vendredi 29 avril 2016

Mon avis sur "Poulets grillés" de Sophie Hénaff

Le Livre de Poche m'a proposé de chroniquer un livre de mon choix. Au vu des critiques que j'ai pu lire, j'ai sélectionné Poulets grillés de Sophie Hénaff. Les lectrices de Cosmopolitain  auront immédiatement associé le nom de l'auteure à la rubrique humoristique "La Cosmoliste". De rédactrice à romancière, il n'y avait qu'un, voire deux pas à franchir. Poulets grillés est le premier roman de Sophie Hénaff. Il a reçu plusieurs prix, dont le Prix polar en séries. Vous l'aurez compris, loin des recettes de cuisine, Poulets grillés est un roman de flics, oui mais pas n'importe lesquels, de flics tous mis au placard. Des poulets qui se sont fait griller en somme.

Anne Capestan, était une commissaire de police reconnue et respectée jusqu'au jour où elle a commis la bavure. Direction le placard. Ce n'est que lorsque Buron sera nommé chef du célèbre 36 Quai des Orfèvres qu'elle en sortira. Désireux d'améliorer les statistiques de la police, Buron va créer une brigade non officielle chargée d'élucider toutes les affaires classées sans suite ou non résolues. Qui de mieux qu'Anne Capestan pour diriger ce service ? Elle va hériter de tous les flics ingérables de la région parisienne qu'il est impossible de virer, soit une quarantaine de bras cassés, alcoolos et autres crétins en tous genres. La belle équipe que voilà ! Outre ces éclopés de la police, Capestan héritera d'un vieil appartement situé Rue des Innocents à Paris en guise de bureaux, de véhicules ordinairement destinés à la casse et sans sirène (tout se perd...), de stylos sans encre et évidemment d'aucun téléphone mobile, à quoi bon. Bref, des outils de travail faits de bric et de broc pour une brigade de loosers. Anne Capestan mobilisera son équipe pour aménager et décorer leurs bureaux (une réminiscence des magazines féminins...), puis les mettra au travail. Dans les cartons à la pelle qui ornent les bureaux ils piocheront un meurtre mystérieux d’un marin et l'assassinat d’une vieille dame au cours de ce qui semblait être un cambriolage. Tout ce petit monde de la Rue des Innoncents reprendra peu à peu du service en tentant de trouver des réponses à ces crimes restés en suspens et surtout en essayant de prouver à la police judiciaire qu'ils ne sont pas des tocards bons pour l'abattoir.

Sauf à vouloir décevoir les féru(e)s de polar, Poulets grillés relève plus du genre comédie policière que du polar à proprement parler. Certes il y a bien une intrigue, une enquête, mais l'essentiel n'est pas là. C'est bien d'humour, de dérision, de personnages originaux et de situation loufoques dont il s'agit avant tout. Sophie Hénaff a créé une galerie de portraits de gentils fêlés humains et attachants aux répliques qui font sourire, que l'on verrait volontiers évoluer sur petit écran. En attendant sa diffusion, qui sait... Poulets grillés est au final un roman choral à la tonalité moderne, divertissant sans plus. La suite de cette folle brigade vient de sortir, Rester groupés est paru aux Éditions Albin Michel.

Bonne lecture

dimanche 24 avril 2016

Mon avis sur "La mémoire des embruns" de Karen Viggers

Grâce au Livre de Poche, j'ai eu l'occasion de lire un livre comme je les aime. Un livre qui transporte tant géographiquement qu'émotionnellement. La mémoire des embruns c'est exactement cela. Ce roman de Karen Viggers fait partie de ceux qui marquent.

Mary est âgée, sa santé se dégrade. Elle décide de passer ses derniers jours à Bruny, île de Tasmanie balayée par les vents où elle a vécu ses plus belles années auprès de son mari, Jack, le gardien du phare. Les retrouvailles avec la terre aimée prennent des allures de pèlerinage. Entre souvenirs et regrets, Mary retourne sur les lieux de son ancienne vie pour tenter de réparer ses erreurs. Entourée de Tom, le seul de ses enfants à comprendre sa démarche, un homme solitaire depuis son retour d'Antarctique et le divorce qui l'a détruit, elle veut trouver la paix avant de mourir. Mais le secret qui l'a hantée durant des décennies menace d'être révélé et de mettre en péril son fragile équilibre. Une femme au crépuscule de sa vie. Un homme incapable de savourer pleinement la sienne. La Mémoire des embruns est une émouvante histoire d'amour, de perte et de non-dits sur fond de nature sauvage et mystérieuse.

La quatrième de couv est tellement en adéquation avec l'histoire que j'ai lue, que je n'ai rien à rajouter... Ce que je souhaite, c'est juste vous communiquer mon enthousiasme pour ce livre que Gérard Collard (libraire de la Griffe noire) qualifie très justement de sublime. J'ai appris à me méfier des adjectifs qui sont censés résumer un livre. Ils tiennent généralement bien plus du marketing plutôt que du ressenti... Mais en l'espèce, c'est exactement l'adjectif qualificatif qui sied si bien à La mémoire des embruns
Ce roman est sublime. Il l'est en raison de son histoire, des personnages attachants mais également du fait de son environnement particulièrement envoûtant. 
La mémoire des embruns nous embarque à plus de quinze mille kilomètres. Première escale à Hobart en Tasmanie, puis sur l'île de Bruny jusqu'à l'Antarctique, au cœur d'une mission scientifique. Deux lieux totalement différents pour deux rencontres. 
Destination l'île de Bruny à travers les souvenirs de Mary, une femme âgée,  généreuse, espiègle, volontaire et déterminée. Une femme attachante, possédée par l'amour. L'amour qu'elle voue à son défunt mari, à ses enfants, sa petite-fille. Une femme également rongée par la culpabilité. Embarquement pour l'Antarctique ensuite à travers la douloureuse expérience de Tom, le fils benjamin de Mary. 

Le lecteur découvre deux lieux différents, à travers deux récits portés par deux personnages. L'un rongé par la culpabilité, l'autre par les remords et la solitude. Deux êtres éminemment touchants, empreints d'humanité et pour lesquels la nature et les éléments sont indispensables. Omniprésents dans ce roman, sans être imposants. Au gré des souvenirs, nous passons de la légèreté des embruns à la rudesse de la glace. Les paysages envoûtants défilent au gré des pages et nous embarquent à la rencontre de deux belles âmes.

La mémoire des embruns n'est que le deuxième roman de Karen Viggers, vétérinaire et spécialiste de la faune sauvage. Sa plume est belle, lente. Ses personnages sont tous bien travaillés, qu'il s'agisse de Jan, la fille de Mary, de Léon le jeune garde forestier, d'Emma la nouvelle amie de Tom ou de Jess, sa chienne fidèle qui est parfaite !
Bref, La Mémoire des embruns est un roman qui dépayse, il est chargé en émotion et mérite votre attention. Je remercie vivement les Éditions du Livre de Poche de cette jolie découverte. Et si je ne vous ai pas convaincu(e), regardez la couverture, elle est jolie, non ?

Bon voyage et surtout très bonne lecture ! 

vendredi 22 avril 2016

Mon avis sur "Autopsie d'un père" de Pascale Kramer

Pascale Kramer que j'ai découvert grâce à Babelio et aux Editions Flammarion (que je remercie au passage), compte déjà neuf romans à son actif et quelques prix littéraires. Autopsie d'un père, son dernier opus, est paru en janvier dernier.

Voici quatre ans qu'Ania a coupé les ponts avec son père, Gabriel. Apprenant qu'à la demande unanime de la rédaction, il allait être exclu de l'antenne radio où il travaille,  Ania décide de lui rendre visite. Direction  Les Épinettes, la maison de campagne où elle a grandi. Ania est accompagnée de son fils, Théo. L'ambiance n'est pas franchement aux retrouvailles. Assez rapidement Ania reprendra le RER et rentrera à Suresnes. Le lendemain, Clara, la femme de Gabriel téléphonera à Ania pour lui annoncer que son père s'est suicidé dans la nuit en avalant neuf gros morceaux d'un verre à moutarde. Il est mort seul dans son appartement parisien d'une hémorragie interne. Pourquoi Gabriel, ce journaliste et intellectuel de gauche a-t-il  volontairement mis fin à ses jours ?  Est-ce parce qu'il a publiquement pris la défense de deux jeunes « Français » qui ont massacré un Comorien sans-papiers et qu'il a été renié par la profession et le grand public ? Le corps de Gabriel sera rapatrié à la campagne, aux Épinettes où il doit être enterré. Ania s'y rendra également. Elle va se retrouver avec Clara, cette belle-mère qu'elle ne connaît pas. L'ambiance au village semble tendue. Avec sa position, Gabriel a divisé. Pour se protéger des agressions extérieures, les volets doivent rester fermés, il ne faut pas répondre au téléphone et la date des obsèques doit rester secrète. Mais comment Gabriel a pu en arriver là, lui un intellectuel de gauche ? 

Autopsie d'un père ne répond pas vraiment à cette question. Pas plus que nous ne saurons ce qui a éloigné ce père de sa fille unique. Certes, Ania ne répondait pas aux attentes de Gabriel, elle n'a jamais été brillante, mais cela suffit-il à mener au désamour filial ? Qui est vraiment cet homme qui ne se rappelle pas que Théo, son petit-fils, est sourd ? Gabriel parle à Théo qui ne peut l'entendre, mais Gabriel lui, n'écoute pas sa fille. 

Autopsie d'un père est annoncé comme un roman auscultant une France sous tension et au bord de l'explosion, un roman sur le basculement politique. Je n'ai pas eu ce sentiment. Autopsie d'un père est pour moi un roman familial qui dissèque lentement et avec habileté les relations au sein d'une famille. Si nous comprenons que les opinions de ce père ont évolué au gré des années, nous n'en connaîtrons pas les raisons. Bien que cultivé, cet homme ne semble pas ouvert sur le monde qui l'entoure, pas plus qu'il paraît épanoui. En a-t-il toujours été ainsi ? Sa fille, ne respire pas la joie de vivre. Sa seule satisfaction provient de sa maternité et des liens qu'elle a tissés avec son fils, Théo. Ania est séparée de Novak, le père de son fils. Novak et Théo ne semblent pas très proches. Encore une histoire de désamour filial. Pourquoi en sont-ils tous arrivés là ? 

Bien que n'ayant pas les réponses à nos questions, tout au plus quelques indices sont distillés de-ci de-là, Autopsie d'un père n'en demeure pas moins un roman intéressant à lire notamment parce que  l'auteure avec sa plume parfaitement maîtrisée parvient à nous transmettre des émotions et cette ambiance particulièrement lourde, pesante, chargée de non-dits. Autopsie d'un père est un roman intimiste au style bien singulier. Point de dialogues. Tout nous est narré, décrit avec précision comme si une tierce personne observait les personnages et nous rapportait avec minutie et sensibilité l'environnement, leurs faits, gestes et échanges. Une jolie performance d'écriture.

Encore merci à Babelio pour sa Masse critique qui m'a permis de découvrir cette auteure, sans oublier évidemment les Éditions Flammarion.

Belle lecture !

mercredi 6 avril 2016

Mon avis sur "Métamorphoses" de François Vallejo

Métamorphoses de François Vallejo est l'une des sélections du Prix du Meilleur Roman 2016 des lecteurs des Éditions Points.
François Vallejo enseigne les lettres classiques. Un homme du sud passé à l'ouest, qui n'a qu'une seule direction, qu'une filiation, celle du roman. Une jolie trajectoire qui lui a déjà rapporté quelques prix, dont le Prix du Livre Inter en 2007 pour Ouest.  

Métamorphoses ne se lit pas aujourd'hui comme François Vallejo a pu  l'imaginer. Ce roman, parce que c'est bien de cela qu'il s'agit, a été écrit en 2012. A peine achevé, il s'est trouvé métamorphosé. Métamorphosé par les évènements extérieurs, puis par la lecture qui en a été faite. En effet, la parution de ce roman était imminente lorsque l'affaire dite "Mohamed Merah" a éclaté à Toulouse. Malheureusement depuis, il y a eu les attentas contre Charlie Hebdo, l'Hyper Casher, ceux du 13 novembre 2015 et dernièrement ceux de Bruxelles. Ces évènements ont transformé ce récit romanesque en récit journalistique, sociologique, prophétique et idéologique. Comme le précise très justement François Vallejo dans sa postface, Métamorphoses est devenu un autre livre et ses contours et ses approches vont être encore modifiés.

Cruellement d'actualité, Métamorphoses traite des changements, de la transformation. Alban Joseph, est un jeune doctorant en chimie moléculaire à l'avenir prometteur. Du moins, c’est ce que tout le monde pense y compris sa demi-sœur, Alix, jusqu’au jour où elle apprend qu’Alban s’est converti à l’islam radical. Son "demi", comme elle le nomme affectueusement, a changé d'identité, renié son nom, donc les siens, pour devenir Abdelkrim Yousef. Injoignable, il a disparu de la circulation. Bouleversée par cette nouvelle et redoutant le pire, Alix va tout chambouler. Sa vie d’abord, mais aussi celle de sa mère et de son beau-père, celle des nouveaux amis d’Alban, son réseau, quitte à le mettre en danger. Elle veut comprendre les raisons de cette métamorphose qui a transformé petit à petit Alban en Abdelkrim. Elle refuse de croire que son "demi" ait pu de son propre gré se convertir, étudier l'arabe, lire le Coran et fréquenter un camp d'entraînement en Afrique. Alban ne peut être qu’un pion manipulé. Alix décide alors de se mettre en quête de vérité, en quête de ce demi, de cet amour fraternel et de cette complicité disparus.

Avec Métamorphoses, François Vallejo nous incite à la réflexion. Se convertir est-ce nécessairement synonyme de radicalisme ? Alban rappelle à sa demi-sœur qu'elle aussi s'est convertie lorsqu'elle a quitté les Beaux-Arts pour intégrer une école privée de restauration d'art ancien. Passer de la passion de l'art contemporain à la passion pour l'art le plus archaïque, restaurer des fresques romanes dans les églises alors qu'auparavant Alix revendiquait son athéisme, n'est-ce pas une conversion, un changement radical de vie ? Pour autant, s'est-il permis à ce moment là de la juger, lui a-t-il reproché quoi que ce soit ? Alors pourquoi le ferait-elle, si ce n'est parce qu'il est passé du côté des exclus du monde entier ?
Sans parti pris, François Vallejo nous interpelle, en disséquant à travers le regard de cette sœur, ce qui peu à peu conduit tout un chacun aux métamorphoses (le pluriel est loin d'être anodin). Cette jeune femme est terrorisée à l'idée que son demi-frère qui a choisi  d'embrasser l'islam puisse se radicaliser, devenir un terroriste. De l'incrédulité à la certitude, elle tentera de prouver tout et son contraire, essaiera de sensibiliser ses parents, de les responsabiliser. François Vallejo nous interpelle sur ces changements de société, nous incite à lutter contre les préjugés, tout en laissant toujours planer le doute pour mieux nous sensibiliser, pour ne pas rester indifférent aux différences. Métamorphoses s'apparente à la fois à une étude psychologique et sociétale finement ciselée mais également à un roman d'espionnage. Un roman efficace qui ne laisse aucune place à l'indifférence. Tout un chacun est concerné, quelles que soient ses origines, son milieu social, Métamorphoses interpelle, nous oblige à nous questionner, à nous remettre en cause. Un roman à lire pour tenter de comprendre.

Bonne lecture !