Leïla Slimani, Chanson douce.

Après la naissance d'Adam, leur deuxième enfant, et ne supportant plus de n'être qu'une femme au foyer épuisée, Myriam, avocate pénaliste, a souhaité retravailler. Son mari,  Paul, assistant-producteur dans un studio d'enregistrement de renom, a d'abord mal accueilli la décision de sa femme, avant de s'y résigner. Commence alors une course effrénée à la recherche de la nounou parfaite (ou presque...). Et puis Louise est arrivée. Pour Myriam ce fut une évidence, comme un coup de foudre amoureux. Même Mila, leur petite fille au comportement habituellement si difficile, s'est transformée au contact de cette femme blonde aux cheveux relevés en chignon.  Louise s'avérera être une fée du logis comme on en rêve. Avec elle les enfants sont calmes et bien peignés, le ménage tenu au cordeau, le dîner préparé. La famille idéale en quelque sorte. Au fil des mois, Louise apprivoise chacun jusqu'à se rendre indispensable. Puis peu à peu, de discrètes notes discordantes se font entendre, jusqu'au jour où Louise commettra l'irréparable.  Mais comment a-t-elle pu en arriver là ?

Avec Chanson douce Leïla Slimani traque les incohérences des apparences. Dès le début, elle nous livre le dénouement, "le bébé est mort", pour mieux rembobiner le film et disséquer ce qui a pu pousser une femme à une telle atrocité. Elle évoque la lutte des classes, mais au-delà, la dérive d'une personne qui cultive des sentiments de haine et d'envie jusqu'à basculer dans la folie. 

Le tour de force de Leïla Slimani tient à son style d'écriture magistralement maîtrisé. Son roman est toujours sous tension. Une fois commencé, impossible de le lâcher, Chanson douce se lit en apnée, il est absolument jubilatoire et est du même acabit que l'excellent roman  d’Emmanuel Carrère l'Adversaire.

Belle Lecture !

dimanche 30 octobre 2016

Mon avis sur "Comment tu parles de ton père" de Joann Sfar

Dessinateur, scénariste, réalisateur, auteur, Joann Sfar a plus d'une corde à son arc. Serait-il boulimique ou aurait-il besoin de combler un vide pour être aimé ? C'est à l'occasion du décès de son père couplé de sa séparation avec la mère de ses enfants, que Joann Sfar temporairement incapable de dessiner, a ressenti le besoin de se dévoiler et de lever le voile sur son enfance. Il a convoqué l'enfant qu'il a été et ses souvenirs qu'il a consignés dans un récit tout simple tantôt tendre, tantôt dur, souvent touchant et drôle, Comment tu parles de ton père.

André Sfar, le père de Joann est né "l’année où tonton Adolf est devenu chancelier : 1933". Juif pratiquant, il a commencé par porter des caisses de bonbons dans les usines avant de devenir un brillant avocat engagé dans la lutte contre le néo-nazisme tout en défendant des putes, puis des truands, et enfin des banques.  Il était bagarreur doublé d'un grand séducteur qui se tapait toute la Côte d'Azur. Son agonie aura duré huit jours. Joann Sfar a voulu lui rendre un hommage sincère et sans concession. Il évoque également sa mère décédée alors qu'il n'avait que trois ans ainsi que son grand-père maternel, cet homme qui lui a révélé la vérité. Non sa mère n'était pas en voyage, elle était bel et bien morte. 

Orphelin de père et de mère, Joann Sfar a ressenti le besoin de libérer ses émotions en consignant par écrit ses pensées et ses souvenirs d'enfance. Puis, prenant conscience que son deuil était  finalement universel, il a décidé de publier un roman autobiographique et picaresque d'une famille peu ordinaire. Comment tu parles de ton père est un récit un poil brouillon, intime mêlant émotion, humour et autodérision. Bien que tout le monde n'ait pas eu la chance d'avoir un père comme André Sfar, ce roman ne m'a néanmoins pas transportée, certainement parce que l'écriture de Joann Sfar est très différente de ses précédents romans, elle n'a rien d'exceptionnel, le style y est très, trop familier. Dommage !

Belle lecture !

vendredi 28 octobre 2016

Mon avis sur "Hier encore, c'était l'été" de Julie de Lestrange

A force de voir passer des critiques positives, de lire de-ci de-là  qu'il était résolument optimiste, ayant découvert l'aventure de son auteure, d'abord auto-éditée via la plateforme d'Amazon, puis une fois son public rencontré, publié aux Éditions Mazarine, je ne pouvais que me laisser séduire par ce premier roman au titre évocateur, Hier encore c'était l'été

Hier encore c'était l'été pour Alexandre, Marco, Sophie, Anouk et les autres qui se connaissent depuis l’enfance et avant eux leurs parents, leurs grands-parents. Deux chalets de vacances en Savoie auront soudé l'amitié de deux familles et leur descendance. La troisième génération nous embarque au cœur des années 2000. Une décennie à suivre les tribulations de ces adultes en devenir. Ensemble ils sont nés, ensemble ils ont grandi. Et puis soudain, ils sont happés par le tourbillon de la vie qui les a cueilli sitôt leurs études achevées. C'est à travers la voix d'Alexandre que l'on va suivre leur parcours.  En dépit des embûches, des embrouilles, des départs, subsistent l’amitié, la complicité, les fous-rires, les joies et toujours l’amour.

Hier encore c'était l'été est un roman familial choral intergénérationnel résolument contemporain où enfants, parents et grands-parents cohabitent chacun avec leurs préoccupations, leurs doutes, leurs questionnements. Ce roman résonne tel un écho qui nous parviendrait de nos entrailles. Il nous renvoie à notre histoire, notre relation avec nos ascendants, nos éventuels descendants, nos amis. Il nous parle de notre quotidien, de nos petites victoires, de nos peines. Tendre portrait d'une génération certes un peu privilégiée, Hier encore c’était l’été est un roman touchant, résolument optimiste qui fait du bien. Il redonne espoir à la jeunesse. Même si parfois elle est déboussolée, confrontée à la réalité économique, politique, cette jeunesse est loin d'être désœuvrée, elle est en quête de sens, d'engagements. 

Hier encore c’était l’été se lit comme on déguste un bon cornet glacé, c'est une gourmandise que l'on a envie de laisser fondre sur la langue pour faire durer le plaisir. La plume de Julie de Lestrange est fluide, ses dialogues sont frais, ce premier roman est à lire ne serait-ce que pour se rappeler que oui, Hier encore c’était l’été.

Belle lecture !
 

mercredi 19 octobre 2016

Mon avis sur "La nuit avec ma femme" de Samuel Benchetrit

Août 2003, alors que la France est écrasée par la canicule et connaît un épisode de surmortalité, ailleurs en Lituanie une femme tombe sous les coups de son amant jaloux. Elle, c'est Marie Trintignant. Elle était mariée à Samuel Benchetrit, ensemble ils ont eu un fils. Elle l'avait quitté pour un autre homme. Cet autre lui a ôté la vie. Les années ont passé, pas le besoin de s'exprimer, pas même le manque. Il a fallu que Samuel Benchetrit prenne de la distance, de la hauteur pour ne pas céder à la haine. Qu'y a t-il plus fort que la haine, si ce n'est l'amour ? Samuel Benchetrit a aimé et continue d'aimer celle qui est devenue la morte de sa vie. La nuit alors que ses insomnies l'empêchent de rêver, elle vient le visiter. Une nuit, il l'a convoquée, c'est La nuit avec ma femme.

Une nuit pour parler, se confier, se rappeler, déambuler dans les rues de Paris. Une nuit pour lui montrer ce qu'est devenue sa vie sans elle et lui raconter comment il a annoncé à leur petit garçon alors âgé de cinq ans, qu'il ne verrait plus jamais sa maman. Une nuit pour lui révéler comment ensemble ils ont survécu à ce drame, comment ils ont aimé de nouveau.
Tous les super-héros sont orphelins, j'ai remarqué ça... Batman, Spider-Man, Harry Potter... Il faut deux traumatismes pour qu'ils développent leurs pouvoirs... Le premier à l'enfance, la perte d'un parent... Le second, plus tard à l'adolescence.
La nuit avec ma femme est un livre intimiste, plein de retenue et loin de tout sensationnalisme. C'est un bouleversant hommage à une femme qui croquait la vie et s'est fait croquer par la mort. Mais La nuit avec ma femme c'est également une histoire sur la violence faite aux femmes. Une histoire  d'hommes. L'un subit les conséquences de la violence de l'autre et le raconte. La nuit avec ma femme est un livre court, intense, digne. Un véritable hymne à l'amour.

Belle lecture !

dimanche 16 octobre 2016

Mon avis sur "Désorientale" de Négar Djavadi

Décidément, la rentrée littéraire 2016 foisonne de petits bonheurs. Désorientale est un de ceux-là. C'est un premier roman, le tout premier de Négar Djavadi, scénariste, parisienne depuis qu'elle a fui l'Iran en 1981 alors qu'elle n'avait que onze ans. Désorientale est une saga familiale dont le destin des personnages est dévié par l’Histoire contemporaine d'un pays, l’Iran.

Tout commence dans une salle d'attente de l'hôpital Cochin. Kimiâ Sadr suit un protocole d'insémination artificielle depuis de longs mois. C'est le grand jour, elle doit se faire inséminer. L'attente dure. Kimiâ n'est pas accompagnée. Sa maternité tant espérée la renvoie inévitablement à sa famille, ses deux sœurs, ses parents, ses innombrables oncles, sa grand-mère. Bien que Kimiâ ait toujours tenu à distance sa culture d'origine, là, dans cette salle d'attente son passé la rattrape. Au gré des rendez-vous médicaux, ses souvenirs entremêlés ressurgissent. Ils  nous propulsent en Iran. L'histoire de la famille Sadr est déroulée par bribes, par anecdotes. C'est toute la lignée qui est évoquée, des ancêtres originaires du nord de la Perse jusqu'à ses parents, Darius et Sara, opposants au régime du Shah puis de Khomeiny. Leurs opinions les contraindra à quitter définitivement l'Iran pour atterrir en France, après avoir traversé à cheval le Kurdistan. Deux pays, deux cultures différentes et un évènement. Le tout mènera à la désorientalisation.

Outre le fait qu'indéniablement Négar Djavadi a une plume, c'est la construction de son roman que j'ai particulièrement apprécié. Les allers retours entre la salle d'attente de l’hôpital Cochin et l'Iran sont savamment dosés, la maternité ou du moins son éventualité et la naissance subséquente sont placées au cœur du roman. Ces thèmes sont érigés telle une colonne vertébrale. Pour autant, bien que Désorientale donne voix à plusieurs femmes, il n'est pas un livre de femmes, pour les femmes. Les hommes y sont très présents, notamment Darius, le père qui attend impatiemment ce fils aux yeux bleus qui ne viendra jamais. Le thème de l'exil qui engendre une nécessaire seconde naissance et une quête d'une nouvelle identité sont subtilement amenés toujours à travers des anecdotes teintées d'humour et d'amour. 
"On aurait dit que Sara jaillissait de sa bouche pour défendre une de ses plus chères causes : la maternité. La maternité qu'elle considérait, je vous le rappelle comme le Graal de l'existence dont l'épreuve principale était le couple."

"Rien ne ressemble plus à l’exil que la naissance."

Désorientale se déploie tel un bon vieux 33 tours en deux faces (la A et la B) sur lesquelles défile l'histoire des Sadr sur trois générations : les tribulations des ancêtres, une décennie de révolution politique, les chemins de traverse de l'adolescence en France, l'ivresse du rock et la découverte d'une autre identité.
Désorientale est un hymne à la Vie, à la Liberté. Ce roman a permis la naissance d'une auteure, Négar Djavadi. Sa troisième naissance.

Belle lecture !


P.s. : Message personnel à l'auteure : Non, Négar Djavadi, la série "Peyton Place" n'est pas inconnue des français, du moins, moi je la regardais... Mais j'en conviens, peu s'en souviennent...

dimanche 2 octobre 2016

Mon avis sur "Une simple lettre d'amour" de Yann Moix

Je ne vous ferai pas l'offense, du moins je ne lui ferai pas l'offense de le présenter, tellement Yann Moix a une haute opinion de sa personne. Il pense être connu et reconnu pour son talent. Oh que dis-je ? Quelle insulte ! Point de talent, juste du génie. 
Le ton est donné, pensez-vous ?...
Et bien non, pas du tout, je ne vais pas dézinguer cet auteur (car il est pour moi avant tout un auteur), je l'apprécie vraiment. J'aime sa timidité qui le rend odieux, agressif, j'aime son cynisme, sa provocation, sa répartie, son écriture. Et ce que j'aime par dessus-tout c'est Une simple lettre d'amour

Cette lettre, loin d'être simple, s'adresse à une femme que l'auteur a beaucoup aimée, qui l'a quitté parce qu'il était insupportable, invivable. Il écrit cette lettre au nom de celui qu’il était vingt ans plus tôt. Présentée comme un roman, elle s'apparente plutôt au coming out de Yann Moix sur l'effroyable consommation des femmes qu'il a pu faire et que certains hommes peuvent faire à un moment donné de leur vie. Cette lettre s'adresse à une femme et à travers elle, à toutes les femmes, les potentielles proies du prédateur au regard pénétrant qui dès qu'il les repère les voient tel un "réceptacle à jouissance, des orifices à contentement, des cargaisons que l'on pelote." 
Yann Moix aborde la question de la perception amoureuse du point de vue masculin et décrypte ainsi leur psychologie. Le bandeau "Les hommes ne savent pas aimer" révèle déjà la teneur de son analyse. Peut-on vraiment à partir de sa propre expérience en tirer de telles généralités ? Certainement pas. Mais l'essentiel n'est pas là... 
 Un homme, quand il aime, aime toujours déjà ailleurs ; il appelle "femme de sa vie" la prochaine femme qu'il rencontrera - il vaque de brouillons en brouillons. La définitive, pour lui, est incessamment la suivante. 
Fidèle à son image, l'auteur manie aussi bien la provocation que les mots. Il a le sens de la formule, ça claque, ça cingle. Il est tellement cynique parfois, qu'il en devient risible. L'animal aurait-il peur, aurait-il été blessé ? 
Mes amours étaient des viandes ; un hachis de gibiers, de la fumée d'aliments. De la triste consommation.
Mais Yann Moix est avant tout un homme de lettres et un romantique qui s'ignore (ou pas...). La description de sa rencontre avec celle qu'il  aura cru tant aimer est sublimement écrite. Il en est touchant, attendrissant.
Je me trouvai coi devant ton mystère. Tu étais sublime et redoutable. Tu rugissais sans ouvrir la bouche. Je n'avais plus qu'à me soumettre, qu'à contrecarrer l’éloignement très infini qui nous séparait. Il me fallait trouver la porte du triomphe : oh peu de chose, une blague, une saillie. Il me fallait t'ouvrir au plus vite.
Parfois véritable salaud, parfois romantique idéal, impossible de rester indifférent et de résister à Yann Moix. Est-ce finalement cela un prédateur ?
Ce serait toi, c'était toi, l'élue. Je ne voulais pas me marier parce que le mariage c'est pour toute la vie, et que toute la vie, pour t'aimer, me semblait un peu court.
Lettre d'amour ou de désamour, toujours est-il qu'Une simple lettre d'amour est absolument jubilatoire.
L'amour c'est de l'infini qui se rétracte.
Belle lecture !