jeudi 31 décembre 2015

2015 Le Livre de Poche, 2016 les Editions Points


En 2015 j'ai été membre du jury du Prix des Lecteurs dans la catégorie Littérature pour Le Livre de poche, en 2016 je continue l'expérience avec Les Éditions Points.  

 

Le jury du Prix du Meilleur Roman des lecteurs des Éditions Points est composé de 40 lecteur(rice)s et de 20 libraires. Pour 2016, ce prix est placé sous la présidence de l'écrivain Philippe Delerm.




Voici la sélection des quatre premiers romans :
1. Retour à Little Wing, de Nicolas Butler,
2. La vie amoureuse de Nathaniel P. d'Adèle Waldman,
3. Les réputations de Juan Gabriel Vasquez,
4. Passent les heures, de Justin Gakuto Go.

Autrement dit, 2016 sera pour moi encore une année placée sous le signe de la lecture et de la découverte d'auteur(e)s. Encore de beaux moments de lecture et de partage bien sûr !

Belle lecture en attendant que 2016 arrive... 

dimanche 27 décembre 2015

Mon avis sur "Les quatre saisons de l'été" de Grégoire Delacourt

L'été évoque les vacances, le bord de mer, l'amour. Et si je vous dis 14 juillet, vous pensez évidemment feu d'artifice et bal des pompiers. Et bien Les quatre saisons de l'été c'est exactement cela. Ce sont des histoires d'amour que Grégoire Delacourt a choisi de nous susurrer au creux de l'oreille. Les quatre saisons de l'été ce sont quatre visages de l'amour, quatre couples à quatre âges de la vie. Même lieu, même temps. Les histoires se déroulent toutes au Touquet durant le dernier 14 juillet du siècle. Cet été-là, l'été 1999, Francis Cabrel chantait Hors saison

La saison s'ouvre avec Louis, adolescent solitaire et romantique de 15 ans, passionnément épris de Victoire, 13 ans. Son amour n’est malheureusement pas partagé. Mais Louis a appris de sa mère que les chagrins d'amour sont aussi une forme d'amour.
Isabelle, 35 ans est maman d'un petit garçon de 9 ans. Un jour son mari s'est levé, lui a souri et lui a dit que c'était fini. Il s'est dirigé vers la porte, est parti sans rien emporter, sans se retourner. Elle ne l'a plus jamais revu. Amputée d'un corps, Isabelle a enterré les années passées avec son mari dans un cercueil vide. Plus tard, elle a noyé sa peine dans les bras des hommes. Et son chagrin des hommes a commencé là. En sauvant un vieil homme de la noyade, Isabelle a retrouvé aux urgences son amour d'enfance. Mais on ne doit pas redonner vie à nos amours d'enfance. On doit les laisser là où elles sont : dans l'obscurité confortable des souvenirs. Isabelle l'apprendra à ses dépens.
Monique 55 ans est mariée à Richard. Ils ont eu trois garçons ensemble. Mais après des années de joyeuses cacophonies, ils se retrouvent dans un insupportable silence. Le soir elle montait tôt, lui le soir, il lisait tard. Monique décide alors de quitter le domicile conjugal pour refaire sa vie. Elle abandonnera tout y compris son prénom. Au Touquet elle décide de devenir Louise. Sur la plage cet été-là elle rencontrera un homme merveilleux, son homme.
Les quatre saisons de l'été s'achèvent avec Pierre et Rose. Ils forment un couple attendrissant. Ils s'aiment depuis plus de 50 ans. Mais âgés et menacés par la maladie, ils décident de se suicider ensemble par amour pour échapper aux ravages du temps. C'est au Touquet qu'ils échoueront. 

Quatre âges de la vie, quatre saisons, quatre façons différentes d'appréhender l'amour. Grégoire Delacourt nous livre ici quatre récits qui s'entremêlent délicatement.  Les sentiments sont décrits avec magnificence, justesse et finesse.  Éminemment mélancolique et nostalgique, ce roman est rempli d'espoir. Une fois de plus, Grégoire Delacourt nous régale de sa plume sensible, délicate et poétique. Parce que l'amour n'a pas de saison, Les quatre saisons de l'été est à découvrir tout au long de l'année. Alors n'hésitez plus,  plongez !

Belle lecture !

samedi 26 décembre 2015

Mon avis sur "Une putain d'histoire" de Bernard Minier

Depuis 2011 et la parution de son premier roman Glacé Bernard Minier vit une putain d'aventure. De l’administration des douanes au grand bain de l’écriture, il n'y avait qu'un pas que Bernard Minier a franchi avec succès. Ses romans et surtout son héros, le commandant Servaz, sont toujours très attendus. Mais pour ce quatrième roman, exit le commandant Servaz et les Pyrénées. Une putain d'histoire est un hommage au thriller américain. Il nous faut donc traverser l'Atlantique, direction Glass Island, une petite île de l'état de Washington, entre Seattle et Vancouver, tout au nord-ouest des États-Unis.

Henry, seize ans, aime les livres, les films d'horreur, les orques et Nirvana. Henry est un ado comme les autres. Après avoir beaucoup voyagé, déménagé, il vit depuis sept ans sur Glass Island qui une fois les touristes repartis, retrouve son calme, sa promiscuité. Sur l’île battue par les flots, tout le monde connaît tout le monde, personne n'a de secrets ou alors ils sont bien enfouis...  Henry vit avec ses deux mamans adoptives.  Il a sa bande de copains et une petite amie, Naomi. Entre eux c'était pour la vie et leur mantra était JMNS : Jusqu'à ce que la Mort Nous Sépare. Et justement, la mort va les séparer. Après s'être disputé avec elle, sur le ferry les ramenant de l'école, Henry n'aura plus de nouvelles de Naomi. Et pour cause, le lendemain son corps sera découvert  sur une plage de l'île. Évidemment,  Henry a le profil du suspect idéal. Tout l'accuse même les réseaux sociaux. Prêt à tout pour prouver son innocence, l'adolescent va mener l'enquête avec ses copains. Parallèlement, un homme politique en passe d'être élu gouverneur va s’intéresser à lui. Voilà pour le décor et l'ambiance.
Sous fond d'écoutes, de nouvelles technologies, de vent, de pluie, de tempête, peu à peu les secrets des uns et des autres vont se révéler, l'angoisse va monter crescendo.

Une putain d'histoire est un putain de thriller ! C'est un roman vraiment abouti. On y retrouve l'ambiance de Glacé, notamment parce que les personnages sont confinés dans un lieu isolé au climat hostile. Comme toujours avec Bernard Minier,  les personnages sont particulièrement léchés, donc totalement crédibles. Internet et ses travers est un des thèmes centraux d'Une putain d'histoire, décrit comme un outil de contrôle glaçant, une intrusion grandissante dans nos vies. Quant à l'intrigue, elle est tout bonnement magistrale et nous tient en haleine jusqu'à la dernière page.
Au commencement est la peur.
La peur de se noyer.
La peur des autres, ceux qui me détestent, ceux qui veulent ma peau.
Autant vous le dire tout de suite : Ce n’est pas une histoire banale. Ça non. c’est une putain d’histoire. Ouais, une putain d’histoire…
Une putain d'histoire a reçu en octobre dernier le prix du meilleur roman francophone au festival de Cognac. Une putain de trajectoire pour cet auteur qui a été primé deux fois à Cognac, du jamais vu. Chapeau bas Monsieur Minier !  

2016 devrait connaître le retour de Servaz, d'Hirtmann et de Gustav Mahler. Je les attends  avec impatience.

D'ici là, bonne putain de lecture !

mardi 22 décembre 2015

Mon avis sur "Miettes de sang" de Claire Favan

Miettes de sang est le quatrième thriller de Claire Favan. Quatre romans, quatre succès, de quoi en énerver plus d'un(e) ! De plus, et parce qu'elle travaille dans la finance, Claire Favan n'écrit que sur son temps de loisir, de quoi mettre un peu plus la pression...
Le tueur intime, son premier thriller a reçu le Prix VSD du Polar 2010 ainsi que le Prix Sang pour Sang Polar en 2011. Le tueur de l'ombre,  son second roman n'est autre que la suite de son roman précédent. Tous deux sont à tomber.  Ils sont à tomber parce que Claire Favan a une patte bien à elle. En effet, elle sait tenir le lecteur en haleine, jouer avec ses nerfs et j'avoue que ça fonctionne à merveille. On se surprend même à fermer les yeux tellement l'angoisse est présente. Ça c'était avant... Car Claire Favan sait se renouveler, ce qui est une qualité. J'ai eu l'occasion de le constater avec Apnée noire et de nouveau avec Miettes de sang. Un seul point commun entre tous ses thrillers, ses personnages trimballent toujours un sacré pathos et leur profil psychologique est toujours très léché.
Le lieutenant Dany Myers est officier de police dans une petite ville du Midwest américain. Son père y était commissaire. Lorsqu’il a brutalement disparu, Dany a tout naturellement voulu prendre la relève. Mais cet « héritage » est encombrant et il est mal perçu de ses supérieurs. On lui confie plutôt les tâches subalternes et ses collègues gardent leurs distances.
Sa vie sentimentale n’est pas non plus une réussite, longue suite d’échecs et d’occasions manquées. C’est un homme seul et pessimiste. Jusqu’à ce qu’il soit, par hasard, confronté à un bien étrange suicide que ses supérieurs veulent classer à tout prix et au plus vite. Mais Dany a un défaut, il est têtu…

Dany est tout sauf un héros. A 34 ans il vit encore chez sa mère qui lui loue un studio au-dessus du garage. La mère de Dany est une femme castratrice, autoritaire, qui passe son temps à le rabrouer avec sécheresse. Elle dirige sa vie, toute sa vie y compris sa vie sentimentale. Au bureau, Dany n'est pas mieux considéré. Il est la risée de ses collègues qui lui réservent exclusivement les sales besognes. Dany est un benêt rejeté et méprisé de tous.
Et au milieu de cette équipe, il y a Dany, le parachuté. Ben se demande un instant comment cette raclure de fond de chiotte a pu atteindre le grade de lieutenant alors que lui a dû cravacher pour l'obtenir. La simple vue de ce type mou et sans caractère le révulse. 
Dany a beau être un tantinet naïf, il ne croit pas aux suicides en série que connaît Poplar bluff. Obtus il va mener l'enquête seul et contre tous. Il fera de macabres découvertes et découvrira que ses collègues sont loin d'être irréprochables...

Au gré des pages,
Claire Favan sème ses Miettes de sang dont  nous nous délectons, tel un vampire. La tension monte crescendo, jusqu'à la dernière page. Si au gré des chapitres, nous devinons l'issue de l'enquête, il n'en demeure pas moins que la fin est inattendue. Et côté écriture c'est fluide, rythmé, poisseux parfois. En un mot : efficace.
Même si j'ai une préférence pour ses deux premiers livres, le  quatrième roman de Claire Favan
se dévore. Encore une belle réussite pour elle et un bon moment de lecture pour nous.

Bonne lecture !

lundi 21 décembre 2015

Mon avis sur "Je suis Pilgrim" de Terry Hayes

Je suis Pilgrim est le grand vainqueur du Prix des Lecteurs 2015  du Livre de Poche dans la catégorie Polar. A en croire les critiques, c'était le polar à ne surtout pas rater, du genre, si tu n'as pas lu Pilgrim, tu as raté ta vie ! Alors, faible lectrice que je suis, je n'ai pas su résister... Et grand bien m'a pris !

Je suis Pilgrim est un roman d’espionnage exceptionnel. 906 pages et pas une seule ne m'a ennuyée ! Il faut dire que Terry Hayes est scénariste alors forcément ça aide. Certes, mais Je suis Pilgrim est son premier roman. Respect ! Je suis Pilgrim est intelligemment construit. L'auteur consacre la moitié de son roman à nous planter le décor et la psychologie des personnages. Un véritable coup de maître !
Je suis Pilgrim commence avec une jeune femme assassinée dans un hôtel sinistre de Manhattan. Un père est décapité en public sous le soleil cuisant d’Arabie Saoudite. Un chercheur est torturé devant un laboratoire syrien ultra-secret. En Turquie, un jeune homme milliardaire meurt accidentellement, du moins en apparence. Pendant ce temps, le Sarrasin, un islamiste anonyme et solitaire, prépare sa vengeance : un effroyable crime contre l'humanité. Et en fil rouge, reliant ces événements, un homme répondant au nom de Pilgrim. Pilgrim est le nom de code d’un individu qui n’existe pas officiellement. Il a autrefois dirigé une unité d’élite des services secrets américains. Avant de se retirer dans l’anonymat le plus total, Peter Campbell a écrit le livre de référence sur la criminologie et la médecine légale sous le pseudonyme de Jude Garrett. Mais son passé d’agent secret va bientôt le rattraper et il va devoir renoncer temporairement à sa retraite pour reprendre du service. Peter part traquer le sarrasin assisté de Ben Bradley, flic et héros modeste du 11 septembre. Je suis Pilgrim nous emmène de New York à Paris, en passant par Bodrum, l'Italie, l'Arabie Saoudite, dans les montagnes d'Afghanistan et en Syrie. On voyage à un rythme très très soutenu, au rythme de la traque.

Je suis Pilgrim n'est pas seulement un bon thriller, c'est aussi un bon roman d'aventure sans aucun temps mort. Je suis Pilgrim fonctionne parce que Terry Hayes met en scène non pas des supers héros qui font tomber toutes les femmes, d'ailleurs il n'y en a pas qui gravitent autour de Pilgrim, mais de bons professionnels. De surcroît, Je suis Pilgrim fonctionne parce que l'auteur décrit parfaitement le contexte géopolitique et prend le temps de nous dévoiler la psychologie de ses personnages. Il nous démontre avec empathie qu'on ne naît pas terroriste, on le devient. Terry Hayes nous dévoile ce qui a amené un petit garçon sur le chemin du djihad. Un récit passionnant, bien que tristement d'actualité. 

Je suis Pilgrim résonne à Je suis Charlie ou plus dernièrement Je suis Paris. Il nous reste à espérer que quelque part dans le monde  Je suis Pilgrim existe. En attendant de le savoir, et avant de découvrir Je suis Pilgrim sur votre toile préférée (ce roman est en cours d'adaptation au cinéma), je ne peux que vous encourager à lire voire, à offrir Je suis Pilgrim. Un très bon thriller à ne pas rater.

Bonne lecture !

dimanche 22 novembre 2015

Mon avis sur "Debout-payé" de Gauz

Gauz est le nom d'auteur d'Armand Patrick Gbaka-Brédé, né à Abidjan, en Côte d'Ivoire. Photographe, scénariste, rédacteur en chef d'un journal économique satirique ivoirien, Gauz est également auteur du roman Debout-Payé qui vient de paraître au format PocheC'est ce roman que j'ai choisi de chroniquer ce mois-ci pour Le Livre de Poche. 

Salué par la critique, notamment pour la qualité de son style, pour sa satire à la fibre sociale et son humour, Debout-payé a reçu le prix des libraires Gibert Joseph.

Rester debout pour gagner sa pitance, telle est la signification de Debout-payé. Au motif que "les Noirs sont costauds, les Noirs sont grands, les Noirs sont forts, les Noirs sont obéissants, les Noirs font peur", les Noirs sont faits pour être vigile. Un métier debout-payé qui leur sied si bien...

Debout-payé est le roman d'Ossiri, étudiant ivoirien devenu vigile après avoir atterri sans papiers à Paris en 1990. Gauz porte un regard critique sur nos comportements de consommateurs à travers certes, le prisme du Camaïeu de Bastille et le Séphora des Champs-Elysées, pourtant l'essentiel du livre est ailleurs.
Debout-payé
traite avant tout des relations politiques entre la France et l'Afrique, de la colonisation et de l'épopée de l'immigration africaine. Debout-payé raconte comment les sans-papiers sont parqués dans des cités HLM où "visiblement, les urbanistes, qui avaient dessiné les plans des Courtilleraies ne buvaient pas que de l'eau claire", comment "ils vivent seul sur le fil tendu au-dessus du précipice de la reconduite à la frontière". Cette reconduite à la frontière qui inspira longtemps à Ossiri "un voyage bucolique à travers prés et champs, accompagné par une cour joyeuse et bruyante, jusqu'à une frontière imaginaire pleine de mystères enchanteurs". Loin d'être naïf, Ossiri savait qu'avant la reconduite à la frontière, il y avait la case prison.    

Debout-payé est un roman social et sociétal cruellement d'actualité. De la tolérance à l'intolérance. De l'âge de bronze (1960-1980) qui a toléré les sans-papiers, à l'âge d'or (1990-2000) qui leur a permis de travailler et d'envoyer de l'argent au pays, pour finalement aboutir à l'âge de plomb, post 11 septembre où le monde a basculé dans la paranoïa. Ossiri comme tant d'autres, perdra son travail et ne vivra plus qu'avec la peur. La peur d'être reconduit à la frontière. 

Parallèlement à la condition de ces migrants, c'est une comédie humaine qui se joue. Gauz plaide la cause de ces Debout-payés que l'on ne voit pas et à qui pourtant, rien n'échappe, pas même nos dérives consuméristes. C'est avec un certain humour un brin caustique que Gauz nous interpelle. Réflexe de photographe oblige, une série d'instantanés vient illustrer son plaidoyer pour ces hommes qui veillent sur notre sécurité et celle des produits de luxe. Le ton de Debout-payé est vif, sarcastique. Sa construction est habile. Gauz alterne légèreté et gravité, les clichés et le récit de l'immigration africaine. 

Alors, pour mieux comprendre les migrants, pour porter un autre regard sur ceux qui assurent notre sécurité dans les magasins que nous fréquenterons malgré tout à l'approche des fêtes, Debout-payé est un roman à découvrir.
 
Bonne lecture et encore merci au Livre de Poche !

jeudi 29 octobre 2015

Mon avis sur "Je viens" d'Emmanuelle Bayamack-Tam

Emmanuelle Bayamack-Tam est agrégée de lettres modernes, née à Marseille, elle vit et enseigne le français en région parisienne. Elle a publié deux pièces, huit romans et obtenu le prix Alexandre-Vialate en 2013 pour "Si tout n'a pas péri avec mon innocence". Elle a sévi également dans le genre policier, sous le pseudonyme de Rebecca Lignieri.

Je viens, paru en janvier 2015 était dans ma pile à lire depuis le printemps dernier. Je l'ai enfin lu. Grand bien m'a pris ! L'écriture est belle, très belle. Les sujets abordés : le racisme, la vieillesse, la maladie,  l'amour, le manque d'amour, l'abandon, la famille recomposée, l'argent, ses travers, les trahisons, les désillusions et tant d'autres. Tous nous incitent à la réflexion. Ajoutez-y un fantôme et nous voici embarqué dans un conte philosophique.
Je viens, c'est trois portraits de femmes. Une fille, sa grand-mère et sa mère. Elles prennent successivement la parole. C'est Charonne qui ouvre le bal. Charonne a vingt ans. Née d'une mère rwandaise qui s'est fait violer par un soldat belge, Charonne a été abandonnée à la naissance. Adoptée à cinq ans, elle sera abandonnée une seconde fois par sa famille d'adoption. Charonne a six ans quand elle se retrouve avec ses parents adoptifs dans le bureau de l'aide sociale à l'enfance pour sa restitution. C'est que Charonne est une petite fille noire, grosse, avec de la paille sur la tête en guise de cheveux. Elle est loin des standards attendus. Alors, comme ses parents adoptifs ne peuvent se débarrasser d'elle, ils la garderont bon gré, mal gré. Charonne grandira dans l'indifférence de tous, sans amour, ni tendresse mais dans une maison bourgeoise du boulevard du Belvédère à Marseille.  Ses grands-parents adoptifs y habitent également. Charonne ne connaîtra que le racisme et le rejet jusqu'au jour où sa grand-mère adoptive prendra conscience de la situation de Charonne et lui ouvrira son cœur. Loin d'être complexée par sa couleur de peau et son surpoids, Charonne est une jeune fille intelligente dotée de répartie, d'autodérision et d'humour. Elle est généreuse et bienveillante à l'égard des membres de sa famille adoptive. Le racisme est son quotidien, elle fait avec. Charonne a un rêve, elle veut devenir une vedette comme sa grand-mère, Nelly.
Nelly porte un regard très ironique et caustique sur sa vie, notamment sur sa vie amoureuse et sexuelle, mais également sur la femme qu'elle est devenue. Autrefois très belle et très convoitée, elle reste obsédée par son apparence. Bien qu'elle soit toujours très coquette malgré ses quatre-vingt-huit printemps, Nelly n'est pas aussi superficielle qu'elle voudrait nous le faire croire. C'est la seule qui manifestera de l'intérêt et de l'affection pour Charonne. C'est en  parlant de son sujet favori, à savoir, elle-même, que Nelly sensibilisera Charonne aux relations mère-fille, homme-femme, à la nécessité de se fixer des objectifs dans la vie, cette vie qui passe trop vite, bien trop vite et dont il faut jouir avant de devenir sénile. Nelly apporte un regard touchant et très lucide sur la vieillesse et la maladie.
Nelly est plus proche de Charonne que de sa propre fille, Gladys, que rien ne semble toucher. Et pourtant au fur et à mesure que Gladys s'exprime, ses blessures jaillissent. Une mère trop occupée à gérer sa carrière de pseudo-actrice, un père qui voue une passion au genre féminin, ce n'est qu'avec Régis, son "frère d'alliance", à la suite du remariage de sa mère avec Charlie, que Gladys trouvera un équilibre. Frère d'alliance deviendra époux. Un vrai Vaudeville !


Malgré ces quelques lignes, Je viens reste un livre assez indescriptible. Réalité et fiction, passé et présent se mêlent et se confondent. Je viens bouscule les traditions familiales et est surtout une belle description du racisme ordinaire et de la vieillesse,  jugez plutôt :
J'ai six ans, j'en ai dix, j'en ai treize, Charlie perd la tête mais j'ai toute la mienne et elle est aussi bien faite que bien pleine, en dépit des commentaires désobligeants qu'elle s'attire :
- Tiens, t'as encore amené ta guenon ?
- Qu'est-ce qu'elle est vilaine !
- Ben dis donc, celle-là, tu vas avoir du mal à la marier !
- Elle va à l'école ? Ils ont réussi à lui apprendre à lire ? Ah
  ils sont forts, les profs d'aujourd'hui !
- Penses-tu ! Elle sait même pas parler !
- A part le langage des singes, quand elle veut sa banane !
- Y'a bon banane !
- Note que y'a le zoo, pas loin : t'as qu'à la mettre avec ses
  frères et sœurs ! (p. 45 - 46)

C'est une blague, voilà ce que je me dis  tous les matins depuis vingt ans, en me regardant dans la glace, sous l'éclairage pourtant flatteur de ma salle de bains. Heureusement que passé un certain âge, Dieu nous envoie la presbytie. Et puis quand la presbytie ne suffit plus, l'Alzheimer prend le relais, ce qui fait que l'un dans l'autre, nous ne serons jamais tout à fait conscients de l'étendue des dégâts. Mais même avec cette faible conscience, même avec cette acuité visuelle amoindrie et cette tête qui n'y est plus vraiment, je n'en reviens toujours pas et je m'y fais encore moins. (p.147)

Jamais triste, acide et humoristique, Je viens mérite d'être lu. Même si parfois nous avons l'impression de nous égarer, au bout du compte, on apprécie ces femmes, surtout Charonne. Et puis la plume d'Emmanuelle Bayamack-Tam est tellement belle !

Alors, viens, venez et laissez-vous  guider par le fantôme du 27 Bld Belvèdère...

Bonne lecture !

jeudi 22 octobre 2015

Mon avis sur "Preuves d'amour" de Lisa Gardner

Auteure américaine, Lisa Gardner a grandi à Hillsboro, dans l’Oregon. Plusieurs thrillers à son actif, elle est considérée comme l’une des grandes dames du roman policier féminin. Elle a reçu le Grand Prix des lectrices de Elle en 2011 pour La Maison d’à côté.
Love you more a été publié aux États-Unis en 2011, traduit et publié en octobre 2013 aux Éditions Albin Michel sous le titre Preuves d'amour, il vient de paraître au format Poche. C'est donc ce thriller que j'ai choisi de chroniquer en octobre pour Le Livre de Poche.
  
Preuves d'amour ne pouvait pas commencer autrement que par cette question : "Qui aimes-tu ?" Tout un chacun devrait pouvoir répondre, y compris Tessa Léoni, officier de police respecté. Pour seule réponse elle a lentement descendu sa main et ses doigts ont frôlé la crosse de son Sig Sauer, à sa hanche.
D.D. Warren et Bobby Dodge sont chargés d'une enquête délicate. Une collègue a abattu froidement son mari de trois balles dans le corps avec son arme de service. La raison ? Elle ne supportait plus la violence de ce dernier. Il suffit de regarder Tessa Léonie pour s'en rendre compte. Ses coquards, ses blessures sont impressionnants, à tel point qu'elle est en état de commotion cérébrale. Jusque là, la routine. Mais une question taraude D.D. Warren ; Où est Sophie, la petite fille de six ans de Tessa ? Pourquoi a-t-elle mystérieusement disparu ? Et pourquoi n'est-elle pas retrouvée malgré l'alerte enlèvement ?
Tout à l'air tellement simple dans cette affaire d'homicide. Une femme battue par son mari rentre chez elle au petit matin après une nuit à traquer délinquants, criminels, soûlards et autres paumés de Boston. Elle le découvre ivre d'avoir ingurgité trop de bière et le lit de sa petite Sophie est vide. Une dispute éclate et tout dégénère. Ça c'est ce que Tessa Léonie s'évertue à faire croire, mais parfois les apparences sont trompeuses. D.D. Warren le sait et elle ne se laissera pas berner, du moins, c'est ce qu'elle pense... 
Mais qu'en est-il vraiment ? Qui était Brian Darby, le mari de Tessa, cet ingénieur maritime, maniaque et accro au sport ? Que cache cette femme ? Qui veut-elle protéger ?
Autant de questions auxquelles devront répondre D.D. Warren et Bobby Dodge. Il leur faudra trois jours pour boucler l'enquête. Trois jours c'est finalement peu, et pourtant... Vu le nombre de rebondissements, ces trois jours ne seront pas de tout repos.

C'est d'autant plus vrai que l'auteure, Lisa Gardner, joue avec nos nerfs et a tout mis en œuvre pour nous tenir en haleine. Il faut dire que la manière dont elle a construit son polar y est pour beaucoup. En effet, elle alterne le récit de Tessa Léonie et l'analyse de D.D. Warren, la policière en charge de l'enquête. Distillant au fur et à mesure les informations et les indices, le lecteur évolue au gré du duel auquel se livre ces deux policières, ces deux femmes, ces deux mères, dont l'une en devenir, celle que tout accuse et celle qui est à la recherche de la vérité.

Vous l'aurez compris, Preuves d'amour est un bon thriller. Très bien construit, tout s'emboite parfaitement, l'énigme se dévoile progressivement pour ne se résoudre qu'à la toute fin. On ne peut que regretter le côté "Rambo" de Tessa Léonie qui a une telle capacité à encaisser les coups, qu'elle en perd toute crédibilité. Dommage, ce détail nous rappelle à notre réalité, parce que pour le reste, on part vraiment. Mis à part cela, suspens et bons moments de lecture garantis. Preuves d'amour est un véritable page-turner, une fois commencé, on a beaucoup de mal à le reposer.

Et toi, qui aimes-tu ?

Bonne lecture et encore merci au Livre de Poche de sa confiance renouvelée !

mardi 6 octobre 2015

Mon avis sur "La vie est facile, ne t'inquiète pas" d'Agnès Martin-Lugand

L'aventure de mon blog littéraire a commencé avec le second livre d'Agnès Martin-Lugand, Entre mes mains le bonheur se faufile. Ce livre m'ayant plu, je m'étais promis de lire son premier roman, vendu à plus de 300 000 exemplaires, Les gens heureux lisent et boivent du café. J'avais été emportée dans le tourbillon de la vie de Diane. Mais au bout de 187 pages, il m'a fallu la laisser. Une suite était annoncée. Elle s'incarne dans ce titre qui en dit long, La vie est facile, ne t'inquiète pas.

Voici un an que Diane est rentrée d’Irlande. Elle a tourné la page sur son histoire tumultueuse avec Edward, bien décidée à reconstruire sa vie à Paris. Avec l’aide de son ami Félix, elle s’est lancée à corps perdu dans la reprise en main de son café littéraire. C’est là, aux Gens heureux lisent et boivent du café, son havre de paix, qu’elle rencontre Olivier. Il est gentil, attentionné et surtout il comprend son refus d’être mère à nouveau. Car Diane sait qu’elle ne se remettra jamais de la perte de sa fille. Pourtant, un événement inattendu va venir tout bouleverser : les certitudes de Diane quant à ses choix, pour lesquels elle a tant bataillé, vont s’effondrer les unes après les autres. Aura-t-elle le courage d’accepter un autre chemin ?

Encore une fois, Agnès Martin-Lugand aura réussi à m'emporter dans son univers ou plutôt dans celui de Diane. On retrouve l’héroïne derrière le comptoir de son café littéraire avec plaisir, prête à affronter la vie et à tourner la page.  Enfin presque. Parce que si elle parvient à faire le deuil de son mari, il n'en n'est pas de même de sa petite Clara. Et oui, derrière ce joli titre, La vie est facile, ne t'inquiète pas, c'est bien du deuil dont il est encore question. D'abord celui d'une maman, puis celui d'une fille. Pas facile de vivre quand son enfant unique a été emportée, de croiser d'autres enfants, voire de ressentir des sentiments pour eux. Pas évidemment de surmonter le deuil de celle qui vous a adoptée dans son cœur, vous considérant comme sa propre fille. Mais après tout, la mort ne fait-elle pas partie de la vie ? Et Scott Peck, célèbre psychiatre ne commence t-il pas son livre Le chemin le moins fréquenté en déclarant "la vie est difficile". Oui la vie est tantôt difficile, tantôt facile, mais toujours belle au bout du compte.

La vie est facile, ne t'inquiète pas est un roman tantôt triste, tantôt gai, mais toujours touchant et sensible. Il se lit avec émotions. Alors oui, certains n'y verront qu'une romance un peu mièvre. Peut-être. Mais La vie est facile, ne t'inquiète pas, fait du bien. Et c'est déjà ça ! 
Et côté écriture, le style d'Agnès Martin-Lugand reste fluide et léger, ce qui rend la lecture de ce livre agréable. Si La vie est facile, ne t'inquiète pas n'est pas de la grande littérature, je le reconnais bien volontiers, c'est un véritable page-turner que l'on lit avec plaisir et qui apporte une véritable bouffée d'air frais. Rien que pour ça, il mérite qu'on lui consacre quelques heures et puis pour finir cette chronique, je citerais les propos de Diane concernant les lectures de ses clients.
"J'avais voulu que Les Gens deviennent un lieu convivial, chaleureux, ouvert à tous, où toutes les littératures trouvaient leur place. Je voulais conseiller les lecteurs en leur permettant de se faire plaisir, de lire les histoires dont ils avaient envie, et ce sans avoir honte. Peu importait qu'ils veuillent  lire un prix littéraire  ou un succès populaire,  une seule chose comptait : que les clients lisent, sans avoir l'impression d'être jugés quant à leur choix. La lecture avait toujours été un plaisir pour moi, je souhaitais que les personnes qui fréquentaient mon café le ressentent, le découvrent et tentent l'aventure pour les plus réfractaires. Sur mes étagères, toutes les littératures se mélangeaient ; le polar, la littérature générale, le roman sentimental, la poésie, le young adult, les témoignages, les best-sellers et les titres plus confidentiels. 
La littérature n'est-ce pas cela ? Il est clair que si j'avais mon café littéraire (un vieux rêve pour ma part), vous y trouveriez sur les étagères La vie est facile, ne t'inquiète pas. Alors lisez-le et ne jugez surtout pas ceux qui l'ont aimé ou pas. 

Enfin, j'aurai été complète lorsque j'aurai indiqué aux inconditionnels Des Gens qu'une adaptation au cinéma est en cours.

Alors en attendant de découvrir qui incarnera les personnages, bonne lecture !

vendredi 18 septembre 2015

Et voici, les lauréats du Prix des lecteurs 2015 du Livre de Poche

Hier soir, Le Livre de Poche a réuni des auteurs, des libraires, des journalistes, des éditeurs et les membres du jury du Prix des lecteurs 2015 dans le splendide hôtel Potocki à Paris, pour la remise des prix aux heureux élus.

Dans la catégorie Polar, c'est Je suis Pilgrim de Terry Hayes qui a a été primé. Il paraît que s'il n'y avait qu'un polar à lire cette année, ce serait celui-ci. Qu'à cela ne tienne, je vais le lire.

Dans la catégorie Littérature, ce sont deux romans qui ont, ex æquo, remporté le prix :  Évidemment, l'excellent Le quatrième mur de Sorj Chalandon. Il a également reçu le prix Choix des Libraires 2015. Et le second roman, est justement le premier roman de M.L. Stedman, Une vie entre deux océans.

Vous retrouverez mes avis sur ces deux romans, ici : Le quatrième mur et Une vie entre deux océans.

Hier soir, parmi les trois lauréats, seul Sorj Chalandon assistait à la soirée. Terry Hayes et M.L. Stedman étant australiens, ils n'ont pas fait le déplacement et on les comprend. Outre la nationalité, ces auteurs ont un autre point commun, leur roman est en cours d'adaptation au cinéma. A suivre, donc...

Sorj Chalandon s'est bien sûr exprimé. C'est un écrivain très humble et d'une grande humanité. Il s'est dit très touché de recevoir le Prix des lecteurs, car selon lui, il n'y a pas plus belle récompense que celle des lecteurs. "C'est le bonheur !" a-t-il dit.

Ayant voté pour Sorj Chalandon, je m'étais bien évidemment rendue à cette soirée avec mon exemplaire de son quatrième mur avec le secret espoir de pouvoir me le faire dédicacer. Et parce qu'il est tout à fait accessible et s'est rendu disponible, j'ai pu non seulement obtenir ma dédicace, mais également avoir un échange très sympathique avec lui. Je l'en remercie très  chaleureusement.
 
Mon aventure  en tant que jurée du Prix des lecteurs 2015, s'achève donc sur cette
gentille dédicace. Encore merci pour tout au Livre de Poche. Et si une page se tourne, je poursuis l'aventure avec cette maison d'édition, non pas en tant que jurée, mais en tant que bloggeuse :-)

Encore de beaux moments de lecture en perspective !

mercredi 16 septembre 2015

Mon avis sur "Petites scènes capitales" de Sylvie Germain


Sylvie Germain est une femme lettrée, c'est le moins que l'on puisse dire ! Après des études de philosophie et quelques voyages notamment dans les pays de l'Est, elle s'adonne à l'écriture. Ses œuvres plaisent. Pour preuve, voici trente ans, que Sylvie Germain collectionne les succès et les prix. Le Femina pour Jours de colère, le Grand prix Jean Giono pour Tobie des marais, le Goncourt des lycéens pour Magnus. Et cadeau Bonux, en 2012 elle a reçu le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres pour l'ensemble de son œuvre. Inutile de préciser qu'avec un tel pedigree, lorsque Le Livre de Poche m'a proposée d'écrire une chronique sur un livre de mon choix parmi la sélection du mois de Septembre, sans hésitation, j'ai choisi Petites scènes capitales. J'avoue ne pas avoir regretté mon choix. 

Petites scènes capitales, c'est quarante-neuf tableaux de la vie de Lili, diminutif de Liliane, de son vrai prénom Barbara. Lili est née après guerre. C'est une petite fille ordinaire, ni belle ni laide, ni docile ni rebelle, gratifiée d'aucun don spécifique, de celles dont on n'a rien à dire de particulier que l'on remarque à peine. Si Lili est une petite fille ordinaire, sa vie est loin de l'être.  Elle est ponctuée d'épreuves et de deuils. Tout commence avec sa mère. Cette femme qui n'a ressenti aucun amour maternel lorsqu'elle l'a mise au monde, mais plutôt une répulsion maternelle et qui finalement l'a abandonnée. Comment se construire sans mère, en ignorant tout de sa génitrice, jusqu'à son visage ? Heureusement, Lili a son père. Ce père qui un jour va congédier leur solitude à deux et se remarier avec une femme flanquée de trois filles, dont des jumelles et un fils. Lili apprendra à vivre avec sa famille recomposée, s'y attachera. Tout était réuni pour que Lili soit heureuse, que ses angoisses s'apaisent, jusqu'au jour où l'une des jumelles mourra parce que leur mère aura voulu immortaliser leur bonheur et prendre les filles en photo. De nouveau, le monde de Lili s'effondre, mais jamais Lili, elle, ne s'effondrera. 

"J'aspirais à une tranquillité, elle, à une existence plus bohème. La vie de couple ne lui convenait plus. Nous avons pensé qu'un enfant nous rapprocherait. C'est le contraire qui s'est produit. Aucun amour maternel ne lui est venu, plutôt, comment dire ?... une répulsion maternelle... - Une répulsion! " Ce mot, dans sa violence, la consterne.
De la répugnance, voilà donc tout ce qu'elle a su inspirer à sa mère, d'entrée de jeu. Ce n'est plus une sensation de nausée qu'elle éprouve à cette table délicatement dressée, avec sa nappe blanche, sa vaisselle raffinée et son bouquet de fleurs, mais une brûlure intérieure ; le mot "répulsion" lui fait l'effet d'une coulée d'acide dans l’œsophage.

Quarante-neuf tableaux pour finalement dépeindre la vie de Lili qui n'est qu’alternance de bonheurs et de tragédies, de questionnements, de quêtes d'amour, le tout magnifiquement ciselé sous la plume délicate, à la fois profonde et légère de Sylvie Germain. 
Petites scènes capitales n'est ni vraiment triste, ni vraiment gai, c'est tout simplement beau. Du grand art !

Bonne lecture & encore merci au Livre de Poche !



lundi 14 septembre 2015

Et voici la sélection finale du Prix des lecteurs 2015 du Livre de Poche

Mon aventure dans le cadre du Prix des lecteurs du Livre de Poche dans la catégorie Littérature touche à sa fin. Et oui, Jeudi 17 septembre, se tiendra la soirée de remise du prix. Alors en attendant de connaître l'heureux élu qui sera primé, voici les sept romans finalistes : 
  1.  "Le quatrième mur" de Sorj Chalandon,
  2.  "Une vie entre deux océans" de M.L. Stedman,
  3.  "L'empreinte de toute chose" d'Elizabeth Gilbert,
  4.  "L'empereur, c'est moi" d'Hugo Horiot,
  5.  "L'art d'écouter les battements de coeur" de Jean-Philip 
      Sendker,
  6.  "Traîne-savane" de Guillaume Jan,
  7.  "Les enfants du jacaranda" de Sahar Delijani
Vous pouvez retrouver la sélection et un résumé de chaque roman  ici

Nous avions jusqu'au 6 septembre pour voter. Ce que je peux vous dire, c'est que mon choix n'a finalement pas été difficile. Considérant qu'un livre recevant un prix littéraire doit avant tout être bien écrit, il était évident pour moi que Le quatrième mur est incontestablement le roman qui répond à tous les critères d'un prix littéraire. Sorj Chalandon a une plume. Il écrit superbement bien. Il a un style. De surcroît, il tient là un sujet original. L'idée de Sam était belle et folle : monter l'Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth en plein conflit. Voler deux heures à cette guerre en prélevant dans chaque camp un fils ou une fille pour en faire des acteurs, puis rassembler ces ennemis sur une scène de fortune, proposer une trêve poétique et culturelle dans un monde à feu et à sang, voici qui est vraiment original !

Profondément humaniste, magnifique et désespéré, Le quatrième mur est le récit d'une utopie et une ode à la fraternité. Pour autant, l'auteur ne nous épargne pas la réalité de la guerre, les traumatismes des bombardements, les corps et les âmes déchiquetés. Il dégaine les mots comme d'autres les balles et leur puissance nous fait vaciller. On ne sort pas indemne de la lecture de ce livre qui une fois terminé, ne peut être oublié. A lire, relire et à faire lire... Et surtout, à primer ! 

Rendez-vous dès vendredi pour les résultats.
D'ici là, bonne lecture !


dimanche 13 septembre 2015

Mon avis sur "Les collines d'eucalyptus" de Duong Thu Huong

Duong Thu Huong est une romancière et dissidente politique vietnamienne. Elle a participé dans les années 1980 à la renaissance littéraire de son pays natal, s'est opposée au parti communisme en dénonçant les abus de pouvoir et s'est battue pour l'instauration de la démocratie. Ses combats lui auront valu des pressions, huit mois d'emprisonnement et quelques autres ennuis. Si elle pu être libérée, c'est grâce à la mobilisation de la France et des États-Unis qui appréciaient outre la femme, son talent. Assignée à résidence, ce n'est qu'en 2006 qu'elle s'installera en France.
Lorsque cette femme
d'engagement au parcours de vie exceptionnel publie un roman, c'est toujours un évènement. Je dois bien avouer que lorsque j'ai découvert la sélection du mois d'Août du Prix des lecteurs du Livre de Poche, j'ai de suite su que mon vote lui serait acquis et j'espérais qu'elle ferait partie de la sélection finale. Malheureusement, la majorité du jury en a décidé autrement. Peu importe, voici une auteure et un livre à découvrir.

Les collines d’eucalyptus est le dernier roman de Duong Thu Huong. Il a été publié en 2013. 
Ce roman est inspiré d'une histoire vraie. La disparition au Vietnam, en 1987, d'un jeune homme promis à un brillant avenir. Ses parents appellent au secours leur cousine, Duong Thu Huong, en espérant que ses connaissances dans le milieu politique et policier pourront les aider à retrouver leur fils. Mais les recherches resteront vaines. Marquée par ce drame Duong Thu Huong a imaginé à travers deux romans, les raisons de la disparition de ce jeune homme de 16 ans. Dans Sanctuaire du cœur (2011) elle supposait qu'il fuyait un amour incestueux avec sa sœur adoptive et devenait gigolo. Dans  Les Collines d'eucalyptus,  il fuit parce qu'il lui est insoutenable d'avouer son homosexualité à ses parents et qu'il veut leur épargner la honte et le déshonneur.

Thanh, jeune homme sans histoire, excellent élève et fils modèle, est homosexuel. Son destin va basculer. Il va tomber sous la coupe d'un mauvais garçon, Phu Vuong. Thanh va fuir sa famille et sa ville natale après avoir volé les économies de sa mère qu'il adore. Avec son amant oisif, voleur, manipulateur, il partira à Dalat dans le sud du Vietnam. Ils vivront de petits jobs, le temps d'obtenir leurs papiers. Malgré les excès de son compagnon et ses mauvais comportements,  Thanh ne trouvera pas la force de s'en défaire. Il se sentira désespérément seul. Il ne parviendra pas à se confier, même pas à Tiên Lai, un homme délicat et propriétaire du salon de coiffure le plus huppé de Dalat. A cause des agissements de Phu Vuong, Thanh devra de nouveau fuir. Destination Saigon, où il pourra trouver refuge dans l'anonymat de la métropole, du moins c'est ce qu'il pense. Il se délestera enfin de son boulet de compagnon, mais le recroisera. A Saigon, Thanh rencontrera Hai.  Ensemble, ils ouvriront un salon de coiffure. Mais le destin de Thanh le conduira ailleurs, là où la liberté n'est plus. Thanh a été condamné aux travaux forcés. Est-ce là qu'il finira sa vie ? Ce que je peux vous dire c'est ici que commence Les Collines d'eucalyptus.

Des lambeaux de brouillard stagnent encore au-delà de la faille rocheuse, alors que les premiers rayons du soleil effleurent déjà la cime des arbres de ce côté-ci. Soudain, tel un filet de fumée, la brume monte au ciel et se fond dans les nuages, les métamorphosant en gigantesques boules de coton. Le paysage se transforme, fantastique. La nature semble une vaste scène de théâtre qu'envahiraient les fumées et la neige artificielle produites par des engins modernes.
Ce n'est pas un théâtre, c'est le bagne, pense Thanh, amer.

Fanny Taillandier de Livres Hebdo a écrit à propos de ce livre "C'est une des forces de ce roman que de célébrer la poésie du monde à chaque page et au milieu de chaque drame". Les collines d'eucalyptus -comme tous les romans de Duong Thu Huong- c'est exactement cela. 
Dès les premières lignes, le temps s'arrête. Nous voici transportés ailleurs, au cœur du Vietnam avec son régime, ses mœurs, ses tabous, ses odeurs, sa culture, à la poursuite du destin de Thanh.
La plume 
de Duong Thu Huong est toujours aussi gracieuse, sensible, alerte et précise. Ses propos sont engagés, intelligents, profondément humains. On enchaîne sans s'en rendre compte, les pages les unes après les autres et les heures de lecture.
Alors si vous ne connaissez pas encore cette auteure, je ne peux que vous conseiller de vous procurer ses livres, bonheur assuré. Et promis si Duong Thu Huong est conviée à la soirée de remise du Prix des lecteurs qui se tiendra dans quelques jours, j'irai lui dire mon admiration et ô combien j'aurai aimé qu'elle remporte ce prix, parce que dans ses oeuvres, c'est bien de littérature qu'il s'agit !

Bonne lecture !