mardi 21 juillet 2015

Mon avis sur "Vernon Subutex 2" de Virginie Despentes

Rappelez-vous, en janvier dernier, paraissait le premier volume de Vernon Subutex de Virginie Despentes. J'en avais particulièrement apprécié la lecture. C'est une véritable cartographie sociologique de notre société contemporaine que l'auteure nous livrait, une vraie comédie humaine digne de Balzac.
Le deuxième opus allait-il me décevoir ? 
Et bien non, il est encore plus plaisant à lire. Un vrai régal ! Je me suis délectée de chaque page. 
Nettement moins noir que le tome 1, le second volume est l'occasion de tirer le portrait psychologique de chacun des personnages rencontré précédemment.

Vernon Subutex, ancien disquaire en galère est désormais SDF. Il squatte le quartier des Buttes-Chaumont et ignore toujours qu'il est pisté pour les enregistrements vidéo qu'il possède de son vieux pote chanteur mort d’une overdose, Alex Bleach. Très vite ces enregistrements seront découverts. Un revirement va alors s'opérer... Et si nous pensions pouvoir ranger cette saga dans la catégorie  polar, très vite il va falloir changer d'étiquette !  Celle de roman psycho-sociologique lui siérait mieux.
Virginie Despentes  nous fait prendre un virage inattendu et va dédier un chapitre à chaque personnage qui gravite autour de Vernon Subutex.  Elle
nous aidera à comprendre comment peu à peu ils  ont  laissé filer leurs rêves.
Il n'est donc plus question de sexe, de drogue, de musique, mais de portrait psychologique, d'engagement politique, le tout écrit avec finesse et humanité. Les chapitres s'enchaînent, s'imbriquent. Le rythme est soutenu et la verve qui caractérise tant l'auteure est au rendez-vous.

Extraits choisis :
La Véro, c'est de la vielle godasse, il l'enfile et il est bien dedans. Il n'y a pas de hasard, vingt ans d'affilée avec la même greluche, si moche et chiante soit-elle, c'est qu'on lui trouve quelque chose. Il ne lui avait toujours rien dit. Il avait décidé de garder ça pour lui. Il craignait que la nouvelle de sa bonne fortune se répande comme une traînée de poudre et que des hordes de femelles surgissent de derrière les fourrés, prétendant qu'il était le père de leurs enfants et réclamant des tests ADN pour profiter de son argent.
Petit à petit il s'était habitué à la situation et avait compris ce qu'il allait faire avec cet argent : rien. (p. 41)
.../...
- T'es tellement  un gros con, qu'est-ce que tu crois ? Parce qu'un oncle a dû te refiler dix mille euros en clamsant on va tous s'accrocher à toi comme des morbacs ?  Pauvre crevard, tu me fais de la peine... Vas-y crache ta Valda, de combien tu as hérité ?
- Et qu'est-ce que ça changerait, ma pauvre si je te disais que j'avais hérité ? Tu saurais quoi en faire, de l'argent ? Tu vas pas aller t'acheter des fringues - t'es bâtie comme un tonneau dans lequel on aurait mis des coups de pied, qu'est-ce que tu voudrais ?  Aller chez le coiffeur ? Il ne te reste pas quatre cheveux sur le caillou. Te faire épiler la moustache ? Si ce n'est que ça, bouge pas, je te prête un rasoir. Qu'est-ce que tu crois ? Tu te paierais une liposuccion ? Vas-y, va te faire liposucer, connasse, et laisse moi boire ma bière en paix ! (p. 44)
.../...
La Véro avait haussé les épaules, résignée à ce que ses rêves ne servent à rien mais contente de les bichonner, et avait répondu, sans hésiter : "Si j'avais de l'argent, mon coco, moi j'irais voir New York. New York, Los Angeles, le Grand Canyon et Chicago." Elle disait ça sur un ton qu'il ne lui connaissait pas, un ton sans acrimonie ni ressentiment, un ton de jeune fille en vérité, et il aurait pu se foutre de sa gueule de baisser la garde si facilement mais il s'est laissé faire, il s'était laisser toucher. Elle avait ça en stock, la vieille salope. Elle ne se doutait pas qu'il pouvait lui payer le voyage, c'était sorti comme ça, ni pour faire la maligne, ni pour l'entourlouper. Elle avait mis ça de côté, quelque chose qui lui faisait envie, un truc à caresser. Vingt ans qu'il se la cognait de bar en bar à la tenir quand elle trébuchait, à l'écouter vomir chez lui, et jamais elle ne lui avait parlé de ça. Et la voilà qui souriait, de toutes ses dents pourries - elle a encore tous ses chicots mais vu la couleur et l'état, ça aurait été plus hygiénique qu'ils tombent. Il l'avait rabrouée, par habitude. Mais elle l'avait épaté. (p. 45)

.../...

Mélenchon est meilleur que Marine, sur tous les plans. Son seul problème, pour plaire, c'est qu'il n'est pas raciste. Les gars se sont tellement fait nettoyer la tête, depuis dix ans, que le seul truc qui les obsède, c'est pouvoir dégueuler leur haine du bougnoule. On leur a confisqué toute la dignité que  des siècles de lutte leur avait conférée, il n'y a pas un moment dans la journée où ils ne se sentent pas traités comme des poulets qu'on plume, et la seule putain de combine qu'on leur a vendue pour se sentir moins nuls, c'est de brailler qu'ils sont blancs et qu'à ce titre ils devraient avoir le droit de mater du basané. Et de la même façon que les gamins de banlieue crament les voitures en bas de chez eux et n'attaquent jamais le XVIè, le Français précaire tape sur son voisin de transport en commun. Il reste docile même dans ses agacements : à la télé, la veille, on lui a fait savoir qu'il y avait plus dégradé que lui, plus endetté, plus misérable : le Noir qui pue, le musulman qui tue, le Rom qui vole. Tandis que ce qui constituait la véritable culture de ce peuple français, les acquis sociaux, l’Éducation nationale, les grandes théories politiques, a été démantelé, consciemment - le tour de force de cette dictature du nanti aura été sa manipulation des consciences. L’alliance banques-religions et multinationales a gagné cette bataille. Ils ont obtenu du citoyen sans patrimoine qu'il renonce à tous ses droits, en échange d'avoir accès à la nostalgie de son impérialisme. Là encore, camarade, tu te fais avoir : si tu crois que le trésor des colonies était pour tout le monde, déjà à l'époque on ne t'octroyait que le droit de te sentir blanc, c'est-à-dire un peu mieux traité que ton collègue qui ne l'était pas. Du mineur au mouton qui pousse son caddie, on n'aura pas vécu longtemps sous le règne du citoyen instruit. (p. 68 & 69).

J'arrête là, sinon je vais finir par recopier le livre... 
Quelles tirades ! Quel talent ! Et chaque page est du même acabit.
Vous l'aurez compris, je suis totalement sous le charme des Vernon Subutex de Virginie Despentes. Un conseil, si ce n'est pas encore fait, lisez-les, sinon, vous risqueriez de passer à côté d'un chef-d’œuvre.


Et s'il vous plaît les Éditions Grasset, envoyez le tome 3, je suis prête.

Bonne lecture !

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