jeudi 29 octobre 2015

Mon avis sur "Je viens" d'Emmanuelle Bayamack-Tam

Emmanuelle Bayamack-Tam est agrégée de lettres modernes, née à Marseille, elle vit et enseigne le français en région parisienne. Elle a publié deux pièces, huit romans et obtenu le prix Alexandre-Vialate en 2013 pour "Si tout n'a pas péri avec mon innocence". Elle a sévi également dans le genre policier, sous le pseudonyme de Rebecca Lignieri.

Je viens, paru en janvier 2015 était dans ma pile à lire depuis le printemps dernier. Je l'ai enfin lu. Grand bien m'a pris ! L'écriture est belle, très belle. Les sujets abordés : le racisme, la vieillesse, la maladie,  l'amour, le manque d'amour, l'abandon, la famille recomposée, l'argent, ses travers, les trahisons, les désillusions et tant d'autres. Tous nous incitent à la réflexion. Ajoutez-y un fantôme et nous voici embarqué dans un conte philosophique.
Je viens, c'est trois portraits de femmes. Une fille, sa grand-mère et sa mère. Elles prennent successivement la parole. C'est Charonne qui ouvre le bal. Charonne a vingt ans. Née d'une mère rwandaise qui s'est fait violer par un soldat belge, Charonne a été abandonnée à la naissance. Adoptée à cinq ans, elle sera abandonnée une seconde fois par sa famille d'adoption. Charonne a six ans quand elle se retrouve avec ses parents adoptifs dans le bureau de l'aide sociale à l'enfance pour sa restitution. C'est que Charonne est une petite fille noire, grosse, avec de la paille sur la tête en guise de cheveux. Elle est loin des standards attendus. Alors, comme ses parents adoptifs ne peuvent se débarrasser d'elle, ils la garderont bon gré, mal gré. Charonne grandira dans l'indifférence de tous, sans amour, ni tendresse mais dans une maison bourgeoise du boulevard du Belvédère à Marseille.  Ses grands-parents adoptifs y habitent également. Charonne ne connaîtra que le racisme et le rejet jusqu'au jour où sa grand-mère adoptive prendra conscience de la situation de Charonne et lui ouvrira son cœur. Loin d'être complexée par sa couleur de peau et son surpoids, Charonne est une jeune fille intelligente dotée de répartie, d'autodérision et d'humour. Elle est généreuse et bienveillante à l'égard des membres de sa famille adoptive. Le racisme est son quotidien, elle fait avec. Charonne a un rêve, elle veut devenir une vedette comme sa grand-mère, Nelly.
Nelly porte un regard très ironique et caustique sur sa vie, notamment sur sa vie amoureuse et sexuelle, mais également sur la femme qu'elle est devenue. Autrefois très belle et très convoitée, elle reste obsédée par son apparence. Bien qu'elle soit toujours très coquette malgré ses quatre-vingt-huit printemps, Nelly n'est pas aussi superficielle qu'elle voudrait nous le faire croire. C'est la seule qui manifestera de l'intérêt et de l'affection pour Charonne. C'est en  parlant de son sujet favori, à savoir, elle-même, que Nelly sensibilisera Charonne aux relations mère-fille, homme-femme, à la nécessité de se fixer des objectifs dans la vie, cette vie qui passe trop vite, bien trop vite et dont il faut jouir avant de devenir sénile. Nelly apporte un regard touchant et très lucide sur la vieillesse et la maladie.
Nelly est plus proche de Charonne que de sa propre fille, Gladys, que rien ne semble toucher. Et pourtant au fur et à mesure que Gladys s'exprime, ses blessures jaillissent. Une mère trop occupée à gérer sa carrière de pseudo-actrice, un père qui voue une passion au genre féminin, ce n'est qu'avec Régis, son "frère d'alliance", à la suite du remariage de sa mère avec Charlie, que Gladys trouvera un équilibre. Frère d'alliance deviendra époux. Un vrai Vaudeville !


Malgré ces quelques lignes, Je viens reste un livre assez indescriptible. Réalité et fiction, passé et présent se mêlent et se confondent. Je viens bouscule les traditions familiales et est surtout une belle description du racisme ordinaire et de la vieillesse,  jugez plutôt :
J'ai six ans, j'en ai dix, j'en ai treize, Charlie perd la tête mais j'ai toute la mienne et elle est aussi bien faite que bien pleine, en dépit des commentaires désobligeants qu'elle s'attire :
- Tiens, t'as encore amené ta guenon ?
- Qu'est-ce qu'elle est vilaine !
- Ben dis donc, celle-là, tu vas avoir du mal à la marier !
- Elle va à l'école ? Ils ont réussi à lui apprendre à lire ? Ah
  ils sont forts, les profs d'aujourd'hui !
- Penses-tu ! Elle sait même pas parler !
- A part le langage des singes, quand elle veut sa banane !
- Y'a bon banane !
- Note que y'a le zoo, pas loin : t'as qu'à la mettre avec ses
  frères et sœurs ! (p. 45 - 46)

C'est une blague, voilà ce que je me dis  tous les matins depuis vingt ans, en me regardant dans la glace, sous l'éclairage pourtant flatteur de ma salle de bains. Heureusement que passé un certain âge, Dieu nous envoie la presbytie. Et puis quand la presbytie ne suffit plus, l'Alzheimer prend le relais, ce qui fait que l'un dans l'autre, nous ne serons jamais tout à fait conscients de l'étendue des dégâts. Mais même avec cette faible conscience, même avec cette acuité visuelle amoindrie et cette tête qui n'y est plus vraiment, je n'en reviens toujours pas et je m'y fais encore moins. (p.147)

Jamais triste, acide et humoristique, Je viens mérite d'être lu. Même si parfois nous avons l'impression de nous égarer, au bout du compte, on apprécie ces femmes, surtout Charonne. Et puis la plume d'Emmanuelle Bayamack-Tam est tellement belle !

Alors, viens, venez et laissez-vous  guider par le fantôme du 27 Bld Belvèdère...

Bonne lecture !

jeudi 22 octobre 2015

Mon avis sur "Preuves d'amour" de Lisa Gardner

Auteure américaine, Lisa Gardner a grandi à Hillsboro, dans l’Oregon. Plusieurs thrillers à son actif, elle est considérée comme l’une des grandes dames du roman policier féminin. Elle a reçu le Grand Prix des lectrices de Elle en 2011 pour La Maison d’à côté.
Love you more a été publié aux États-Unis en 2011, traduit et publié en octobre 2013 aux Éditions Albin Michel sous le titre Preuves d'amour, il vient de paraître au format Poche. C'est donc ce thriller que j'ai choisi de chroniquer en octobre pour Le Livre de Poche.
  
Preuves d'amour ne pouvait pas commencer autrement que par cette question : "Qui aimes-tu ?" Tout un chacun devrait pouvoir répondre, y compris Tessa Léoni, officier de police respecté. Pour seule réponse elle a lentement descendu sa main et ses doigts ont frôlé la crosse de son Sig Sauer, à sa hanche.
D.D. Warren et Bobby Dodge sont chargés d'une enquête délicate. Une collègue a abattu froidement son mari de trois balles dans le corps avec son arme de service. La raison ? Elle ne supportait plus la violence de ce dernier. Il suffit de regarder Tessa Léonie pour s'en rendre compte. Ses coquards, ses blessures sont impressionnants, à tel point qu'elle est en état de commotion cérébrale. Jusque là, la routine. Mais une question taraude D.D. Warren ; Où est Sophie, la petite fille de six ans de Tessa ? Pourquoi a-t-elle mystérieusement disparu ? Et pourquoi n'est-elle pas retrouvée malgré l'alerte enlèvement ?
Tout à l'air tellement simple dans cette affaire d'homicide. Une femme battue par son mari rentre chez elle au petit matin après une nuit à traquer délinquants, criminels, soûlards et autres paumés de Boston. Elle le découvre ivre d'avoir ingurgité trop de bière et le lit de sa petite Sophie est vide. Une dispute éclate et tout dégénère. Ça c'est ce que Tessa Léonie s'évertue à faire croire, mais parfois les apparences sont trompeuses. D.D. Warren le sait et elle ne se laissera pas berner, du moins, c'est ce qu'elle pense... 
Mais qu'en est-il vraiment ? Qui était Brian Darby, le mari de Tessa, cet ingénieur maritime, maniaque et accro au sport ? Que cache cette femme ? Qui veut-elle protéger ?
Autant de questions auxquelles devront répondre D.D. Warren et Bobby Dodge. Il leur faudra trois jours pour boucler l'enquête. Trois jours c'est finalement peu, et pourtant... Vu le nombre de rebondissements, ces trois jours ne seront pas de tout repos.

C'est d'autant plus vrai que l'auteure, Lisa Gardner, joue avec nos nerfs et a tout mis en œuvre pour nous tenir en haleine. Il faut dire que la manière dont elle a construit son polar y est pour beaucoup. En effet, elle alterne le récit de Tessa Léonie et l'analyse de D.D. Warren, la policière en charge de l'enquête. Distillant au fur et à mesure les informations et les indices, le lecteur évolue au gré du duel auquel se livre ces deux policières, ces deux femmes, ces deux mères, dont l'une en devenir, celle que tout accuse et celle qui est à la recherche de la vérité.

Vous l'aurez compris, Preuves d'amour est un bon thriller. Très bien construit, tout s'emboite parfaitement, l'énigme se dévoile progressivement pour ne se résoudre qu'à la toute fin. On ne peut que regretter le côté "Rambo" de Tessa Léonie qui a une telle capacité à encaisser les coups, qu'elle en perd toute crédibilité. Dommage, ce détail nous rappelle à notre réalité, parce que pour le reste, on part vraiment. Mis à part cela, suspens et bons moments de lecture garantis. Preuves d'amour est un véritable page-turner, une fois commencé, on a beaucoup de mal à le reposer.

Et toi, qui aimes-tu ?

Bonne lecture et encore merci au Livre de Poche de sa confiance renouvelée !

mardi 6 octobre 2015

Mon avis sur "La vie est facile, ne t'inquiète pas" d'Agnès Martin-Lugand

L'aventure de mon blog littéraire a commencé avec le second livre d'Agnès Martin-Lugand, Entre mes mains le bonheur se faufile. Ce livre m'ayant plu, je m'étais promis de lire son premier roman, vendu à plus de 300 000 exemplaires, Les gens heureux lisent et boivent du café. J'avais été emportée dans le tourbillon de la vie de Diane. Mais au bout de 187 pages, il m'a fallu la laisser. Une suite était annoncée. Elle s'incarne dans ce titre qui en dit long, La vie est facile, ne t'inquiète pas.

Voici un an que Diane est rentrée d’Irlande. Elle a tourné la page sur son histoire tumultueuse avec Edward, bien décidée à reconstruire sa vie à Paris. Avec l’aide de son ami Félix, elle s’est lancée à corps perdu dans la reprise en main de son café littéraire. C’est là, aux Gens heureux lisent et boivent du café, son havre de paix, qu’elle rencontre Olivier. Il est gentil, attentionné et surtout il comprend son refus d’être mère à nouveau. Car Diane sait qu’elle ne se remettra jamais de la perte de sa fille. Pourtant, un événement inattendu va venir tout bouleverser : les certitudes de Diane quant à ses choix, pour lesquels elle a tant bataillé, vont s’effondrer les unes après les autres. Aura-t-elle le courage d’accepter un autre chemin ?

Encore une fois, Agnès Martin-Lugand aura réussi à m'emporter dans son univers ou plutôt dans celui de Diane. On retrouve l’héroïne derrière le comptoir de son café littéraire avec plaisir, prête à affronter la vie et à tourner la page.  Enfin presque. Parce que si elle parvient à faire le deuil de son mari, il n'en n'est pas de même de sa petite Clara. Et oui, derrière ce joli titre, La vie est facile, ne t'inquiète pas, c'est bien du deuil dont il est encore question. D'abord celui d'une maman, puis celui d'une fille. Pas facile de vivre quand son enfant unique a été emportée, de croiser d'autres enfants, voire de ressentir des sentiments pour eux. Pas évidemment de surmonter le deuil de celle qui vous a adoptée dans son cœur, vous considérant comme sa propre fille. Mais après tout, la mort ne fait-elle pas partie de la vie ? Et Scott Peck, célèbre psychiatre ne commence t-il pas son livre Le chemin le moins fréquenté en déclarant "la vie est difficile". Oui la vie est tantôt difficile, tantôt facile, mais toujours belle au bout du compte.

La vie est facile, ne t'inquiète pas est un roman tantôt triste, tantôt gai, mais toujours touchant et sensible. Il se lit avec émotions. Alors oui, certains n'y verront qu'une romance un peu mièvre. Peut-être. Mais La vie est facile, ne t'inquiète pas, fait du bien. Et c'est déjà ça ! 
Et côté écriture, le style d'Agnès Martin-Lugand reste fluide et léger, ce qui rend la lecture de ce livre agréable. Si La vie est facile, ne t'inquiète pas n'est pas de la grande littérature, je le reconnais bien volontiers, c'est un véritable page-turner que l'on lit avec plaisir et qui apporte une véritable bouffée d'air frais. Rien que pour ça, il mérite qu'on lui consacre quelques heures et puis pour finir cette chronique, je citerais les propos de Diane concernant les lectures de ses clients.
"J'avais voulu que Les Gens deviennent un lieu convivial, chaleureux, ouvert à tous, où toutes les littératures trouvaient leur place. Je voulais conseiller les lecteurs en leur permettant de se faire plaisir, de lire les histoires dont ils avaient envie, et ce sans avoir honte. Peu importait qu'ils veuillent  lire un prix littéraire  ou un succès populaire,  une seule chose comptait : que les clients lisent, sans avoir l'impression d'être jugés quant à leur choix. La lecture avait toujours été un plaisir pour moi, je souhaitais que les personnes qui fréquentaient mon café le ressentent, le découvrent et tentent l'aventure pour les plus réfractaires. Sur mes étagères, toutes les littératures se mélangeaient ; le polar, la littérature générale, le roman sentimental, la poésie, le young adult, les témoignages, les best-sellers et les titres plus confidentiels. 
La littérature n'est-ce pas cela ? Il est clair que si j'avais mon café littéraire (un vieux rêve pour ma part), vous y trouveriez sur les étagères La vie est facile, ne t'inquiète pas. Alors lisez-le et ne jugez surtout pas ceux qui l'ont aimé ou pas. 

Enfin, j'aurai été complète lorsque j'aurai indiqué aux inconditionnels Des Gens qu'une adaptation au cinéma est en cours.

Alors en attendant de découvrir qui incarnera les personnages, bonne lecture !